Congo Actualité n. 499

LA RÉSURGENCE DU MOUVEMENT DU 23 MARS (M23)

Rivalités régionales, politique des donateurs et blocage du processus de paix

Ebuteli –  Groupe d’étude sur le Congo (GEC) – Rapport Août 2024 (2ème Partie)

https://www.ebuteli.org/publications/rapports/rapport-la-resurgence-du-m23-rivalites-regionales-politique-des-donateurs-et-blocage-du-processus-de-paix

SOMMAIRE

3. ANALYSE
3.1. L’Est de la RDC: théâtre de rivalités régionales
3.1.1. Pour comprendre l’intervention rwandaise
a. La concurrence régionale et le Rwanda
b. La question rwandophone
c. Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR)
3.2. Le Rwanda et la communauté internationale
3.2.1. Les intérêts économiques des pays voisins de l’est de la RDC
3.3. L’approche congolaise: le conflit comme mode de gouvernance
4. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
4.1. Pression sur le Rwanda
4.2. Relancer le processus de paix
4.3. L’impératif de la réforme du secteur de la sécurité
4.4. La réconciliation communautaire et la question rwandophone
4.5. Un plan pour le retour des réfugiés

3. ANALYSE

Le contexte historique laisse de nombreuses questions sans réponse. Pourquoi les FARDC ont-elles été si peu performantes sur le champ de bataille et ont-elles été contraintes de recourir à des sociétés de sécurité privées et à des groupes armés? Quels sont les principaux motifs de l’intervention rwandaise? Et comment devons-nous évaluer l’implication des pays régionaux et des pays donateurs? Cette section analytique tente de répondre à ces questions.

3.1. L’Est de la RDC: théâtre de rivalités régionales

3.1.1. Pour comprendre l’intervention rwandaise

D’après des sources diplomatiques corroborées par le dernier rapport du Groupe d’expert des Nations-Unies sur la RDC, l’armée rwandaise aurait entre 3.000-4.000 soldats déployés en RDC. Le gouvernement rwandais nie son implication et son caractère fermé et autoritaire rend difficile l’obtention d’informations sur ses motivations ou ses intentions. Nous évaluons ici les déclarations du gouvernement rwandais concernant la persécution des communautés tutsi congolaises et la collusion entre les FARDC et les FDLR. Nous examinons ensuite une opinion populaire selon laquelle l’extraction des ressources naturelles constitue l’objectif principal du Rwanda et de l’Ouganda.

a. La concurrence régionale et le Rwanda

Contrairement à d’autres communautés économiques régionales, l’EAC s’est longtemps caractérisée par l’absence d’une puissance hégémonique la pilotant. L’arrivée de la RDC signifie que chacun des membres a cherché à s’appuyer sur les énormes potentiels de ce pays, pour accroître son influence au sein de la communauté et prendre le dessus sur les autres. Au moment de l’adhésion de la RDC, le Rwanda avait des problèmes avec pratiquement tous les autres membres, dont le Burundi et la Tanzanie.
Fin 2021, le Burundi, l’Ouganda et le Kenya avaient des troupes déployées en RDC, alors que le déploiement de la police rwandaise à Goma avait été refusé par le gouvernement congolais. Les équipes ougandaises chargées de la construction des routes commençaient à travailler pour relier le Nord-Kivu et l’Ituri à Kampala, ce qui risquait d’exclure le Rwanda du commerce lucratif entre l’est du Congo et la côte de l’Afrique de l’Est. En janvier 2022, la Tanzanie et le Burundi avaient signé un accord pour construire le dernier tronçon de chemin de fer qui pourrait relier les deux pays, formant ainsi une autre route commerciale potentielle contournant le Rwanda. Cet isolement a été l’un des principaux moteurs de son soutien au M23 dans l’est de la RDC.

