L’ÉTAT DE SIÈGE EN ITURI / NORD KIVU ET LA MISSION DE L’ONU EN RDCONGO:
L’HEURE DE L’ABROGATION ET DU RETRAIT
SOMMAIRE
1. LA TABLE RONDE SUR L’ÉVALUATION DE L’ÉTAT DE SIÈGE DANS L’ITURI ET LE NORD KIVU
2. LE RAPPORT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL AU CONSEIL DE SECURITÉ DE L’ONU SUR LA RDCONGO
a. Les conditions d’insécurité dans l’est de la RDCongo
b. La reconfiguration de la mission de l’ONU en RDCongo
i. La protection des civils
ii. Le désarmement, la démobilisation, la réintégration et la stabilisation
iii. La réforme du secteur de la sécurité
c. Le retrait progressif du personnel militaire de la mission
d. Observations
1. LA TABLE RONDE SUR L’ÉVALUATION DE L’ÉTAT DE SIÈGE DANS L’ITURI ET LE NORD KIVU
Le 14 août, au Palais du peuple à Kinshasa, les travaux de la Table ronde sur l’évaluation de l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri ont démarré avec la participation de délégués de la Présidence de la République, de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Gouvernement, du pouvoir judiciaire, des assemblées provinciales, des gouvernements provinciaux et du pouvoir coutumier, des confessions religieuses et de la Fédération des entreprises du Congo. Voulue par le Président de la République, cette table ronde a une nature consultative, pour l’éclairer et l’orienter à décider sur le maintien, la requalification ou la levée pure et simple de l’état de siège qu’il avait instauré le 6 mai 2021, pour endiguer l’insécurité au Nord-Kivu et en Ituri. Toutefois, cette mesure exceptionnelle est décriée par plusieurs acteurs sociopolitiques du Nord-Kivu et de l’Ituri faute de résultats sur le terrain, où les violences armées perpétrées par les forces négatives, dont les ADF et la CODECO, ne font que s’accentuer. Par ailleurs, c’est précisément pendant l’état de siège que le M 23 a refait surface au Nord-Kivu et pris le contrôle de 3 territoires (Rutshuru, Masisi et Nyiragongo).[1]
Le mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA) a dit n’attendre que la levée de la mesure au regard de ses faibles résultats. La LUCHA soutient que, au lieu de mater l’insécurité, l’état de siège a plutôt facilité la perpétuation des violences dans les contrées concernées. Selon son communiqué publié le 13 août, «l’objectif déclaré de l’état de siège était d’améliorer rapidement la protection des civils, de neutraliser les groupes armés et de rétablir l’autorité de l’Etat. Malheureusement, la situation s’est considérablement dégradée. Depuis 2 ans, on constate une recrudescence des attaques des civils et une augmentation des victimes civiles. Cette situation a entraîné la mort de 4.000 civils, tandis que plus de 2 millions de personnes ont été déplacées depuis 2021. Notre position étant connue, nous ne cautionnerons en aucun cas la prolongation de cette mesure politique inutile et inefficace».[2]
Des mouvements citoyens, dont Lucha, Filimbi, Urgences Panafricaniste et des groupes de pression, demandent la levée de cette mesure d’exception et, pour pacifier, stabiliser et relancer les deux provinces de l’Ituri et du Nord Kivu, proposent les mesures alternatives suivantes:
– Relancer les opérations militaires de grande envergure contre les M23/RDF, les ADF, les CODECO et d’autres groupes armés, en prenant préalablement le soin d’éloigner de l’armée les officiers et les militaires soupçonnés de violations graves des droits humains, de collisions avec les groupes armés et de trafics divers et en allouant des moyens financiers et logistiques conséquents auxdites opérations.
– Mettre immédiatement un terme à la présence de la force de l’East African Community (EAC) qui cohabite avec le M23/RDF au lieu de les combattre et accélérer le processus de retrait de la MONUSCO dont le mandat est peu adapté à la situation actuelle.
