Congo Actualité n. 426

LES CONSULTATIONS ENTAMÉES PAR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE POUR UNE UNION SACRÉE DE LA NATION (3)

SOMMAIRE

1. TSHISEKEDI EN QUÊTE D’UN NEW DEAL AVEC KABILA?
2. À LA FIN, C’EST TOUJOURS KABILA QUI MARQUE DES POINTS?
3. LES SCÉNARIOS POSSIBLES À L’ISSUE DES CONSULTATIONS POLITIQUES DU PRÉSIDENT FÉLIX TSHISEKEDI
a. Premier scénario: la dissolution de l’Assemblée nationale
b. Deuxième scénario: la reconstitution d’une nouvelle majorité au sein de l’Assemblée nationale
c. Troisième Scénario: la renégociation d’un nouvel accord avec son partenaire Joseph Kabila
d. Quatrième Scénario: la convocation d’un dialogue politique national

1. TSHISEKEDI EN QUÊTE D’UN NEW DEAL AVEC KABILA?

Le président de la République, Félix Tshisekedi, se voyait entravé par une Assemblée nationale et un Sénat largement dominés par le FCC de l’ancien président. Dernier épisode en date: la nomination de trois nouveaux juges à la Cour constitutionnelle que le FCC ne reconnait toujours pas. Le divorce avec Joseph Kabila semblerait cette fois-ci bel et bien consommé.
En pleine crise politique et après un mois de consultations de la classe politique et de la société civile, le président Félix Tshisekedi devra prochainement annoncer ses conclusions et décisions.
Des consultations nationales
Otage du camp Kabila, le président Tshisekedi avait annoncé le 23 octobre la tenue de consultations nationales, censées «fédérer l’ensemble des forces politiques et sociales autour d’une vision commune de gouvernance». En clair, le président souhaite reprendre la main sur un gouvernement qui lui est hostile et torpille son action. En voulant arrêter de subir les coups de boutoir du FCC et en prenant l’initiative de lancer de vastes consultations nationales, Félix Tshisekedi a fait le pari de créer une «union sacrée» autour de sa personne, pour tenter d’inverser le rapport de force politique et de redistribuer les cartes à l’Assemblée nationale.
À la recherche de nouveaux alliés
Pour parvenir à renverser les rapports de force, Félix Tshisekedi devrait tout d’abord rallier les soutiens de l’opposition congolaise composée des députés Lamuka, regroupant Ensemble de Moïse Katumbi, le MLC de Jean-Pierre Bemba et, pourquoi pas, Ecide de Martin Fayulu. Il devrait également faire entrer dans sa coalition des nouveaux venus, comme les députés de l’AFDC de Modeste Bahati. Mais surtout, il serait obligé de «débaucher» une centaine de députés FCC pour pouvoir reprendre la main sur l’Assemblée nationale.
Au final, l’opération séduction de Félix Tshisekedi n’aura donné que peu de résultats. Katumbi et Bemba sont restés assez mystérieux sur le bilan de leur entretien présidentiel. Martin Fayulu a décliné l’invitation. Modeste Bahati, «très ouvert» pour rejoindre Tshisekedi n’est pas complètement sûr que l’ensemble de ses députés le suivent, et l’opération débauchage n’aura finalement pas vraiment eu lieu, le FCC ayant verrouillé la participation de ses membres aux consultations présidentielles.
Une dissolution anticonstitutionnelle
