TENSION AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE ET À LA COUR CONSTITUTIONNELLE
SOMMAIRE
1. LES DÉMISSIONS DU MINISTRE DE LA JUSTICE, CÉLESTIN TUNDA YA KASENDE
2. FÉLIX TSHISEKEDI ET LA COUR CONSTITUTIONNELLE: LES DESSOUS D’UN COUP DE FORCE
1. LES DÉMISSIONS DU MINISTRE DE LA JUSTICE, CÉLESTIN TUNDA YA KASENDE
Le débat parlementaire sur les trois propositions de loi relatives à la reforme judiciaire et présentées par les députés Aubin Minaku et Garry Sakata, a révélé les nombreuses divergences qui existent entre les deux composantes politiques, le Front Commun pour le Congo (FCC) et Cap pour le Changement (CACH), membres de la coalition actuellement au pouvoir. C’est suite à ces divergences que, le 11 juillet, le vice-Premier ministre et ministre de la Justice Célestin Tunda ya Kasende a démissionné de son poste, en déposant sa lettre de démission au Premier Ministre Ilunga Ilunkamba.
Qu’est-ce qui s’est passé?
Le 26 juin, le conseil des ministres présidé par le chef de l’Etat Félix Tshisekedi a été très agité.
Le Conseil des Ministres devait examiner les observations formulées au niveau de la Commission Interministérielle Permanente des Lois et Textes Réglementaires sur les trois propositions de lois initiées par les deux députés et transmises au Gouvernement, pour observations éventuelles, conformément à l’article 130 alinéa 3 de la Constitution.
D’après certaines informations, le Président de la République et les autres membres du gouvernement ont été surpris d’apprendre sur le champ que les avis du gouvernement sur les propositions en rapport avec la réforme judiciaire ont été déjà envoyés à l’Assemblée nationale depuis le 18 juin, sur initiative personnelle du Vice -premier Ministre, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, alors qu’ils n’ont jamais été débattus en conseil des ministres.
En effet, dans une lettre du 22 juin 2020 adressée au ministre de la justice Célestin Tunda, le Premier ministre Sylvestre Ilunkamba lui transmet la demande de Jeanine Mabunda, présidente de l’Assemblée nationale, datant du 15 juin et lui demandant l’avis du gouvernement sur les trois propositions de loi. Dans sa lettre, le Chef du gouvernement écrit: « Je vous la transmets, en vue d’éventuelles observations à apprêter et à me faire parvenir au plus tard le 26 juin 2020, pour transmission à l’Assemblée nationale ».
Toutefois, une lettre datant du 18 juin et publiée le vendredi 26 juin sur les réseaux sociaux prouve que le ministre Célestin Tunda a transmis les avis du gouvernement à l’Assemblée nationale, où les trois propositions de loi sont examinées à la commission politique administrative et juridique (PAJ), avant même la requête du Premier ministre lui transmettant ce dossier. Plus étrange, cette transmission de l’avis du gouvernement est faite alors que durant le Conseil des ministres de ce vendredi 26 juin, il était prévu d’étudier la question.
Des opposants ont dénoncé le fait le ministre Célestin Tunda ait outrepassé le Conseil des ministres pour donner ses avis au nom du gouvernement. «En transmettant en catimini au Parlement des avis non validés par le Gouvernement sur les propositions de loi controversées, le Ministre de la justice a commis une faute grave aux devoirs de sa fonction. La confiance étant rompue, il devra soit démissionner soit être révoqué», a fait savoir le député Claudel Lubaya sur Twitter.
De son côté, l’Association congolaise de défense des droits de l’homme appelle à des poursuites contre le ministre Célestin Tunda. « L’ACAJ appelle le Procureur Général près la Cour de Cassation à ouvrir une enquête pénale urgente sur les circonstances troubles dans lesquelles le VPM TUNDA a envoyé à l’Assemblée les avis, au nom du Gouvernement, sur les 3 textes MINAKU, alors que ce dernier n’y avait jamais statué », dit son président Gorge Kapiamba.
