Congo Actualité n. 442

ÉTAT DE SIÈGE POUR METTRE FIN AUX VIOLENCES: SOLUTION DÉFINITIVE OU ÉNIÈME TENTATIVE VOUÉE À L’ÉCHEC?

SOMMAIRE

1. L’ÉTAT DE SIÈGE AU NORD KIVU ET DANS L’ITURI
a. Un état de siège qui interroge
b. Des nouvelles nominations
c. Deux initiatives législatives
d. Le programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR)
e. L’obstacle des complicités dont les ADF et autres groupes armés parfois jouissent
2. LA PERVERSITÉ DES « RÉLATIONS DE COLLABORATION MILITAIRE » ENTRE LA RDCONGO ET LE RWANDA
a. Un plan d’opérations militaires conjointes
b. Le Président rwandais Paul Kagame crache sur les morts congolais

1. L’ÉTAT DE SIÈGE AU NORD KIVU ET DANS L’ITURI

a. Un état de siège qui interroge

Pour combattre l’insécurité dans l’Est du pays, le Président de la République, Félix Tshisekedi, vient de donner les pleins pouvoirs aux militaires. Une stratégie à haut risque qui laisse la main à des forces de sécurité accusées de violations des droits de l’homme et de complicité avec les groupes armés. Depuis le 6 mai dernier, les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri vivent une situation inédite. Face à la violence des groupes armés, le président Félix Tshisekedi a décidé de confier les administrations provinciales à l’armée et à la police congolaise. Pendant les 30 jours de la durée de l’état de siège, les forces armées mèneront plusieurs opérations militaires pour tenter d’éradiquer les dizaines de groupes armés qui pullulent dans la zone.
Des militaires tout-puissants qui inquiètent.
Depuis plusieurs mois, la situation sécuritaire s’est considérablement dégradée dans l’Est de la RDC, alors même que le retour de la paix était l’une des promesses phares de Félix Tshisekedi.
En 2018, dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, le Baromètre sécuritaire du Kivu (KST) avait enregistré 914 morts tués par des milices. En 2019, ce chiffre est passé à 1070 et, en 2020, à 1569. Sur le seul territoire de Beni, l’épicentre des massacres généralement attribués aux ADF, plus de 1.000 civils sont morts depuis fin 2019. Cette même année, le président Tshisekedi avait lancé plusieurs opérations militaires « d’envergures » dans la région… mais sans succès. Pire, les coups de boutoirs de l’armée congolaise avaient seulement réussi à disperser les groupes armés sur une zone géographique plus large, ce qui a contribué à augmenter le niveau de violence.
Militariser les administrations civiles et intensifier la pression armée suffira-t-il à faire baisser la spirale de la violence qui ensanglante l’Est du Congo depuis plus de 20 ans? Difficile de le dire. Il paraît, en effet, étonnant confier les pleins pouvoirs aux militaires, alors que les forces de sécurité sont responsables de presque la moitié des violences. En mars 2021, le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH), a estimé que 47% des violations des droits de l’homme documentées sont le fait d’agents de l’Etat, contre 53% pour les groupes armés.
Des militaires tout-puissants inquiètent donc fortement les organisations des droits de l’homme.
d’autant plus que les mesures prises dans le cadre de l’état de siège sont particulièrement radicales. Selon Human Rights Watch, en effet, «les autorités militaires sont habilitées à perquisitionner les domiciles de jour et de nuit, à interdire des publications et des réunions considérées comme portant atteintes à l’ordre public, à interdire la circulation des personnes et à interpeller quiconque pour perturbation de l’ordre public. Les civils seront poursuivis devant des tribunaux militaires, ce qui est contraire aux normes régionales».
La charrue avant les bœufs.
En nommant des officiers issus des rébellions pour lutter contre les groupes armés, le président Tshisekedi ne fait guère que perpétuer le cycle sans fin des guerres congolaises: rébellion, reddition, intégration, défection… et retour à la rébellion. De nombreux militaires de l’armée congolaise proviennent en effet des multiples «brassages et mixages» issus des différents accords de paix entre le gouvernement et les groupes armés. L’intégration de ces anciens rebelles dans les FARDC a toujours été vouée à l’échec, soit pour leur manque de professionnalité et de discipline, soit pour leur tendance à faire encore défection. Heureusement, le nouveau Premier ministre, Sama Lukonde, a promis de ne plus jamais intégrer de miliciens dans l’armée régulière. Difficile donc de comprendre la stratégie du président Tshisekedi en nommant d’anciens rebelles pour piloter l’état de siège.
En décrétant l’état de siège à l’Est et en confiant l’administration de ces provinces aux militaires, Félix Tshisekedi donne l’impression de mettre la charrue avant les bœufs.  Car, dans l’écheveau sécuritaire congolais, l’armée constitue une source de violence… au même titre que les groupes armés! Et donc, avant de confier les clés du Nord-Kivu et de l’Ituri aux FARDC, un grand ménage aurait été le bienvenu dans la chaîne de commandement, en écartant les militaires «affairistes et criminels», comme le demande le mouvement citoyen Lucha. Pour assainir les forces de sécurité, Human Rights Watch recommande une justice plus efficace, afin de mettre fin à l’impunité, notamment pour les crimes les plus graves. Pour l’instant, les militaires qui tuent des civils, pillent, violent ou détournent la solde de leur troupe ont rarement été inquiétés par la justice.
Pour une approche plus large.
Ramener la paix avec les mêmes acteurs qui sèment le désordre depuis une vingtaine d’années est un pari bien risqué pour le président Tshisekedi. Penser que la solution militaire est la seule voie pour ramener la paix dans l’Est du Congo est une erreur. Les leviers sont certes sécuritaires, mais ils doivent être aussi politiques et économiques, car les causes de l’insécurité sont, en effet, multiples: absence de l’Etat, prédation économique, conflits fonciers, rivalités politiques, échec des programmes de démobilisation des groupes armés, corruption, clientélisme. Sans cette approche plus large, l’état de siège n’aura été qu’une énième promesse non tenue.[1]

