SOMMAIRE
1. “BALKANISATION”, TENSIONS RÉGIONALES OU FAIBLESSE DE L’ÉTAT: LES VRAIES MENACES SUR LA STABILITÉ DES KIVUS
2. LE DÉBAT POLITIQUE AUTOUR DU RISQUE DE LA BALKANISATION
3. APRÈS 20 JOURS D’ACCALMIE, LA REPRISE DES MASSACRES COMMIS PAR LES ADF À BENI (NORD KIVU)
1. “BALKANISATION”, TENSIONS RÉGIONALES OU FAIBLESSE DE L’ÉTAT: LES VRAIES MENACES SUR LA STABILITÉ DES KIVUS
Kivu Security Tracker – 29 janvier 2020[1]
La scène s’est produite à Baraka, au Sud-Kivu, le 17 janvier. Un jeune militant de la plateforme d’opposition congolaise Lamuka, coiffé d’un bandeau blanc, harangue la foule et déborde de haine. Il donne 48 heures aux Banyamulenge pour quitter le pays, ordonne de chasser les récalcitrants par la force et menace tous ceux qui aideront ou logeront les membres de cette minorité congolaise rwandophone.
Ce dérapage s’est produit à l’issue d’une manifestation nationale à l’appel de l’opposition contre la «balkanisation» du pays. En RD Congo ce terme désigne la crainte, très répandue, qu’il existerait un complot des Etats voisins, en association avec certaines communautés présentes sur le territoire congolais, pour annexer ses riches territoires de l’Est. Selon cette théorie, ces Etats enverraient clandestinement leurs ressortissants en RD Congo pour préparer cette annexion. Le plus souvent, ce sont les communautés tutsies de la région, et en particulier celle du Rwanda, qui sont désignées comme étant les comploteurs.
Ce thème, qui revient régulièrement dans le débat congolais, a été renforcé dans les années 1990 et 2000, par l’occupation de grandes parties du territoire congolais par des rébellions dirigées en partie par des membres des communautés congolaises rwandophones et soutenues par l’Ouganda (RCD/K-ML) et le Rwanda (RCD-Goma).
Ces dernières semaines, il connait un regain de popularité, notamment depuis un point de presse du cardinal Fridolin Ambongo, plus haute autorité catholique du pays, lors d’une visite à Beni. Lors de ce discours, il a en effet affirmé que les massacres qui touchent ce territoire depuis novembre étaient «planifiés» avec pour «objectif […] la balkanisation du pays». «Cela se vérifie à travers le remplacement de la population déplacée par des populations généralement rwandophones et ougandophones», a-t-il ajouté, dénonçant le «déversement» de populations par les pays voisins, dont l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi.
Malgré les précautions oratoires du prélat, qui a notamment confirmé la nationalité congolaise de certaines communautés rwandophones, dont les Banyamulenge, la diffusion de cette thèse pourrait renforcer la défiance contre ces minorités. Plusieurs messages haineux, comparables à ceux de Baraka, ont en effet circulé sur les réseaux sociaux tout au long du mois de janvier.
Ces suspicions ont également été alimentées par les propos maladroits de Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président de la République, présent au Rwanda le 4 janvier, pour le mariage d’un fils de l’ancien ministre rwandais de la défense James Kabarebe. Vital Kamerhe a en effet dit offrir 30 vaches pour «consolider les relations» entre le Rwanda et le «Kivu», comme si les provinces de l’Est de la RD Congo constituaient une entité séparée du reste du pays.
L’opposant et candidat à la dernière élection présidentielle, Martin Fayulu, qui utilise la rhétorique de la balkanisation depuis plusieurs années, a profité de ce contexte pour réitérer ses propos, accusant même publiquement le président Félix Tshisekedi et son prédécesseur, Joseph Kabila, de poursuivre ce projet. Il affirme même que Félix Tshisekedi chercherait à mener la «balkanisation» à son terme, en complicité avec le président rwandais Paul Kagame.
