SOMMAIRE
ÉDITORIAL: DERRIÈRE LE SIGLE ADF (ORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES → INTÉRÊTS ET COMPLICITÉS ENCORE CACHÉES
- LES FORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES (ADF)
- L’évolution des ADF sur le territoire congolais
- Le procès des « présumés ADF »
- «Vrais», «faux» et «présumés» ADF
- La menace djihadiste dans l’est de la RDC est une pure invention
- Les tuniques des musulmans aident à masquer la face rwandaise de l’occupation
- LE MOUVEMENT DU 23 MARS (M23)
- Une tentative d’infiltration sur le territoire congolais à partir de l’Ouganda
- Une nouvelle stratégie
ÉDITORIAL: DERRIÈRE LE SIGLE ADF (FORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES) → INTÉRÊTS ET COMPLICITÉS ENCORE CACHÉES
1. LES FORCES DÉMOCRATIQUES ALLIÉES (ADF)
a. L’évolution des ADF sur le territoire congolais
Qui tue à Beni? Depuis 2014, massacres à l’arme blanche, décapitations, enlèvements, raids nocturnes ont fait plus de 1.000 morts autour de la ville de Beni. Dès la sortie de la ville on distingue des maisons vides, des champs abandonnés. C’est avec mépris, avec le sentiment que nul ne les protège, que les habitants voient passer les jeeps de la Monusco ou les convois de l’armée gouvernementale. De manière presque routinière, ces atrocités sont attribuées à un ennemi insaisissable, les ADF (Allied democratic Forces), présenté comme composé d’opposants ougandais réfugiés depuis plus de vingt ans en territoire congolais.
Arrivés au Congo vers la moitié des années 1990, les rebelles ougandais ADF, de confession musulmane, habitaient un quartier de Beni, appelé «Matonge», où ils vivaient sans problèmes avec la population locale et épousaient des femmes congolaises.
Au début des années 2000, alors qu’au Congo la guerre se poursuit, ils s’installent dans le parc des Virunga, où se trouvent déjà des groupes de réfugiés hutus rwandais qui vivent du commerce du charbon de bois. Selon Maître Kavota, «les relations des Ougandais avec les paysans congolais sont ambivalentes: dans certains cas, alors que l’ICCN (Institut congolais pour la protection de l’environnement) chasse les paysans qui veulent cultiver les terres du parc, les Ougandais placent ces derniers sous leur protection et achètent leur production agricole à bon prix. Dans d’autres cas ils les utilisent comme main d’œuvre forcée».
A leur principal «camp de base» installé dans la forêt, ils donnent des noms mythiques comme «Madina» ce qui signifie «Medine». Existent aussi les camps «Nadui», «Kabila», «KBG» et surtout «Canada». «Là, il s’agît d’une ruse», explique Me Kavota: «lorsqu’ils recrutent des jeunes Congolais, à Goma ou ailleurs, les islamistes promettent de les envoyer étudier au Canada. En réalité, le voyage se termine dans les forêts de la région de Beni où les recrues reçoivent un entraînement militaire et une formation idéologique… ».
Très vite, les rebelles ougandais deviennent autosuffisants: dans la vallée de la Semliki où ils s’installent, ils exploitent d’abondants gisements d’or et créent des comptoirs d’achat sur la frontière ougandaise, à Kasese et Bundibugyo, tandis que des raffineries s’installent à Kampala. Ils exploitent également le bois du Congo, qui sera ensuite estampillé bois ougandais. Ces ressources monétaires leur permettent de proposer aux cultivateurs de la région de Beni un meilleur prix pour leur production de café et de cacao, elle aussi exportée via l’Ouganda. Nouant des alliances avec des commerçants Nande, les rebelles ougandais interviennent même dans les circuits du commerce pétrolier: grâce au système de crédit musulman, l’hawala, fondé sur la confiance et la parole donnée, ils proposent du pétrole à crédit et en échange achètent du bois.
Réseaux économiques transfrontaliers et circuits mafieux se croisent ainsi jusqu’en 2010, assurant un développement spectaculaire aux villes de Beni et Butembo et renforçant le poids économique de la communauté Nande, dont l’influence s’étend jusque Kisangani en Province Orientale, Bukavu au Sud Kivu et Goma au Nord Kivu.