b. Des nouvelles nominations

Le 8 mai, le Président Félix Tshisekedi a effectué des nouvelles nominations au sein du Commandement des régions militaires des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). Ces nominations sont contenues dans une série d’ordonnances lues par le Porte-parole du Chef de l’Etat à la Télévision nationale.
32ème Région militaire (Haut-Uélé et Ituri):
– Général Clément Bitangalo Bulime (Commandant Région)
– Colonel Damate Abasi Dieudonné (Commandant second chargé des renseignements et opérations)
– Colonel Nlandu Matengo; (Commandant second Chargé de l’administration et logistique).
– Colonel Wamba Djo (Chef d’état-major Région)
Secteur Opérationnel Ituri:
– Général Kasongo Maloba Rigobert (Commandant)
– Général Nyembo Abdallah; (Commandant Second opérations et renseignements).
– Général Jean Claude Bolanda (commandant Second chargé de l’Administration et logistique)
Commandement des Brigades de Réaction Rapide:
12ème Brigade RR: Général de Brigade Bondami Patrick (Commandant brigade)
22ème Brigade RR: Général des Brigades Muhima Dieudonné (Commandant Brigade).
34ème Région militaire (Nord Kivu):
– Général de brigade Guylain Tshinkobo Mulamba (Commandant Région)
– Colonel Jeannot Butengano (Commandant Second chargé des opérations et renseignements).
– Kadima William (Commandant Second chargé de l’administration et logistique)
– Bilomba André (Chef d’état-major Région)
Commandement des secteurs opérationnels
Sukola 1 Grand Nord:
Général de Brigade Bertin Mputela Nkolito, Commandant
Colonel Antoine Byangolo Ngondo, Commandant second chargé des Opérations et Renseignements
Colonel Lumbu Matundu Polydore, Commandant second chargé de l’administration et logistique
Sukola 2 Nord-Kivu
Général de Brigade Mwepu Evariste, Commandant
Colonel ?, Commandant second Chargé des Opérations et Renseignements
Colonel Otongo Isuka José, Commandant second chargé de l’Administration et de la Logistique.[2]

