Congo Actualité n. 385

SOMMAIRE

1. FIN DES NÉGOCIATIONS ENTRE LE FCC ET CACH POUR LA FORMATION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT
2. LES CONSULTATIONS DU PREMIER MINISTRE POUR LA FORMATION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT
3. LA PUBLICATION DE LA COMPOSITION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT
4. L’ADOPTION DU PROGRAMME GOUVERNEMENTAL PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE
5. LE COÛT TRÈS ÉLEVÉ DES INSTITUTIONS POLITIQUES CONGOLAISES

1. FIN DES NÉGOCIATIONS ENTRE LE FCC ET CACH POUR LA FORMATION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT

Le 29 juillet, le Front Commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila et Cap pour le Changement (CACH) de Felix Antoine Tshisekedi ont signé les documents de fin de négociation pour la formation du nouveau gouvernement et ont réitéré leur volonté de diriger le pays ensemble, dans un régime de coalition. Dans un communiqué final, les deux plateformes CACH et FCC ont formalisé l’existence de leur coalition politique et énoncé les principes qui vont guider le Premier ministre Sylvestre Ilunkamba dans la formation du nouveau gouvernement: «l’effectivité de la coalition pour gouverner ensemble le Pays; la mise en place d’un programme commun de gouvernance; la formation d’un Gouvernement de coalition; la création d’un comité de suivi des mesures d’application du programme commun».
Le nouveau gouvernement comprendra 65 membres, dont 48 ministres (31 du FCC et 17 de CACH) et 17 vice-ministres (11 pour le FCC et 6 pour CACH). Le FCC aura donc 42 postes ministériels et CACH 23.
Les deux délégations qui ont participé aux négociations étaient composées de la manière suivante:
+ Pour le Front Commun pour le Congo (FCC)
Néhémie Mwilanya, coordonnateur du FCC et chef de délégation
Raymond Tshibanda, ex ministre des affaires étrangères
Général Etumba, ex chef d’état-major général
Emmanuel Ramazani, secrétaire permanent du PPRD
Aubin Minaku, ex président de l’assemblée nationale
Azarias Ruberwa, ministre d’Etat chargé de la décentralisation.
+ Pour le Cap pour le Changement (CACH)
Jean Marc Kabund, 1er vice-président de l’assemblée nationale et président a.i de l’UDPS, chef de la délégation,
Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS,
Me Mayo Mambeke, secrétaire général de l’UNC,
François Muamba, ex ministre du budget,
Dr Eteni Longondo, secretaire général adjoint de l’UDPS,
Rubens Mikindo, secrétaire adjoint de l’UDPS.[1]

Voici la répartition des ministères concordée entre le FCC et CACH:[2]

MINISTÈRE MINISTRE VICE MINISTRE
1 Justice : FCC CACH
2 Intérieur et sécurité: CACH FCC
3 Défense : FCC
4 Affaires étrangères : CACH FCC
5 Coopération internationale et francophonie : FCC FCC
6 Décentralisation et réforme institutionnelle : FCC
7 Droits humains : FCC
8 Relation avec le Parlement : FCC
9 Communications et médias : CACH
10 Action humanitaire et Solidarité nationale : FCC
11 Ministre près du président de la République : CACH
12 Ministre près du Premier ministre : FCC
13 Ministre délégué à la Défense : CACH
14 Ministre délégué à l’Intérieur : FCC
15 Plan : FCC FCC
16 Finances : FCC CACH
17 Budget : CACH FCC
18 Portefeuille : FCC
19 Economie : CACH FCC
20 Industrie : FCC
21 Commerce extérieur : FCC
22 Classes moyennes et PME : FCC
23 Tourisme : CACH
24 ITPR : FCC CACH
25 Mines : FCC
26 Ressources hydrauliques : CACH FCC
27 Hydrocarbures : CACH FCC
28 Environnement : FCC CACH
29 Transports et voies de communication : FCC FCC
30 PTNTIC : CACH
31 Agriculture : CACH
32 Pêche et élevage : FCC
33 Développement : FCC
34 Artisanat et formation professionnelle : CACH
35 Aménagement du territoire : FCC
36 Urbanisme : FCC
37 Santé : CACH FCC
38 Affaires sociales : CACH
39 EPST : FCC CACH
40 ESU : FCC CACH
41 Recherche scientifique : FCC
42 Formation professionnelle : CACH
43 Genre : FCC
44 Emploi : FCC
45 Fonction publique : FCC FCC
46 Jeunesse : CACH
47 Sports : FCC
48 Cultures et Arts : FCC