Ce thème, qui offre une explication simple à des problèmes complexes, rencontre en tout cas un réel succès populaire. Et les affrontements intenses, qui ont notamment touché trois zones de l’Est congolais ces derniers mois, ont notamment contribué à renforcer sa popularité.
– Ceux du territoire de Beni, tout d’abord, cité par Mgr Ambongo à l’appui de son discours. Deux cent soixante-cinq civils y ont été tués principalement par la mystérieuse rébellion islamiste d’origine ougandaise des Forces Démocratiques Alliées (ADF) depuis novembre, selon le dernier décompte du Baromètre Sécuritaire du Kivu (KST). Ce mode opératoire, particulièrement brutal et difficilement compréhensible, a de fait abouti à des déplacements internes de civils fuyant les massacres.
– Ceux des hauts-plateaux de Fizi et Uvira, ensuite. Des groupes armés issus des communautés locales Banyindu, Babembe et Bafuliru y contestent la création de la commune rurale de Minembwe, située dans une zone majoritairement Banyamulenge. Des violences contre les civils et des vols de bétail, y ont notamment été commises. Dans le même temps, des groupes armés banyamulenge, prétendant défendre leur communauté, ont également commis des violences contre des civils. De nombreux villages ont été brûlés au cours de cette crise qui a amené, là aussi, à des déplacements de population. La défection du colonel de l’armée congolaise Michel Rukunda, alias Makanika, (un munyamulenge) début janvier, est venu accréditer l’idée qu’une vaste rébellion banyamulenge serait en gestation. C’est «l’expansionnisme Banyamulenge», assure ainsi un responsable politique de la ville de Bukavu au KST.
– Le troisième conflit alimentant les suspicions est celui déclenché, fin novembre, par l’armée congolaise, pour déloger la rébellion hutu rwandaise du Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie (CNRD) du territoire de Kalehe. Comme dans le territoire de Rutshuru les mois précédents, de nombreuses sources locales ont rapporté la présence de soldats du gouvernement rwandais sous uniforme congolais. Selon plusieurs d’entre elles, des habitants effrayés ont alors déserté les villages de Kigogo et Kasika.
Mais ces trois situations semblent en réalité obéir à des logiques locales différentes et il paraît difficile d’y voir un plan concerté à l’échelle régionale.
– Dans le territoire de Beni, les ADF, sont arrivés il y a près de 25 ans avec l’objectif de lutter contre le pouvoir de Kampala. Ils ont tissé des relations avec des communautés locales et ont notamment tiré profit de leurs conflits, selon les recherches du Groupe d’étude sur le Congo (GEC). Ce groupe pourrait avoir, dans une certaine mesure, des ambitions territoriales, mais il paraît difficilement imaginable qu’elles puissent un jour aboutir à la reconnaissance internationale d’un Etat indépendant ou à un rattachement à l’Ouganda.
Pourtant, dans son discours du 3 janvier, Mgr Ambongo a affirmé que des «immigrés rwandais chassés de Tanzanie il y a quelques années» ont été «déversés» dans les zones vidées de leur population par les massacres. Il s’agit d’une référence aux migrations de populations hutues qui ont quitté ces dernières années des territoires congolais de Masisi et Lubero vers la province de l’Ituri, et qui ont transité par Beni. L’ampleur et l’actualité de ces migrations restent toutefois difficiles à évaluer. Elle ne semblent, en tout cas, ne concerner que très marginalement les zones urbaines du territoire de Beni, cible principale des massacres récents.
– Sur les hauts plateaux de Fizi et Uvira, ensuite, les groupes armés banyamulenge paraissent affaiblis, divisés, et pourraient très difficilement avoir les moyens de projets indépendantistes. Le profil du colonel renégat, Makanika, cadre par ailleurs mal avec l’idée que les groupes armés banyamulenge seraient complices du Rwanda. Makanika a, au contraire, pris part à de nombreuses rébellions contre Kigali dans les années 2000, et il était encore décrit en 2013 comme «fermement opposé au Rwanda». Plusieurs membres de la société civile banyamulenge expriment en outre de la défiance vis-à-vis du Rwanda, affirmant notamment que les rébellions et groupes mai-mai qui les menacent sont soutenues par Kigali, qui chercherait ainsi de les punir d’avoir abrité en leur sein une rébellion rwandaise: le Congrès National Rwandais (RNC).