Bloqué de toutes parts par le FCC et un accord qu’il a tout de même signé de son plein gré, sans avoir eu besoin de consulter ni sa base, ni la classe politique, Félix Tshisekedi cherche la porte de sortie qui lui permettrait de s’affranchir de son encombrant partenaire. Si l’espoir de recomposer une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale s’est vite évanoui, certains pressent le chef de l’Etat de dissoudre l’Assemblée nationale et convoquer de nouvelles élections. Mais là aussi, cette solution semble peu réaliste. La dissolution ne serait constitutionnellement valable qu’en cas de blocage entre le gouvernement et l’Assemblée nationale et non entre le président et le Parlement. De plus, le gouvernement ne dispose pas d’argent suffisant pour organiser le scrutin et la nomination du nouveau président de la Commission électorale (CENI) constitue l’un des contentieux les plus inextricables entre le FCC et la plateforme CACH de Félix Tshisekedi.
Une démission du Premier ministre à haut risque
La démission forcée du Premier ministre FCC, Sylvestre Ilunga, véritable pomme de discorde entre l’ancien et le nouveau président paraît également difficile à mettre en oeuvre. L’Assemblée nationale à dominante FCC se trouverait mise en défiance, ce qui aggraverait la crise politique et pourrait la pousser à demander la destitution du Président de la République Félix Tshisekedi.
Difficile également pour le président de nommer un nouvel informateur pour identifier la majorité gouvernementale puisqu’elle existe déjà. Dissoudre l’Assemblée nationale ou démettre de force le Premier ministre plongeraient le pays dans un chaos politique qui mettrait en danger le peu de crédibilité qui reste à Félix Tshisekedi à la suite d’une élection contestée. De plus, le président congolais peut difficilement provoquer une crise politique dans son pays à la veille de prendre la tête de l’Union africaine (UA) en février 2021.
Renégocier un nouvel accord avec Kabila
A l’issu de ces consultations, Félix Tshisekedi peut difficilement renverser la table… du moins pas tout de suite. Mais le chef de l’Etat espère surtout que ces consultations pourront lui permettre de faire pression sur le FCC pour renégocier un nouvel accord politique et obtenir une marge de manoeuvre plus grande dans l’application de sa politique. Il compte sur le très actif ambassadeur américain et ses collègues européens, mais aussi sur la puissante Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) pour amener Joseph Kabila à la table des négociations et trouver un new deal plus favorable. En effet, ces larges consultations ont permis à l’actuel Président Félix Tshisekedi de montrer au FCC de l’ancien Président Joseph Kabila qu’il y a un large consensus national pour remettre en cause la mainmise du FCC et de Kabila sur les institutions du pays. Le signal envoyé au FCC par le président est sans ambiguïté: vous avez certes tous les pouvoirs, mais j’ai avec moi la société civile congolaise, l’opposition et la communauté internationale.
Ilunga et Mabunda dans la balance
Pour que ces consultations soient finalement une réussite pour Félix Tshisekedi, le président a mis deux noms dans la balance: Sylvestre Ilunga, le Premier ministre et Jeanine Mabunda, la présidente de l’Assemblée nationale. Deux têtes qui pourraient tomber si le président obtenait un rééquilibrage du rapport de force. Mais pour l’heure, le FCC reste arc bouté sur son accord initial de coalition et ne semble toujours pas prêt à faire des concessions. Seul une négociation Tshisekedi-Kabila pourrait faire bouger les lignes. Reste à savoir si la pression des consultations nationales et des partenaires occidentaux suffira à ramener les deux coalisés autour de la table. Sinon la RDC risque de retourner dans le cycle sans fin des négociations, dialogues, concertations et conférence nationale qui n’ont servi à résoudre aucune crise, mais juste à préparer la suivante.[1]