b. La question rwandophone

Depuis 2022, tout en niant sa propre implication, le gouvernement rwandais a en partie attribué la résurgence du M23 à la discrimination dont les rwandophones – les communautés hutu et tutsi – font l’objet en RDC. Lors d’une interview en janvier 2023, Kagame a déclaré: «Mettez-vous à la place de ces personnes, nées et élevées au Congo, dont les parents et grands-parents sont nés sur le sol congolais et à qui l’on demande de retourner d’où elles viennent, avant la colonisation et avant même que les frontières n’existent! […] Ajoutez à cela les discours de haine émanant du gouvernement, de l’administration et des politiciens congolais, et la similitude entre cette situation et celle qui prévalait au Rwanda en 1994».
La persécution de la communauté tutsi aurait été aggravée par la collusion du gouvernement congolais avec les FDLR. Un article d’opinion paru dans un journal gouvernemental rwandais explique: «La résurgence de la rébellion du M23 doit être imputée en premier lieu à l’incapacité du gouvernement de la RDC à mettre en œuvre les accords signés avec le groupe dont les membres se voient refuser le droit à la citoyenneté congolaise […] Le gouvernement de la RDC a en outre diffusé un discours de haine visant à la fois le Rwanda et les Tutsis congolais, tandis que son armée, les FARDC, a forgé une alliance sinistre avec des forces génocidaires, en particulier les FDLR».
Il ne fait aucun doute que la communauté tutsi congolaise est victime d’abus et de discours haineux depuis longtemps, et que cette persécution s’est accrue depuis la résurgence de la rébellion du M23 en novembre 2021. L’exemple le plus extrême de cela a probablement été l’ancien député national et ministre Justin Bitakwira, qui, dans une émission diffusée sur la chaîne Bosolo TV, a dit: «Ils sont tous pareils. Quand tu vois un Tutsi (…) un criminel né! Je me pose toujours la question de savoir si leur créateur ce n’est pas celui qui a créé le diable. (…) Je n’ai jamais vu une race aussi méchante». Martin Fayulu aussi, un des principaux leaders de l’opposition, répète souvent que les Banyamulenge n’ont pas le droit à la nationalité congolaise, en prétendant que ce groupe n’était pas présent en RDC avant l’indépendance.
Cependant, il serait trompeur et constituerait une inversion de la causalité de suggérer que c’est cette tendance qui a déclenché la rébellion en premier lieu.
La stigmatisation de la communauté tutsi congolaise a des racines profondes. Au Nord-Kivu, le clivage entre les communautés Hutu et Tutsi et celles qui se décrivent comme autochtones remonte à l’administration coloniale belge, qui a encouragé l’immigration massive de Rwandais et manipulé les structures de pouvoir ethniques. Après l’indépendance, la communauté tutsi du NordKivu, dont sont issus les dirigeants du CNDP puis du M23, a été tour à tour favorisée et discriminée par les élites dirigeantes de Kinshasa et des provinces. Ses dirigeants comptent parmi les propriétaires terriens et les entrepreneurs les plus riches de la région, et les rébellions successives soutenues par le Rwanda depuis 1996 ont recruté massivement au sein de cette communauté.
D’autre part, depuis l’indépendance, et en particulier depuis le début des années 1980, le refus (ou le rétablissement) de leur nationalité congolaise a été utilisé comme un outil politique et cette communauté a toujours été confrontée à une persécution subtile et violente. Comme nous l’avons vu plus haut, pendant les périodes de conflit armé, les rébellions qui justifiaient leur existence par la défense de la communauté Tutsi ont commis des abus fréquents contre les civils, contribuant ainsi de manière significative à ces tensions communautaires.
Au cours des trois années qui ont précédé la résurgence du M23, le gouvernement de Félix Tshisekedi n’a certainement pas fait assez pour résoudre les conflits communautaires dans l’est de la RDC, lutter contre la discrimination et permettre le retour des réfugiés. S’il a publiquement affirmé que les «Banyamulenge sont des Congolais», cette remarque a provoqué un tollé. Son gouvernement, comme celui de son prédécesseur, n’a pas lancé d’initiatives importantes pour promouvoir la réconciliation. Et si le Président Tshisekedi a mis en garde contre les discours de haine, plusieurs officiers de l’armée ou de la police proches des groupes armés ou auteurs de discours incendiaires n’ont pas été sanctionnés.
Cependant, il n’y a guère de preuves d’une recrudescence des violences anti-Tutsi au Nord-Kivu avant la résurgence du M23. Ces dernières années, les principales violences perpétrées contre une communauté rwandophone dans l’est de la RDC l’ont été contre les Banyamulenge, dans le contexte du conflit dans les hauts plateaux du Sud-Kivu, à partir de 2016.
Les incidents documentés par des chercheurs – y compris une escalade des discours et des violences anti-Tutsi en mai et juin 2022 – sont postérieurs au retour du M23 sur le champ de bataille en novembre 2021, ce qui confirme que la montée de la rhétorique anti-Tutsi a été exacerbée par la rébellion du M23. Cela ne justifie pas ces abus, mais suggère que la résurgence du M23 n’était pas une réponse à ces abus.
S’il est vrai que le gouvernement congolais n’a pas fait grand chose pour favoriser la réconciliation ou le retour des réfugiés, il est également difficile de concevoir que la réconciliation et la cohabitation puissent être imposées par les armes, comme l’ont clairement montré les rébellions précédentes du CNDP (2004-2009) et du M23 (2012-2013), ainsi que, dans une certaine mesure, les rébellions de l’AFDL (1996-1997) et du RCD (1998-2003).
Le retour des réfugiés est souvent présenté comme une question cruciale pour le M23. Il s’agit en effet d’une question importante: de nombreux Tutsis congolais du Nord et du Sud-Kivu ont été contraints de fuir la violence au fil des ans. Le Rwanda accueille actuellement environ 84.000 réfugiés congolais, presque tous Tutsis, dans cinq camps, dont beaucoup sont là depuis trente ans. La plupart d’entre eux ne peuvent pas rentrer chez eux en raison de la situation sécuritaire dans leurs villages d’origine.
Il y a eu par le passé plusieurs expériences de retour de réfugiés, qui ont soulevé des questions quant à la sincérité de certaines des personnes qui sont aujourd’hui impliquées dans le M23. Par exemple, en 2011, le groupe d’experts de l’ONU a documenté les tentatives d’ex-responsables du CNDP de réinstaller environ 2.400 familles – soit plus de 10.000 personnes – des camps de réfugiés au Rwanda vers le village de Bibwe dans le Masisi. Selon leur rapport: «Si certains de ces nouveaux arrivants ont affirmé avoir possédé des terres à Bibwe dans le passé, beaucoup ont déclaré au Groupe qu’ils n’y avaient jamais vécu auparavant, et certains ont refusé d’indiquer d’où ils venaient … Selon les autorités locales et provinciales, aucun de ces ‘rapatriés’ n’a jamais possédé de terres à Bibwe».
Rien de tout cela ne doit être considéré comme une minimisation de l’importance des tensions communautaires – en particulier, la « politique de l’indigénéité » – dans la crise du M23. Le statut des populations rwandophones congolaises, les Tutsis en particulier, doit être abordé, car il n’a cessé de remonter à la surface au fil des décennies et a été la cause de nombreux actes de violence. Il faut pour cela aborder des questions épineuses, telles que l’accès à la terre et les abus passés. Cela ne sera pas facile. Dans un récent sondage GEC/Ebuteli, réalisé avec BERCI en RDC, seulement 25%  des personnes interrogées pensaient que les Tutsis pouvaient être congolais (27 % pour les Hutus), une proportion qui est plus ou moins restée la même depuis 2016.

