SOMMAIRE
ÉDITORIAL: KASAÏ → QUAND L’AUTORITÉ TRADITIONNELLE LOCALE DÉFIE LE POUVOIR POLITIQUE NATIONAL
- LA RÉBELLION KAMWINA NSAPU
- Origine et modus opérandi
- D’un banal conflit coutumier à une véritable guerre meurtrière
- Plusieurs centaines de morts et 1,27 million de déplacés
- La tuerie de Mwanza Lomba
- Le nouveau Kamwina Nsapu
- L’ASSASSINAT DE DEUX EXPERTS DE L’ONU AU KASA
- Une enquête préliminaire de la justice militaire congolaise
- Une vidéo du meurtre diffusée par le Gouvernement congolais
- Une analyse de la vidéo
- Une enquête administrative de l’ONU
- LE DÉPUTÉ CLEMENT KANKU IMPLIQUÉ DANS LES MASSACRES AU KASAÏ?
- La publication d’un enregistrement téléphonique entre le député Clémemt Kanku et un présumé milicien
- Le gouvernement congolais et plusieurs ambassades occidentales en étaient déjà au courant
- Les première déclaration d’innocence de la part de C. Kanku et les premiers pas de la justice congolaise
ÉDITORIAL: KASAÏ → QUAND L’AUTORITÉ TRADITIONNELLE LOCALE DÉFIE LE POUVOIR POLITIQUE NATIONAL
1. LA RÉBELLION KAMWINA NSAPU
a. Origine et modus opérandi
Son inspirateur
Kamwina Nsapu est le titre honorifique du chef des Bajila Kasanga, un clan de la tribu Lulua dont le berceau se trouve dans le secteur de Dibataie, à 75 km au sud-est de Kananga, capitale de la province du Kasaï-central. La rébellion est née du refus du gouverneur de la province de reconnaître officiellement ce titre à Jean Pierre Mpandi, choisi en novembre 2011 par la famille régnante pour succéder à son oncle à la tête du clan.
Né en 1966, Jean Pierre Mpandi, qui a exercé comme médecin après de prétendues études en Chine et en Inde, alors qu’il n’avait jamais terminé l’école secondaire, était revenu clandestinement au pays après un exil provoqué par une condamnation, dans les années 2000, pour escroquerie dans une affaire de commerce de diamant, la grande richesse du Kasaï.
Sa désignation comme Kamwina Nsapu, titre qui évoquerait une fourmi noire urticante, semble avoir été facilitée par sa possession d’un grand nombre de fétiches tutélaires, dont il aurait amené de nombreuses familles à se dessaisir à son profit, en échange de la promesse d’une protection surnaturelle contre le mauvais sort.
L’origine de la rébellion
Après son accession à la tête du groupement Bajila Kasanga (« Ceux qui se privent de pangolin », en tshiluba), il attend sa confirmation par le gouverneur. Après l’arrivée d’un nouveau gouverneur, Alex Kande, en décembre 2012, Jean Pierre Mpandi décide de faire le voyage de Kananga pour obtenir audience, mais il est éconduit.
Selon deux élus locaux, M. Kande propose ensuite à Jean Pierre Mpandi de le reconnaître comme Kamwina Nsapu, à condition qu’il adhère à son parti, petite formation de la majorité présidentielle constituée autour du chef de l’État Joseph Kabila. Refus catégorique du chef outragé, qui annonce peu après ne plus reconnaître les autorités provinciales et nationales. Le conflit s’envenime.
Début avril 2016, il est soupçonné de détenir des armes de guerre et une mission d’enquête militaire perquisitionne sa résidence en son absence. Kamwina Nsapu a accusé les membres de cette mission de tentative de viol sur son épouse, d’avoir « touché, ouvert et renversé la valise qui contenait ses fétiches » et « désacraliser son pouvoir », raconte le député provincial Daniel Mbayi, qui assurait la médiation entre les autorités et le chef coutumier.
Puis, il bat campagne dans son groupement et au-delà pour inciter à ne plus reconnaître aucun représentant de l’État à compter du 20 décembre 2016, date à laquelle le mandat présidentiel de Joseph Kabila a pris fin. Il a été tué lors d’une opération des forces de sécurité le 12 août 2016.
Ses fidèles se sont dès lors constitués en milices, reconnaissables à leur front ceint d’un bandeau rouge.
Combien sont les miliciens? Comment opèrent-ils?
Selon diverses sources locales, les miliciens Kamwina Nsapu seraient plusieurs milliers. Est milicien celui – homme ou femme, jeune ou vieux – qui a subi avec succès le rite initiatique d’endoctrinement « tshiota », sanctionné par une traversée des flammes sans se faire brûler après avoir ingurgité de l’alcool frelaté de fabrication locale appelé « tshitshampa » censé rendre « invincible ». Bandeaux rouge autour de la tête ou des bras, la majorité des miliciens sont des mineurs enrôlés localement à travers des pratiques mystico-religieuses et de fausses promesses. Ils sont sommairement armés de fusils de fabrication artisanale, de lance-pierres, de machettes, de bâtons, de flèches, de balayettes et de gris-gris. La justice militaire et le gouvernement les accusent de détenir également des fusils d’assaut AK 47. Ces miliciens brûlent les biens de l’État alors que les militaires, policiers ou agents des renseignements interceptés sont torturés puis « décapités », selon plusieurs témoignages concordants d’officiels. Les insurgés, qui ciblaient exclusivement les symboles de l’État, depuis février s’attaquent aussi aux institutions scolaires et religieuses.[1]
b. D’un banal conflit coutumier à une véritable guerre meurtrière
Au départ, cela avait l’apparence d’un banal conflit coutumier. C’est désormais une véritable guerre sale, meurtrière, confuse. En huit mois, les provinces du Kasaï, au centre de la République démocratique du Congo (RDC), sont devenues le théâtre de la barbarie de miliciens et de militaires congolais. Depuis début mars, quarante fosses communes ont été documentées par les Nations unies, des miliciens ont été massacrés par des soldats, des policiers ont été exécutés par des miliciens. Deux experts, Michael Sharp et Zaida Catalan, mandatés par les Nations unies pour tenter d’apporter un peu de lumière y ont été assassinés dans un contexte qui reste encore trouble.