De plus, malgré de nombreuses rumeurs, peu d’officiers congolais semblent avoir suivi les traces Makanika. Il a certes été rejoint par d’anciens militaires revenus de l’étranger, comme Gakunzi Masabo et Alexis Gasita dans son fief de Kajembwe. Mais la plupart des leaders militaires banyamulenge actifs dans l’armée congolaise, comme Masunzu, Venant Bisogo, et Mustafa, sont actuellement stationnés très loin du front, dans l’ouest du pays. L’ancien chef rebelle Richard Tawimbi se trouve lui aussi, dans la capitale congolaise. Et les autres officiers banyamulenge sont étroitement surveillés par leurs collègues. Trois officiers banyamulenge soupçonnés de vouloir faire défection – le lieutenant-colonel Joli Mufoko Rugwe, le major Sébastien Mugemani et le sous-lieutenant Aimable Rukuyana Nyamugume – sont ainsi aux arrêts depuis plusieurs mois au camp Saïo à Bukavu, selon une source militaire et une source de la société civile locale.
– Dernier territoire où la réalité de terrain correspond mal à la théorie de la balkanisation: celui de Kalehe. Plusieurs sources des autorités coutumières locales, onusiennes, diplomatiques et militaires congolaises, ont, il est vrai, confirmé au KST la présence d’éléments des Forces de Défense Rwandaises (RDF) lors de l’offensive contre le Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie (CNRD). Les estimations de leur nombre divergent considérablement: de quelques officiers de renseignement à plusieurs bataillons. Mais, selon une source militaire congolaise, qui affirme avoir été présente lors de l’arrivée discrète d’un bataillon rwandais, ces opérations sont ponctuelles et acceptées par le président Félix Tshisekedi. Elles n’auraient été dissimulées que par crainte d’une réaction hostile des habitants. Surtout, plutôt que de «déverser» des populations rwandophones en RD Congo, elles ont abouti au contraire au rapatriement de près de 2500 membres rebelles rwandais du CNRD (combattants et familles) de la RD Congo vers le Rwanda.
La théorie de la balkanisation décrit donc mal les conflits divers qui touchent les Kivus. Contrairement à la situation des années 2000-2013, aucune rébellion rwandophone congolaise ne semble en réalité être soutenue par le Rwanda actuellement.
Cela ne signifie pas, pour autant, que la situation actuelle soit rassurante. Des dizaines de milliers de Congolais de l’Est vivent dans des territoires sous contrôle de plus d’une centaine de groupes armés et échappent, de fait, à la souveraineté de Kinshasa. Plus qu’un plan régional concerté entre Etats voisins pour dépecer la RD Congo, ce sont les tensions entre ces mêmes états, conjugués à la faiblesse des autorités congolaises, qui paraissent menacer la stabilité des Kivus.
L’Ouganda et le Burundi d’une part, et le Rwanda d’autre part, s’accusent en effet mutuellement de soutenir des groupes dissidents dans l’Est du Congo et n’hésitent pas à les combattre, soit directement, soit par l’intermédiaire de groupes alliés.
Kigali a notamment accusé le Burundi et l’Ouganda de soutenir le RNC qui, toutefois, a été considérablement affaibli, dans des conditions mystérieuses, en 2019: il ne dispose que de moins d’une cinquantaine d’homme près du village de Miti.
Plusieurs attaques, menées à partir du territoire congolais, ont en outre touché le Burundi et le Rwanda ces derniers mois. Ce fut le cas de l’attaque de Kinigi au Rwanda le 6 octobre attribuée par Kigali à la rébellion hutu rwandaise du Rassemblement pour l’Unité et la Démocratie (RUD) qui serait soutenue par l’Ouganda. Puis de celle du 22 octobre à Musigati, au Burundi, revendiquée par les RED-Tabara, un groupe rebelle burundais opérant au Sud-Kivu. Le 16 novembre enfin, le Burundi a subi une nouvelle attaque, à Mabayi, pour laquelle le président burundais a accusé le Rwanda.