c. Les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR)

Une autre allégation du gouvernement rwandais et du M23 est que ce dernier protège la population tutsi congolaise contre les FDLR. En outre, l’M23 et le Rwanda accusent les FARDC d’avoir conclu, une fois de plus, une alliance avec les FDLR. Selon le groupe d’experts de l’ONU et les entretiens du GEC/Ebuteli aussi, l’armée nationale a coordonné des opérations militaires contre le M23 avec les FDLR et leur a apporté son soutien.
Selon le groupe d’experts de l’ONU, il y avait probablement autour de 1 400-1 600 combattants FDLR en 2016, un chiffre qui a baissé à 600-700 en 2018 à cause des morts et défections. Les faits sont présentés de manière trompeuse. Les FDLR sont en effet une menace pour les civils de l’est de la RDC, mais pas principalement pour la population tutsi, qui a diminué dans les zones rurales, en raison de l’insécurité qui y règne.
Il est donc peu probable que ce soit une menace accrue de la part des FDLR qui ait incité le Rwanda à soutenir le M23. Au contraire, comme nous l’avons vu précédemment, ce sont très probablement les opérations militaires ougandaises et les travaux routiers qui ont été perçus comme une menace par le gouvernement de Kigali, qui a alors réagi en soutenant le M23. En effet, dans les interviews et les discours de Paul Kagame du début de l’année 2022, il aborde les préoccupations sécuritaires du Rwanda dans l’est de la RDC, mais ne mentionne les FDLR qu’en ce qui concerne une éventuelle alliance avec les Forces Démocratiques Alliées (ADF), d’origine ougandaise.
L’arrivée au pouvoir de Tshisekedi en 2019 avait marqué le début d’une période de collaboration intense entre les FARDC et les RDF contre les FDLR. Des frappes ciblées ont conduit à l’assassinat de plusieurs dirigeants des FDLR, dont le commandant en chef Sylvestre Mudacumura et Juvénal Musabimana (alias JeanMichel Africa), entre septembre et novembre 2019.
Même après cette période, les FARDC ont poursuivi leurs opérations contre les rebelles rwandais. En janvier 2021, les FARDC soutenaient encore le Nduma defense of Congo – Rénové (faction Bwira) dans des opérations contre les FDLR dans le territoire de Rutshuru. Jusqu’en novembre 2021, les territoires de Rutshuru, Masisi, et Nyiragongo (Nord Kivu) étaient assez calmes, avec relativement peu de violences et pas d’attaque des FDLR contre le Rwanda.
Les premiers rapports sur l’implication des RDF datent de novembre 2021. Le groupe d’experts de l’ONU a montré des images et des captures d’écran d’une vidéo qui, selon lui, montre la présence des RDF dans un camp du M23 le 21 novembre 2021.
La date de reprise de la collaboration entre les FARDC et les FDLR est moins claire. Alors que des sources de la Monusco suggèrent que cette collaboration aurait pu commencer dès novembre 2021, avant même l’intervention des RDF, lorsqu’on leur a donné l’occasion de détailler le soutien des FARDC aux FDLR, ni le gouvernement rwandais ni le M23 n’ont mentionné d’incidents antérieurs au 8 mai 2022, date dans laquelle les FDLR étaient présentes à une réunion de coordination entre des groupes armés et les FARDC.
Tout comme les allégations de persécution des Tutsis, l’intensification de la collaboration entre les FARDC et les FDLR semble être due à l’intervention des RDF et non l’inverse. Ceci est aussi conforme à un schéma historique: depuis la création des FARDC en 2003, l’armée a opportunément collaboré avec les FDLR lorsqu’elle était menacée par des rébellions (RCD, CNDP et 1er M23) soutenues par le Rwanda, mais quand elle n’était pas menacée, elle a également lancé de nombreuses opérations contre ce groupe armé.