Tout a démarré il y a un an avec le chef traditionnel Kamwina Nsapu, de son vrai nom Jean-Pierre Mpandi qui, à défaut d’être reconnu par l’Etat central comme successeur de son oncle décédé en 2012, a amorcé un début de sédition contre le régime de Joseph Kabila. Le nouveau Kamwina Nsapu est tué lors d’une brutale opération de police en août 2016. Ses fidèles se sont constitués en milices, reconnaissables à leur front ceint d’un bandeau rouge. On y trouve des femmes, des enfants, d’anciens policiers à la dérive. Ils affrontent l’armée, s’en prennent aux symboles du pouvoir, aux écoles, aux églises, avec pour seules armes des machettes, quelques vieux fusils de brousse et la croyance en leurs protections mystiques.
L’insurrection s’est rapidement étendue à plusieurs provinces, cristallisant les mécontentements de nombreux habitants de cette région délaissée et traditionnellement favorable à l’opposition politique. Les revendications se sont politisées et appellent à l’organisation d’élections, à une alternance. Certains hauts responsables du régime Kabila n’hésitent pas à évoquer des liens entre des caciques de Kamwina Nsapu et des membres de l’opposition, voire à parler d’une «armée de l’UDPS», le parti d’opposition cofondé par Etienne Tshisekedi, originaire du Kasaï et décédé le 1er février à Bruxelles.[2]
c. Plusieurs centaines de morts et 1,27 million de déplacés
Les violences se sont démultipliées. Des atrocités perpétrées par les deux camps sont filmées et diffusées sur Internet alors que le nombre de charniers exhumés ne cesse de grimper.
Depuis août 2016, ces violences qui impliquent miliciens, soldats et policiers ont fait plusieurs centaines de morts et causé le déplacement de 1,27 million de personnes. L’ONU accuse les rebelles Kamwina Nsapu d’enrôler des enfants-soldats et d’avoir commis des atrocités, tout en dénonçant également l’usage disproportionné de la force par l’armée congolaise.[3]
Le 16 mai, lors d’une conférence de presse à Kinshasa, le général Léon-Richard Kasonga, porte-parole de l’armée, a déclaré que, depuis fin mars, dans le Kasaï, 390 miliciens et 124 membres des forces de l’ordre (39 militaires de l’armée ainsi que 85 policiers) ont été tués au cours des dernières opérations militaires. Toujours selon le général Kasonga, 26 militaires et policiers ont été blessés et 9 autres sont portés disparus et l’armée a capturé 503 miliciens, dont 54 mineurs. Toutefois, il n’a pas présenté un bilan sur le nombre de civils tués pendant les opérations militaires citées.[4]
Le 25 mai, lors d’une conférence de presse tenue à Kinshasa, le député Delly Sesanga, élu de Luiza, dans le Kasaï Central, a rendu public un document intitulé «Rapport synthétique des morts relatifs aux massacres dans le Kasaï», selon lequel 3307 personnes ont été tuées dans les provinces du Kasaï et du Kasaï Central depuis août 2016 à ce jour:
Territoire de Kazumba: 26 mars 2017 – avril 2017: 329 morts
Territoire de Dibaya: août 2016 – décembre 2016: 1303 morts
Territoire de Luiza: 7 avril 2015 – 2 mai 2017: 584 morts
Ville de Kananga: décembre 2016 – mars 2017: 1065 morts
Territoire de Luebo: avril 2017: 6 morts
Territoire de Kamuenya: Un cadre de l’Envol tué ainsi que deux de ses compagnons en avril 2017.
Pour Delly Sesanga, ceci relève des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité: «Le Congo se meurt. La situation sécuritaire de notre pays est de plus en plus préoccupante. La sécurité des personnes et de leurs biens, n’est pas du tout garantie. La situation est intenable. Il se passe au Kasaï une catastrophe humanitaire sans précédent, mêlant la détresse des populations à des nombreux actes relevant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité».[5]
d. La tuerie de Mwanza Lomba
Le 17 février, une vidéo montrant des soldats de l’armée congolaise en train de tuer une quinzaine de personnes, a été transmise à différents médias et diffusée sur le Web. D’autres vidéos similaires ont été mises en circulation sur les réseaux sociaux peu après. Ce premier document n’est pas daté et la localisation citée par l’homme qui porte la caméra est Mwanza Lomba, un village du Kasaï-Oriental situé à une trentaine de kilomètres de Mbuji-Mayi, la capitale provinciale.
A en juger par sa qualité, la vidéo semble avoir été tournée à l’aide d’un téléphone portable par un membre d’un groupe de huit soldats en treillis parlant lingala (la langue en usage dans l’armée congolaise) et swahili (langue parlée dans l’Est du Congo).
Elle montre un petit groupe de militaires marcher sur un chemin de brousse vers un groupe de personnes à quelques dizaines de mètres chantant en tshiluba (langue parlée au Kasaï) « Notre terre, notre terre« . Il s’agit probablement de miliciens de la secte de Kamuina Nsapu. «Ils n’ont pas peur de mourir, donc on va leur montrer», se vante un supposé militaire face à ces miliciens qui chantent. Tombe un ordre: « Avancez! tirez!« . Le peloton ouvre un feu nourri et progresse sans avoir besoin de s’abriter: personne ne réplique en face. Le feu cesse.
Chaque victime est ensuite filmée en gros plan. Ils gisent à terre au milieu d’un chemin bordé d’herbes hautes et de palmiers. Ceux qui respirent encore sont achevés à bout portant d’une ou deux balles de kalachnikov. Il y a cette femme vêtue d’un tee-shirt jaune ensanglanté, le sexe mis à nu, qui semble lutter contre la mort au milieu d’autres corps qu’un homme en uniforme teste de la pointe de son couteau pour s’assurer qu’ils sont bien morts. L’auteur de la vidéo commente: «Celui-là n’est pas mort», indique-t-il à son frère d’arme, qui l’exécute sur-le-champ. «C’est bon, il a déjà son compte», lâche-t-il encore. Les militaires insultent les cadavres: «Vous mourez pour rien, pour rien», dit un homme.