Par ailleurs, plusieurs rébellions burundaises hostiles au gouvernement de Gitega sont présentes dans le Sud-Kivu, comme les RED-Tabara, le Frodebu ou encore les FNL. Selon une source militaire congolaise et un rapport des experts de l’ONU, le RED-Tabara, notamment, a été soutenu par Kigali ces dernières années. Par ailleurs, les Forces de Défense Nationale du Burundi (FDN) et les milices Imbonerakure (proches du pouvoir de Gitega) font régulièrement des incursions en RD Congo. Certains membres des autorités burundaises soutiendraient par ailleurs plusieurs groupes armés congolais, comme les Mai-mai Mbulu, dans la plaine de la Ruzizi, probablement pour prévenir l’éventualité d’une attaque sur leur sol.
Si l’élection présidentielle burundaise, prévue pour le mois de mai, devait provoquer une contestation violente comparable à la précédente, en 2015, le Sud-Kivu pourrait redevenir un champ de bataille. Cela ne signifierait pas, pour autant, que la «balkanisation» du pays soit en marche.
2. LE DÉBAT POLITIQUE AUTOUR DU RISQUE DE LA BALKANISATION
Le 17 janvier, dans un meeting tenu au stade de l’unité de Goma (Nord-Kivu), à l’occasion de la commémoration de l’assassinat de Emery Patrice Lumumba, le député national Jean Baptiste Kasekwa, secrétaire exécutif de l’ECIDE de Martin Fayulu, a appelé à la mobilisation contre la balkanisation de la République Démocratique du Congo (RDC).
Il a dénoncé l’existence d’un plan d’occupation des terres abandonnées par des habitants fuyant les atrocités des présumés ADF dans la région de Beni. Selon lui, il s’agit d’une stratégie qui vise à peupler la zone par des gens qui, dans l’avenir, pourraient voter pour tout prétendu référendum d’autodétermination: «Dans une première étape, ils veulent faire entrer plus d’un million des prétendus réfugiés qui se trouvent en Ouganda, et quand ils seront déjà au pays, la deuxième étape sera de faire voter le référendum d’autodétermination, grâce auquel ces gens auront l’occasion de soutenir la Balkanisation du Pays, comme au Soudan».[2]
Le 18 janvier, le vice-ministre de l’Enseignement Primaire Secondaire et Technique (EPST), Didier Budimbu, s’est exprimé sur le risque de balkanisation qui pèse sur la République Démocratique du Congo, décrié par plusieurs personnalités du pays, dont le cardinal Fridolin Ambongo. Selon lui, «la balkanisation du Pays est une vaste blague de mauvais goût. Pendant un moment, le Congo était pratiquement divisé en 4… C’est en ce moment-là qu’il fallait qu’il y ait la balkanisation. Ҫa n’a pas pu avoir lieu. Et maintenant que les FARDC sont en train de gagner sur le terrain, au prix des sacrifices de nos commandos qui sont en train de mourir pour défendre ce pays, on parle de balkanisation». Autorité morale du parti politique Autre Vision du Congo (AVC), Didier Budimbu a dès lors demandé à ceux qui parlent de la balkanisation dans le but d’obtenir un dialogue politique, de patienter jusqu’en 2023, lorsqu’il y aura des élections pour espérer accéder à des postes de responsabilité: «On parle de balkanisation, car il y a des gens qui veulent qu’on puisse s’asseoir autour d’une table pour devenir ministre ou PDG. Qu’ils attendent en 2023. Le dialogue et consort on en parlera en 2023 dans les urnes».[3]
Le 19 janvier, dans une note, le président national de la Nouvelle Société Civile Congolaise, (NSCC), Jonas Tshombela, a souligné que le projet de balkanisation du pays ne date pas d’aujourd’hui: «Les velléités de balkanisation de la RDC ne datent pas d’aujourd’hui. Ce projet a échoué hier, est en train d’échouer aujourd’hui et échouera encore demain. Le Zaïre, actuel Congo, reste un et indivisible, ne cessait de clamer le Maréchal Mobutu». En outre, il a souligné que dès l’accession de la RDC à l’indépendance, «l’ancien premier ministre Patrice Emery Lumumba dénonçait déjà le plan de balkanisation de la RDC en pointant du doigt la Belgique. Plusieurs années après, beaucoup d’autres ont fustigé, d’une manière ou d’une autre, ce plan diabolique de la balkansation de la RDC, en pointant du doigt les pays voisins et les multinationales, qui profitent des faiblesses de l’Etat congolais, surtout en ce qui concerne l’insuffisance de l’autorité de l’État sur le territoire».