2. À LA FIN, C’EST TOUJOURS KABILA QUI MARQUE DES POINTS?

Le 2 novembre dernier, Félix Tshisekedi avait lancé des consultations politiques, dont le but avoué était de tenter de mettre sur pied une majorité alternative à celle qu’il avait été contraint de constituer avec la plateforme politique de son prédécesseur Joseph Kabila, le Front Commun pour le Congo (FCC). Toutefois, ces consultations initiées par le président Tshisekedi n’ont pas permis de dégager des nouvelles voies pour gouverner.
Si le FCC de Joseph Kabila avait accepté de “nommer” Tshisekedi à la présidence, il avait conservé les rênes du pouvoir, en s’arrogeant 341 sièges sur les 500 que compte l’Assemblée nationale. Tshisekedi est donc pieds et mains liés vis-à-vis de son partenaire. Mais c’était le prix à payer pour pouvoir s’installer sur le siège présidentiel. La communauté internationale a fermé les yeux sur ces arrangements entre Kabila et Tshisekedi et a “vendu” cette passation de pouvoir pacifique (évitant généralement et heureusement l’utilisation de l’adjectif “démocratique”) comme un exemple à promouvoir en Afrique.
Moins de deux ans plus tard, c’est le désenchantement total. Tshisekedi n’est jamais parvenu à s’affranchir de Kabila, malgré ses promesses de “déboulonner l’ancien régime”. La dernière tentative en date de Tshisekedi de croiser le fer avec son partenaire à travers ses consultations s’est conclue par un échec. Tshisekedi peut se vanter d’avoir obtenu le soutien du professeur Bahati, ex-ministre kabiliste qui se rêvait président du Sénat et qui avait déjà quitté le bateau du FCC depuis quelques mois. Toutefois, en fin tacticien, le patron de l’AFDC a annoncé son intention de garder son indépendance. Tshisekedi sera parvenu à faire sortir de leurs provinces respectives les poids lourds de l’opposition: Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi. Les deux sont venus à Kinshasa surtout pour prendre un bain de foule. Ils ont écouté leur ancien “allié” et “frère” Félix, avant de s’en retourner sans un mot.
L’initiative de Tshisekedi était aussi compliquée que mal préparée. Pour renverser la majorité à l’Assemblée nationale et parvenir à prendre le contrôle de l’institution, le président de la République devait “retourner” plus de 200 députés, dont près de 100 dans les rangs du FCC, où certains affirment avoir reçu 7.000 dollars du camp présidentiel, comme “avance” sur un éventuel divorce avec leur famille. Sans oublier qu’il lui fallait l’intégralité des députés de l’opposition, ce qui paraît très compliqué, car certains d’entre eux ayant un peu de mémoire se souviennent que Tshisekedi était des leurs, avant de les trahir à la veille de la présidentielle, pour fonder son mouvement Cach (rebaptisé ca$h par certains) avec Vital Kamerhe.
Tshisekedi avait promis de dézinguer Mabunda, la présidente de l’Assemblée nationale. Mais elle est toujours bien installée et tous les élus du FCC ont pris conscience que Kabila conserve encore le gouvernail. Les consultations de Tshisekedi ont permis au FCC de resserrer les rangs et ceux qui auraient pu avoir des velléités de départ se sont ravisés.[2]

3. LES SCÉNARIOS POSSIBLES À L’ISSUE DES CONSULTATIONS POLITIQUES DU PRÉSIDENT FÉLIX TSHISEKEDI

C’est un secret de polichinelle, plus rien ne va dans la coalition entre le FCC de Joseph Kabila et le CACH de Félix Tshisekedi. Formée à la suite des élections chaotiques de décembre 2018 dont les résultats sont encore contestés jusqu’à ce jour, cette coalition n’était pas créditée d’une longue espérance de vie par plusieurs analystes et observateurs parce qu’elle a mis ensemble les deux formations politiques (l’UDPS du côté de CACH et le PPRD pour le compte du FCC) qui se sont toujours situées aux deux extrémités de l’échiquier politique congolais et dont les bases se sont mutuellement attaquées avec des méthodes les plus violentes; alors que, paradoxalement, ils sont tous les deux d’idéologies socialistes sur papier.
Comme on pouvait donc s’y attendre, on n’est même pas encore à la moitié de ce quinquennat que la pseudo coalition a déjà essuyé plusieurs turbulences politiques accompagnées des déclarations appelant à la rupture. La dernière crise en date a été provoquée par les nominations et les mises en place effectuées au sein des cours et tribunaux et plus spécialement au sujet des nouveaux juges nommés à la Cour constitutionnelle.
Ignoré par ses partenaires du FCC qui ont contesté ses ordonnances nommant les juges constitutionnels et qui n’ont pas participé à la cérémonie de prestation des serments de ces derniers, le 23 octobre 2020 Félix Tshisekedi a annoncé de vouloir consulter les acteurs politiques et sociaux les plus représentatifs, afin de décider par la suite du sort de son partenariat avec le FCC.
Qu’attendre de ces consultations? Quels sont les schémas envisageables, réalistes et possibles?