Certaines victimes ont le visage serré d’un bandeau, ce qui conforte l’idée que ce sont bien des miliciens du mouvement Kamuina Nsapu, considéré comme «groupe terroriste» par les autorités congolaises. Les images les montrent armé seulement de bâtons, de gourdins et de lance-pierres.
Trois soldats attendent dans un de ces camions militaires kaki habituellement utilisés par l’armée congolaise. Ils observent. «Ici nous sommes au village Mwanza Lomba, nous les avons croisés aujourd’hui. Nous leur avons prouvé que la force reste à la loi. Ils sont nombreux mais on va les poursuivre jusqu’à l’infini», commente la personne qui tourne les images, ajoutant: «FARDC toujours au rendez-vous, voilà, nous faisons notre travail».
Le ministre de l’information et porte parole du gouvernement, Lambert Mendé, après avoir qualifié cette vidéo de «montage réalisé après ces accrochages par des pourfendeurs du gouvernement», a toutefois admis des «excès» de la part de certains militaires, lors d’une opération militaire datant du 21 décembre. «Entre le 8 et le 21 décembre 2016, des accrochages ont eu lieu entre des patrouilles de l’armée congolaise et des assaillants qui, avec des armes de guerre, des armes de chasse et des armes blanches marchaient sur Mbuji-Mayi. Ces accrochages se sont déroulés successivement dans les villages de Mwanza Lomba, Katengayi et Katenge», explique M. Mende dans un communiqué de presse. «Après 13 jours d’affrontements, les assaillants ont décroché et pris la fuite, après que 13 d’entre eux, dont deux femmes, aient trouvé la mort. Trois armes à feu et plusieurs armes blanches ont pu être récupérées par les forces loyalistes», poursuit le communiqué. [6]
Le 18 mars, l’auditeur général des FARDC, général-major Ponde, a annoncé la mise en examen des 7 éléments de l’armée congolaise, accusés d’avoir participé à la tuerie des présumés adeptes de Kamuina Nsapu à Mwanza Lomba. Poursuivis pour crimes de guerre par meurtre, mutilation, traitement cruel, inhumain et dégradant, les sept inculpés sont:
- Le Major Nyembo, Commandant en second du bataillon PM. Il aurait joué le rôle de Commandant des opérations lors du tournage de la vidéo.
- Le Major Bitshumba Martin Pitchou, Commandant en second des opérations dont le nom est également cité dans la vidéo par la personne qui filmait.
- Le Capitaine Séraphin Pailimbio, Commandant de la 2ème compagnie Bataillon PM. Chef de la 1ère section pendant les opérations.
- Le lieutenant Silavuvu Dodokolo, S4 bataillon PM et fusilier pendant les opérations.
- AC Mohindo. Même s’il n’a pas fait partie de l’expédition, il a pourtant été surpris en possession d’une copie de la vidéo lui transmise par le SM Maneno.
- A2Cl Amani, fusilier de la 1ère section.
- SM Maneno Katembo alias tonton baobab, fusilier également de la 1ère Section et auteur de l’enregistrement vidéo.[7]
Le 20 mai, lors d’une conférence de presse à l’auditorat général militaire à Kinshasa, le Colonel Makutu Odon a annoncé pour bientôt le début des audiences pour juger tous ceux qui sont impliqués dans l’affaire massacre de Mwanzalomba au Kasaï. Il a confirmé que, «dans l’affaire vidéo de Mwanzalomba, 7 sujets Fardc sont sous mandat d’arrêt provisoire».[8]
e. Le nouveau Kamwina Nsapu
Acculé par la Communauté Internationale, le pouvoir politique a fini par dialoguer et négocier avec ce pouvoir traditionnel et spirituel qu’il a voulu réorganiser pour mieux le maîtriser. Les autorités congolaises ont fini par débuter une sorte de médiation avec la famille de Kamwina Nsapu, dont certains membres sont suspectés d’être corrompus et infiltrés par les services de renseignement. Un cousin du défunt chef a été désigné pour lui succéder le 16 avril. La famille régnante a appelé au calme. En vain. Une partie des Kamwina Nsapu continue le combat.[9]
Le 14 avril, les restes du chef coutumier Kamwina Nsapu ont été remis à sa famille qui, le jour suivant, a donc pu l’enterrer selon la tradition. Ces obsèques ont rendu possible la désignation d’un successeur. La famille s’est accordée sur le nom de Jacques Kabeya wa Ntumba. Il devra être intronisé lors d’une cérémonie traditionnelle dans son village. Ensuite, le vice-Premier ministre devra prendre un « arrêté » reconnaissant l’autorité du nouveau chef. Un arrêté d’une importance particulière, car c’est bien la reconnaissance par l’Etat que réclamait le chef Kamuina Nsapu au déclenchement de l’insurrection.
Pour la famille Kamuina Nsapu, cette étape devrait mettre fin aux violences dans le Kasaï, ses revendications ayant été satisfaites. Thomas Nkashama, le frère du nouveau chef coutumier, explique que le conflit n’a plus lieu d’être. «On ne peut pas rester dans cette guerre qui ne profite à personne. Parce que notre guerre avait un objectif, que l’on puisse reconnaître le pouvoir de Kamuina Nsapu. Nous avons donné notre cahier des charges. L’Etat est en train de l’exécuter. Donc pour nous c’est la fin du conflit». Dans ce cahier des charges figure la possibilité pour les miliciens ayant rendu les armes d’intégrer l’armée ou la police s’ils le souhaitent. Le vice-Premier ministre, Emmanuel Ramazani Shadari, n’exclut pas cette option.