Comme on peut constater, les Affaires étrangères et l’Intérieur tombent dans l’escarcelle de la coalition Cach de Félix Tshisekedi, mais le chef de l’État n’a obtenu ni la Défense ni la Justice qui restent aux mains du FCC de Joseph Kabila. Dans le secteur économique, tout aussi convoité, Cach obtient finalement, selon nos sources, les ministères du Budget et de l’Économie, tandis que le FCC conserve la main sur les très stratégiques ministères des Mines et des Finances.[3]

Le 30 juillet, dans un communiqué de presse, la conférence des présidents des partis politiques membres de l’Alliance des Forces Démocratiques du Congo et Alliés (AFDC-A) a réitéré le soutien à son président, Bahati Lukwebo et, «tirant la conséquence de son autonomie, lui a donné pleins pouvoirs et mandat d’entrer en contact avec Son excellence Monsieur le président de la République, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, l’honorable présidente de l’Assemblée nationale, Jeanine Mabunda Lioko, l’honorable président du Sénat, Alexis Thambwe Mwamba, et Son excellence Monsieur le Premier ministre, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, dans le cadre des consultations pour la mise en place du gouvernement».[4]

Le 30 juillet, dans une correspondance, l’autorité morale de l’Alliance des Forces Démocratiques du Congo et Alliés (AFDC-A), Modeste Bahati Lukwebo, a saisi le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba au sujet de la formation du gouvernement. Selon lui, compte tenu de son poids politique, l’AFDC-A mérite d’avoir quelques ministères dans la prochaine équipe de l’exécutif national: «nous vous prions de bien vouloir dégager le quota revenant au Regroupement AFDC-A et qui proportionnellement est constitué de quatre ministères, dont un vice-premier ministre, un ministre d’État, un ministre et un vice-ministre. Ce quota est à déduire du quota global du FCC, car la répartition initiale des quotas avait aussi tenu compte du poids politique de l’AFDC-A avant l’autonomie de ce dernier au sein de la majorité parlementaire».[5]

Le 30 juillet, le président de l’Association africaine de défense des droits de l’homme (ASADHO), Jean-Claude Katende, a déclaré qu’il aurait souhaité que l’exécutif national soit composé au maximum de 40 ministres. Selon son vœu, ce gouvernement devrait aussi s’ouvrir à d’autres plateformes, comme l’Alliance des Forces Démocratiques du Congo et alliés (AFDC-A), qui a beaucoup de députés  et la coalition Lamuka, à moins qu’elle-même refuse d’y participer. En outre, selon ce défensuer des droits de l’homme, la taille du futur gouvernement risque d’affecter le budget de l’Etat: «Nous sommes sûrs qu’une grande partie du budget de notre pays sera engloutie dans l’entretien des ministres et vice-ministres».[6]

2. LES CONSULTATIONS DU PREMIER MINISTRE POUR LA FORMATION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT

Le 06 août, dans un communiqué de presse, le service de communication du Premier ministre Ilunga Ilunkamba a annoncé le début des consultations pour la formation du nouveau gouvernement.
Mercredi 07 août, le Premier ministre va recevoir le secrétaire général de l’UDPS Jean- Marc Kabund et le coordonnateur du FCC Néhémie Mwilanya. Ils seront à la tête de 10 délégués de leur regroupement politique.
Le jeudi 08 août, Ilunga Ilunkamba va recevoir séparément les deux regroupements politiques de la coalition gouvernementale, FCC – CACH.
Le vendredi 09 août sera le tour des forces vives, confessions religieuses, les entreprises publiques (Aneap), le patronat (FEC), deux délégations des jeunes et des femmes.
Toujours le même vendredi, FCC et CACH vont élaborer le projet des listes des candidats membres du gouvernement à raison de 3 noms par poste ministériel.
Le samedi 10 août, remise officielle de ces projets des listes au Premier ministre.[7]