a. Premier scénario: la dissolution de l’Assemblée nationale

Cette option semble être la peu probable, pour deux raisons principales.
Primo, sur le plan strictement juridique et constitutionnel, les conditions pour dissoudre la chambre basse du Parlement congolais ne sont pas réunies. En effet, selon l’article 148 de la Constitution, le Président de la République n’a pas le pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale motu proprio. Il est astreint à quelques conditions de fond et de forme.
D’abord, sur le fond, la dissolution de l’Assemblée nationale requiert l’existence d’une crise persistante entre le Gouvernement et l’Assemblée nationale. Le constituant a souligné que cette crise doit être persistante, ce qui sous-entend que la situation qui oppose l’Assemblée nationale et le Gouvernement ait résisté dans le temps et à plusieurs tentatives de conciliation par le Président de la République.
Ensuite, il faudrait que, sur la forme, le Président consulte préalablement le Premier ministre et les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale. Pourtant, dans le cas sous examen, le Gouvernement qui est dirigé par un membre du FCC n’est pas en crise avec l’Assemblée nationale qui est aussi majoritairement constituée des membres du FCC.
Il y a encore un autre élément de taille à prendre en ligne des comptes : c’est le fait que, selon l’article 79 (in fine) de la Constitution, l’acte présidentiel décidant de la dissolution de l’Assemblée nationale doit être contresigné par le Premier ministre. Comment contraindre ce dernier à contresigner l’ordonnance présidentielle portant dissolution de l’Assemblée nationale si cet acte ne respecte pas les conditions requises dont l’existence d’une crise persistante et la consultation des autorités citées par l’article 148 de la Constitution?
De ce qui précède, il est constitutionnellement inconcevable d’imaginer que les consultations de la classe politique lancées par Félix Tshisekedi donnent lieu à la dissolution de l’Assemblée nationale. Ce d’autant que, pour l’heure, c’est le Président de la République qui semble être en conflit avec ses partenaires du FCC qui sont majoritaires à l’Assemblée nationale et au Gouvernement. Dirigé par le Premier ministre (article 90 de la Constitution), le Gouvernement n’est pas en crise avec l’Assemblée nationale et vice-versa. Et dès lors qu’il n’y aurait pas une crise persistante et que le Premier ministre et les Présidents de deux chambres du Parlement ne seraient pas consultés, Félix Tshisekedi n’aurait aucun moyen constitutionnel de dissoudre l’Assemblée nationale.
Sur le plan politique, il ne sera pas non plus dans l’intérêt du Président Tshisekedi de dissoudre l’Assemblée nationale. Ceci aurait pour conséquence de convoquer des élections législatives dans les 60 jours qui suivront, selon l’alinéa 2 de l’article 148 de la Constitution. Or, son parti (l’UDPS) et sa coalition politique (le CACH déjà affaiblie et en lambeau par l’arrestation de son allié et directeur de cabinet Vital Kamerhe) paraissent ne pas être préparés pour participer aux élections législatives et gagner la majorité à l’Assemblée nationale.
Une autre difficulté du scénario de la dissolution serait financière et technique. Avec quels moyens financiers organisera-t-on des élections après la dissolution de l’Assemblée nationale? Déjà que le ministre ayant les finances dans ses attributions n’a pas arrêté d’alerter ces derniers temps sur le déficit budgétaire et la faible mobilisation des recettes suite, entre autres, à la gestion de la pandémie de la Covid-19. De plus, avec quelle commission électorale nationale indépendante /CENI) organisera-t-on ces législatives anticipées? On le sait, l’actuel Bureau de la CENI est démissionnaire et le processus pour le remplacement du nouveau Bureau est bloqué, toujours par les querelles entre le FCC et le CACH.
Donc, si par surprise le Président de la République annonçait la dissolution de l’Assemblée nationale, non seulement il violerait les prescrits de l’article 148 de la Constitution, mais on se retrouverait aussi avec une Assemblée dissoute qui terminerait ce quinquennat, faute d’organiser des législatives anticipées et compte tenu de l’article 103 de la Constitution qui rappelle que: «le mandat de député national commence à la validation des pouvoirs par l’Assemblée nationale et expire à l’installation de la nouvelle Assemblée».