Jonas Tshombela a affirmé que cette question qui soulève débat et passion, semble devenir le cheval de bataille de certains acteurs politiques Congolais. «Où étaient-ils tout ce temps? Est-ce de la récupération politicienne de cette question?», s’est-il interrogé, en ajoutant: «La situation sécuritaire extrêmement préoccupante de Beni et de Butembo, comme celle de l’ensemble du pays, nécessite un diagnostic dépassionné et dépolitisé». Jonas Tshombela persiste et signe qu’il s’agit d’une cause nationale qui exige un comportement rassembleur et une unité d’efforts communautaires au-delà des intérêts égoïstes des uns et des autres: «Le dépassement de soi s’impose à tous».[4]
Le 20 janvier, au cours d’une interview, le professeur André Mbata, élu national du territoire de Dimbelenge (Kasaï Central), a déclaré que «le pays n’est pas balkanisé et il ne le sera jamais, même pas à 1%», car il est en train d’être pacifié dans la plupart des zones où sévisse l’insécurité.
Il a donc fustigé les propos tenus par le cardinal Fridolin Ambongo et certains leaders de la coalition LAMUKA, notamment Adolphe Muzito et Martin Fayulu, sur la balkanisation du pays.[5]
3. APRÈS 20 JOURS D’ACCALMIE, LA REPRISE DES MASSACRES COMMIS PAR LES ADF À BENI (NORD KIVU)
Un ex combattant des Forces Démocratiques Alliées (ADF), Kayigunza Elias, capturé dans les brousses du territoire de Beni et interrogé par des journalistes d’Oicha, a affirmé que chaque ADF reçoit 30.000 fc par semaine, pour tuer les civils: «On nous donne 30.000fc par personne et cela chaque semaine, afin de tuer les civils. L’argent que nous recevons nous l’utilisons pour acheter des biens aux marchés de Beni, Oicha et ailleurs. Nous y allons en tenue civile comme les autres habitants sur place. Nos dirigeants nous disent que nous allons récupérer les maisons abandonnées par les civils et aussi leurs champs. Notre base était Kididiwe et mon chef était un Ougandais du nom de « Chauffeur ». On nous avait pris à partir de Isale (Bashus), au nombre de 400 personnes, pendant que nous étions en train de mener les activités champêtres. C’est à travers un hélicoptère que nous avons été embarqués jusque dans les forêts où nous étions. Là, on commence à donner des médicaments (drogue), afin de mener des actions contre les civils. Nous avons tué à Eringeti, Mayimoya, Boikene, Mavivi et Oicha, où moi-même j’ai exécuté une dizaine de personnes». Les ADF sont un groupe armé d’origine ougandaise, mais très actif dans le territoire de Beni (Nord Kivu), dans l’Est de la République Démocratique du Congo.[6]
Lors de la présentation au Conseil de sécurité de l’ONU, le 21 janvier, des conclusions d’une évaluation indépendante menée par des experts des Nations Unies, le général brésilien Carlos Alberto Dos Santos Cruz a affirmé que, au cours des seuls mois de novembre et décembre 2019, plus de 260 civils ont été tués dans la région de Beni (Nord-Kivu), dans l’est de la RD Congo, par des combattants présumés du groupe rebelle des Forces Démocratiques Alliées (ADF). «Ces groupes sont des groupes armés mais sont aussi une forme de crime organisé. Ils maitrisent de nombreuses activités lucratives illégales transfrontalières avec les pays voisins. Il est donc difficile d’agir contre eux car ils n’ont pas d’agenda politique, ni une stratégie militaire, mais un comportement criminel», a précisé l’officier militaire brésilien.[7]
Le 20 janvier, des sources judiciaires ont annoncé que au moins 181 présumés auteurs de l’insécurité dans les régions de Beni, Butembo et Lubero seront bientôt jugés par la cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu. Accusées par la justice militaire de terrorisme, participation à un mouvement insurrectionnel et association des malfaiteurs, ces personnes sont détenues depuis quelques mois à la prison centrale de Kangbayi de Beni.