Frère de Kamuina Nsapu, Jacques Kabeya wa Ntumba gère le patrimoine légué par son père, plusieurs entreprises immobilières au Togo, en Côte d’Ivoire et dans la capitale congolaise, Kinshasa, où il est né, où il a grandi, à l’exception de ses années d’études en Belgique et où il vit aujourd’hui avec son épouse et leurs quatre enfants. Mais Jacques Kabeya wa Ntumba n’a jamais oublié le Kasaï. On l’a vu régulièrement dans la région, notamment ces derniers temps. Il est venu consulter la famille pour réfléchir aux moyens d’apaiser la crise. Cet attachement au Kasaï lui permet de bénéficier d’une bonne réputation et l’aidera peut-être à convaincre tous les miliciens à déposer les armes. Il sait que la tâche ne sera pas facile, mais il se dit confiant. Maintenant que les autorités congolaises reconnaissent le statut du chef coutumier, il n’y a pas de raison d’entretenir le conflit.[10]
Le 22 mai, Jacques Kabeya, le nouveau Kamwina Nsapu, chef de Bajila Kasanga dans le territoire de Dibaya dans le Kasaï Central, a eu des entretiens avec le vice-premier ministre, ministre chargé de l’intérieur. Le remplaçant de feu Jean-Pierre Pandi a eu des mots très durs à l’endroit de tous ceux qui continuent d’exploiter le nom de son frère à des fins non avouées. «Ce sont des bandits», a- t- il dit au sortir de son audience avec Emmanuel Ramazani Shadary. Jacques Kabeya a ainsi lancé un appel au calme et à la paix à la population du grand Kasaï.[11]
2. L’ASSASSINAT DE DEUX EXPERTS DE L’ONU AU KASAÏ
a. Une enquête préliminaire de la justice militaire congolaise
Le 14 avril, l’auditeur général des Forces armées de la RDC, général major Ponde Isambwa, a annoncé l’arrestation de deux personnes suspectées d’être impliquées dans le meurtre de deux experts de l’ONU arrivés au Congo pour enquêter sur les violences commises au Kasai au cours des derniers mois. Ils avaient été enlevés le 12 mars dernier et retrouvés sans vie dans une fosse commune deux semaines après. L’un des deux suspects arrêtés, Tshiebwe, s’est échappé. L’autre suspect, Mbaya Kaba-Sele Daniel, est interrogé par la justice à Kananga. Les quatre policiers chargés de leur surveillance sont également auditionnés par la justice.[12]
Le 20 mai, lors d’une conférence de presse à Kinshasa, la justice militaire congolaise a annoncé, sans en préciser la date, l’ouverture prochaine du procès des présumés assassins de deux experts de l’ONU. L’avocat général des Forces armées de la RDC, le colonel Odon Makutu, a déclaré que, à l’issue d’une enquête de dix semaines, «l’instruction est terminée. Les audiences publiques vont bientôt se tenir (…), deux insurgés sont en détention sur les 16 incriminés».
Il a précisé qu’ils sont poursuivis pour « crime de guerre par meurtre, crime de guerre par mutilation, terrorisme, participation à un mouvement insurrectionnel », en ajoutant que «ce procès se tiendra à Kananga, capitale du Kasaï-central. Il n’y a jamais eu embuscade des forces de l’ordre et aucun agent des forces de l’ordre n’a été mis en cause pour ce meurtre. Nous avons interrogé un des exécutants matériels de ces faits-là. Il a dit qui a donné l’ordre, il l’a cité. Nous en avons le nom. C’est un des chefs du groupement. Il n’est pas agent de l’ordre. Nous savons qui a donné l’ordre et qui a escorté ces gens-là dans le petit bois, où ils ont été tués. Et sur place, qui a ordonné qu’on tue et qui a demandé qu’on coupe la tête de la Suédoise et à qui on a amené cette tête». Les policiers interpellés lors des enquêtes pré juridictionnelles sont poursuivis pour évasion de détenus et abandon de postes.[13]
b. Une vidéo du meurtre diffusée par le Gouvernement congolais
Le 24 avril, les autorités congolaises ont présenté à la presse une vidéo montrant ce qu’elles affirment être l’assassinats de deux experts de l’ONU.
Dans cette vidéo, de 6 minutes et 48 secondes et de très mauvaise qualité, on voit deux occidentaux, un homme et une femme, qui semblent correspondre à Michael Sharp (américain) et Zaida Catalán (suédoise), les deux experts de l’ONU. Les deux étrangers marchent dans la brousse accompagnés de plusieurs hommes portant le bandeau rouge caractéristique des miliciens Kamuina Nsapu. Les hommes qui les accompagnent sont armés de machettes, de bâtons et d’un fusil. Ils semblent vouloir les conduire vers les lieu de possibles fosses communes, où seraient enterrées les victimes des violences entre les forces de sécurité congolaises et la milice locale de Kamwina Nsapu. Les miliciens font asseoir les deux occidentaux et un premier coup de feu atteint la personne qui pourrait être Michael Sharp. La femme se précipite sur lui, mais elle est aussitôt abattue… trois autres balles seront ensuite tirées sur les deux corps. Un milicien tranche ensuite la tête de la jeune femme. Les visages des miliciens ne sont pas identifiables et les voix parlent la langue tshiluba, utilisée au Kasaï, mais aussi quelques mots de lingala, souvent utilisé par les militaires de l’armée.
Pour Kinshasa, cette vidéo constitue une preuve des méthodes «terroristes» des miliciens Kamuina Nsapu. «Ce sont bien ces terroristes de Kamwina Nsapu qui ont tué les deux experts de l’ONU dans le Kasaï», a expliqué Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement, qui appelle à éradiquer «le phénomène Kamuina Nsapu». Le porte parole du Gouvernement a précisé que «on a montré ce qu’il y a, pour que l’on cesse de parler de la police et de l’armée comme les seules responsables de cette violence que subissent les Kasaïens aujourd’hui. Ici, il s’agit bien d’une violence terroriste. Ce n’est pas une violence de revendication sociale».
La diffusion de cette vidéo fait polémique en RDC où plusieurs doutes s’installent sur la véracité de la version présentée par Kinshasa. Le lingala est notamment utilisé dans la vidéo alors que les miliciens Kamuina Naspu ne le mélangent pas avec le tshiluba. Certains notent un langage «militaire» peu compatible avec les pratiques de la milice locale. En outre, on ne comprend pas pourquoi la milice Kamuina Naspu ait voulu tuer deux experts de l’ONU venus pour dénoncer les exactions dont ils sont victimes, en enquêtant sur les fosses communes du Kasaï. Pourquoi auraient-ils filmé ce double assassinat qui appuie les accusations du gouvernement contre eux? Est-on sûr qu’il s’agit de miliciens Kamuina Nsapu? Les milices de Gédéon Kyungu (qui a rejoint le pouvoir), les Bakata Katanga, portent également des bandeaux rouges. Les questions sont donc nombreuses… mais seule une enquête sérieuse pourra en apporter la réponse.[14]
c. Une analyse de la vidéo
Les analystes de DESC ont jugé utile d’examiner la crédibilité de cet élément audio-visuel et d’en tirer les premières conséquences quant à la suite du dossier judiciaire, si un jour le procès devrait se tenir.