Dans ces trois proposition de lois, les députés Aubin Minaku et Garry Sakata proposent l’institution d’une conférence des procureurs comme cadre de concertation et d’échange. Elle sera, selon la proposition, présidée par le ministre de la Justice. Les deux élus proposent aussi que le ministre de la Justice ait la possibilité de signaler une faute commise par un magistrat. Révoquer, suspendre ou adresser un blâme à ce dernier resteraient cependant de la compétence du Conseil supérieur de la magistrature.[1]
Le 27 juin, Célestin Tunda Ya Kasende, Vice -premier Ministre, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, a été arrêté à son domicile, dans le quartier Delvaux à Ngaliema (Kinshasa) et conduit au parquet général près la Cour de Cassation. Soupçonné de «faux en écriture et usage de faux», il a été libéré après quelques heures d’audition. Cette arrestation a irrité le camp politique du ministre, le Front commun pour le Congo (FCC) qui dispose de la majorité au Parlement. Aujourd’hui, le camp Kabila veut mettre fin à la coalition et réclame une cohabitation, ce qui aurait comme conséquence la nomination d’un nouveau gouvernement sans les membres du camp de Tshisekedi.
Selon Emmanuel Ramazani Shadary, secrétaire permanent du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), le parti de l’ancien président de la République JosephKabila, «pour interpeller un ministre, le parquet doit requérir l’avis de l’Assemblée nationale, ce qui n’a pas été fait. C’est pourquoi nous, le PPRD, nous avons l’impression qu’on veut instaurer une dictature, plus forte que celle que Mobutu [dictateur du Zaïre (ex-RDC) de 1965 à 1997, NDLR] avait mis en place à l’époque du Zaïre. À nos amis qui sont alliés avec nous, nous leur disons aujourd’hui avec force: s’ils ne veulent plus de la coalition, il faut aller tout droit vers la cohabitation et que le FCC gère seul la République. C’est le FCC qui sera responsable de ses actes devant le peuple».
Dans une déclaration lue par son porte-parole, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a dénoncé une arrestation «brutale et arbitraire». Il évoque dans cette déclaration une «humiliation», en «violation des règles élémentaires d’un État de droit». Humiliation, violation des immunités ou du secret des délibérations, la déclaration du Premier ministre manifeste une indignation sans précédent. Le chef du gouvernement avertit que «cet incident grave et sans précédent est de nature à fragiliser la stabilité et le fonctionnement harmonieux des Institutions et à provoquer la démission du gouvernement».[2]
La libération du ministre Célestin Tunda a été fortement négociée entre les deux coalitions au pouvoir. Selon des proches du président Félix Tshisekedi, le ministre n’a pu être relâché qu’en promettant de démissionner. «Il a fait savoir qu’il acceptait de démissionner, en contrepartie de toute procédure judiciaire. C’est donc dans ce seul cadre qu’il a été libéré», a expliqué un proche du Chef de l’Etat congolais, confirmant que ce dernier a bel et bien demandé la démission du Ministre de la Justice.[3]
Le 2 juillet, le président Félix Tshisekedi s’est entretenu avec Joseph Kabila pendant plus de deux heures à sa résidence de N’sele, dans l’Est de Kinshasa. Les deux alliés ont convenu de maintenir leur coalition, malgré les menaces du FCC d’aller en cohabitation avec le Chef de l’Etat congolais. Même si le contenu de leurs échanges n’a pas été rendu publique, Félix Tshisekedi et Joseph Kabila ont néanmoins convenu de la «nécessité de maintenir la coalition». Selon les informations reçues, les deux coalitions au pouvoir devraient mettre ensemble des «mécanismes» de traitement des conflits entre des membres de CACH et du FCC, alors que Félix Tshisekedi et Joseph Kabila ont également convenu de «améliorer leur communication» dans la gestion quotidienne de la coalition.[4]
Le 3 juillet, des sources à la présidence de la République ont fait savoir que, lors du Conseil des ministres hebdomadaire, tenu sur vidéo conférence depuis le début de la pandémie de Covid-19, le vice-Premier ministre en charge de la Justice, Célestin Tunda Ya Kasende, a été prié de se déconnecter. En effet, ces sources confirment que c’est le Chef de l’État, Félix Antoine Tshisekedi, lui-même qui lui a demandé de ne pas participer à cette réunion du Conseil des ministres.