Le 10 août, dans un communiqué de presse, le cabinet du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a annoncé la date de la cérémonie de réception des listes des candidats ministrables.
«Le cabinet du 1er ministre Ilunga Ilunkamba annonce que la cérémonie solennelle de réception des listes des personnalités proposées par chacune des deux plateformes politiques (FCC et CACH) membres de la coalition au pouvoir, pour faire partie de l’équipe gouvernementale, se déroulera ce dimanche 11 août 2019, à 15 heures, à l’immeuble intelligent», lit-on dans ce communiqué signé par Albert LIeke, conseiller en communication.[8]

Le 11 août, les coordinateurs du Front Commun pour le Congo (FCC), Néhémie Mwilanya, et son homologue du Cap pour le Changement (CACH), Jean-Marc Kabund, ont remis au premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba les listes des leurs candidats aux différents postes ministériels du nouveau gouvernement.[9]

Le Front Commun pour le Congo (FCC), coalition majoritaire à l’assemblée nationale qui revendique près de 330 députés nationaux sur 500, a défini une clé de répartition pour le partage des responsabilités au sein du gouvernement, entre les 21 regroupements et parti politiques qui le composent. Ainsi pour prétendre à un poste ministériel dans le gouvernement Sylvestre Ilunga Ilunkamba qui en comptera 65 dont 42 pour FCC et 23 pour CACH, il faudra pour le regroupement ou le parti membre du FCC, avoir au moins 8 députés pour un poste de ministre et 4 pour un poste de vice-ministre. En outre, l’autorité morale du FCC, Joseph Kabila Kabange, a droit à 10% sur le quota réservé à sa plateforme et désignera d’autorité 2 ministres et 2 vice-ministres.
Par conséquent, la réparation des postes au gouvernement (ministres et vice-ministres) entre les 21 regroupements du FCC se présente comme suit:

  • PPRD (118 députés): 11 ministres et 3 vice-ministres
  • AAB de Balamage (27 députés): 3 ministres et 1 vice-ministre
  • AABC de l’ex gouverneur Paluku (19 députés): 2 ministres
  • AAA/a de Pius Muabilu (21 députés): 2 ministres
  • ADRP de François Rubota (21 députés): 2 ministres
  • Palu et Alliés (17 députés): 2 ministres
  • ACO de P. Bologna (12 députés): 1 ministre et 1 vice-ministre
  • ATIC de l’ex PM Matata (11 députés): 1 ministre
  • ABCE de Matenda (10 députés): 1 ministre
  • AAAC de G. Mikulu (10 députés): 1 ministre
  • Alliance de L. Mende (8 députés): 1 ministre
  • ADU de T. Luhaka (8 députés): 1 ministre
  • CODE de JL Mbusa (8 députés ): 1 ministre
  • G18 de Makila et Ruberwa (4 députés): 1 vice-ministre
  • RIA de M. Bongongo (4 députés): 1 vice ministre
  • APCO du PM Tshibala (4 députés): 1 vice-ministre
  • PRP de Jaynet Kabila (1 député): 1 vice- ministre
  • Le Centre de Kambinga (0 député): 0 poste
  • NOGEC de C. Mutamba (0 député): 0 poste
  • FUPA de Juliette Mughole (0 député): 0 poste.
  • Dissidence de AFDC-A restée fidèle à Kabila (20 députés environ): cas réservé à la discrétion des instances du FCC.[10]

Le 14 août, le chef de l’État Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo n’a pas validé la première mouture du gouvernement lui présentée par le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba.
Selon une source proche du Premier ministre, le Président a fait observer au Premier ministre que la liste ne respecte pas la recommandation sur la représentativité des femmes, ni les équilibres régionaux, ni l’équilibre entre les vielles figures de la politique de la RDC et les jeunes.
En outre, sur la liste des ministrables du FCC figurent aussi quelques noms de personnalités qui se retrouvent sous le coup de sanctions de l’Union européenne et des États-Unis, pour violation des droits de l’homme et entrave au processus électoral, ce qui dérangerait une grande partie de l’opinion publique, même si certains cadres du FCC estiment que les sanctions occidentales n’ont rien à voir avec une «condamnation judiciaire ferme». [11]