Parmi ces personnes, se trouvent 130 présumés combattants ADF et leurs collaborateurs, vingt-cinq miliciens Maï-Maï et vingt-six autres personnes poursuivies dans l’attaque et l’incendie du 24 décembre 2017 dans la résidence de l’ancien chef de l’Etat Joseph Kabila situé à Musyenene.[8]
Le 21 janvier, dans la soirée, l’armée a repoussé une attaque de présumés combattants ADF contre sa position dans la localité de Kokola, située près de Mayimoya, à plus ou moins 60 kilomètres, vers la partie Nord de la ville de Beni, dans le groupement Bambuba-Kisiki sur la route Oicha-Eringeti (Nord Kivu). Les assaillants sont allés affronter l’armée régulière vers 18h00 à Kokola et 19h00 à Tekelibo, avant d’être repoussés dans leurs tentatives. Ils n’ont pas lâché. Le matin suivant, autour de 9h30, ils auraient tendu une embuscade aux soldats venus en renforts à leurs compagnons d’armes à Kayitavula, mais ils ont été également repoussés par les militaires loyalistes.[9]
Le 22 janvier, au moins neuf personnes ont été tuées et 14 autres portées disparues dans une nouvelle attaque attribuée aux combattants des Forces Démocratiques Alliées (ADF) dans la localité de Mayimoya, située sur la RN4 dans le territoire de Beni (Nord-Kivu).
Selon Patrick Musubao, président de la société civile de Mayimoya, l’attaque a débuté vers 10H00 locales. Ces miliciens ont également pillé certains biens de la population, avant de se retirer dans la forêt. Suite à cette attaque, la population s’est déplacée, les uns vers Eringeti et les autres vers Oicha. C’est la première attaque sanglante des combattants ADF qu’on puisse enregistrer à Beni depuis le début de l’année 2020, après 21 jours d’accalmie.[10]
Le 22 janvier, pendant la nuit, deux autres civils, dont un homme et un enfant de 5 ans, ont été tués, trois maisons incendiées et plusieurs animaux domestiques pillés, dans une nouvelle attaque ADF au quartier Mabasele, à l’ouest de la cité d’Oicha. Ces tueries portent à 11 le nombre des personnes morts dans les attaques de à Beni en l’intervalle de 24 heures seulement.[11]
Le 24 janvier, les FARDC appuyées par la police et les casques bleus de la Monusco ont repoussé une nouvelle attaque des ADF a Oicha, chef-lieu du territoire de Beni, situé à 30 kilomètres au Nord-Est de la Ville de Beni. Selon des sources militaires, un militaire FARDC a été tué et un autre blessé pendant les combats. Selon les mêmes sources militaires, c’était à 1 h 30 minutes, heure locale que le groupe des ADF a lancé deux attaques simultanées sur deux positions du troisième bataillon de la 32e brigade des unités de réaction rapide des FARDC situées à Mabasele et Kabandoke à l’ouest d’Oicha.[12]
Le 28 janvier, tard dans la nuit, trente-six civils ont été tués et certaines femmes violées dans une série d’attaques attribuées à des miliciens ADF dans les villages de Manzingi, Mebendu et Mayabalo, en territoire de Beni (Nord-Kivu). Selon la société civile de Beni, qui confirme ce chiffre, la plupart de ces 36 victimes étaient dans leurs habitations lorsque les assaillants ont procédé à porte-à-porte, les tuant par balles et armes blanches. Ces nouveaux massacres portent à 292 le nombre des civils tués par les ADF dans la région de Beni, depuis le 30 octobre 2019, date du lancement par les FARDC des offensives contre ce groupe armé.[13]
Le 29 janvier, très tôt le matin, un civil et deux militaires ont été tués par des ADF à Eringeti, une localité du territoire de Beni, située à plus ou moins 60 Km au Nord-Est de la ville de Beni (Nord-Kivu). Le président de la société civile locale, Bravo Vukulu, a déclaré que le civil tué est identifié comme pasteur de l’église anglicane d’Eringeti. Il a par ailleurs appelé les FARDC à poursuivre sans relâchement la traque des ADF, pour ne pas leur permettre de se réorganiser.[14]
Après ces dernières tueries, la société civile locale est formelle: les attaques dans ces zones ne sont pas surprenantes, car les opérations militaires ne s’y déroulent pas.