Selon des ministres du gouvernement, durant ce Conseil des ministres, le Chef de l’Etat Félix Tshisekedi leur a fait savoir que, le jour précédent, il avait rencontré l’ancien président de la République Joseph Kabila et qu’il lui avait exigé la démission de Célestin Tunda.[5]
Le 11 juillet, Célestin Tunda Ya Kasende a déposé sa démission auprès du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Il quitte son poste de vice-Premier ministre, ministre de la Justice et garde des Sceaux qu’il occupait depuis septembre 2019. Il lui est reproché d’avoir transmis les observations du gouvernement au sujet des propositions de loi sur la réforme de la justice à l’Assemblée nationale, sans avoir reçu l’autorisation du Conseil des ministres. Cadre du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD) de Joseph Kabila, Célestin Tunda ne prenait plus part aux conseils des ministres depuis deux semaines sur décision du chef de l’État Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo.[6]
2. FÉLIX TSHISEKEDI ET LA COUR CONSTITUTIONNELLE: LES DESSOUS D’UN COUP DE FORCE
Depuis le début de l’année 2020, le programme d’urgence de 100 jours se transforme en un bourbier. Des détournements fusent, les procès qui s’ensuivent resteront expéditifs et punitifs, mais sans résoudre le problème. Entre-temps, la Covid-19 débarque. Le budget annuel rêvé par Tshisekedi (11 milliards de $) était finalement dénué de réalité. Il est réduit, de facto, de moitié par le ministre des Finances, José Sele Yalaghuli. Il tourne autour de 5 milliards de $. En ce qui concerne l’insécurité, dans l’Est de la RDC, la traque des ADF à Beni (Nord-Kivu) s’essouffle. Même situation dans l’Ituri, où les groupes armés rivalisent en tueries. Des centaines de Congolais sont massacrés. À Kinshasa, c’est le dollar américain qui traumatise la capitale congolaise. Il fait le yo-yo avec le Franc congolais. Les mesures de rafistolage pour contrôler l’inflation s’avèrent insuffisantes. Les prix grimpent, les Kinois suffoquent, le «Béton» fond. Il ne sait plus que faire.
Dix-huit mois après son arrivée au pouvoir, alors que la situation socio-économique et sécuritaire s’enlise, le président congolais Félix Tshisekedi tente une manœuvre à la Cour Constitutionnelle, entre calculs politiques et préparation de terrain pour les prochaines échéances électorales de 2023.
«Démissionner» Lwamba pour prendre le contrôle de la Haute Cour.
Le 04 juillet, Benoit Lwamba, président de la Cour constitutionnelle, entre au bureau de Félix Tshisekedi à la Cité de l’Union Africaine. Le juge avait demandé à être reçu par le Chef de l’État. Il a une requête à lui adresser. En plein confinement, il veut se rendre à Bruxelles, pour des soins sanitaires. Mais, la conversation, qui vient de commencer, prend une autre tournure. Car, si Félix Tshisekedi accepte facilement de recevoir le juge-président, il a bel et bien une idée derrière la tête. Selon un proche de Lwamba, c’est alors que le président Tshisekedi va lui lancer une étrange proposition: «s’il voulait se rendre à Bruxelles, il devait d’abord démissionner».
D’autres expliquent qu’une lettre sera aussitôt tendue à Benoit Lwamba, portant sa démission. «Devant des hésitations, il a été clairement menacé », révèle un proche du juge congolais. Les menaces seront dissuasives. Le juge finit par se rendre à Bruxelles. Une fuite est aussitôt organisée sur les réseaux sociaux. Une lettre, rapidement authentifiée par des proches du président Tshisekedi, annonce publiquement la démission du juge. Elle porte bel et bien la signature de Benoit Lwamba.
Le 10 juillet, selon un étrange procès-verbal qui a également fuité sur les réseaux sociaux, sept juges siègent à Cour constitutionnelle pour «constater» la démission du président. Cependant, le jour même, un nouveau courrier arrive, contredisant la lettre antérieure et dont l’objet est «démenti». Il explique que la démission du juge-président est fausse, la qualifiant de «rumeur». Cette nouvelle lettre est signée par le même Benoit Lwamba, depuis Bruxelles. La Présidence décide alors de contre-attaquer.