3.2. Le Rwanda et la communauté internationale

Les deux précurseurs de l’actuel M23 – le M23 de 2012-2013 et le CNDP – ont été démantelés lorsque le Rwanda a pris des mesures décisives à la suite de pressions internationales. En 2009, suite à des pourparlers organisés sous les auspices des Nations Unies et avec la médiation de l’Union Africaine, le gouvernement rwandais avait permis l’arrêt de Laurent Nkunda, chef militaire du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) en échange de l’intégration des troupes de ce groupes armé dans les FARDC. En 2013, les donateurs ont suspendu une aide de 240 millions de dollars, ce qui a contribué à la perte par le Rwanda de 3 points de croissance du PIB cette année-là. Suite à cette mesure, le Rwanda a brusquement retiré son soutien et a permis que le M23 s’effondre sous la pression des FARDC et de la Brigade d’intervention de la force de l’ONU.
Actuellement, en 2024, il est frappant de constater que, même si tous les principaux donateurs occidentaux ont condamné  publiquement le soutien du Rwanda au M23 – à l’exception du Royaume-Uni – cette fois-ci, peu de pressions ont été exercées sur le gouvernement rwandais.
Cette absence de mesures concrètes est surprenante, étant donné que le Rwanda est très dépendant de l’aide et donc vulnérable aux pressions étrangères. Selon la Banque mondiale, le Rwanda a reçu 1,25 milliard de dollars d’aide publique au développement en 2021, ce qui équivaut à 74 % des dépenses du gouvernement central. Et pourtant, malgré les dénonciations, la position du Rwanda dans les affaires mondiales et la diplomatie n’a pas été affectée.
De nombreux événements prestigieux ont été organisés à Kigali pendant l’escalade du M23, auxquels ont participé des chefs d’État et des chefs d’entreprise, notamment la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (juin 2022), la conférence du Forum africain de la philanthropie (octobre 2022) et le congrès mondial de la FIFA (mars 2023). Entre-temps, Paul Kagame a été désigné comme l’un des Africains les plus influents par le magazine New African et a été invité à s’exprimer au Forum économique du Qatar (mai 2023) et au sommet du G20 à Bali (novembre 2022). Les recettes touristiques et les investissements directs étrangers ont atteint des niveaux records en 2022.
Comment le Rwanda a-t-il pu éviter l’impact des pressions étrangères, malgré sa dépendance à l’aide extérieure? Le degré auquel le Rwanda a pu tirer parti de sa puissance militaire pour devenir un allié important en Afrique est certainement parmi les raisons.
Au Mozambique, le déploiement des RDF a permis de déloger un groupe djihadiste local de la ville stratégique de Mocímboa da Praia. Cette région abrite certains des plus grands projets de gaz naturel liquéfié d’Afrique. En mars 2021, Total Energies, la plus grande entreprise française en  termes de chiffre d’affaires, avait dû suspendre ses activités dans cette région. D’autres grandes entreprises de combustibles fossiles, dont Eni et BP, ont également d’importants investissements dans la région. Ces projets ont pris encore plus d’importance en raison de la crise ukrainienne, qui a contraint les pays européens à remplacer le gaz russe par d’autres sources. En novembre 2022, en pleine crise du M23, l’UE a annoncé qu’elle financerait à hauteur de 20 millions d’euros le déploiement de la RDF au Mozambique; au moment de la publication, elle était en train de discuter un autre financement de la même taille. En avril 2024, à la veille du 30e anniversaire du génocide rwandais, le gouvernement français a annoncé un financement de 400 millions d’euros pour la santé, l’environnement et l’éducation.
Les RDF ont également été déployées en République centrafricaine, à la fois dans le cadre de la mission de l’ONU depuis 2014 et dans le cadre d’une mission bilatérale depuis décembre 2020. Elles se sont avérées importantes pour soutenir son fragile gouvernement, protéger les civils et faire contrepoids aux entreprises de sécurité privées russes. Ce dernier point est important pour les pays occidentaux, inquiets de l’influence de Moscou en Afrique. En avril 2023, le Rwanda a également promis d’envoyer des soldats au Bénin, dans le cadre d’un accord avec le gouvernement de ce pays.
Outre ces déploiements bilatéraux, le Rwanda est également le quatrième fournisseur de soldats de la paix au monde, bien qu’il soit l’un des pays les plus pauvres et les plus petits, et a déployé des troupes dans des missions de maintien de la paix au Soudan du Sud, en République centrafricaine et au Soudan.
Pour le Royaume-Uni, d’autres considérations entrent également en ligne de compte. Les dirigeants des deux grands partis ont des liens personnels étroits avec Paul Kagame – le ministre d’Etat chargé du développement et de l’Afrique du gouvernement de Rishi Sunak, Andrew Mitchell, a des liens de longue date avec le Rwanda. En 2012, le dernier jour de son mandat de secrétaire d’État au développement international, il avait déjà pris la décision controversée de rétablir l’aide à hauteur de 24 millions de dollars au Rwanda, malgré son soutien au M23.
Plus important que ces liens personnels, un accord de 2022 avait prévu d’envoyer les demandeurs d’asile présents au Royaume Uni vers le Rwanda, pour qu’ils y soient traités. Le Royaume-Uni a versé 240 millions de livres (310 millions de dollars) au Rwanda pour ce projet et s’est engagé à prendre en charge les coûts de traitement et de rétention des demandeurs d’asile.
En fin de compte, la crise en RDC n’est pas assez grave ou publique, et l’importance du Rwanda est trop grande pour que les donateurs prennent des mesures décisives contre ce Pays. En dépit de son rôle négatif dans l’Est de la RDC, le Rwanda est perçu par les Pays occidentaux comme fonctionnel et obtenant des résultats, ce qui tranche avec l’État congolais, souffrant d’un déficit de crédibilité.
Toutefois, le 24 août 2023 le gouvernement américain a imposé des sanctions contre le général de brigade Andrew Nyamvumba, qui dirigeait les opérations de la 3e division des RDF. Une semaine plus tard, le même général a été promu par le président Kagame. Le général James Kabarebe, qui avait été cité par le Groupe d’experts de l’ONU pour son rôle dans le soutien rwandais au M23, se trouve dans une situation similaire. Le 27 septembre 2023, il a été nommé au poste de ministre d’État aux affaires étrangères, chargé de la coopération régionale. L’UE a sanctionné des militaires rwandais moins gradés (le capitaine Jean-Pierre Niragire, alias Gasasira, qui a commandé les forces spéciales des RDF dans la région du Nord Kivu, en juillet 2023, puis le colonel Augustin Migabo, en juillet 2024.