– Mettre en œuvre de toute urgence le Programme de désarmement, démobilisation, réinsertion communautaire et stabilisation (PDDRC-S), afin de donner une voie de sortie efficace et sûre aux combattants des groupes armés locaux qui déposent les armes. Tommy Tambwe, doit immédiatement être remplacé par des animateurs sérieux et crédibles.
– Exiger du Conseil de Sécurité des Nations Unies la création d’un tribunal pénal spécial pour la RDC ou d’un mécanisme international équivalent, afin de juger les principaux auteurs, congolais et étrangers, des crimes graves commis en RDC depuis 1990, y compris ceux documentés dans le rapport du projet Mapping des Nations Unies.
– Mettre en œuvre un programme d’allégement fiscal et de relèvement économique dans les provinces concernées par l’état de siège afin de relever l’économie locale très affectée depuis des années par ces violences armées. À cet effet, l’ouverture de la route nationale N°2 est une urgence afin de relancer le trafic des personnes et les échanges commerciaux dans la province du Nord-Kivu.
– Répondre aux exigences et aux revendications de la classe politique et de la société civile/mouvements citoyens/groupes de pression quant à la régularité, la transparence, la crédibilité et l’inclusivité du processus électoral en cours, afin de mettre fin aux crises récurrentes de légitimité qui ont des conséquences graves sur notre sécurité et notre souveraineté. A ce sujet, nous nous opposons âprement à toute idée d’organiser les élections sans les circonscriptions électorales du Masisi, de Rutshuru et du Nyiragongo, actuellement occupées et contrôlées par les agresseurs du M23/RDF.
– Poursuivre et accélérer le processus de réforme substantielle de l’armée et des services de sécurité (notamment le vetting du commandement, les moyens logistiques, l’amélioration des soldes et des conditions sociales des militaires et de leurs dépendants, le renforcement de la discipline, les recrutements efficaces et programmes, la construction de casernes et d’écoles militaires modernes), afin de construire une armée républicaine, professionnelle et capable de protéger les Congolais, leurs biens ainsi que leur territoire.
– Allouer une assistance humanitaire conséquente et complète d’urgence aux millions de Congolais vivant dans les camps de déplacés au Nord-Kivu et en Ituri, en attendant leur retour définitif dans leurs milieux d’origine après le rétablissement de la paix et la sécurité.
– Identifier et poursuivre sans complaisance tous les auteurs intellectuels et non intellectuels ainsi que les complices de ces groupes armés peu importe leurs rangs, et les traduire devant la justice pour briser la culture de l’impunité qui gangrène la société congolaise et encourage la répétition des crimes.[3]
Le ministre Congolais de l’industrie et ancien gouverneur du Nord-Kivu pendant 12 ans, Julien Paluku Kahongya, se dit favorable à la levée de l’état de siège instaurée depuis mai 2021 dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Il a énuméré des « points noirs » qui ont émaillé l’état de siège alors que ce régime avait suscité beaucoup d’espoir dans l’éradication des groupes armés en donnant le plein pouvoir aux militaires. Il a cité la résurgence de la rébellion du M23 et la prolifération des groupes armés: «C’est pendant l’état de siège que les territoires de Rutshuru et de Masisi sont occupés dans leur majeure partie par le M23, avec le massacre historique de Kishishe entre le 29 novembre et le 1er décembre 2022, précédé et suivi par d’autres massacres à Ntamugenga, Tongo, Kitchanga…, en Territoire de Rutshuru, dont le bilan dépasse 1.000 morts. C’est pendant l’état de siège qu’il s’observe la prolifération des groupes armés en Ituri et au Nord-Kivu, au point d’en dénombrer maintenant plus de 200».
Par conséquent, il a suggéré la levée de l’état de siège, afin de permettre aux civils d’être réinvestis dans leurs fonctions. Il a formulé une série de propositions, dont la création d’un état-major général avancé pour permettre aux autorités congolaises de suivre de très près les opérations en cours dans les zones insécurisées. Julien Paluku a ainsi recommandé que cet état-major avancé soit installé en région de Beni (Nord-Kivu) et qu’il soit doté des pouvoirs exceptionnels. Il a proposé que le président Félix Tshisekedi en prenne directement le commandement, pour éviter la lourdeur administrative, le tripatouillage décrié dans la gestion des fonds destinés aux opérations militaires et les magouilles maffieuses souvent décriées. A l’intérieur de cet état-major général avancé fonctionneraient deux centres de résistance, l’un à Goma et l’autre à Bunia. Pour les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, il a proposé que les deux gouverneurs civils aient des Conseillers Militaires revêtus du grade de Colonel et ayant suivi la formation à l’école de commandement ou de guerre, afin d’assurer une bonne liaison avec l’état-major général avancé.