Cette investigation préliminaire a été menée par l’ancien juge de cour d’Appel en RDC le juriste-criminologue Jean-Bosco Kongolo ; le juriste et activiste des droits humains Boniface Musavuli et le criminologue pratiquant et expert des questions militaires Jean-Jacques Wondo.
Selon les autorités congolaises, «les six personnes (les deux experts de l’Onu, le traducteur et les trois conducteurs de moto) ont été kidnappées au niveau du pont de la rivière Moyo, sur la route de Tshimbulu. Elles auraient ensuite été conduits dans la forêt par des éléments non identifiés».
Selon une source de renseignements militaires à Kinshasa, au moment des faits la zone du crime était sous contrôle des forces armées congolaises.
- A) En ce qui concerne l’élément linguistique de la vidéo, s’il est vrai que le tshiluba est la langue dominante dans cette partie du Grand Kasaï, des raisons existent qui permettent d’affirmer que les auteurs de ce crime ne pouvaient pas être nécessairement les adeptes de Kamuina Nsapu.
Selon certaines informations, plusieurs jeunes désœuvrés s’identifient un peu partout au phénomène Kamuina Nsapu dont ils portent l’appellation, de la même manière qu’est né le phénomène Mai Mai dans les années 60 et qui s’est étendu jusqu’aujourd’hui à travers tout le pays.
En effet, on a vite remarqué, en visionnant attentivement la vidéo, que l’accent du commentateur ou de la personne qui filmait la scène en duplex était, à partir de la deuxième minute, plutôt swahiliphone. Mais bien avant cela, un supposé donneur d’ordres parle un français sans intonation luba en disant, à la 42ème seconde: «Il n’y a pas de problème» ou, à la 1ère minute et 20 seconde: «Nous attendons d’autres qui arrivent». Par contre, au moment de l’exécution des victimes, on entend des ordres, exprimés dans un lingala généralement parlé par les militaires kinois, provenant d’un micro un peu loin de la scène: «Tirez, tirez, tirez lisusu».
Dans ces conditions où il est difficile de distinguer particulièrement toutes ces voix, le doute persiste quant à la responsabilité attribuée exclusivement par le gouvernement aux seuls miliciens Kamuina Nsapu. Déjà, des témoignages recueillis auprès de plusieurs villageois anonymes soupçonnent la présence, dans ce coin, des hommes du criminel Gédéon Kyungu Mutanga, les Bakata Katanga, désormais alliés de la majorité présidentielle au pouvoir.
- B) En ce qui concerne les éléments de l’analyse balistique visuelle, ils tendent à démontrer des incohérences entre les faits observés dans la vidéo et les données techniques et balistiques des armes visibles que semblaient porter et utiliser les exécuteurs des deux experts.
1°) On aperçoit 2 armes de type Mauser à projectiles à billes. Ce sont de vieux fusils Mauser modèle 1898, datant de la Première guerre mondiale, voire avant, probablement de la première période de coloniale. Ce fusil est une carabine à répétition manuelle par verrou. Il se recharge manuellement (et pas automatiquement) à chaque tir. Il ne tue pas aussi facilement à bout portant au premier coup, car il nécessite plusieurs tirs et impacts pour immobiliser la cible, qu’elle soit un gibier ou un humain. Ce qui ne semble pas être le cas dans la vidéo, d’autant que juste après les tirs, les assaillants les déclarent directement morts.
2°) Dans la vidéo, on entend 4 coups de feu. Un Mauser à billes de cet âge, probablement mal entretenus par manque d’expertise, ne tire pas si rapidement. Il faut le recharger manuellement à chaque tir et cela laisse un délai de temps entre deux tirs. Les deux premiers tirs sont les tirs fatals et l’ordre donné, en lingala, la langue usuelle au sein des FARDC, est très clair: Tirez. Tirez lisusu (tirez tirez encore). Cela donne des indices intéressants sur les assaillants. Puis, les deux seuls coups des vieux fusils sont ceux qui ont fait sortir la fumée bleuâtre. Cela laisse croire à une mise en scène orchestrée qui implique des vrais tueurs invisibles sur la vidéo, couverts par des figurants, armés de Mauser, aux ordres des premiers. Il apparaît nettement clair dans la vidéo que les vrais tirs qui ont abattu les deux experts ne proviennent pas des images visibles dans la vidéo. Ces tirs proviennent des tireurs en retrait et pas visibles dans la vidéo.
3°) À partir de la 1ème minute et 22 secondes, on voit un présumé milicien au tee-shirt foncé, pantalon bleu marine et bandeau rouge sur la tête, quitter précipitamment la scène des faits. Juste après son départ précipité, comme s’il se trouvait sur l’angle de tir d’un tireur éloigné, on voit le premier expert tomber. Cela démontre qu’il n’est pas l’auteur de ce tir, vu que, selon un expert en balistique, le délai moyen du temps entre la détente et la détonation est de l’ordre de quelques millisecondes.
- C) Dans une tentative de reconstitution des faits, on peut donc établir le scénario suivant: à partir de la 2ème minute 15 secondes, l’homme vêtu de tee-shirt bleu ciel argentine et pantalon blanc, la main à la hanche avec couteau, s’éclipse à partir de la 2ème minute 19 secondes. Ensuite, celui avec le tee-shirt sombre et pantalon bleu marine reçoit un signal ou ordre non verbal extérieur de quitter les lieux des cibles et la scène. Il s’éclipse à partir de la 2ème minute 23 secondes et s’incline à la 2ème minute 24 secondes, pour esquiver un tir en provenance de la caméra. Par ailleurs à la 2ème minute 25 secondes, au moment du tir, on aperçoit une partie du canon d’une arme qui ne ressemble pas aux deux Mauser aperçus précédemment à partir de la 2ème minute 10 secondes. On voit juste deux sorties de fumée bleuâtre, donc des deux Mauser.