Le 17 août, le secrétaire général de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social, « UDPS », Augustin Kabuya, a révélé la répartition des postes ministériels au sein de la plateforme Cap pour le Changement, « CACH »: 15 pour l’UDPS et 8 pour l’Union pour la Nation Congoaise (UNC).. Sur les 15 ministères (ministres et vice-ministres) réservés à l’UDPS, Augustin Kabuya a indiqué qu’ils sont répartis comme suit:
– Société civile: 1
– UDPS-Kibasa: 1
– Regroupement des démocrates Tshisekedi (RDT): 1
– Les Alliés: 4
– Ligue des femmes: 1
– Ligue des jeunes: 1
– Commission Électorale Permanente (CEP): 1
– Pères fondateurs de l’UDPS: 1
– Exécutif du parti: 1
– Les fédéraux de l’UDPS (en raison de 3 zones linguistiques): 3.[12]

Le 17 août, le secrétaire général de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), Jean Baudoin Mayo Mambeke, a révélé que ce parti a obtenu 8 postes ministériels, dont 6 ministères et 2 vice-ministères. Les voici:

  • Vice- Premier ministre en charge du budget
  • Ministre d’Etat chargé des médias et de la communication
  • Ministre de l’énergie et des ressources hydrologiques
  • Ministre des affaires foncières
  • Ministre de la jeunesse
  • Ministre de la formation professionnelle
  • Vice-ministre Enseignement supérieur et universitaire
  • Vice-ministre de l’environnement.[13]

3. LA PUBLICATION DE LA COMPOSITION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT

Le 26 août, le Premier Ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a rendue publique la liste des membres du nouveau gouvernement. Il s’agit de 5 Vice-premiers ministres, 10 Ministres d’État, 31 Ministres, 3 Ministres délégués et 17 Vice-ministres.
Le nouveau gouvernement compte 77% de personnalités n’ayant jamais pris part à un gouvernement. Il comprend aussi 12 femmes, ce qui représente 17% de l’effectif gouvernemental.
La nouvelle équipe respecte aussi l’équilibre géopolitique du pays: 25% pour le Grand Kasaï, 22% pour le grand Kivu, 15% pour le Grand Katanga, 14% pour le grand Bandundu, 9% pour le Kongo Central, 9% pour le Grand Équateur et, enfin, 6% pour la grande Province Orientale.
L’un des enjeux pour le nouveau président congolais Félix Tshisekedi était de ne pas donner l’impression de reconduire le même gouvernement, malgré le nombre très important de ministres FCC (42 sur 65). En effet, les Évariste Boshab, Emmanuel Ramazani Shadary, Léonard She Okitundu, Lambert Mende, Aubin Minaku, Néhémie Mwilanya, Joseph Kokonyani, Kalev Mutond, Martin Kabwelulu, tous membres du FCC et, plus en particulier, du PPRD, ne se retrouvent pas sur la liste des ministres du nouveau gouvernement.
Cependant, toutes les formations des caciques du régime Kabila sont représentées avec la génération des secrétaires généraux adjoints ou des «dir cab». Par exemple, Jose Sele était celui de l’ex-Premier ministre Augustin Matata Ponyo. Il est ministre des Finances. Valery Mukasa était celui de l’éternel ministre des Mines Martin Kabwelulu. Il devient vice-ministre de la Coopération.
On peut citer aussi les «jeunes» gouverneurs de l’Est, Julien Paluku et Claude Nyamugabo.
L’ex-président Joseph Kabila place aussi quelques fidèles lieutenants parmi les nouveaux entrants, comme par exemple Célestin Tunda, à la Justice, il était secrétaire général adjoint du PPRD, ou encore Papy Pungu, une personnalité controversée pour ses positions radicales lorsqu’il était à la tête des Jeunes leaders du PPRD.
Il y a donc bien des fidèles dans ce gouvernement, du nouveau comme de l’ancien chef d’État. Mais pas de traitre. Les Bahati Lukwebo, Kin Kiey Mulumba et anciens du G7 qui avaient quitté les rangs de la coalition pro-Kabila ces dernières années ont été écartés du cabinet. Exit également les personnalités considérées comme traitres à l’UDPS comme Bruno Tshibala ou des figures hostiles au nouveau président du parti présidentiel, comme Jacquemain Shabani.
Aucun des ex membres de la plateforme de l’opposition LAMUKA qui avaient soutenu Félix Antoine Tshisekedi, soit avant ou après qu’il accède au pouvoir, ne figure non plus dans le gouvernement Ilunkamba. Ni Mbusa Nyamwisi, leader du RCD-ML, ni Delly Sesanga, secrétaire général de Ensemble, plateforme de Katumbi, ni Claudel Lubaya, coordonnateur de l’autre plateforme Katumbiste, AMK, ni Adam Bombole, une autre figure très importante de LAMUKA.
Parmi les absents, on compte aussi Modeste Bahati Lukwebo, dont le regroupement (AFDC-A) a été radié du FCC de Joseph Kabila. Dans une lettre adressée au Premier ministre, il réclamait quatre portefeuilles, dont un poste de vice–Premier ministre. Ni lui, ni aucun autre membre de son regroupement n’a finalement été repris.
Toutefois, quelques ministres du gouvernement sortant ont été reconduits au gouvernement Ilunkamba comme, par exemple, Azarias Ruberwa, qui devient ministre d’État et conserve le ministère de la Décentralisation et des réformes institutionnelles, ou encore Jean Lucien Bussa, qui garde le ministère du commerce extérieur. Les ministres Aimé Ngoy Mukena, Steve Mbikayi et Thomas Luhaka changent de portefeuilles. Thomas Luhaka quitte les infrastructures et travaux publics pour s’occuper désormais de l’enseignement supérieur et universitaire (ESU).
Steve Mbikayi qui a géré l’ESU sous les gouvernements Badibanga et Tshibala se voit confier les affaires humanitaires. L’ancien ministre des hydrocarbure Aimé Ngoy Mukena retrouve son fauteuil à la défense nationale, poste qu’il avait déjà occupé sous le gouvernement Matata. Aggé Matembo et Freddy Kita sont aussi maintenus comme vice – ministres tout comme Germain Kambinga.
Un autre ancien ministre qui fait son come – back s’appelle Justin Kalumba, natif de Kindu. Ministre des transports du gouvernement Matata, il revient au gouvernement trois ans après, pour s’occuper des petites et moyennes entreprises.[14]