Le 8 mai, le Président Félix Tshisekedi a effectué des nouvelles nominations au sein des Commissariats provinciaux de la Police Nationale Congolaise (PNC). Ces nominations sont contenues dans une série d’ordonnances lues par le Porte-parole du Chef de l’Etat Kasongo Mwema, à la RTNC.
Commissariat provincial Ituri:
– Commissaire divisionnaire adjoint Ngoyi Senge Lwakiyo, Commissaire provincial
– Commissaire supérieur principal Mayengele Mbangi Anicet, Commissaire provincial adjoint, Chargé de la Police administrative
– Directeur Nkau Yulu Jackson Taylor, Commissaire provincial adjoint Chargé de la Police Judiciaire
– Commissaire supérieur principal Bofonga Lolingo Godefroid, Commissaire provincial adjoint Chargé de la Police d’Appui et de Gestion
Commissariat provincial Nord Kivu:
– Directeur Kalonji Mulumba Gilbert, Commissaire provincial adjoint chargé de la Police judiciaire
– Commissaire supérieur principal Makambo Gumba Fidèle, Commissaire provincial adjoint chargé Police d’appui et de gestion.[3]

c. Deux initiatives législatives

Le 7 mai, le député Bertin Mubonzi, membre de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) de Vital Kamerhe, a déposé au bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi portant  réglementation de l’état de siège et de l’état  d’urgence. Le gouvernement avait déjà déposé un projet de loi portant modalités d’application de l’état de siège et de l’état d’urgence. Selon le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, lorsqu’il y a plusieurs initiatives législatives sur la même matière, la priorité est accordée à celle qui avait été déposée en premier lieu, selon l’accusé de réception du bureau de la chambre.[4]

Le 11 mai, sur proposition des parlementaires du Nord-Kivu, tous les députés nationaux des 26 provinces de la RDC ont réaffirmé leur détermination d’appuyer le Chef de l’Etat pour mettre fin aux tueries de la population à l’Est du pays et ils ont accepté de déduire 500 USD sur leurs émoluments comme effort de guerre, pour soutenir les militaires au front.[5]

Le 14 mai, les sénateurs aussi ont officiellement adopté la résolution pour la contribution à l’effort de guerre (500 USD chacun pour 3 mois) dans le cadre de l’état de siège proclamé par le Président Félix Tshisekedi dans les provinces de l’Ituri et Nord-Kivu.[6]

Le 21 mai, la ministre d’État en charge de la justice, Rose Mutombo, a de nouveau présenté au Conseil des ministres le projet de loi portant modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège. Le texte a été approuvé par le gouvernement et il sera « rapidement » envoyé au Parlement pour adoption. Il sied de rappeler que, depuis l’établissement de l’état de siège dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri, décrété par le Chef de l’État Félix Tshisekedi, les mesures d’application n’ont pas encore été promulguées. D’après le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, lors de l’annonce de l’état de siège le 2 mai dernier, une ordonnance doit encore être publiée, pour détailler les modalités d’application de cet état de siège annoncé dans les deux provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.[7]

d. Le programme de Désarmement, Démobilisation et Réinsertion (DDR)

Le 22 avril, le coordonnateur du Programme de désarmement, démobilisation et réinsertion communautaire (DDRC) au Nord-Kivu, Jacques Katembo Lukohu, a affirmé que plus ou moins 2.000 combattants sur près de 3.000 qui étaient regroupés dans différents centres de cantonnement à Rumangabo, à Mubambiro, à Kalunguta et à Lubero. ont réintégré leurs anciens groupes armés dans la brousse, car ils n’étaient pas suffisamment pris en charge par l’État, soit du point de vue logistique que alimentaire et sanitaire.[8]

Le 8 mai, au cours d’un échange avec Jacques Makata, coordonnateur du programme Désarmement, démobilisation et réinsertion communautaire (DDRC) Nord-Kivu en ville de Goma, les chefs de six groupes armés actifs dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Walikale (Nord Kivu) ont réitéré leur engagement de déposer les armes et de rejoindre le programme de désarmement. Il s’agit de Bilikoliko, chef de la milice UPDC; de Jetaime, chef de l’AFRC; de Matata Pungwe, chef du groupe armé Gav; de Ndayisenga, chef du FDDH; de Bwira Mapenzi, chef du NDC/R et de Masivi.
Il faut rappeler que de nombreux groupes armés avaient déjà décidé de se désengager de leurs mouvements rebelles. Cependant, faute d’une prise en charge adéquate, la plupart d’entre eux avaient regagné le maquis.[9]