Enfin, lorsqu’il est atteint, Michael Sharp tombe sur sa gauche et puis sur son dos. Cela indique assez clairement qu’il a été la cible des deux tirs en provenance d’en face, c’est-à-dire, de la caméra et l’autre tiré de la droite de la camera. Quant à Zaida Catalan, elle reçoit une balle au dos qui l’accompagne dans son mouvement vers la droite. Cela donne des indications que le tir provient de la gauche de la camera.
En observant la direction que prennent les corps des victimes après avoir été abattus, on comprend vite la direction de provenance de ces tirs. Tous ces éléments analysés avec minutie poussent à avancer que les deux experts ont été abattus avec des armes plus performantes que les vieux Mausers. Il ne fait donc l’ombre d’aucun doute que les vrais assaillants sont bien en retrait et pas ceux qui sont visibles sur la vidéo. Enfin, le 5ème tir à la 3ème minute 24 secondes, entendu un peu en retrait, semble plus que probablement être celui qui cible leur accompagnateur (le traducteur), vu que les deux experts étaient déjà abattus et immobiles au moment de ce tir. Puis, l’image redevient de plus en plus claire pour montrer les vieux fusils, comme armes du crime. Ce qui laisse supposer un montage amateur.[15]
d. Une enquête administrative de l’ONU
Le 23 mai, le quotidien américain The New York Times a accusé la Monusco d’avoir fait montre d’une négligence avérée aussi bien en amont, dans la protection de deux fonctionnaires onusiens assassinés au Kasaï Central, qu’en aval, au chapitre des investigations ayant conduit à la découverte de leurs cadavres. Selon The New York Times, la Monusco n’aurait pas pris les dispositions sécuritaires requises avant le déplacement de deux enquêteurs vers une zone où l’insécurité était généralisée, suite non seulement aux attaques des miliciens Kamuina Nsapu, mais aussi aux actions de représailles des forces armées et de sécurité congolaises, sur fond de violations massives des droits de l’homme et de bavures sans nombre.
Le journal soutient que Zaïda Catalan et Michaël Sharp n’auraient pas reçu les informations utiles sur la situation sécuritaire réelle qui prévalait sur le terrain, la Monusco les ayant laissés s’aventurer dans une jungle sans nom avec comme moyen de transport une moto et comme accompagnateur un seul interprète. The New York Times fustige aussi ce qu’il considère comme un laxisme de la part de la Monusco, qui a tardé à lancer ses limiers sur le terrain, en dépit de la diffusion d’informations concordantes confirmant la disparition et même l’élimination physique des deux experts par des exécuteurs qui restent à identifier.
La même publication estime que plusieurs autorités tant civiles que militaires congolaises seraient impliquées dans les massacres qui endeuillent le Grand Kasaï.[16]
Le 23 mai, le Conseil de Sécurité de l’ONU s’est réuni à huis clos pour discuter de l’enquête congolaise sur le meurtre de deux experts des Nations unies en mars dernier. L’ONU a mis en doute les conclusions de cette enquête.
Le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric, dénonce la précipitation des autorités: «Nous sommes un peu étonnés de la rapidité avec laquelle cela a été fait. Nous pensons que les investigations doivent se poursuivre de manière approfondie». Il a souligné que Kinshasa n’avait pas encore communiqué ses conclusions à l’ONU.
Trois enquêtes nationales sont actuellement en cours. La Suède et les Etats-Unis, pays dont sont originaires les deux experts de l’ONU Zaida Catalan et Michael Sharp, ont lancé chacun une enquête indépendante, mais ils seraient confrontés à une vive résistance des autorités congolaises. En RDC, Kinshasa a diligenté sa propre investigation et a annoncé avoir identifié les responsables des deux meurtres. L’ONU mène une enquête administrative, dont les conclusions doivent être rendues à la fin du mois de juillet.
Une équipe de six personnes est chargée de vérifier si les protocoles de sécurité de l’ONU ont été respectés par les experts assassinés mais aussi si des erreurs ont été commises en interne dans la gestion de ce drame. Cette procédure est automatique, à chaque incident qui vise un salarié de l’ONU. Mais dans le cas des deux experts, l’ONU assure qu’elle fera plus, jusqu’à établir les faits et les responsabilités.[17]
Le 25 mai, le vice-premier ministre en charge des Affaires étrangères, Léonard She Okitundu, a dénoncé l’initiative prise par l’ONU d’envoyer une équipe dans les prochains jours en RDC pour enquêter sur l’assassinat de ses deux experts. Pour She Okitundu, cette démarche vise à «discréditer» la justice congolaise qui s’est déjà saisie de l’affaire, et qui a identifié les responsables du meurtre de Zaida Catalan et Michael Sharp.[18]
3. LE DÉPUTÉ CLEMENT KANKU IMPLIQUÉ DANS LES MASSACRES AU KASAÏ?
a. La publication d’un enregistrement téléphonique entre le député Clémemt Kanku et un présumé milicien
Le 20 mai, dans un long article, le New York Times affirme que l’experte des Nations Unies Zaida Catalán, enlevée le 12 mars dernier avec son collègue américain Michael Sharp, détenait un enregistrement audio prouvant l’implication de Clément Kanku, ancien Ministre de la coopération au développement dans le gouvernement Samy Badibanga, dans l’incitation à la violence pendants les massacres au Kasaï.
Le New York Times affirme que certains documents conservés sur l’ordinateur de Zaida Catalán établissent que cette dernière enquêtait sur le rôle supposé de Clément Kanku, député et président du Mouvement du renouveau (MR), dans la crise au Kasaï et, plus précisément, sur ses liens avec les combattants de la milice Kamwina Nsapu.
Le New York Times affirme ne pas savoir comment Mme Catalán a obtenu cet enregistrement téléphonique. Citant néanmoins ses collaborateurs, le très sérieux média américain affirme que Clément Kanku savait qu’elle avait le fichier audio. «En fait, elle avait dit à M. Kanku qu’elle l’avait (..) et devait discuter avec lui après son voyage dans la brousse [le voyage ayant conduit à son assassinant]», révèle New York Times. Lorsqu’il a été contacté par The New York Times, M. Kanku a initialement nié, puis a confirmé qu’il avait été en contact avec les experts. «J’ai parlé avec l’homme; la femme, je ne lui ai pas parlé», a répondu le député congolais. Avant de changer de version: «Je pense que j’ai également parlé avec la femme, mais je ne suis pas certain, parce que beaucoup de gens m’appellent».[19]
Parmi les environs 130 fichiers que Mme Catalán avait conservés sur son ordinateur dans un dossier sous le nom de M. Kanku, il y avait aussi l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre Clément Kanku et un présumé milicien. La conversation est en Tshiluba. Voici sa traduction:
«*Informateur : Honorable, on vient juste de brûler la ville de Tshimbulu
*Voix présumée de Kanku: qui est à l’appareil?