Le nouveau gouvernement de coalition est le fruit de sept mois de tractations entre les familles politiques de l’actuel et de l’ancien président. Ces tractations ont eu lieu dans un climat de méfiance qui a débouché sur nombreux compromis et une architecture gouvernementale lourde et complexe, au point que certains observateurs s’interrogent sur l’efficacité de la nouvelle équipe.
La taille de ce gouvernement laisse les observateurs perplexes: 66 postes finalement, dont 17 de vice-ministres issus, dans la plupart des cas, d’un camp opposé à celui du ministre titulaire, dans un souci d’équilibre au sein de la coalition au pouvoir mais qui risque, selon certains, d’entraîner des «lourdeurs» voire des «paralysies». Avec également des risques de concurrence entre certains ministères qui ont été scindés en deux, comme celui des Affaires étrangères attribué à l’UDPS de Félix Tshisekedi, qui devra désormais composer avec un ministre de la Coopération et de l’Intégration régionale issu du camp opposé. Une source potentielle de conflit.
À cela s’ajoute, note le politologue Bob Kabamba, l’absence dans cette équipe de «poids lourds», au profit de personnalités inexpérimentées. Un choix délibéré, selon ce chercheur, pour maintenir le centre de décision hors du gouvernement, directement au niveau des deux chefs de coalition, Félix Tshisekedi et Joseph Kabila. «La part belle sera laissée à leurs cabinets et aux circuits parallèles», prédit aussi un diplomate non sans inquiétude, car la longueur des tractations ayant abouti à ce gouvernement a révélé le climat de « méfiance totale » qui règne selon cette source entre les deux partenaires au pouvoir, ce qui pourrait constituer in fine l’un des principaux obstacles au bon fonctionnement de l’équipe ministérielle.[15]