Le 19 mai, le gouverneur de l’Ituri, le Lieutenant-général Jonny Luboya Nkashama, s’est rendu au sud du territoire d’Irumu, plus précisément à Gety, entité située à plus de 60 Km au sud de Bunia, dans la Chefferie de Walendu Bindi. Le territoire d’Irumu est en proie à la milice du Front de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) dont le processus de désarmement a échoué maintes fois. Le gouvernement a signé le 28 février 2020 un accord de paix avec cette milice, mais depuis, le début du processus de désarmement, démobilisation et réinsertion communautaire (DDR-C) piétine. Plus de 1500 combattants et leurs dépendants qui étaient pré-cantonnés au village Azita, près de Gety, ont dû retourner au maquis. Sur place, le gouverneur s’est adressé à la population: «Ceux qui ont des armes doivent les déposer, il y a des moyens pour ça. Le programme de Démobilisation Désarmement et Réinsertion Communautaire (DDR-C) va bientôt commencer et je leur demande d’être prêts à y adhérer». De façon plus explicite, il a appelé à la «reddition volontaire» des combattants de la Force de résistance patriotique de l’Ituri (FRPI) et il a annoncé une offensive des FARDC contre les «réfractaires».[10]

Le 20 mai, le coordonnateur provincial du programme DDR Communautaire Nord-Kivu, Jacques Katembo, a demandé aux groupes armés locaux de déposer les armes sans attendre et sans condition.  Il a indiqué que l’état de siège en vigueur en province est dans la logique non pas de négocier mais plutôt d’imposer la paix: «Nous voulons dire à tous les groupes armés du Nord-Kivu qu’ils ont deux choix. Le premier c’est la reddition volontaire et sans condition, pour intégrer le programme de démobilisation et réinsertion communautaire. Le deuxième choix, c’est de résister.
Mais dans ce deuxième cas, ils seront traqués par l’armée, avec le double risque d’être tués ou d’être capturés. Dans ce dernier cas, il ne pourront plus adhérer au DDR, car il seront déférés directement devant la justice militaire». Il a souhaité que les combattants locaux se rendent volontairement afin que, pendant l’état de siège, la traque militaire cible particulièrement les groupes armés étrangers, tels que les Forces Démocratiques Alliées (ADF).[11]

L’implémentation du programme DDR n’est pas toujours facile, car l’armée régulière a souvent utilisé certains groupes armés comme des forces supplétives pour ses opérations, comme expliqué par un membre d’un groupe armé: «Quand le gouvernement nous a demandé de traquer les groupes armés étrangers, nous les avons traqués. Quand on nous a dit de traquer tous les coupeurs de routes et les kidnappeurs, nous l’avons fait».
Jusque dernièrement, le programme DDR a généralement abouti à l’intégration généralisée des groupes armés dans les forces nationales de défense et sécurité, suite à des accords qui prévoyaient l’amnistie pour des faits insurrectionnels, faits de guerre et infractions politiques, la reconnaissances des grades acquis dans le maquis et la libération des combattants prisonniers. Par conséquent, l’armée et la police apparaissent souvent composées par des anciens miliciens et seigneurs de guerre qui,  sans aucune formation militaire appropriée, conservent des liens de complicité avec leurs groupes d’origine.
Pour éviter ce risque, il faudra favoriser des programmes de réintégration sociale, à travers le financement de projets de formation professionnelle (agriculture, menuiserie, maçonnerie, élevage. pisciculture, …) réalisés en collaboration avec des ONG nationales et internationales pour le développement.  Ceux qui voudraient intégrer l’armée ou la police devront suivre une procédure individuelle et se soumettre au processus normal de recrutement et sélection commun à tout candidat, dans le respect des lois de la République qui prévoient certains critères d’admission, comme celui de l’âge requis (entre 18 et 26 ans) et du niveau d’étude exigé.

e. L’obstacle des complicités dont les ADF et autres groupes armés parfois jouissent

Le 25 mars, treize personnes arrêtées à Beni depuis plus d’une semaine dans les enquêtes sur le trafic présumé des munitions de guerre dans cette région, ont été transférés de Beni à la prison militaire de Ndolo à Kinshasa via Goma. Il s’agit de trois officiers supérieurs, deux officiers subalternes, trois soldats de la 32e Brigade des Unités de réaction Rapide des FARDC, le conservateur de la sous station de l’ICCN de Mutsora dans le secteur de Rwenzori, trois éco gardes et un civil.
Selon des sources sécuritaires, c’était depuis le mois de février dernier qu’un véhicule de couleur blanche faisait mouvement vers Mambango, au sud de Beni, siège de l’état-major de la 32ème Brigade des FARDC, avant d’en repartir avec des caisses de  munitions. Lors d’une perquisition menée le 15 mars par les magistrats militaires, 82 caisses de munitions ont été saisies dans une maison louée dans la commune de Bungulu, dans la ville de Beni, par le conservateur de la sous-station de l’ICCN de Mutsora.
Selon les mêmes sources sécuritaires, l’un des militaires  arrêtés par rapport à ce dossier, a avoué lors de son audition que ces munitions étaient destinées au ravitaillement des ADF et des groupes Maï-Maï dans le secteur de Rwenzori à Beni et des groupes armés à Tchabi en Ituri. C’est la première fois que des officiers et soldats FARDC engagés dans les opérations contre les ADF à Beni sont arrêtés pour ravitaillement présumé de ce groupe armé.[12]