Le 12 juillet, des agents de l’Agence nationale de renseignements (ANR) font irruption à la Cour constitutionnelle, cassant la porte principale pour s’introduire dans les locaux de la Haute Cour. Ils auraient spécifiquement ciblé le bureau du juge-président Benoit Lwamba. Selon plusieurs informations, les services congolais soupçonnent le Directeur du cabinet du juge Lwamba d’avoir produit un faux document. Mais, il n’en sera pas question, d’autant plus que, depuis Bruxelles, Benoit Lwamba assume le démenti et se considère toujours comme le juge-président de la Cour constitutionnelle.
Le 13 juillet, à Kinshasa, le président de la Cour constitutionnelle et président du Conseil supérieur de la magistrature « ad intérim », Funga Molima Mwata Evariste Prince, annonce avoir transmis au président de la République le procès-verbal de prise d’acte de la démission d’un membre de la Cour constitutionnelle, en l’occurrence Benoît Lwamba Bindu, de ses fonctions de président de la Cour constitutionnelle. Selon cette correspondance du 13 juillet, le procès-verbal a été établi à la suite de la plénière du 10 juillet par les membres de cette Haute Cour. À la Présidence congolaise, on affirme alors que la démission de Lwamba est actée.
Lwamba n’était qu’un début.
D’autres révélations viennent mettre en lumière la présence d’un agissement structuré et voulu par le Chef de l’État, Félix Tshisekedi, qui avance ses pions, en procédant rapidement à une longue série de nouvelles nominations.
En effet, le 17 juillet 2020, Tina Salama, porte-parole adjointe du Chef de l’État, est envoyée à la Télévision nationale pour annoncer une longue série d’ordonnances signées par le président Tshisekedi. Beaucoup des nouvelles nominations concernent l’armée. À la Cour constitutionnelle, en plein bras de fer autour de la démission du juge-président Lwamba, le Chef de l’État congolais change unilatéralement trois juges.
Toutefois, ces ordonnances n’ont pas été contre – signées par le Premier ministre Sylvestre Ilunkamba, comme l’exige la loi. Pendant que ce dernier se trouvait en mission dans le Haut-Katanga, c’est étrangement le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Gilbert Kakonde, issu du parti du président, qui s’est octroyé ce pouvoir, citant un intérim, certes contesté.
Pièces contre pièces judiciaires.
La Cour Constitutionnelle a été créée le 18 février 2006. Parmi ses compétences, celle de juger le président de la République et le Premier ministre. Institution de contre-pouvoir, la Cour devait donc assurer l’État de droit, tout en permettant de vérifier la conformité des lois par un contrôle.
La Constitution congolaise, dans son article 158, fixe les conditions de nomination au sein de la Cour constitutionnelle.
Il faudra attendre juillet 2014 pour voir le président Joseph Kabila nommer les neuf juges de cette Cour, qui prêteront serment le 4 avril 2015 devant le président, les deux chambres du parlement réunies en Congrès et le Conseil supérieur de la magistrature. Il s’agit des juges Vunduawe Te Pemako, Jean-Pierre Mavungu, Banyaku Luape, Jean-Louis Esambo, Luamba Bindu, Corneille Wasenda, Funga Molima, Kalonda Kele et Kilomba Ngozi Mala.
Selon la Constitution congolaise promulguée en 2006, la Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le Président de la République, dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature. Le mandat des membres de la Cour constitutionnelle est de neuf ans non renouvelables. Toujours selon la Constitution, la Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers tous les trois ans.
Ainsi, trois ans après avoir mis en place la Haute Cour, Joseph Kabila signe l’ordonnance N° 18/ 038 du 14 mai 2018, nommant les nouveaux juges dont Norbert Nkulu, Jean Ubulu et François Bokona. Norbert Nkulu a été désigné par la Présidence de la République et Jean Ubulu par le Conseil supérieur de la magistrature. François Bokona a, quant à lui, été désigné par le parlement réuni en Congrès.