L’un de plus grands défis de ce gouvernement sera la mise en route de la gratuité de l’enseignement de base. Disposition constitutionnelle et surtout promesse ferme de Félix Tshisekedi, cette réforme doit être effective dès la rentrée scolaire de septembre. Il faudra mobiliser environ 2,5 milliards de dollars américains cette année pour payer les enseignants et construire de nouvelles salles de classe. Cette responsabilité a été confiée à Willy Bakonga, nommé ministre d’État en charge de l’Enseignement primaire, secondaire et technique. Cadre du PPRD, il avait déjà été deux fois ministre de la Jeunesse et des Sports.
L’autre défi de ce gouvernement est la lutte contre l’épidémie d’Ebola qui sévit dans le pays depuis plus d’une année et qui a causé déjà près de 2 000 morts. Cadre de l’UDPS, le docteur André Eteni Longondo a été nommé ministre de la Santé. Il aura notamment la charge, au nom du gouvernement, de collaborer avec le secrétariat technique piloté par le docteur Jean-Jacques Muyembe.
Parmi les urgences, on compte enfin l’insécurité dans l’est de la RDC. Au moins 1 900 personnes ont été tuées par les groupes armés de juin 2017 à juin 2019, dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Dans ce secteur, un proche de Félix Tshisekedi a été nommé vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Gilbert Kankonde. Aimé Ngoy Mukena, cadre du parti de Joseph Kabila, a quant à lui été nommé ministre de la Défense.[16]

4. L’ADOPTION DU PROGRAMME GOUVERNEMENTAL PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Le 15 août, dans un communiqué, le bureau de l’Assemblée Nationale a convoqué une session extraordinaire du 19 août au 7 septembre. Selon la présidente de cette institution, Jeanine Mabunda, la validation des pouvoir, l’audition du programme et l’investiture du gouvernement sont parmi les points inscrits à l’ordre du jour.[17]

Le 31 août, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a déposé au bureau de l’assemblée nationale le programme de son gouvernement. Ce programme ne comporte aucun chiffre, encore moins un chronogramme et se contente d’énumérer les actions à faire déclinées en 15 piliers.[18]

Le 3 septembre, le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba a présenté le programme de gouvernement aux députés qui composent l’Assemblée nationale. Il a présenté son programme sans préciser le coût de sa réalisation, ni mentionner de mesures précises. Parmi les quinze piliers de ce programme, on peut bien citer la pacification du pays; la promotion de la réconciliation, de la cohésion et de l’unité nationale; la lutte contre la corruption et les crimes économiques; la diversification de l’économie et la création des conditions d’une croissance inclusive; la lutte contre la pauvreté et la marginalisation sociale.
Sylvestre Ilunga a déclaré que ce programme viserait le «redressement de la nation par la base».
Dans son discours-programme, il a insisté sur l’instauration, dans les ministères, des « budgets programmes » basés sur les résultats précis à atteindre au bout d’une période donnée; l’opérationnalisation de la gratuité de l’enseignement de base dans les écoles publiques; l’accès pour tous aux soins de base, à l’eau et à l’électricité; la finalisation du cycle électoral avec l’organisation des élections locales et municipales; l’allocation des moyens nécessaires aux forces de défense et de sécurité, pour en finir avec les groupes armés dans l’est du pays; le rapatriement prochain des dépouilles de l’ancien Président de la République Joseph Mobutu, mort d’un cancer le 7 septembre 1997 à Rabat, au Maroc, où il a été enterré et de l’ancien Président de l’État du Katanga de 1960 à 1963 Moise Tchombe, mort en Algérie en 1969.
Pour financer ce programme, le recours aux partenaires extérieurs est de mise, mais Sylvestre Ilunga compte aussi sur les recettes internes qu’il veut faire gonfler. Cela passe, selon lui, par la création d’une juridiction spécialisée de lutte contre la corruption, la fraude fiscale, les fuites des capitaux, le blanchiment des capitaux et le détournement des deniers publics.
Voici les 15 piliers du programme:

  • Pacification du pays, promotion de la réconciliation, de la cohésion et de l’unité nationale;
  • Renforcement de l’autorité de l’Etat, promotion de l’Etat de droit et de la démocratie;
  • Redynamisation de la diplomatie et réhabilitation de son image de marque;
  • Lutte contre la corruption et les crimes économiques;
  • Amélioration de la gouvernance dans la gestion des ressources naturelles, des entreprises du portefeuille et de finances de l’Etat;
  • Amélioration du climat des affaires et promotion de l’entrepreneuriat et de la classe moyenne;
  • Diversification de l’économie et création des conditions d’une croissance inclusive;
  • Modernisation des infrastructures de base et aménagement du territoire;
  • Promotion et développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication;
  • Lutte contre le changement climatique et création conditions d’un développement durable;
  • Amélioration des conditions sociales avec principaux axes: l’éducation comme clé du changement et principal ascenseur social et l’accès aux soins de santé pour tous ainsi que l’assurance d’une couverture de santé universelle;
  • Développement du secteur de l’eau et de l’électricité;
  • Lutte contre la pauvreté et la marginalisation sociale;
  • Autonomisation de la femme et promotion de la jeunesse;
  • Promotion de la culture, des arts et création des centres de loisir.