Le 5 mai, le chef coutumier de Mangwa-Utu, Fataki Sabuni Mangitsula, a révélé que les ADF se servent de certains fils du terroir comme pisteurs pour tuer la population. Il a affirmé que des enquêtes sont en cours pour en savoir plus.[13]

Le 14 mai, au cours d’un point de presse, le porte parole du secteur opérationnel Sukola 1, le lieutenant Antony Mwalushayi, a révélé que plusieurs officiers militaires ont été arrêtés par les services de renseignement de l’armée de la ville de Beni (Nord-Kivu), car ils ont été accusés d’avoir été corrompus par les rebelles ADF pour tuer des officiers qui dénoncent les collaborateurs des ADF et qui dirigent les opérations contre ces assaillants.[14]

2. LA PERVERSITÉ DES « RÉLATIONS DE COLLABORATION MILITAIRE » ENTRE LA RDCONGO ET LE RWANDA

a. Un plan d’opérations militaires conjointes

Du 15 au 19 mars, le chef d’état-major général de Rwanda Defence Forces (RDF), Jean Bosco Kazura, a séjourné à Kinshasa où il a rencontré le conseiller spécial du Chef de l’Etat en matière de sécurité, François Beya. Il était question d’évaluer les décisions et recommandations de la dernière réunion bilatérale tenue en février dernier à Kigali.
Les représentants des deux délégations ont exprimé la volonté de leurs chefs d’État respectifs, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo et Paul Kagame, de résoudre conjointement l’épineuse question de sécurité commune. Les deux pays envisagent d’élaborer un plan opérationnel conjoint pour lutter notamment contre les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) présentes depuis 1994 sur le sol congolais. Selon le cabinet de François Beya, «on a fait d’importantes recommandations, parmi lesquelles, l’élaboration d’un plan opérationnel, qui permettra de mener des actions conjointes sur tous les fronts, aux fins d’éradiquer complètement l’insécurité à l’est de la RDC, causée par les FDLR, CNRD, RUD- URUNANA, ex-M23, et tout autre mouvement rebelle. On a aussi proposé le renforcement des mesures de surveillance des frontières communes».
La RDC et le Rwanda ne seront pas à leur première initiative visant à rétablir la paix dans l’est du pays. En janvier 2009, les deux Etats avaient lancé l’opération «Umoja wetu» pour traquer les combattants hutus de FDLR dans le Nord-Kivu. L’opération avait duré 35 jours et avait permis de tuer 153 combattants FDLR et en capturer une trentaine. Plus de 5.000 rwandais avaient été rapatriés dans leur pays.[15]

Le 30 mars, dans un communiqué lu par le porte-parole des FARDC, Kasonga Cibangu Léon-Richard, «les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) portent à la connaissance de l’opinion tant nationale qu’internationale que face à la menace que représentent les groupes armés locaux et externes, et conformément à la volonté politique exprimée par les Chefs d’Etat des pays de la sous-région, elles ont entrepris des contacts avec toutes les armées des pays voisins de manière à arrêter des stratégies approfondies pour résoudre une fois pour toutes l’épineuse question de l’insécurité dans la sous région, tel que le recommandent l’esprit et la lettre des accords d’Arusha .., Dans cette perspective, les FARDC privilégient le renforcement de la coopération militaire, les concertations régulières entre les armées de la région ainsi que la mutualisation des efforts et de renseignement pour combattre avec efficacité et neutraliser de manière définitive tous les groupes armés, notamment le mouvement terroriste ADF/MTM, les FDLR, les FNL et toutes les autres forces négatives externes et locales qui perturbent la paix dans notre sous-région … Il est important de souligner que cette coopération qui existe déjà tant entre les FARDC et les Forces de Défense du Rwanda qu’entre les FARDC et les Forces de Défense de l’Ouganda ainsi qu’avec l’Angola et la République Centre Africaine, sera par ailleurs étendue dans un avenir proche à d’autres pays limitrophes dans la perspective d’éradiquer définitivement cette menace, car la solution à ce problème doit être à la fois sous régionale, régionale et internationale … C’est cette logique qui a guidé aussi les travaux de la dernière rencontre organisée il y a quelques jours à Kinshasa au cours de laquelle non seulement la mutualisation de renseignement et efforts a été réaffirmée, mais aussi l’approche globale proposée comme ultime stratégie susceptible de mettre un terme à la menace incarnée par les groupes terroristes internationaux et leurs forces supplétives locales».[16]