Or, Joseph Kabila, ayant nommé trois juges le 14 mai 2018, il n’était pas possible que Félix Tshisekedi puisse en nommer trois autres avant les trois ans requis par la loi. Le nouveau Chef de l’État aurait dû attendre mai 2021 pour opérer des nominations. Par ailleurs, le président Félix Tshisekedi a procédé aux trois nominations de manière unilatérale, alors que, selon la Constitution, dans son article 158 alinéa 3, il est clairement stipulé: «La Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers tous les trois ans. Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe».
Selon Adam Chalwe Munkutu, Secrétaire national du PPRD, parti de Joseph Kabila, «ces nominations ne sont pas de nature à apporter la paix au sein de notre coalition. Elles sont faites de manière cavalière, en plus d’être illégales. La constitution stipule que la Cour constitutionnelle ne peut connaître de nomination venant du Président de la République qu’après 3 ans à l’issue d’un tirage au sort. Or, le président Joseph Kabila Kabange avait déjà nommé 3 juges en 2018. Et donc, il n’y avait ni opportunité, ni vacance pour nommer des nouveaux juges. De plus, les trois juges devaient venir des trois composantes, ce qui n’a pas été le cas. Ils sont nommés unilatéralement et sont tous issus d’une seule composante. C’est totalement illégal».
Deux juges s’opposent au forcing.
Coup de tonnerre à Kinshasa. Le 4 août, les juges Jean Ubulu Mpungu et Noël Kilomba Ngozimala, nommés présidents à la Cour de cassation par une ordonnance du Chef de l’État Félix Tshisekedi le 17 juillet 2020 refusent de prêter serment. Le Premier ministre, le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale eux aussi sèchent la cérémonie. Quelques heures après, les deux juges rendent publique une lettre datée du 27 juillet et adressée au président Félix Tshisekedi: «Monsieur le Président de la République, c’est par la voix des ondes et sans consultation préalable, que nous avons appris, le 17 juillet 2020, nos nominations en qualité de Présidents à la Cour de cassation, par Ordonnance n°20/108 du 17 juillet 2020, lesquelles ont été suivies de nos remplacements immédiats, alors que c’est depuis juillet 2014 pour le Juge KILOMBA, et avril 2018 pour le juge UBULU, que par nos lettres respectives (…) nous avions levé l’option de ne plus travailler à la Cour Suprême de Justice, jusqu’à l’expiration de nos mandats de neuf ans à la Cour constitutionnelle, et ce, conformément à la Constitution, en son article 158, alinéa 3, ainsi qu’à la Loi-organique n°13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, en ses articles 6 et 34». En clair, les deux juges estiment que leurs mandats respectifs à la Cour constitutionnelle sont de neuf (9) ans pour chacun, et sont encore en cours.
En outre, ils font remarquer au président Félix Tshisekedi que «l’Ordonnance n°20/108, du 17 juillet 2020 leur notifiée, ne fait pas allusion, dans ses visas, à la Loi-organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle, mais elle s’est plutôt basée sur les articles 69, 79, 82, 152 et 153 de la Constitution, qui mettent en exergue votre pouvoir sur les juridictions de l’Ordre judicaire et le Conseil Supérieur de la Magistrature, alors que la Cour constitutionnelle ne fait pas partie de cet Ordre de juridictions, dont seul son Président est en même temps Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, et non les membres de la Cour».
Et de poursuivre: «En plus, l’Ordonnance n° 20/108, du 17 juillet 2020, s’est référée aux articles 10 et 11 de la Loi organique n°06/020 du 10 octobre 2006, portant Statut des Magistrats telle que modifiée et complétée par la Loi-organique n°15/014 du 1 août 2015, alors qu’aux termes de l’article 90 de cette même Loi-organique, il est dit expressément ce qui suit: les dispositions de la présente Loi ne s’appliquent pas aux membres de la Cour constitutionnelle». Par conséquent, ils indiquent que «cette Ordonnance n°20/108, du 17 juillet 2020, ne devrait donc pas nous être appliquée, en l’espèce, car la Loi-organique à laquelle elle se réfère l’interdit en son article 90 ci-haut énoncé».