Outre cette proposition, Julien Paluku a plaidé pour la poursuite des processus de paix de Nairobi et de Luanda. Il a également suggéré la relocalisation des commandants et des officiers militaires qui ont servi dans la région pendant plusieurs années sans interruption et le déploiement de nouvelles unités combattantes issues récemment des centres de formation, afin de renforcer les nouvelles dispositions. Par ailleurs, le ministre de l’industrie a proposé le lancement d’une vaste campagne de recrutement des policiers pour couvrir les espaces non protégés.[4]
Le député national Jackson Ausse Afingoto considère que cette mesure relative à l’instauration de l’état de siège doit être levée, d’autant plus que les différentes prorogations réalisées jusque-là se font toujours à l’encontre de la volonté des élus des provinces concernées. L’élu d’Irumu dans la province de l’Ituri fait noter que la surcharge des militaires a donné des effets contraires à ce qui était attendu et il évoque par conséquent la nécessité de les décharger de la gestion administrative, financière et politique, afin qu’ils se concentrent uniquement sur les opérations militaires et leurs missions de protection de la population civile et de défense de l’intégrité territoriale. Cet élu s’est montré très critique envers la stratégie de toujours recourir aux armées étrangères. Pour lui, il faudra redynamiser l’armée, pour lui permettre de jouer ses missions régaliennes: «Les gens proposent parfois qu’on fasse recours aux armées étrangères. Cette étape est déjà révolue, car je ne vois pas une armée du monde, une armée d’un autre pays venir mourir à notre place. Nous ne sommes pas à la période coloniale, nous ne sommes pas sous tutelle, nous sommes un pays qui existe. Bien-sur nous avons les difficultés, mais nous devons les surmonter».[5]
Dans une leur déclaration, les députés nationaux et provinciaux, sénateurs et autres personnalités des provinces de l’Ituri et du Nord Kivu participant aux travaux de la table ronde ont noté la réduction, en raison d’un manque d’arguments solides, du nombre des membres de la Commission pour le maintien de l’état de siège et la dissolution, en raison de bases constitutionnelles insuffisantes, de celle pour la requalification de l’état de siège. Ils se sont donc unanimement exprimés en faveur de «la levée pure et simple de l’état de siège». Ils ont appelé à remettre les institutions provinciales entre les mains des personnalités civiles antérieurement suspendues de leur charge et ont exhorté au renforcement des opérations militaires, en préservant l’unité de commandement. Ils ont souligné la nécessité d’accélérer le Programme de Démobilisation, Désarmement, Réinsertion et Réintégration Communautaire (P-DDRC-S) pour accompagner les ex-miliciens volontaires dans le processus de paix. À l’issue des travaux, il ressort que la majorité des participants (presque 90%) soutient l’option de la levée de l’état de siège.[6]
Le 16 août, le Chef du gouvernement Sama Lukonde a procédé à la clôture de la table ronde sur l’état de siège en vigueur dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu.
Pendant trois jours de délibérations au Palais du peuple, les participants ont examiné les options de maintien, de levée ou de requalification de l’état de siège dans les deux provinces concernées. Au terme des travaux, le Premier ministre Sama Lukonde, représentant du Chef de l’État, a annoncé que le rapport final de ces assises serait soumis en priorité au Président Tshisekedi qui, après évaluation des recommandations formulées lors de discussions, prendra la décision finale sur l’avenir de cette mesure.[7]
2. LE RAPPORT DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL AU CONSEIL DE SECURITÉ DE L’ONU SUR LA RDCONGO
a. Les conditions d’insécurité dans l’est de la RDCongo
8. En Ituri et au Nord-Kivu les conditions de sécurité se sont fortement détériorées. Le redéploiement des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) de l’Ituri vers les territoires de Rutshuru et de Masisi (Nord-Kivu) pour contrer l’insurrection du M23 a créé un vide sécuritaire aujourd’hui comblé par une multitude de milices et de groupes armés, congolais et étrangers, qui contrôlent plus de 70 % des territoires d’Irumu et de Djugu, 10 % de celui de Mahagi et 5 % de celui de Mambasa.