b. Le Président rwandais Paul Kagame crache sur les morts congolais

Le 18 mai, dans une interview accordée à RFI et France 24, le président rwandais Paul Kagame a nié l’implication de ses troupes dans les crimes commis pendant les deux guerres de la République démocratique du Congo (RDC): «Il n’y a aucun crime. Absolument pas. Aucun crime a été commis en RDC par les personnes évoquées ou les pays cités dans le projet Mapping», le rapport d’experts indépendants mandatés par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme qui répertorie les crimes commis entre 1993 et 2003 et qui a été publié en octobre 2010. Selon Paul Kagame, «le Projet Mapping a été très politisé pour renforcer la théorie du double génocide».
Interrogé sur le plaidoyer mené récemment en France par le docteur Denis Mukwege en faveur de la reconnaissance des crimes commis pendant les deux guerres du Congo, y compris par les troupes rwandaises, le chef de l’État rwandais a accusé le prix Nobel de la paix congolais d’être «un outil de forces que l’on ne voit pas, mais qui lui suggèrent ce qu’il doit dire».
Le chef de l’État rwandais a également nié la présence de ses troupes dans l’est de la République démocratique du Congo. Selon un rapport du groupe d’experts de l’ONU sur l’embargo sur les armes et l’exploitation illégale des ressources daté de janvier 2021, l’armée rwandaise était présente en RDC entre fin 2019 et octobre 2020 et a mené des opérations en violation du régime de sanctions au Nord-Kivu.
Interrogé sur l’opportunité de lancer des opérations conjointes avec l’armée congolaise contre les groupes armés étrangers présents dans l’est de la RDC, le président rwandais a répondu que ce n’est pas à exclure.
En RDC, les réactions se sont multipliées ces dernières heures pour dénoncer une forme de mépris du président rwandais par rapport aux victimes de ces crimes. «En écoutant les propos de Paul Kagame, j’ai ressenti du dégoût et une grande douleur», confie Tatiana Mukanire, coordinatrice nationale du mouvement national des survivantes des violences sexuelles, créé par le docteur Denis Mukwege, le prix Nobel de la paix congolais. Elle-même a été violée par des membres d’une rébellion soutenue par Kigali. «C’est cracher sur la mémoire de toutes les victimes et leurs familles», explique-t-elle encore. «Quel négationnisme! Sans vérité et justice les relations sincères sont impossibles», lance le mouvement citoyen la Lucha qui appelle la présidence comme le gouvernement congolais à protester officiellement. «Ces propos du président Paul Kagame sont une insulte à la mémoire de nos morts, une insulte à tout le peuple congolais», renchérit Filimbi qui appelle aussi les autorités à ne pas rester aphones. La déclaration de Paul Kagame a été aussi désapprouvée par plusieurs acteurs politiques Congolais dont Martin Fayulu Madid, Delly Sesanga, Jean Marc Kabund, Jacquemin Shabani.
Il y a quelques mois, l’ambassadeur rwandais en RDC, Vincent Karega, avait été accusé de négationnisme pour ses propos sur le massacre de Kasika perpétré en août 1998 et imputé par l’ONU à l’armée rwandaise.[17]