b. Deuxième scénario: la reconstitution d’une nouvelle majorité au sein de l’Assemblée nationale

Certains conseillent à Félix Tshisekedi de «débaucher» quelques députés du FCC, pour reconstituer une nouvelle majorité, en coalition avec le groupe Ensemble de Moïse Katumbi et l’AFDC-A de Bahati Lukwebo. Cette tactique politicienne serait une indécence et poserait un problème d’éthique qui n’honore pas un Président de la République issu des rang d’un parti politique qui a toujours prétendu combattre contre la dictature et les antivaleurs pendant ses 38 ans de lutte dans l’opposition. Car ce «débauchage», trop souvent pratiqué par le régime Kabila, sous-entend systématiquement qu’un nombre de députés FCC soient corrompus pour rejoindre la nouvelle «union sacrée» du Président de la République.
En outre, ce scénario de la reconfiguration de la majorité soulève aussi quelques questionnements:
Comment peut-on reconfigurer une majorité parlementaire à mi-mandat et alors que le Gouvernement issu de cette dernière est déjà (encore) en place? Cela est-il possible au regard de la Constitution du 18 février, telle que modifiée à ce jour? Le Président de la République peut-il au cours d’une législature nommer un nouvel informateur, pour identifier une nouvelle majorité au sein de l’Assemblée nationale?
Sur le plan strictement juridique, le changement de majorité à l’Assemblée nationale est aussi impossible, dès lors qu’il n’y a pas une crise qui impacte sur la gouvernabilité du pays.
Normalement, selon les articles 3 et 5 de la loi n°07/008 portant sur le statut de l’opposition et l’article 26 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale dûment déclaré conforme à la Constitution, un député national élu dans le cadre d’un parti politique ne peut pas faire une déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition. Ceci est l’apanage du parti ou du regroupement politique auquel le député appartient. De ce fait, les députés appartenant aux partis politiques ayant déclarés être de la majorité (FCC) sont censés les rester jusqu’à la fin de la législature. Ce qui veut dire, en principe, que la majorité, qui avait été identifiée au début de cette législature et de laquelle émane le Premier ministre et le Gouvernement, doit normalement la rester jusqu’à l’organisation des élections législatives prévues en 2023. Et ce, même si le FCC et CACH arrivent à rompre leur coalition.
Une autre disposition qui renforce l’argument de la cristallisation de la majorité parlementaire est l’article 110 (in fine) de la Constitution. Il y est rappelé que «tout député national ou tout sénateur qui quitte délibérément son parti politique durant la législature est réputé renoncer à son mandat parlementaire obtenu dans le cadre dudit parti politique». Comme on peut le remarquer, cette disposition pourrait être utilisée comme une épée de Damoclès suspendue sur la tête des députés nationaux appartenant aux partis politiques inscrits sur la liste de l’actuelle majorité (FCC).
Ainsi, la possibilité qui reste au Président Tshisekedi est non pas celle de débaucher des députés de manière personnelle, mais plutôt d’influencer les partis et regroupements politiques qui peuvent convaincre leurs députés à se désolidariser du PPRD et du FCC pour suivre cette nouvelle dynamique de l’union sacrée.
Si Félix Tshisekedi arrivait à cristalliser cette nouvelle dynamique au sein de l’Assemblée nationale, il n’aurait qu’à impulser à travers celle-ci une motion de censure contre le Gouvernement.
Ainsi, Félix Tshisekedi pourrait profiter de l’adoption de cette motion de censure et de cette éventuelle crise gouvernementale pour nommer par la suite une mission d’information, censée identifier la nouvelle majorité qui se serait créée entre-temps au sein de l’hémicycle. Nommer un informateur directement au sortir des consultations comme certains le suggèrent [alors qu’il n’y a aucune crise et que le Gouvernement est en place] c’est non seulement impossible mais c’est aussi et surtout une incongruité juridique. A défaut de faire tomber préalablement le Gouvernement par une nouvelle dynamique acquise à sa cause à l’Assemblée nationale, Félix Tshisekedi n’aurait pas beaucoup de marges de manœuvres quant à cette tactique de la reconfiguration de la majorité.
Pour réussir son coup, tous ses calculs doivent tourner autour du départ du Premier ministre.
Cependant, la Constitution ne prévoit aucun mécanisme qui donne la possibilité au Président de la République de démettre le Premier ministre contre son gré. Ce dernier ne peut présenter sa démission au Président de la République que soit volontairement, soit après une motion de censure jugée recevable par la majorité absolue des voix à l’Assemblée nationale (articles 146 et 147 de la Constitution). C’est cette deuxième voie qui est exploitable au cas où le Président aurait réellement convaincu la majorité des partis et regroupements politiques à l’Assemblée quant à son idée d’union sacrée. Néanmoins, au-delà de tous ces calculs juridico-politiciens, on ne peut pas éluder un détail important: certains députés et groupements politiques qui constituent actuellement la majorité à l’Assemblée donnent l’impression d’être attachés au FCC pour des raisons autres que politiques.
Ils sont là pour leur vie, voire pour leur survie. Ils pensent que l’anéantissement de leur majorité les exposerait à des risques des poursuites et de représailles, compte tenu de ce qu’ils auraient pu commettre durant le régime Kabila. Pourquoi scieraient-ils donc l’arbre sur lequel ils sont assis? Toutefois, la politique étant dynamique, tout peut basculer. Et surtout si le Président de la République promet aux autres regroupements de la majorité actuelle sa protection et quelques intérêts politiques pour les pousser à tourner le dos au PPRD qui est très souvent vu comme le parti glouton qui s’accapare de tous les grands avantages au FCC.