9. En Ituri, la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO), le groupe Zaïre et les Forces démocratiques alliées (ADF, qui revendiquent leur affiliation au groupe « Province d’Afrique centrale de l’État islamique »), le Front patriotique et intégrationniste du Congo (FPIC) et la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) continuent de s’en prendre aux civils, notamment dans les territoires de Djugu et de Mahagi, dans le contexte d’affrontements principalement motivés par le contrôle d’une importante concentration de sites d’extraction d’or. Les confrontations entre la CODECO et le groupe Zaïre, qui résultent de conflits fonciers et de luttes de pouvoir opposant de longue date les Hima et les Lendu, ont donné lieu à une spirale de représailles contre des civils, notamment dans des sites d’accueil de personnes déplacées, les milices cherchant à prendre le contrôle de sites d’exploitation minière lucratifs. Les tentatives entreprises par le Gouvernement pour amener la CODECO et le groupe Zaïre à s’engager dans un processus de paix et la volonté déclarée de la CODECO de participer au processus de Nairobi n’ont pas empêché cette flambée de violence.
10. Par ailleurs, dans les territoires d’Irumu et de Mambasa, les ADF ont intensifié leurs activités en vue de contrer la pression exercée depuis 2021 par les Forces de défense populaires de l’Ouganda (UPDF) et les FARDC, qui mènent des offensives militaires conjointes contre le groupe dans le cadre de l’opération Shujaa. Si ces offensives ont abouti à la destruction de certaines positions des ADF et à la neutralisation de plusieurs commandants du groupe, celui-ci s’est scindé en plusieurs petites entités qui continuent de mener des attaques meurtrières contre la population civile selon un modus operandi de plus en plus sophistiqué. Ces deux dernières années, on assiste à une augmentation du nombre de recrues des ADF, associée à une utilisation accrue, en milieu urbain, d’engins explosifs improvisés plus élaborés et plus meurtriers qu’auparavant, ce qui constitue une tendance préoccupante. Les ADF continuent d’étendre leur zone d’influence vers le nord et l’ouest, en direction de l’Ituri, et vers le sud, dans le territoire de Lubero (Nord-Kivu), tout en renforçant leurs liens régionaux avec Daech et d’autres groupes terroristes.
11. Dans le Nord-Kivu, le M23 s’est emparé de larges pans des territoires de Rutshuru, de Masisi et de Nyiragongo, où il a mis en place des administrations parallèles illégales, prélevant des taxes et des droits de douane et procédant à des arrestations arbitraires, à des exécutions sommaires, à des violences sexuelles et à d’actes d’extorsion. La multiplicité des groupes d’autodéfense constitués de citoyens armés, connus sous le nom de Wazalendo, qui affirment combattre le M23 pour défendre l’intégrité territoriale de la République démocratique du Congo, soulève d’autres problèmes de sécurité et pourrait contribuer à un nouveau cycle de violences, notamment des attaques motivées par des considérations ethniques et des représailles. Les Forces démocratiques de libération du Rwanda-Forces combattantes abacunguzi (FDLR-FOCA) ont également lancé des opérations contre le M23, exacerbant ainsi les tensions entre la République démocratique du Congo et le Rwanda.
En conséquence, la situation humanitaire s’est considérablement détériorée et des centaines de milliers de civils ont été obligés à se déplacer.
13. Dans le Sud-Kivu, les tensions communautaires et interethniques autour des questions foncières restent vives, en particulier dans le sud de la province (territoires d’Uvira et de Fizi), et alimentent les discours haineux et les incitations à la violence fondés sur l’identité ethnique. Des groupes armés étrangers tels que les Forces nationales de libération (FNL), Résistance pour un État de droit au Burundi (RED Tabara) et le Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie (CNRD) continuent de représenter une menace pour les civils.