*Informateur: C’est Constantin Tshiboko
*Voix présumée de Kanku: ok, c’est bien. A-t-on tout brûlé?
*Informateur: Oui, c’est le bureau de la Ceni qu’on va incendier maintenant.
*Voix présumée de Kanku: C’est une bonne chose. C’est ce que je leur avais demandé. Ils ont tout fait tel que promis, non?
*Informateur: Oui, ils continuent. Ils vont maintenant ouvrir la prison de…Tshimbulu…, plutôt, de Dibaya.
*Voix présumée de Kanku: c’est une bonne nouvelle. Tiens-moi au courant [de la situation]
*Informateur: Sans aucun problème. Je vous donnerai toutes les informations.
*Voix présumée de Kanku: Merci».
Puis, dans une deuxième conversation, on entend les deux mêmes voix.
«*Informateur: Allo, Honorable!
*Voix présumée de Kanku: Oui, Constantin. Tu m’avais appelé?
*Informateur: Oui, je vous appelais pour vous informer qu’on a terminé l’opération sur tous les bureaux. On a ouvert la prison maintenant. Tout le monde [prisonniers] est sorti. On a tué 6 policiers. Puis on a tué deux éléments de Kamwina Nsapu.
*Voix présumée de Kanku: Hum…
*Informateur: ils ont tué le garde du corps du Colonel Bass. C’est comme si le colonel est dans sa maison. Ils veulent mettre le feu pour le brûler dedans.
*Voix présumée de Kanku: ils ont tué le garde du corps?
*Informateur: oui, ils l’ont tué…ils en tué un, puis, un deuxième. Il reste maintenant à mettre le feu sur la maison…Il leur manque de l’essence. Ils sont en train de terroriser les habitants pour avoir de l’essence et finir l’opération… ».[20]
b. Le gouvernement congolais et plusieurs ambassades occidentales en étaient déjà au courant
Selon certaines informations, l’enregistrement remonte au 8 août 2016, c’est-à-dire avant la mort du Kamuina Nsapu et les massacres de grande ampleur qui ont suivi. Par ailleurs, l’existence de ces fichiers audio était connue par les autorités puisque, toujours selon ces informations, il s’agit d’écoutes réalisées par les services de renseignements congolais. Quelques jours après leur enregistrement, le député Clément Kanku avait même dû s’en expliquer devant témoins à la demande du ministre de l’Intérieur Evariste Boshab.
Selon Sonia Rolley, correspondante de la Radio France Internationale en République démocratique du Congo, l’enregistrement date du 08 août 2016. Le député Clément Kanku, explique la journaliste, était dans la délégation du Procureur Général de la République, Floribert Kabange, qui était en visite à Kananga, pour négocier, sans succès, avec le Chef Kamuina Nsapu tué quelques jours après.
Sur son compte Twitter, la journaliste Sonia Rolley affirme que «les députés étaient venus pour tenter de discuter avec le chef Kamuina Nsapu, mais ayant les négociations échoué, le chef a été tué le 12 aout 2016 … Au cours d’une d’une réunion organisée au cours de cette visite, Clément Kanku avait été mis en cause dans cette affaire de la milice Kamuina Nsapu, par Evariste Boshab, ancien vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, exactement sur la base de cet enregistrement».[21]
«À Kinshasa, plusieurs ambassades occidentales étaient déjà au courant de cet enregistrement et, depuis quelques temps, le nom de Clément Kanku était cité dans les exactions au Kasaï», fait remarquer un député qui suit de près les questions sécuritaires en RDC. «Dans ce qui passe dans le Kasaï comme dans d’autres foyers de tension dans le pays, nous savons que ce sont des politiciens qui tirent les ficelles: ils envoient de l’argent aux miliciens et deviennent leurs répondants», confie une source sécuritaire, en ajoutant: «Une posture de pyromane qui leur permet d’accroître leur influence dans l’échiquier politique et de négocier des postes ministériels, sous prétexte d’être les mieux placés pour pacifier une région en proie aux violences qu’ils ont eux-mêmes attisées».[22]
Selon New York Times, Clément Kanku aurait eu des liens étroits avec les combattants de la milice Kamwina Nsapu. Ce qui aurait conduit à sa nomination au poste du ministre du Développement dans le gouvernement Sammy Badibanga, dans le but de mettre fin à cette insurrection. Une thèse que confirme un député proche du Pouvoir. «L’implication de Clément Kanku dans les exactions commises par la milice Kamwina Nsapu au Kasai était connue. Mais il fallait régler la situation sans l’empirer. Et donc, je crois qu’il y a eu un deal pour calmer la situation, en plaçant l’affaire sous scellée» , explique ce député sous le sceau de l’anonymat.
Selon lui, inculper Clément Kanku au moment des faits aurait « aggravé davantage la situation ». «C’est un député de Dibaya, au coeur même de cette insurrection. L’envoyer en prison, alors que le Chef Kamuina venait de se faire tuer aurait pu enclencher d’autres problèmes», ajoute-t-il.
Notre source affirme cependant ignorer la nature du « deal », n’expliquant pas non plus la tournure actuelle de l’affaire. «Je ne sais pas si le deal était de lui confier un poste ministériel. Non, je ne peux pas vous le confirmer. Mais je sais seulement que ce sont les assassinats des agents [de l’ONU] qui ont compliqué les choses», dit-elle. Aucune autre source n’a confirmé les dires de ce député de la Majorité Présidentielle.[23]
Clément Kanku était devenu, en décembre 2016, ministre de la Coopération du gouvernement Badibanga. Le ministre avait cependant, pris position en faveur de la nomination de Félix Tshisekedi comme Premier ministre du nouveau gouvernement qui devait suivre l’Accord de la Saint-Sylvestre, alors que la majorité présidentielle s’y oppose. M. Kanku n’a pas été repris dans le gouvernement de Bruno Tshibala – non conforme à l’accord de paix – qui vient d’être investi.