Selon le secrétaire rapporteur de la société civile territoire de Beni, Janvier Kasereka, «les attaques répétitives au niveau de l’ouest (d’Oicha) ne sont pas surprenantes. La présence de l’ennemi à l’ouest est bien documentée mais, curieusement, il n’y a pas d’opérations militaires qui soient organisées dans cette zone-là. Ce qui fait que, en errance après d’intenses combats au niveau de l’est, l’ennemi se déplace et se reconstitue à l’ouest. Nous pensons que ça doit interpeller l’autorité militaire, pour que les mêmes opérations qui sont organisées au niveau de l’est soient organisées aussi au niveau de l’ouest. Attendre qu’on finisse à l’est pour aller à l’ouest c’est donner la chance à l’ennemi de se reconstituer».[15]
La société civile de Beni met a en cause la stratégie des FARDC. Depuis le lancement de son offensive, fin octobre dernier, l’armée congolaise a concentré toutes ses forces à l’est de la route nationale n°4 qui relie Beni à l’Ituri, un peu plus au Nord. La société civile assure que le gros des présumés rebelles des ADF se sont alors repliés à l’ouest de ce grand axe routier, en même temps que la population. «Ils auraient mis à profit les dernières semaines pour se réorganiser», confirme un spécialiste de la région.[16]
Le 30 janvier, pendant la journée, au moins 33 civils ont été tués dans une série d’attaques simultanées attribuées aux ADF dans les localités de Mantumbi, Mamove, Mulolya et Aveli, situées à l’ouest de la cité d’Oicha,en territoire de Beni (Nord-Kivu). Parmi les victimes: 23 à Mantumbi, 6 à Mamove, 3 à Mulolya et 1 à Aveli. Au moins 73 personnes ont été tuées dans différentes attaques en 48 heures seulement. La plupart des tueries ont été commises à l’ouest de la cité d’Oicha. Au total, selon le décompte de Kivu Security Tracker, ce sont 312 personnes qui ont été tuées depuis novembre dernier dans la région de Beni.[17]
Le 31 janvier, vers 19h00, des miliciens Maï-Maï ont attaqué une position de la police à Mamove, situé à environ 18 kilomètres de Oicha, chef-lieu du territoire de Beni. 7 civils tués, 7 autres blessés et quelques biens de la population pillés, c’est le bilan provisoire de cette attaque commis par des Maï-Maï qui disaient venir restaurer l’autorité de l’État dans cette localité, en cherchant les ADF après les dernières tueries.[18]
Le 1er février, dans la soirée, au moins quatre civils, dont deux femmes et deux hommes, ont été exécutés par des combattants d’Allied Democratic Forces (ADF) dans une nouvelle attaque perpétrée dans la localité de Mamove. C’est la troisième attaque survenue dans cette localité dans l’intervalle d’une semaine. Ces différentes attaques ont fait au moins 19 morts, dont 9 liés aux attaques des miliciens mai-mai. La société civile du territoire de Beni, demande à l’armée de lancer aussi des opérations dites d’envergure dans la partie ouest de Beni.[19]
Le 1er février, pendant la nuit, 15 personnes ont été tuées au village Matumbi situé à la limite entre les provinces de l’Ituri et du Nord Kivu. Cette attaque est attribuée aux combattants des Foces Démocratiques Alliées (ADF).[20]