3.2.1. Les intérêts économiques des pays voisins de l’est de la RDC

La crise dans l’est de la RDC est souvent décrite comme une lutte pour les «minerais de conflit», avec des groupes armés qui se battent pour contrôler des ressources stratégiques telles que l’étain, le tantale, l’or et le tungstène. Cela a conduit les diplomates à chercher des solutions à la crise actuelle dans le domaine économique: l’UE, la France et les États-Unis débattent de la possibilité d’inciter le Rwanda à investir dans la stabilité par le biais d’investissements économiques.
Les donateurs semblent avoir eu recours à cette approche de la «carotte», puisque le «bâton» des sanctions ou des réductions de l’aide au Rwanda va à l’encontre de ce qu’ils considèrent comme leurs intérêts nationaux. Toutefois, tout accord économique de ce type sera difficile à mettre en œuvre, en raison de la nature du commerce des minerais.
L’or est de loin le minerai le plus important dans ce conflit. La RDC est l’un des principaux producteurs d’or du continent africain, avec 31 tonnes en 2021. En revanche, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi n’ont que de petits secteurs d’exploitation aurifère. La grande majorité de l’or congolais est cependant exporté en contrebande via ces pays voisins, ce qui prive le gouvernement congolais de revenus vitaux.
Il s’agit de sommes considérables pour ces économies. Depuis 2015. l’or est le premier produit d’exportation  du Rwanda:   les exportations d’or ont plus que doublé dans les trois dernières années, passant de 363 millions de dollars en 2021 à 882 millions en 2023. Pour l’Ouganda, il s’agit du principal produit d’exportation depuis 2016, atteignant son point culminant de 59 % des exportations en 2020. Au Burundi, l’or est la principale source de devises depuis 2011, avec un pic de 63 % de l’ensemble des exportations en 2014. Au total, en 2022, environ 2,5 milliards de dollars d’or ont été exportés par ces trois pays.
Les différents pays de la région sont de plus en plus en concurrence pour les ressources congolaises. L’Ouganda et le Rwanda ont chacun ouvert des raffineries d’or en 2017 et 2019, respectivement, dans le but d’ajouter de la valeur à ces importants flux d’or. De plus, des entreprises politiquement connectées dans chaque pays ont obtenu des contrats miniers en RDC. C’est le cas de la société ougandaise Dott service en 2020 et de la société rwandaise Dither en 2021.
Depuis le début de la crise du M23, le gouvernement congolais a tenté de contrôler davantage le secteur aurifère, en créant une nouvelle société, Primera Gold, avec des partenaires émiratis. Le contrat confère au groupe Primera le droit exclusif d’exporter l’or extrait de manière artisanale à un taux douanier de 0,25 % pendant 25 ans, ce qui est bien inférieur aux 10 % que doivent payer les autres opérateurs. Cette situation a suscité des critiques selon lesquelles cette approche ne profiterait qu’à un petit groupe de personnes et ne contribuerait pas à la croissance de l’emploi ni aux recettes publiques. En 2023, Primera a indiqué qu’elle avait exporté pour 300 millions de dollars d’or, une nette augmentation par rapport aux années précédentes, mais qui reste très modeste par rapport aux exportations des pays voisins.
Ce commerce est complexe. Aucun de ces pays voisins ne contrôle directement les mines d’or du Congo. Au lieu de cela, les négociants font passer de grandes quantités d’or en contrebande à travers la frontière, parfois avec la complicité de responsables sécuritaires congolais. Le commerce profite d’un État congolais qui a à la fois des taxes élevées et un contrôle faible. Les États voisins profitent du désordre congolais. Ce type d’engagement économique bénéficie de la protection politique et de la capacité des pays voisins à projeter leur pouvoir et leur influence.

3.3. L’approche congolaise: le conflit comme mode de gouvernance

L’approche de Tshisekedi vis-à-vis du conflit a été autant axée sur la gestion de son propre appareil de sécurité que sur les combats à l’Est. Il n’avait été déclaré vainqueur des élections de décembre 2018 que grâce à un accord avec le président sortant Joseph Kabila, se retrouvant ainsi dépendant de son prédécesseur. Pendant les deux premières années du mandat de Tshisekedi, la coalition de Kabila a contrôlé le parlement national, la plupart des parlements et gouvernements provinciaux et de l’appareil de sécurité, qui était dirigé par des officiers et des fonctionnaires nommés par Kabila et avec lesquels ni Tshisekedi ni son parti, l’UDPS, n’avaient beaucoup de liens historiques.