c. Troisième Scénario: la renégociation d’un nouvel accord avec son partenaire Joseph Kabila

Felix Tshisekedi peut se retrouver bloqué et obligé de renégocier avec son partenaire Joseph Kabila, en essayant juste de monter les enchères pour ne pas perdre la face. Cette hypothèse est plus que plausible. Les consultations de Félix Tshisekedi ont été le thermomètre pour montrer à ses partenaires du FCC l’étendue de la colère de la population et d’une partie de la classe politique contre les tenants du régime passé. Le Président Tshisekedi aurait compris le bénéfice de jouer à l’exacerbation de la peur contre le retour de Joseph Kabila au pouvoir. Il profite de la colère de la population contre les tenants du régime passé, pour faire passer n’importe quelle tactique contre son partenaire. A ce jour, même les violations de la loi et de la Constitution peuvent lui être tolérées par une certaine opinion, dès lors que son action semble contribuer à mettre à mal le FCC. Ce qui est dangereux, car participant au processus de la maturation d’une nouvelle dictature.
Tshisekedi peut profiter de cette colère du peuple contre l’ancien régime pour ainsi renégocier en position de force avec son partenaire Joseph Kabila après les consultations. Il y partirait avec un pas d’avance, fort de la classe politique et de l’opinion publique derrière lui. Sans vouloir prendre le risque de rompre leur accord et inscrire le pays dans la voie de l’incertitude, ce qui pourrait avoir un effet contraire contre lui-même, il n’est pas exclu que Tshisekedi se limite à tout simplement demander à son partenaire des avantages supplémentaires par rapport à leur accord initial.
L’envers du décor par rapport à cette position est que Félix Tshisekedi pourrait apparaître devant sa base et devant une grande partie du peuple congolais comme ayant perdu la face. Parce que, sans nul doute, depuis son adresse à la nation le 23 octobre dernier, alors qu’il a désigné la coalition FCC-CACH comme la cause de blocage du pays, beaucoup de Congolais s’attendent à des mesures d’envergure de sa part. Dans le même ordre d’idées, plusieurs cadres de son parti ont fait des déclarations intempestives prônant la fin de la coalition FCC-CACH.
A cet effet, s’il opte pour la négociation, pour ne pas perdre complètement sa crédibilité par rapport à la posture auparavant adoptée, le Président pourrait demander à son partenaire que lui soit servie sur un plateau soit la tête de Jeannine Mabunda [qui est trop souvent présentée, à tort ou à raison, comme celle qui bloque son action ou conteste son autorité], soit celle de Sylvestre Ilunga Ilunkamba, [pour que les deux partenaires mettent en place un autre Gouvernement avec des nouveaux quotas].
Par conséquent, la renégociation entre les deux partenaires donnera absolument lieu à un troc. Ce qui donnera aux deux parties l’occasion de continuer à se renvoyer dos-à-dos jusqu’à la prochaine crise politique qui va encore les opposer. Mais l’hypothèse la moins plausible dans le cadre de la renégociation serait de voir Félix Tshisekedi rompre sa coalition avec le FCC, pour s’inscrire dans le schéma de la cohabitation. Son parti et lui-même ont tellement besoin de moyens financiers [pour les prochaines échéances électorales] qu’ils feraient tout pour rester au Gouvernement, si les deux premiers scénarios (dissolution de l’Assemblée nationale et reconfiguration de la majorité) n’arrivaient à être retenus par lui.