Le 19 mai, dans un communiqué de presse, la Nouvelle Dynamique de la Société Civile de la RD Congo (NDSCI-RDCongo) «condamne  les propos négationnistes du Président Paul Kagame et son régime, ainsi que les menaces contre la société civile congolaise, dont celles contre le Dr. Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix, qui milite pour la justice et la paix en RDC. La NDSCI rappelle au Président rwandais que, de la même manière qu’il est jaloux de l’histoire de son pays et refuse toute négation du génocide qu’a connu son pays, le Rwanda, c’est de cette même manière que le peuple congolais lui interdit la négation du « génocide et crimes contre les congolais.
La NDSCI appelle la France et la communauté internationale d’arrêter d’offrir une tribune aux dictateurs sanguinaires, dont les crimes sont contraires aux valeurs qu’elles défendent et promeuvent.
La NDSCI condamne et désapprouve le silence du gouvernement congolais face aux multiples provocations du régime rwandais et à la négation des crimes subis par les millions de victimes congolaises. La NDSCI invite ainsi la RDC à reconsidérer ses rapports avec le Rwanda et à soutenir les initiatives tendant à la création d’un Tribunal pénal international pour juger les crimes graves subis et restés longtemps impunis, seule voie pour une paix durable.
La NDSCI condamne la collaboration entre les FARDC et les armées rwandaises et ougandaises et leur intervention en territoire congolais, alors que les millions de victimes attendent la réparation de la part de ces deux pays.
La NDSCI annonce par la même occasion le lancement d’une série d’actions citoyennes à Bukavu (Sud Kivu), dont une marche pacifique le samedi 22 mai et un Sit-In aux postes frontaliers avec le Rwanda le mercredi 26 mai 2021. Ces manifestations citoyennes, pacifiques et non violentes, ont pour objectif:
– Exprimer le ras-le-bol du peuple congolais face aux déclarations humiliantes et négationnistes du Président Rwandais Paul Kagame.
– Exiger du Gouvernement congolais, notamment au Président de la République, une réaction proportionnée face au mépris que ne cessent de proférer les autorités rwandaises.
– S’opposer de manière forte contre toute nouvelle intervention des armées étrangères, plus particulièrement celles du Rwanda, Ouganda et Burundi, sur le sol congolais, car le peuple congolais garde encore frais à l’esprit les souvenirs de ces œuvres macabres commises par ces mêmes armées e il n’est pas disposé à revivre cette triste histoire« .

Le 19 mai, dans une interview accordée à Paris (France) à quelques médias internationaux, le président de la République Démocratique du Congo, Félix Tshisekedi Tshilombo, s’est refusé de répondre directement à son homologue Rwandais Paul Kagame: «Je n’ai pas de polémique à faire avec le Président Paul Kagame. Je n’ai pas à utiliser les média pour lui répondre, car j’ai d’autres moyens que j’utiliserai pour lui parler. Le rapport mapping a été élaboré par des experts des Nations-Unies. La République démocratique du Congo continue à  croire qu’un jour justice sera faite à toutes les victimes de ces violences à l’Est du pays. Il appartiendra à la justice, transitionnelle ou pénale, de designer les coupables».
Au sujet du prix Nobel de la Paix, le docteur Mukwege, Félix Tshisekedi a déclaré que «il est une fierté nationale, il n’est sûrement pas quelqu’un qu’on puisse manipuler, il est originaire de ce coin là, il vit la bas près des victimes, il est quelqu’un qui est bien placé pour parler de nos populations et donc il a toute mon affection et notre reconnaissance pour le travail qu’il fait auprès  des victimes».[18]

[1] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia.com, 09.05.’21   http://afrikarabia.com/wordpress/rdc-un-etat-de-siege-qui-interroge/
[2] Cf Museza Cikuru – Laprunellerdc.info, 09.05.’21  https://laprunellerdc.info/rdc-des-nouvelles-nominations-au-sein-du-commandement-des-regions-militaires-des-fardc/
[3] Cf Museza Cikuru – Laprunellerdc.info, 09.05.’21   https://laprunellerdc.info/rdc-des-nouvelles-nominations-au-sein-des-commissariats-provinciaux-de-la-pnc/
[4] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 07.05.’21
[5] Cf Radio Okapi, 12.05.’21
[6] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 14.05.’21
[7] Cf Merveil Molo – 7sur7.cd, 22.05.’21
[8] Cf Radio Okapi, 22.04.’21
[9] Cf Isaac Kisatiro – 7sur7.cd, 08.05.’21
[10] Cf Freddy Upar – Actualité.cd, 20.05.’21
[11] Cf Radio Okapi, 21.05.’21
[12] Cf Radio Okapi, 16 et 25.03.’21
[13] Cf Fabrice Ngima – Charitenewsrdcongo.com, 05.05.’21
[14] Cf Azarias Mokonzi – Politico.cd, 15.05.’21
[15] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 21.03.’21
[16] Cf Hervé Pedro – Politico.cd, 30.03.’21
[17] Cf RFI, 18.05.’21
[18] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 19.05.’21