Plusieurs députés de l’opposition ont quitté la plénière, en fustigeant le fait que le document qui a été lu par le Premier ministre n’était pas celui qui leur avait été distribué préalablement.
«Le programme est un document technique. Le discours est une explication du document technique. Le Premier ministre peut donner des explications et apporter des exemples», a dit Albert Lieke, chargé de communication de Sylvestre Ilunga Ilunkamba, en ajoutant que «l’allocution du Premier ministre n’était pas un autre programme, mais l’explication du programme qu’avaient déjà les députés. Le deuxième document n’était pas le programme, c’était plutôt l’explication du programme».[19]

Le 6 septembre, l’Assemblée Nationale a adopté le programme du gouvernement Ilunga Ilunkamba. Selon les résultats de vote, sur 379 députés nationaux présents, 375 ont voté pour l’approbation et 4 autres se sont abstenus. Les députés des trois groupes parlementaires de l’opposition, à savoir AMK et alliés, MLC-ADN et MS-G7, étaient absents en ayant boycotté la séance plénière.
En début de séance, le Premier ministre a répondu aux critiques formulées par plusieurs députés sur le contenu de son programme lors de sa présentation deux jours auparavant. Un programme qualifié d’irréaliste et de chapelet de bonnes intentions, jugé « très / trop ambitieux » et, surtout, «imprécis», ne comportant «ni chiffres, ni chronogramme, ni mécanismes de financement».
Le Premier ministre a d’abord défendu le caractère ambitieux de son programme . «L’ambition est le moteur d’action. L’absence d’ambition condamne notre société à l’inertie et à la misère», a-t-il déclaré. À ceux qui réclamaient plus de mesures concrètes et de détails sur la manière dont il compte atteindre ses nombreux objectifs, le Premier ministre n’a apporté que peu de précisions, en renvoyant la balle à son gouvernement chargé désormais, selon lui, de traduire son programme en feuille de route. Il a expliqué que son programme constitue des orientations pour le redressement du pays et il a  ajouté que ces orientations seront traduites en plan d’actions pluriannuel, assorti des budgets qui seront élaborés annuellement, de calendriers et d’indicateurs de réussite.
Sur la question fondamentale du financement de ce programme soulevée elle aussi par plusieurs députés, le Premier ministre a essentiellement rappelé qu’il comptait engager de «nouvelles réformes» dans le domaine fiscal, lutter de manière effective contre la corruption et favoriser la diversification de l’économie, afin d’« accroître » les capacités de financement du gouvernement.[20]