14. L’intensification des contacts entre le M23 et le groupe Twigwaneho à Minembwe a accru le risque qu’une reprise des hostilités au Nord-Kivu conduise à l’ouverture d’un deuxième front au Sud-Kivu, ce qui pourrait contribuer à la mobilisation de groupes armés locaux auparavant inactifs face à une situation perçue comme une agression étrangère. Toutefois, jusqu’à présent, dans le Sud-Kivu, qui demeure sous administration civile (contrairement au Nord-Kivu et à l’Ituri), le niveau de violence communautaire est nettement inférieur à celui observé dans les deux autres provinces orientales (Nord Kivu et Ituri) touchées par le conflit.
15. L’insécurité dans l’est de la République démocratique du Congo continue d’alimenter une crise humanitaire existant de longue date. À l’heure actuelle, 28 % de la population du Nord-Kivu et 39 % de la population de l’Ituri est déplacée. Entre 2021 et 2022, la violence fondée sur le genre a augmenté de 23 % au niveau national et de 73 % dans la seule province du Nord-Kivu, et cette tendance se maintient en 2023. Ces violations et atteintes sont liées à la prolifération d’éléments armés dans les zones d’accueil de personnes déplacées et aux cas fréquents de non-respect du caractère civil et humanitaire des camps de réfugiés et de déplacés. Le nombre d’actes de violence sexuelle commis sur la personne d’enfants a plus que doublé entre 2021 et 2022. Le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et ses partenaires sont venus en aide à 8 100 personnes rescapées de violences fondées sur le genre au niveau national en 2022, contre 3 500 en 2021.
b. La reconfiguration de la mission de l’ONU en RDCongo
7. Dans un contexte politique très tendu et exacerbé par la crise humanitaire et la forte dégradation des conditions de sécurité dans les zones touchées par l’insurrection du M23, la MONUSCO a été l’une des cibles du mécontentement et de la frustration des populations, qui lui reprochent de faire preuve de passivité.
La désinformation généralisée et la manipulation délibérée de certains segments de la population congolaise ont largement contribué à accentuer cette tendance. En juillet 2022, les discours hostiles à la Mission ont dégénéré en une vague de manifestations violentes et orchestrées visant le personnel, les locaux et les biens de la MONUSCO dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDCongo), ce qui a incité le Chef de l’État à demander la réévaluation du plan commun de transition, adopté en septembre 2021 par le Gouvernement et le système des Nations Unies, en consultation avec les organisations de la société civile, en vue d’avancer sur la voie du retrait de la Mission.
16. Le Gouvernement de la République démocratique du Congo a manifesté son désir d’accélérer le rythme de la transition de la MONUSCO et l’ONU a réaffirmé à plusieurs reprises sa volonté inébranlable de collaborer avec les autorités congolaises, pour assurer un retrait accéléré et responsable de la Mission. Le Gouvernement a signalé que la transition ne devrait commencer véritablement qu’après la tenue des élections prévues en décembre 2023 et a souligné qu’il était important de procéder de manière progressive et responsable, en tenant compte de la situation dans chacune des provinces où la Mission était encore présente.
17. Après que M. Tshisekedi a appelé de ses vœux la réévaluation du plan commun de transition, un accord a été trouvé avec le Gouvernement sur la nécessité de réorienter le plan, de façon à mettre l’accent sur un ensemble limité de jalons directement liés à la création des conditions de sécurité nécessaires au retrait responsable de la MONUSCO, à savoir: a) la protection des civils; b) le désarmement, la démobilisation, la réintégration et la stabilisation; c) la réforme du secteur de la sécurité; d) la tenue d’élections.