3.3.1. Le défi sécuritaire de Tshisekedi: gérer sa propre armée

En 2019, la menace existentielle pour Tshisekedi provenait de ses propres forces de sécurité, et non de l’Est rétif, confronté à une prolifération de dizaines de groupes armés aux agendas et aux racines locales. Le M23 était largement en sommeil; la rébellion la plus meurtrière était celle des ADF, une insurrection islamiste extrêmement brutale mais qui ne contrôlait qu’une petite partie du territoire. Contrairement à son prédécesseur, qui avait nommé les principaux commandants de l’armée au cours des 18 années précédentes, Félix Tshisekedi n’avait aucune expérience militaire et peu de relations au sein de l’appareil de sécurité.
Plutôt que de se lancer immédiatement dans une réforme de l’appareil de sécurité, qui aurait pu déclencher une réaction brutale de la part des services de sécurité, le président a procédé avec prudence aux nominations militaires. Par exemple, le président a conservé le général Gabriel Amisi (alias Tango 4) et le général Charles Akili (alias Mundos), tous deux sous le coup de sanctions internationales et soupçonnés de graves violations des droits de l’homme, en les nommant respectivement inspecteur général et inspecteur général adjoint des FARDC. Le contrôle de l’un des principaux organes militaires chargés de la surveillance a ainsi été confié à des officiers notoirement connus pour leurs abus. Bien qu’il y ait eu quelques poursuites, en particulier contre des officiers de rang inférieur, les abus financiers et les violations des droits de l’homme sont restés monnaie courante.
L’approche de Tshisekedi s’inscrit dans la continuité des attitudes existantes à l’égard du conflit. Depuis Mobutu, les élites politiques de Kinshasa s’inquiètent davantage des dissensions au sein de l’armée que des griefs de la population locale. La guerre dans l’est du Congo est secondaire pour leur survie. En effet, les politiciens ne sont généralement pas sanctionnés dans les urnes pour leur négligence de l’est et les combats dans cette région n’ont pas non plus constitué une menace pour la sécurité de la capitale du pays, située à plus de deux-mille kilomètres.
En déployant la majeure partie de l’armée dans l’Est, en maintenant les salaires des officiers à un niveau bas, mais en leur accordant des indemnités et des primes discrétionnaires élevées et en leur donnant carte blanche pour le racket, les élites politiques se sont protégées contre d’éventuels coups d’État et se sont enrichies grâce à des systèmes de pots-de-vin.
Ce système de fragmentation et de clientélisme a été intégré dans l’organisation de l’État, ce qui lui a donné intérêt à la persistance du conflit. On peut, par exemple, l’observer dans la manière dont les membres des services de sécurité sont rémunérés: la rémunération est structurée de telle manière que les officiers ont du mal à prospérer en l’absence de conflit armé. Selon une analyse conduite en 2014, plus de 90 % de la rémunération des officiers dépendait de paiements légaux ou extralégaux directement liés aux opérations militaires. Par exemple, les officiers occupant des postes de commandement recevaient souvent une prime de commandement d’une valeur allant jusqu’à 1 000 dollars par mois et les officiers de renseignement recevaient parfois un fond secret de renseignement d’une valeur de plusieurs centaines de dollars par mois, mais uniquement s’ils menaient des opérations militaires. Ces paiements n’étaient pas statutaires et étaient effectués à la discrétion des officiers militaires, ce qui renforçait la loyauté individuelle à leur égard.
Ces incitations à recourir à des solutions militaires, associées à la tentative de Tshisekedi de gagner la confiance des officiers supérieurs des FARDC, peuvent expliquer en partie pourquoi le président a lancé plusieurs opérations militaires peu après son entrée en fonction, ainsi que les raisons pour lesquelles ces opérations ont échoué. En octobre 2019, il a autorisé les opérations « Zaruba ya Ituri » («tempête de l’Ituri» ), suivies peu après d’une offensive de grande envergure contre les ADF. Ces deux opérations ont eu peu de succès en ce qui concerne la stabilisation de la région.
L’état de siège déclaré par Tshisekedi en avril 2021 a également fourni une source de profit pour des dirigeants des FARDC à Kinshasa. Un rapport de la Commission de défense et de sécurité de l’Assemblée nationale a indiqué que sur les «37 millions de dollars mis à disposition en mai [2021] pour les urgences de l’état de siège», 53% étaient allés aux officiers de l’état-major général à Kinshasa, n’atteignant jamais l’Est.
En même temps, le budget de la défense a augmenté de façon spectaculaire. Des dépassements budgétaires importants ont eu lieu en 2022, et le budget de 2023 a été triplé par rapport à celui de 2022, pour atteindre 1,5 milliard de dollars, soit 10 % des dépenses publiques prévues. Dans sa nouvelle loi sur l’armée, le parlement a également prévu de maintenir un niveau de dépenses comparable de plus d’un milliard de dollars par an entre 2022 et 2025.
L’état de siège a également offert des opportunités économiques aux officiers déployés à l’Est, car les autorités civiles ont été remplacées par les militaires. Ils ont soit pris le contrôle directement, soit  pu exercer une influence sur les douanes, la collecte des impôts, les marchés publics et le secteur de la justice.
L’armée n’a pas été en mesure d’endiguer l’avancée des troupes du M23 et des RDF. Cette faiblesse a poussé le gouvernement à faire appel à des sociétés militaires privées pour former leurs troupes et utiliser des avions de chasse. Plus inquiétant encore, le gouvernement congolais semble déterminé à s’appuyer sur des groupes armés mentionnés précédemment.

4. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Le conflit du M23 s’est enlisé dans une impasse violente, avec peu d’espoir de résolution dans l’immédiat. À la mi-2024, les rebelles s’étaient emparés d’une grande partie de la province du Nord Kivu, déplaçant des centaines de milliers de personnes et en tuant des centaines. Ils ont suscité une réponse maladroite de la part du gouvernement congolais, qui a soutenu des groupes armés et des milices, dont la plupart recrutent au sein de leurs communautés ethniques, rendant le conflit encore plus dévastateur pour les communautés locales et encore plus insoluble.
Malgré cette escalade, il n’y a pas de processus de paix fonctionnel.
Les processus de Nairobi et de Luanda souffrent d’un manque de leadership et de vision pour surmonter les intérêts divergents et les visions du monde opposées des parties. Les Congolais ne veulent pas céder aux exigences de ce qu’ils perçoivent comme une rébellion illégitime soutenue par un pays étranger. Les différents intermédiaires, quant à eux, ne sont pas disposés à exercer les pressions nécessaires pour faire plier le Rwanda ou le M23.
La situation militaire n’est pas meilleure. Les performances des FARDC ont été mitigées, malgré des augmentations budgétaires massives. Cela les a amenées à soutenir des groupes armés et à employer des sociétés de sécurité privées, sans grand succès jusqu’à présent. Entre-temps, deux forces internationales sont présentes dans l’est de la RDC, la Monusco et la SAMIDRC. Aucune de ces forces n’est déployée dans le cadre d’un processus de paix fonctionnel ou bien conçu, ni n’est pour l’instant disposée ou capable à mener l’offensive contre le M23.
Malgré ce sombre scénario, il existe des mesures concrètes qui pourraient être envisagées pour alléger les souffrances des Congolais et progresser vers la résolution de la crise. Cependant, il est important de souligner qu’aucune de ces mesures ne sera possible sans investissements beaucoup plus importants, financièrement et politiquement, en faveur de la paix et à tous les niveaux : local, nationale, régional et international.

4.1. Pression sur le Rwanda

Comparé aux nombreux autres groupes armés qui opèrent dans l’est de la RDC, le M23 pourrait être relativement simple à démanteler, étant donné sa dépendance écrasante à l’égard du soutien rwandais. Cependant, les donateurs étrangers – dont certains finiront par dépenser des centaines de millions de dollars pour la réponse humanitaire à cette crise – n’ont pas voulu faire pression sur Kigali comme ils l’ont fait en 2013.
Compte tenu de ces intérêts, en l’absence d’événements inattendus sur le terrain, seule une pression publique soutenue sera susceptible d’inciter ces différents pays à agir. Il faudrait que les acteurs publics et privés diffusent des messages plus cohérents – ils condamnent le soutien du Rwanda au M23, mais organisent des événements internationaux majeurs au Rwanda et célèbrent ses réussites sur la scène mondiale, donnant l’impression que la communauté internationale soutient globalement le Rwanda. La pression pourrait également se traduire par la suspension de l’aide et du soutien militaire, ou des sanctions ciblées supplémentaires.
Le gouvernement et les donateurs multilatéraux tels que le FMI, la Banque africaine de développement et la Banque mondiale pourraient demander à leur personnel d’identifier les programmes qui pourraient être suspendus sans causer de difficultés disproportionnées pour les Rwandais ordinaires. Des mesures similaires avaient contribué de manière significative à la décision du Rwanda, il y a dix ans, de retirer son soutien au M23, ce qui avait conduit à sa disparition.

4.2. Relancer le processus de paix

Il est urgent que le gouvernement et les donateurs mettent en place une stratégie globale de lutte contre les conflits. Cette stratégie pourrait s’inspirer des nombreux éléments de l’accord-cadre de 2013 et devrait inclure les éléments suivants, dont certains sont abordés plus en détail ci-dessous:
˃ En s’appuyant sur l’actuel Programme de Désarmement, de Démobilisation, de Relèvement Communautaire et de Stabilisation (PDDRCS), lancé en juillet 2021:
– Une stratégie de contacts avec les groupes armés, pour leur permettre d’exprimer leurs revendications. Tout cela avec la participation de la société civile, de la Monusco et de la SADC;
– Un processus d’engagement des communautés dans les zones touchées par le conflit armé qui prévoit la réinsertion des combattants, tout en investissant dans l’emploi, les infrastructures et les services sociaux pour les communautés locales;
˃ Promouvoir la réconciliation communautaire par:
– Une élaboration de programmes d’études et de programmes de radio/télévision, des initiatives de dialogue local et la création de commissions nationales;
– Dans ce cadre, s’attaquer au statut des communautés rwandophones :
˃ Favoriser le retour des Congolais réfugiés dans les pays voisins;
˃ Promouvoir une réforme du secteur de la sécurité qui investirait dans la police de proximité, la réforme de l’armée et la reconstruction du secteur de la justice;
˃ Investir dans la gestion des chaînes d’approvisionnement en minerais, afin de créer des moyens de subsistance dignes pour les communautés minières et des revenus pour le gouvernement;
˃ Proposer un plan de développement économique des régions touchées par les conflits, en mettant l’accent sur les parties les plus marginalisées de la population.