5. LE COÛT TRÈS ÉLEVÉ DES INSTITUTIONS POLITIQUES CONGOLAISES

Les institutions politiques coûtent cher au Trésor public. Il faut dépenser chaque année 1,75 milliard USD pour faire fonctionner les institutions politiques au niveau central et provincial.
Le prochain Gouvernement sera composé de 65 membres, dont 48 ministres et 17 vice-ministres. Les cabinets ministériels vont avoir au moins 5 200 personnels politiques (une moyenne de 80 personnes chacun). Au niveau du Pouvoir central, on compte aussi un Parlement composé de 500 députés nationaux avec un bureau de sept membres et conseillés; un sénat de 109 élus avec un bureau de 7 membres et conseillés.
Au niveau des provinces, la RDC compte 52 exécutifs provinciaux dont 26 gouverneurs et 26 vice-gouverneurs, 26 bureaux des assemblées provinciales, 780 députés provinciaux et environ 208 ministres provinciaux. Sur le plan budgétaire, pour prendre en charge les dépenses de ces institutions, notamment la rémunération et le fonctionnement, le trésor public va dépenser 1,757 milliards de dollar américain par an.
En se référant aux exécutions des budgets antérieurs sous le régime de l’ex-Président Joseph Kabila, il faudra dépenser : environ 750 millions USD pour le fonctionnement et la rémunération des députés provinciaux, des Gouverneurs et vice-gouverneurs, y compris le personnel politique; 662 millions USD pour 65 ministères et 5 200 personnels politiques ; 345 millions USD pour la Présidence de la République et le Parlement, ainsi que la Primature.
En plus, 2,1 milliards USD soit 38,42% du budget sont destinés à la rémunération d’environ 1 303 760 agents et fonctionnaires de l’Etat.
Comparant ces dépenses à la capacité de mobilisation des recettes publiques, on note que le budget de l’Etat est passé de 9 milliards de dollars américains en 2015, à 6 milliards pour l’année 2016 et 4,7 milliards de dollars pour 2017 et il est remonté à 5,9 milliards USD en 2019. Pour 2020, le Ministère du Budget a annoncé une prévision budgétaire de 9 milliards USD. En terme d’exécution, le rapport du Ministère des Finances renseigne que la moyenne annuelle des recettes mobilisées se situe autour de 3,5 milliards de dollar américains. En 2019, on a estimé une progression de 4,9 milliards USD.
Cependant, les besoins réels des administrations au niveau du pouvoir central avoisinent 70 milliards USD par an et 30 milliards USD pour les provinces et Entités territoriales décentralisées.
Récemment, le Ministère de l’Enseignement Primaire, Secondaire et Professionnel a fait savoir que pour mettre en œuvre la politique de la gratuité de l’enseignement de base, l’Etat congolais a besoin de 2,9 milliards par an. Celui de la santé a besoin de 2,2 milliards USD pour la prise en charge de la santé maternelle, néonatale et infantile et le Ministère de l’agriculture a besoin d’une moyenne annuelle de 716 millions USD pour mettre en œuvre le Plan National d’Investissement Agricole (PNIA), en vue de combattre la faim et la malnutrition.
Tout ceci nécessite de la volonté politique et un sursaut patriotique pour réduire le train de vie des institutions. Mais face à la réalité budgétaire de la RDC telle que présentée, les dépenses sociales pourraient donc être sacrifiées au profits des institutions politiques et Ministères au niveau du pouvoir central et des provinces.[21]

[1] Cf Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 29.07.’19; 7sur7.cd, 29.07.’19; Radio Okapi, 30.07.’19
[2] Cf Hubert Leclercq – La Libre.be/Afrique, 31.07.’19
[3] Cf RFI, 30.07.’19
[4] Cf Actualité.cd, 31,07.’19
[5] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 02.08.’19
[6] Cf Radio Okapi, 30.07.’19
[7] Cf Élysée Odia – 7sur7.cd, 06.08.’19
[8] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 11.08.’19; Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 11.08.’19
[9] Cf Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 11.08.’19
[10] Cf 7sur7.cd, 13.08.’19
[11] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 14.08.’19; RFI, 15.08.’19
[12] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 17.08.’19
[13] Cf Alphonse Muderhwa – 7sur7.cd, 18.08.’19
[14] Cf Radio Okapi, 26.08.’19 https://www.radiookapi.net/2019/08/26/actualite/politique/rdc-felix-tshisekedi-nomme-les-membres-du-gouvernement;
7sur7. Cd, 26.08.’19 https://7sur7.cd/2019/08/26/rdc-voici-tous-les-membres-du-gouvernement-nommes-par-le-chef-de-letat-officiel;
RFI, 26.08.’19; Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 26.08.’19 ; Jean Pierre Kayembe – Cas.info.ca, 26.08.’19
[15] Cf RFI, 27.08.’19
[16] Cf RFI, 26.08.’19
[17] Cf Radio Okapi, 15.08.’19
[18] Cf 7sur7.cd, 02.09.’19  https://7sur7.cd/2019/09/02/rdc-le-programme-du-gouvernement-ilunga-nest-pas-chiffre-et-na-aucun-chronogramme-le
[19] Cf RFI, 04.09.’19; Radio Okapi, 04.09.’19; Actualité.cd, 03 et 04.09.’19;  7sur7.cd, 03.09.’19 ;
[20] Cf Radio Okapi, 06.09.’19 ; RFI, 07.09.’19; Actualité.cd, 06.09.’19
[21] Cf Actualité.cd, 31.07.’19