Enfin, les juges Jean Ubulu Mpungu et Noël Kilomba Ngozimala ajoutent que «la Constitution de la République Démocratique du Congo, en son article 158, alinéa 4, prévoit le renouvellement des membres de la Cour constitutionnelle par un tiers par groupe, tous les 3 ans» et soulignent que ce renouvellement, prévu en avril 2021, «ne pourrait nous concerner nous deux (2), en même temps, étant donné que nous sommes tous les deux issus du même groupe».
Le 8 août, dans un communiqué du cabinet du président Félix Tshisekedi, la Présidence congolaise répond: «Lorsque les deux juges affirment ne pas avoir été préalablement consultés avant leur nomination, on peut leur rétorquer qu’ils seront bien en peine de citer un texte légal qui prévoit une quelconque consultation des intéressés, par le Président de la République, avant leur nomination. Il n’y a donc pas d’obligation de consultation envers les deux nominés».
Selon la Présidence, s’il faut considérer que les intéressés sont toujours membres de la Cour constitutionnelle, comme ils le prétendent, les deux juges tomberont sous le coup de l’article 34, alinéa 1er, de la loi organique n 0 13/026 du 15 octobre 2013, portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle qui dispose: « tout membre de la Cour ou du Parquet Général qui se trouve dans l’un des cas d’incompatibilité visés à l’article 31 de la présente Loi organique lève l’option dans un délai de huit jours, à compter de la date de notification de sa nomination. A défaut, il est réputé avoir renoncé à ses fonctions de membre de la Cour ou du Parquet General ». Dans le cas sous examen, indique le communiqué, les requérants ont été notifiés de leur nomination à la Cour de cassation les 21 et 22 Juillet 2020, tandis que leur choix de rester à la Cour constitutionnelle a été déposé au Bureau du Président de la République le 4 août 2020. «Il y a donc forclusion par rapport au délai de huit jours prévu par la loi», conclut la Présidence.
Le même communiqué répond également au sujet des mandats des juges. «Les intéressés évoquent leur mandat de neuf ans en cours. Or, ils n’ignorent pas les prescrits de l’article 31 point 3 de la loi organique qui prévoient l’incompatibilité de la fonction de membre de la Cour constitutionnelle avec l’exercice de tout autre emploi public. Ainsi, le Juge constitutionnel ne peut cumuler deux fonctions publiques au même moment. On peut rappeler le cas du juge constitutionnel Vunduawe Te Pemako, appelé à d’autres fonctions, alors que son mandat à la Cour constitutionnelle courrait encore».
Toutefois, selon d’autres informations, Vunduawe Te Pemako, alors juge de la Cour constitutionnelle, avait sollicité personnellement et par écrit, auprès de Joseph Kabila, pour être nommé à la tête du Conseil d’État qui venait d’être créé en 2018, après éclatement de la Cour suprême. Cette demande ayant donc entrainé une vacance au niveau de la Cour constitutionnelle. Deux autres juges, dont Essambo et Baniaku, avaient respectivement démissionné, créant une vacance de 3 postes, ayant permis à Joseph Kabila de les remplacer sans tirage au sort.
Par ailleurs, l’article 90 de la loi portant statuts des magistrats affirme que les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas aux juges de la Cour constitutionnelle. Ainsi, quoique magistrats de carrière, en devenant membre de la Cour constitutionnelle, il apparaît que l’application du statut de magistrat à l’égard de ces deux juges reste suspendue. Selon l’avocat Jean-Paul Koso Yoha, «les deux juges sont régis par l’ordonnance portant dispositions relatives au Statut particulier des membres de la Cour constitutionnelle. Par conséquent, aussi longtemps qu’ils exécutent les fonctions de juge à la Cour constitutionnelle, on ne peut pas prétendre leur appliquer le statut des magistrats pour leur opposer une nomination comme magistrat de carrière».