d. Quatrième Scénario: la convocation d’un dialogue politique national

Un autre scénario est que Félix Tshisekedi convoque un dialogue politique national. Il faut dire que, pendant ces consultations, alors que l’action du Gouvernement est mise au frais et qu’il ne s’organise aucune réunion du Conseil des ministres, le Président de la République a pris goût de voir tout se cristalliser autour de son action voire de sa personne. Pour voir cette sensation continuer, il peut être tenté de convoquer un dialogue politique.
L’envers du décor est qu’un dialogue autour de sa personne ne règlerait pas la crise. Ce ne serait qu’un autre moyen de faire durer le suspense. Comme on le sait, son élection et sa légitimité posent encore problème jusqu’à ce jour, face à Martin Fayulu qui estime avoir été le vrai gagnant de la présidentielle [selon le rapport de la crédible mission électorale de la CENCO] et qui se considère comme le Président élu. De ce fait, Félix Tshisekedi ne pourra pas organiser un dialogue autour de lui, pour s’attaquer seulement à la légitimité des députés et du Gouvernement issu de la majorité FCC [qui sont l’émanation des mêmes élections que lui] sans révéler ses propres fragilités.
Pour justifier l’idée du dialogue politique, Félix Tshisekedi devra accepter de perdre quelques plumes, en dénonçant sa propre élection et celle du Parlement. Il doit avoir le courage d’accepter qu’il y a une crise de légitimité due aux élections de décembre 2018 et, par-là, s’en remettre à une facilitation régionale ou internationale, comme la SADC ou l’UA, pour convoquer les assises qui mettront toute la classe politique autour d’une table. Cette facilitation régionale ou internationale sera un élément essentiel, car Félix Tshisekedi est lui-même un élément à la crise et il ne peut pas être juge et partie, comme c’est le cas actuellement avec la posture prise par lui pendant les consultations.
Le scénario d’un dialogue inclusif serait bénéfique à Félix Tshisekedi, car l’organisation du dialogue devrait rabattre les cartes et déprécier la valeur de la majorité FCC au sein de l’Assemblée nationale. On pourrait même assister à la formation d’un Gouvernement de coalition/d’union nationale qui n’aurait pas besoin de se conformer à l’article 78 de la Constitution, compte tenu de son caractère «sui generis», comme ce fut le cas du Gouvernement Badibanga et Tshibala.
Cette hypothèse ne sera plausible que si le FCC accepte de jouer le jeu et décide de participer à ce dialogue. Car la crise au départ est une crise qui oppose le Président Tshisekedi au FCC. La résolution de cette crise ne peut se faire sous forme d’un dialogue dont le FCC ne serait pas partie prenante. Or l’absence du FCC à un dialogue risque de polariser davantage la crise politique.[3]

[1] Cf Christophe Rigaut – Afrikarabia.com, 29.11.’20  http://afrikarabia.com/wordpress/rdc-tshisekedi-en-quete-dun-new-deal-avec-kabila/
[2] Cf Hubert Leclercq – Lalibre.be/Afrique, 29.11.’20
[3] Cf Aimé Gata-Kambudi – desc-wondo.org, 24.11.’20   https://desc-wondo.org/quels-scenarios-possibles-et-envisageables-a-lissue-des-consultations-lancees-par-le-president-tshisekedi-aime-gata-k/