18. Les autorités congolaises sont conscientes du fait que la transition dépendra du transfert des responsabilités essentielles de la MONUSCO à l’État congolais et ont souligné qu’elles étaient déterminées à assumer ces responsabilités dans les meilleurs délais. Lors des discussions tenues avec le Secrétaire général adjoint aux opérations de paix, le Gouvernement a signalé qu’un soutien supplémentaire de la part de la MONUSCO et des partenaires internationaux serait nécessaire pour veiller à ce que le retrait de la Mission s’accompagne d’un renforcement simultané de la présence des FARDC et de la Police nationale congolaise, afin de réduire au minimum le risque que des civils soient exposés à une menace imminente de violence physique.
i. La protection des civils
26. La force de la MONUSCO continuerait de concentrer ses efforts sur la collaboration avec les FARDC, en vue d’assurer la protection physique des civils de façon active et dynamique dans les zones sensibles prioritaires de l’Ituri et du Nord Kivu.
27. Afin de maintenir un environnement protecteur pour les civils tout au long des phases de transition, la MONUSCO continuera à travailler en étroite collaboration avec les autorités nationales, en vue de:
– soutenir les activités de police de proximité visant à lutter contre l’insécurité,
– combattre l’impunité, en appuyant les enquêtes prioritaires et en améliorant la sécurité des prisons,
– renforcer les systèmes d’alerte rapide et créer un espace de dialogue intercommunautaire,
– faciliter la mise en œuvre d’initiatives de justice transitionnelle et
– appuyer la séparation des enfants des groupes armés et leur réintégration dans la société.
ii. Le désarmement, la démobilisation, la réintégration et la stabilisation
28. Tout au long de son existence, la MONUSCO a aidé le Gouvernement à accomplir des progrès substantiels en matière de désarmement, de démobilisation et de réintégration des ex-combattants. Grâce à son appui technique, logistique et opérationnel, 221.805 ex-combattants, dont 35.401 enfants, ont été démobilisés dans le cadre des divers programmes nationaux de désarmement, de démobilisation et de réintégration mis en œuvre depuis 2003.
29. La MONUSCO a joué un rôle central dans l’élaboration de la stratégie nationale relative au Programme de désarmement, de démobilisation, de relèvement communautaire et de stabilisation, notamment au moyen de consultations ouvertes à toutes les parties prenantes. Créé en juillet 2021, le Programme vise à combler les lacunes des précédents programmes mis en œuvre dans ce domaine, qui prévoyaient souvent l’intégration en bloc des groupes armés dans les forces nationales de sécurité et l’amnistie de leurs membres. À court et moyen terme, la Mission mettrait ses bons offices et ses compétences techniques à la disposition des autorités congolaises, pour compléter le cadre juridique et les principes directeurs qui sous-tendent le Programme.
30. La MONUSCO mettrait ses connaissances spécialisées au service de l’élaboration, avec la participation des populations locales, de solutions attrayantes en matière de réinsertion des ex-combattants démobilisés.
32. En étroite collaboration avec l’équipe de pays des Nations Unies, la Banque mondiale et d’autres partenaires clefs et conformément aux initiatives de justice transitionnelle, la MONUSCO pourrait s’employer en priorité à aider les populations à se préparer à accueillir des ex-combattants, et à développer des activités rémunératrices comme solutions de substitution viables à l’enrôlement dans des groupes armés et à l’économie de guerre dans les provinces orientales de la République démocratique du Congo.
33. La MONUSCO a mené à bien un programme de désarmement, de démobilisation, de rapatriement et de réintégration destiné aux groupes armés étrangers, dans le cadre duquel elle a notamment assuré le rapatriement et la réinstallation de quelque 27.700 ex-combattants étrangers – principalement issus des FDLR – et personnes à leur charge.
34. Durant le reste de sa présence en République démocratique du Congo, la MONUSCO fournirait une assistance technique aux mécanismes sous-régionaux chargés des questions liées au rapatriement et à la réinstallation des ex-combattants étrangers dans leur pays d’origine.
iii. La réforme du secteur de la sécurité
35. Si les progrès accomplis en matière de réforme du secteur de la sécurité ont été insuffisants par le passé, ils constituent une condition essentielle au retrait responsable de la MONUSCO.