Dans le même communiqué, la Présidence de la République estime que les anciens juges constitutionnels Noel Kilomba Ngozi Mala et Jean Ubulu Pungu, qui ont été récemment nommés à la Cour de cassation et qui n’ont pas prêté serment, sont réputés démissionnaires endéans un mois dès leur notification, s’ils ne prêtent toujours pas serment: «Ayant manifesté le refus de prêter serment devant le Chef de l’Etat, il revient à ce dernier, de constater la démission d’office de ces membres de la Cour de cassation, conformément aux dispositions de la loi». En effet, à l’article 45, alinéa 3, la loi portant Statut des magistrats dispose que « est considéré magistrat démissionnaire, tout celui qui n’a pas prêté serment ou renouvelé, dans un délai d’un mois ».
«S’agissant de leur fonction à la Cour de cassation, l’article 45 point 3 de la loi organique n 06/020 du 10 octobre 2006 portant statuts des magistrats dispose: Est considéré comme démissionnaire d’office le magistrat qui n’a pas prêté ou renouvelé le serment, prévu à l’article 5, dans le délai d’un mois à partir du jour où il lui a été notifié une invitation écrite à ce faire. L’alinéa 2 du même article dispose que la démission est constatée par une ordonnance du Président de la République, sur proposition du conseil supérieur de la magistrature», explique le communiqué.
Tshisekedi prépare-t-il un glissement?
L’opposition, et même le camp de Joseph Kabila, contestent vigoureusement les nouvelles nominations à la Cour constitutionnelle. Si la polémique est vive, c’est surtout parce que de telles nominations à la plus haute institution judiciaire de la RDC visent des objectifs qui font craindre une tentative de contrôler complètement le processus électoral à venir. En effet, selon la Constitution de la RDC, la Cour constitutionnelle est notamment arbitre des contentieux électoraux. C’est elle qui valide tout le processus, du calendrier à la publication des résultats définitifs, en passant par la validation des candidatures, ainsi que leurs rejets.
À Limete, la commune du centre de Kinshasa où se situe le siège de l’Union pour la Démocratique et le Progrès social (UDPS), des partisans du Chef de l’État ne cachent pas leur volonté. Dans une série des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, des militants du «Parlement débout», qui tiennent des sessions de discussions à la gloire de Félix Tshisekedi, ont ouvertement fait savoir qu’il n’y aura pas d’élections en 2023 comme le prévoit la loi, même si le mandat actuel du Chef de l’État expire à cette échéance. Ils prônent ouvertement un «glissement» des prochaines élections.
Félix Tshisekedi prépare-t-il donc un éventuel report des élections de 2023, à l’image de celui des élections de 2016? En tout cas, c’est ce que craignent beaucoup de Congolais, en regardant les querelles autour de la Cour constitutionnelle.
La deuxième année du quinquennat de tous les changements est largement entamée, sans résultats tangibles. «Comment faire pour durer au-delà du terme constitutionnel, de crainte de n’être congédié par le souverain primaire? Glisser!», s’exclame un internaute.
Autour du Chef de l’État congolais, on dément, sans pourtant expliquer tous ces passages en force autour de la Cour constitutionnelle. Si les responsables politiques autour du président congolais n’ont pas ouvertement évoqué un éventuel report des élections de 2023, les actions posées et la réalité semblent aller dans ce sens. À moins de trois ans de l’échéance, aucune préparation n’est visible du côté de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), qui doit commencer par la désignation polémique des nouveaux acteurs, ainsi qu’un appel à des reformes et dialogue, initié par des proches de Tshisekedi, qui risquent, en réalité, de prendre du temps. Est-ce une porte ouverte vers un glissement?[7]
[1] Cf Politico.cd, 26.06.’20
[2] Cf RFI, 28.06.’20
[3] Cf Politico.cd, 29.06.’20
[4] Cf Politico.cd, 04.07.’20
[5] Cf Thierry Mfundu – Politico.cd, 03.07.’20
[6] Cf Patient Ligodi – RFI, 11.07.’20
[7] Cf Politico.cd, 14.08.’20 https://www.politico.cd/grand-angle/2020/08/14/felix-tshisekedi-la-cour-constitutionnelle-et-le-glissement-les-dessous-dun-coup-de-force.html/66598/
AFP – Lalibre.be-Afrique, 05.08.’20 https://afrique.lalibre.be/52980/rdc-deux-juges-de-la-cour-constitutionnelle-refusent-detre-mutes-a-la-cour-de-cassation/