Le 2 février, pendant la nuit, au moins huit civils ont été tués par les combattants ADF à Ndalia et à Vulese (Ituri), près d’Eringeti (Nord-Kivu). La première attaque a eu lieu à Ndalia, à 23 heures. Les assaillants ont exécuté à la machette 5 personnes sur place. Non loin de là, 3 autres corps des membres d’une même famille ont été découverts à Vulese. Il s’agit d’un secouriste de la société nationale de la Croix rouge, de sa femme et de son enfant qui ont été tués à la machette. Après la région de Beni, c’est maintenant la province voisine de l’Ituri qui est aussi touchée.[21]
Le 3 février, à l’issue de son assemblée générale extraordinaire tenue à Oicha, la Société civile de Beni a rapporté que, dans ce territoire, au moins 32 villages ont été attaqués en moins de deux mois, particulièrement sur l’axe Mavivi-Kainama. Elle a dénombré 353 mort et constaté que des femmes sont violées et éventrées et que des enfants ont été décapités à l’arme blanche.[22]
Le 5 février, l’Administrateur du territoire de Mambasa (Ituri), Idriss Koma Kokodila, a déclaré que vingt-trois personnes ont été tuées depuis dimanche 2 février à mardi 4 février par des présumés ADF dans sept localités différentes du groupement Bangole, à 96 Kilomètres de Mambasa-centre.
Ce nouveau massacre attribué aux présumés rebelles Ougandais des ADF a eu lieu dans les villages de Mandumbi, Makilidou, Mbothole, Musuku-Sabwa, Masenze, Kambiasa et Sangolo dans la Chefferie des Babila-Babombi. Pour sa part, l’Organisation de défense des droits de l’homme Convention pour le Respect de Droits de l’Homme (CRDH) rapporte que treize corps ont été découverts le dimanche 2 février dont six à Makilidou et sept autres à Musuku-Sabwa et Mbotole. Dix autres corps ont été découverts à Masenze et Kambiasa mardi 4 février.[23]
[1] Cf texte complet: https://blog.kivusecurity.org/fr/balkanisation-tensions-regionales-ou-faiblesse-de-letat-les-vraies-menaces-sur-la-stabilite-des-kivus/
[2] Cf Yvonne Kapinga – Actualité.cd, 17.01.’20
[3] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 18.01.’20
[4] Cf Alain Saveur Makoba – 7sur7.cd, 20.01.’20
[5] Cf Dostin Eugène Luange – 7sur7.cd, 21.01.’20
[6] Cf Bantou Kapanza Son – 7sur7.cd, 06.02.’20
[7] Cf Cas-info.ca, 23.01.’20
[8] Cf Radio Okapi, 20.01.’20
[9] Cf Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 22.01.’20
[10] Cf Yassin Kombi – Actualité.cd, 22.01.’20; Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 22.01.’20
[11] Cf Yassin Kombi – Actualité.cd, 23.01.’20; Bantou kapanza Son – 7sur7.cd, 23.01.’20
[12] Cf Radio Okapi, 24.01.’20
[13] Cf Radio Okapi, 30.01.’20
[14] Cf Radio Okapi, 29.01.’20
[15] Cf Yassin Kombi – Actualité.cd, 29.01.’20
[16] Cf RFI, 01.02.’20
[17] Cf Yassin Kombi – Actualité.cd, 30 et 31.01.’20
[18] Cf Bantou Kapanza Son – 7sur7.cd, 31.01.’20
[19] Cf Actualité.cd, 02.02.’20
[20] Cf Franck Asante – Actualité.cd, 03 et 05.02.’20 ;
[21] Cf Yassin Kombi – Actualité.cd, 03.02.’20
[22] Cf Actualité.cd, 04.02.’20
[23] Cf Radio Okapi, 05.02.’20