36. La MONUSCO continuerait d’appuyer la mise en œuvre des projets de réforme du secteur de la sécurité, visant à renforcer le professionnalisme et l’efficacité des forces armées nationales et de la police nationale, afin qu’elles assument pleinement la responsabilité de protéger les civils, ce qui permettrait d’assurer un retrait responsable.
c. Le retrait progressif du personnel militaire de la mission
37. Dans la perspective d’un retrait complet de la MONUSCO, la force consoliderait dans un premier temps sa présence dans les 13 territoires à haut risque de l’Ituri ainsi que dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Une telle mesure s’accompagnerait d’une rationalisation des bases permanentes et temporaires pour permettre à la force de réduire sa dépendance à l’égard des bataillons-cadres au profit d’unités mieux adaptées au contexte actuel. Toutes les unités du Sud-Kivu (secteur sud) seraient ensuite rapatriées avec un bataillon-cadre fixe du Nord-Kivu (secteur central) ainsi qu’avec quelques unités spécialisées, des observateurs militaires et des officiers d’état-major, ce qui entraînerait une réduction de l’effectif actuellement déployé, qui passerait de 12.500 militaires à 10.500 environ. La Mission concentrerait davantage ses efforts sur le Nord-Kivu et l’Ituri, mais elle conserverait des capacités de projection pour le Sud-Kivu. Le déploiement d’artillerie lourde et d’hélicoptères d’attaque visant à permettre à la MONUSCO de soutenir les FARDC et de maintenir une position crédible vis-à-vis des groupes armés, tant étrangers que congolais, demeurerait une priorité.
38. À mesure que la présence des forces nationales de sécurité congolaises augmentera dans les zones où la force de la MONUSCO est concentrée et que les déploiements des forces de sécurité régionales seront renforcés avec l’appui de la Mission, toutes les unités encore présentes dans le Nord-Kivu (secteur central) pourraient être rapatriées, ce qui laisserait un effectif d’environ 8.500 militaires. Il serait essentiel que la brigade d’intervention rapide de la force soit en mesure de réagir de façon énergique et agile face aux menaces résiduelles en matière de protection dans la zone d’opérations de la Mission, afin que des éléments de la brigade puissent être repositionnés pour intervenir en cas de menace à Goma et dans les environs.
39. À l’avenir, il serait indispensable que la MONUSCO continue de collaborer avec les forces régionales présentes dans sa zone d’opérations, pour assurer la coordination, l’échange d’informations et la déconfliction de l’espace de manœuvre. Par ailleurs, le mandat de la Mission devrait être élargi pour inclure la fourniture directe à la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est de matériel lourd du génie, lui permettant de poursuivre ses opérations dans l’est de la République démocratique du Congo, ainsi que de matériel de renseignement, de surveillance, de reconnaissance, d’aviation et de transport, tant pour les mouvements aériens que terrestres. Au titre d’un soutien supplémentaire, certaines bases et infrastructures pourraient être transférées aux forces régionales dans des lieux où les forces nationales de sécurité ne sont pas encore présentes, ce qui entraînerait un renforcement notable des capacités et permettrait aux forces régionales d’opérer de façon efficace dans des zones sensibles du Nord-Kivu, telles que Rutshuru et Masisi. Cela aurait également pour effet de faciliter la réduction des effectifs des unités miliaires de la MONUSCO et leur retrait responsable de ces territoires.
40. La viabilité des ajustements décrits dépendra de la disponibilité de moyens de transport essentiels, notamment de transport aérien, ainsi que de drones aériens efficaces et d’autres capacités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance. En l’absence de ces capacités cruciales, la réduction des effectifs risquerait d’exposer les civils qui bénéficient actuellement de la protection de la Mission à des menaces et à des risques majeurs. Pour atténuer ces risques, la MONUSCO continuerait de travailler en étroite collaboration avec les autorités congolaises, afin de faciliter le déploiement de membres supplémentaires des forces nationales de sécurité dotés des moyens nécessaires pour faire face aux menaces qui pèsent sur les civils. Comme l’ont demandé les autorités congolaises, le Conseil de sécurité pourrait envisager de confier à la Mission un mandat élargi lui permettant d’appuyer la formation et le renforcement des capacités des forces nationales de sécurité, dans le respect des obligations énoncées dans la politique de diligence voulue en matière de droits humains, en cas d’appui de l’ONU à des forces de sécurité non onusiennes et en étroite coopération avec les principaux partenaires bilatéraux et multilatéraux.