4.3. L’impératif de la réforme du secteur de la sécurité

Il est difficile de voir comment les groupes armés disparaîtront dans l’est du Congo si l’État reste faible et dépourvu de toute capacité de dissuasion. La réforme de l’armée est au cœur de cette problématique. Comme nous l’avons souligné, le défi est avant tout politique: le gouvernement devra transformer cette institution, qui sert à distribuer des privilèges et à extraire des ressources, en une institution capable de fournir un service public. Cela nécessitera un leadership déterminé pour réprimer l’indiscipline, les malversations financières, les abus et la corruption. La pierre angulaire de ces réformes devrait être une plus grande responsabilisation. Les considérations suivantes pourraient être prises en compte:
– La création d’un mécanisme de «vetting» qui permettrait d’écarter les agents contre lesquels il existe des preuves significatives de délits financiers ou de violations des droits de l’homme;
– Le soutien à l’amélioration des conditions de vie des soldats et de leurs familles, y compris un salaire décent et des prestations sociales;
– La suppression du déséquilibre entre les primes discrétionnaires et les salaires statutaires: l’essentiel de la rémunération des soldats doit se faire sous forme de salaires;
– Un contrôle accru par le biais d’une inspection générale réorganisée, d’une commission parlementaire de la défense plus diligente et d’une limitation de l’utilisation du label «secret défense», pour empêcher la publication d’informations sur les finances et les opérations militaires;
– Le renforcement des institutions de contrôle de l’armée: l’Inspectorat de l’armée, la cours des comptes et la justice militaire.

4.4. La réconciliation communautaire et la question rwandophone

Depuis les prémices des guerres du Congo en mars 1993, il n’y a jamais eu d’effort sérieux et complet de justice transitionnelle ou de réconciliation au niveau local. La Commission Vérité et Réconciliation du gouvernement de transition était mort-née, et bien qu’il y ait eu de nombreux efforts locaux courageux pour promouvoir la cohabitation et la réconciliation, ils n’ont généralement pas bénéficié de l’appui crucial du gouvernement. Cela a permis aux rancœurs de s’envenimer, ce qui a favorisé la mobilisation armée et donné du pouvoir aux démagogues.
Certains des conflits les plus graves de ce type tournent autour de la question rwandophone. Depuis au moins 1993, le statut des populations rwandophones de l’est du Congo a déclenché à maintes reprises des conflits violents. Les élites politiques des deux camps ont cherché à attiser cet antagonisme dans leur propre intérêt. Il en résulte un profond sentiment de méfiance et de ressentiment parmi les acteurs clés et parmi la population en général.
Pour surmonter cette situation, les dirigeants congolais pourraient reconnaître l’histoire de ces populations, dont la plupart sont installées dans l’est du Congo depuis avant l’indépendance, et s’abstenir de rejeter la responsabilité des crimes commis par des individus sur l’ensemble des communautés. Bien que ces mesures soient très certainement impopulaires sur le plan politique, elles peuvent grandement contribuer à prévenir la reprise des conflits à l’avenir.
Un effort national, mené par le gouvernement et la société civile, est nécessaire pour promouvoir la réconciliation et résoudre les tensions communautaires dans l’ensemble du pays. Divers outils peuvent être utilisés pour forger la réconciliation, de l’arbitrage foncier aux commissions historiques d’experts, en passant par les ateliers locaux de consolidation de la paix, la révision des programmes scolaires et les mécanismes de vérité et réconciliation.
Quelle que soit la forme qu’elles prennent, ces approches doivent impliquer les dirigeants des communautés locales et s’inscrire dans un processus politique plus large qui s’attaque à l’insécurité et permet de réparer les injustices du passé.

4.5. Un plan pour le retour des réfugiés

Il y a plus de 80.000 réfugiés congolais au Rwanda, dont beaucoup sont là depuis plus de vingt ans, ce qui constitue l’une des principales pommes de discorde pour le M23. Mais ces réfugiés ne représentent qu’une fraction des 1,1 million de Congolais qui ont fui leur pays en raison de l’insécurité.
Si le rapatriement de ceux qui se trouvent au Rwanda est particulièrement important pour le M23, tous les Congolais devraient pouvoir rentrer dans leur pays s’ils le souhaitent. Le plus grand nombre d’entre eux (494.874) se trouve en Ouganda, tandis que la Tanzanie (123.106), le Burundi (85.000) et le Kenya (56.582) en accueillent également un grand nombre. Il est irréaliste de penser que toutes ces personnes seront réinstallées. En 2022, il y avait 35 millions de réfugiés dans le monde et seuls 114.300 ont été réinstallés. Le gouvernement congolais devrait continuer à travailler avec le HCR et les différents pays d’accueil, pour ramener au moins une partie de ces citoyens chez eux.
Pour les réfugiés congolais au Rwanda, comme pour tous les autres réfugiés, ce retour dépendra de l’amélioration de la sécurité dans leurs communautés d’origine. Les travaux préparatoires pourraient être intensifiés. Il s’agit notamment d’effectuer un recensement pour identifier leurs villages d’origine, d’étudier ce qu’il est advenu de leurs terres et de leurs biens en RDC et quel type de restitution serait possible, et de faciliter les déplacements des chefs communautaires de ces régions vers les camps de réfugiés, afin de dégager un consensus sur leur réintégration.
Une deuxième partie de ce plan devrait s’attaquer à la question encore plus épineuse de la sécurité. Comment ces rapatriés pourraient-ils être sûrs qu’ils ne seront pas confrontés aux mêmes attaques et aux mêmes abus que ceux qui les ont poussés à fuir? Les autorités congolaises, éventuellement avec le soutien des donateurs et des diverses missions multinationales déployées sur place, devraient probablement fournir de véritables garanties de sécurité à ces rapatriés, ainsi que des promesses d’investissement aux communautés voisines, afin que ces rapatriements profitent à l’ensemble de la population locale.