De là à penser que Kanku était un «fusible» qui devait sauter, pour désamorcer la réprobation internationale face à la répression gouvernementale au Kasaï, il n’y a qu’un pas… Que certains franchissent d’autant plus facilement que Kinshasa (qui n’a officiellement pas assez d’argent pour organiser les élections destinées à désigner le remplaçant de Joseph Kabila) vient de conclure un contrat de 5,6 millions de dollars (une très grosse somme pour ce type de contrat) avec la firme israélienne Mer Security, qui fait sous-traiter ce contrat aux Etats-Unis par la firme de lobbying du Républicain Bob Dole, Alston and Bird. Selon cette dernière, le contrat prévoit qu’elle conseille sur «des communications stratégiques, des thèmes politiques». Fournir à un grand journal américain un enregistrement apparemment compromettant pour Clément Kanku, afin de détourner l’attention de l’armée congolaise, gravement compromise au Kasaï, en fait-il partie? Plusieurs Kasaïens en sont persuadés.[24]
c. Les première déclaration d’innocence de la part de C. Kanku et les premiers pas de la justice congolaise
Prenant la défense de Clément Kanku, Willy Ntumba, notable du Kasaï-central, confirme l’authenticité des enregistrements, mais il parle de « traduction erronée ».
Pour lui, le député Kanku était au téléphone avec un de ses collaborateurs, mais il n’a jamais été aux commandes de cette milice du Chef coutumier Kamuina Nsapu: «Il faut suivre l’enregistrement et la traduction. Ca n’a rien à voir avec quelqu’un qui donne des ordres. C’est juste un de ses travailleurs qui l’informe de la situation sur terrain. Quand il y a un problème qui se pose sur terrain à Tshimbulu, comme il est le seul député de cette contrée là, il doit être informé. Il n’a jamais été un commanditaire. C’est juste pour nuire. On veut noyer un digne fils de la contrée».[25]
Le 23 mai, dans un bref communiqué de presse, le député Clément Kanku a affirmé être «consterné par ces allégations d’implication dans des actions criminelles», qu’il réfute totalement.
«J’exige que toute la vérité soit dite. Je ne laisserai personne, par quelques artifices que ce soit, salir ni mon image ni la mémoire de ces nombreuses victimes qui attendent réparation. Je suis convaincu que toute la lumière sera faite dans cette affaire et que justice sera rendue aux nombreuses victimes d’exactions abominables dans le Kasaï, y compris les deux experts des Nations unies», a-t-il déclaré à la presse.[26]
Le 23 mai, le procureur général de la République Flory Kabange Numbi a annoncé l’ouverture d’une enquête sur une possible implication du député Clément Kanku dans les exactions en cours dans le Kasaï. «Si à l’issue de cette instruction, les faits étaient confirmés dans le chef du concerné [Clément Kanku], il serait alors inculpé de participation à un mouvement insurrectionnel, assassinats, incendies volontaires, destructions méchantes, associations des malfaiteurs», prévient Flory Kabange Numbi, en précisant que, pour l’instant, «il n’est nullement question de chercher à obtenir la levée des immunités» parlementaires.[27]
[1] Cf AFP – TV5 Monde, 03.04.’17 http://information.tv5monde.com/afrique/rdc-ce-que-l-sait-de-la-rebellion-kamwina-nsapu-162363
[2] Cf Joan Tilouine – Le Monde, 16.04.’17 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/26/au-kasai-un-conflit-coutumier-qui-degenere-en-sale-guerre_5118087_3212.html
[3] Cf Joan Tilouine – Le Monde, 16.04.’17
[4] Cf AFP – Africatime, 16.05.’17
[5] Cf Actualité.cd, 25.05.’17
[6] Cf DESC-Wondo, 17.02.’17 http://desc-wondo.org/fr/flash-desc-les-images-barbares-des-soldats-congolais-au-kasai-central/; Joan Tilouine – Le Monde-Afrique, 20.02.’17; Politico.cd, 18.02.’17; AFP – VOA, 18.02.’17
[7] Cf Will Cleas Nlemvo – Actualité.cd, 18.03.’17
[8] Cf Jeff Kaleb Hobiang 7sur7.cd, 20.05.’17
[9] Cf Joan Tilouine – Le Monde, 16.04.’17 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/26/au-kasai-un-conflit-coutumier-qui-degenere-en-sale-guerre_5118087_3212.html
[10] Cf RFI, 17 et 19.04.’17
[11] Cf Élysée Odia – 7sur7.cd, 22.05.’17
[12] Cf Radio Okapi, 14.04.’17
[13] Cf AFP – Africatime, 20.05.’17; Radio Okapi, 20.05.’17
[14] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 25.04.’17; RFI, 24.04.’17; Koaci.com, 24.04.’17 http://koaci.com/kinshasa-presente-video-lassassinat-deux-experts-etrangers-lonu-108673.html
[15] Cf DESC – Wondo.org, 27.04.’17 http://desc-wondo.org/fr/desc-investigation-assassinat-des-enqueteurs-de-lonu-les-incoherences-de-la-video-diffusee-par-le-gouvernement-congolais/
[16] Cf Kimp – Le Phare – Kinshasa, 25.05.’17
[17] Cf RFI, 24 et 25.05.’17
[18] Cf Stanys Bujakera – Actualité.cd, 25.05.’17
[19] Cf Politico.cd, 21.05.’17
[20] Cf 7sur7.cd, 21.05.’17 http://7sur7.cd/new/2017/05/tueries-au-kasai-un-enregistrement-compromettant-met-en-cause-le-depute-clement-kanku/
[21] Cf RFI, 22.05.’17; Politico.cd, 21.05.’17
[22] Cf Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 22.05.’17
[23] Cf Politico.cd, 24.05.’17
[24] Cf Marie-France Cros et Hubert Leclercq – La Libre / Afrique, 22.05.’17
[25] Cf Politico.cd, 22.05.’17
[26] Cf Radio Okapi, 23.05.’17
[27] Cf Radio Okapi, 23.05.’17