49. Le départ définitif de la MONUSCO interviendrait lorsque les autorités congolaises auraient assumé leur responsabilité première en matière de protection des civils et lorsqu’un nombre suffisant de membres des forces armées nationales et de la police nationale seraient déployés pour assurer la sécurité des civils exposés à des risques.
d. Observations
52. Le Secrétaire Général réaffirme la volonté indéfectible de l’Organisation des Nations Unies d’accélérer le rythme de la transition de la Mission, conformément aux vœux du Gouvernement de la République démocratique du Congo et il salue l’engagement pris par le Gouvernement d’étendre rapidement l’autorité de l’État dans tout l’est du pays.
53. Il prend note de l’engagement annoncé par les autorités congolaises d’assurer le déploiement rapide dans ‘est du Pays d’un nombre suffisant de membres des forces nationales de sécurité dûment formés et équipés, afin que le retrait de la MONUSCO ne conduise pas à un vide sécuritaire.
55. La transition de la Mission consiste avant tout en un transfert de ses responsabilités principales à l’État congolais. Le retrait de la MONUSCO exige le déploiement concomitant d’une présence effective des forces de sécurité de l’État et des entités chargées de promouvoir l’état de droit. Les réformes que le Gouvernement doit entreprendre exigeront une volonté politique et un leadership fort, ainsi qu’une assistance financière et technique généreuse de la part des partenaires internationaux.
56. Les propositions relatives à la reconfiguration de la composante civile et de la composante Personnel en tenue de la MONUSCO formulées dans le présent rapport visent à faire en sorte que les activités menées par la Mission contribuent à la création des conditions nécessaires à son retrait accéléré et durable. Dans un premier temps, les activités de la MONUSCO seraient rationalisées autour d’un ensemble limité de priorités directement liées à la réalisation des principaux objectifs définis dans le plan de transition commun révisé. La force consoliderait sa présence dans les principales zones sensibles de l’Ituri et du Nord-Kivu, où les menaces qui pèsent sur les civils sont les plus graves. Les effectifs civils et en tenue de la Mission seraient de nouveau réduits à mesure que l’État étendrait son autorité aux zones où la Mission est encore présente et que la mise en œuvre des initiatives régionales progresserait.
57. Le Secrétaire Général demande instamment aux donateurs de veiller à ce que les organismes, fonds et programmes des Nations Unies disposent des ressources et de l’expertise requises pour contribuer de façon substantielle à la stabilisation à long terme de la République démocratique du Congo durant le retrait de la Mission.
58. Il invite instamment le Conseil de sécurité à autoriser explicitement la MONUSCO à mettre ses capacités opérationnelles et logistiques au service de la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est. Il se dit prêt à étudier plus avant les différentes options possibles s’agissant du soutien que pourrait apporter l’ONU à la force de la SADC qu’il est envisagé de déployer.
59. Il souligne une nouvelle fois l’importance d’un dialogue franc et sincère entre les pays de la région, pour remédier aux causes profondes du conflit qui sévit dans l’est de la République démocratique du Congo. De concert avec le Bureau de l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour
la région des Grands Lacs, la MONUSCO reste déterminée à soutenir la République démocratique du Congo et les parties prenantes régionales dans l’action qu’elles mènent en faveur de la paix et de la stabilité dans la région.[8]
[1] Cf Radio Okapi, 14.08.’23
[2] Cf Isaac Kisatiro – 7sur7.cd, 14.08.’23
[3] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 15.08.’23
[4] Cf Glody Murhabazi – 7sur7.cd, 16.08.’23; Isaac Kisatiro – 7sur7.cd, 15.08.’23
[5] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 15.08.’23
[6] Cf Actualité.cd, 16.08.’23
[7] Cf Actualité.cd, 16.08.’23
[8] Cf https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/rapports-du-secr%C3%A9taire-g%C3%A9n%C3%A9ral-soumis-ou-transmis-au-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-en-2023