Mais en 2010, la situation évolue: Kinshasa veut s’assurer le contrôle des «bases» éparpillées dans les forêts du Nord Kivu, reprendre la maîtrise des circuits économiques et les opérations militaires se succèdent. Non seulement les rebelles renforcent la défense de leurs bastions, mais ils multiplient les recrues et surtout se trouvent des alliés auprès des Nande, avec lesquels ils ont noué des relations économiques et matrimoniales et surtout ils trouvent des complices au sein des forces armées congolaises. Quoi de plus facile? Les FARDC sont tout sauf homogènes: à la suite des accords de paix, elles ont subi le «brassage» puis le «mixage» et autres processus d’intégration en leurs rangs d’anciens rebelles, des hommes issus du RCD Goma (Tutsis pro rwandais), du RCD-MK de Mbusa Nyamwisi (Nande pro ougandais), du MLC de Jean Pierre Bemba et des anciens Mai Mai (groupes armés d’origine congolaise). D’anciens tueurs reçoivent du galon, des analphabètes se retrouvent à des postes de commandement, des ex rebelles gardent contact avec leurs camarades restés en forêt et «couvrent» les trafics divers dont ils partagent les bénéfices…
C’est en 2014 que la situation se gâte: après la victoire contre les rebelles tutsis pro rwandais du M23 chassés du pays, l’armée congolaise, au lieu de s’attaquer aux rebelles hutus FDLR (une priorité pour Kigali…) décide de passer à l’offensive contre les ADF et lance l’opération Sukola I.
Mais le 2 janvier, le très populaire colonel Mamadou Ndala, vainqueur de la guerre contre le M23, est tué dans une embuscade attribuée aux ADF, avec la complicité probable d’éléments de sa propre armée! Une sale guerre commence, que nul ne peut gagner: l’armée congolaise demeure faible et divisée, mais opérant suivant des schémas classiques et non des techniques de contre insurrection, elle frappe dur, bombarde les bastions installés dans les forêts et tente de prendre les ADF en étau.
Désireux d’obtenir un relâchement de la pression sur leurs bases, les ADF commencent alors à frapper dans la périphérie de Beni, afin d‘obliger l’armée à s’y redéployer, affaiblissant le front central. C’est alors que commencent les enlèvements et surtout les massacres à l’arme blanche qui créent la terreur et instaurent le doute au sein des populations qui ne se sentent pas protégées par leur armée.
La guerre est aussi psychologique: outre l’assassinat de Mamadou Ndala qui jettera le doute sur la loyauté de ses compagnons d’armes, des déclarations faites sur RFI par Mbusa Nyamwisi réfugié en Ouganda attribuent des massacres à l’armée gouvernementale! Un officier réputé proche du chef de l’Etat, le général Charles Akili Mundos est mis en cause. En brousse, dans des régions d’accès difficile, les camps de formation continuent à recruter, sur une base de militantisme religieux. S’y retrouvent de jeunes Congolais, mais aussi des Somaliens, Kényans, Ougandais, Tchadiens et Soudanais.[1]
b. Le procès des « présumés ADF »
En août 2016, on a entamé le procès des «présumés membres des ADF» (Allied democratic Front), un groupe armé considéré par le gouvernement congolais comme un groupe terroriste jihadiste. Ce procès révèle aussi les complicités locales et l’ambiguïté de certains éléments de l’armée ou de politiciens de la place.
Les arrestations, souvent arbitraires, se sont multipliées. Imams, militaires, entrepreneurs, chefs traditionnels ou simples habitants croupissent dans les geôles de Beni et de Kinshasa, accusés de collusion avec les «djihadistes». Les musulmans, qui vivaient jusque-là en harmonie avec les chrétiens et les protestants, sont devenus des cibles. L’imam Moussa Angwandi a arrêté de compter les arrestations de ses coreligionnaires, que ce soit dans la rue ou dans les quatre-vingts mosquées de Beni et de ses environs. «Si on est vêtu de notre tenue traditionnelle, on se fait arrêter, persécuter, traiter de djihadiste. Mais ils les fantasment, leurs djihadistes», s’emporte le responsable des musulmans de la région.
Un des prévenus, «Okapi Shabani Hamadi», avoue qu’il a fréquenté assidument la mosquée de Katindo, à Goma, où on lui a parlé du jihad, des moudjahhidines, des groupes qui combattaient en brousse.
Le colonel Shabani Molisho, un ancien officier des forces armées congolaises, (issu des rangs du RCD-Goma, ce mouvement rebelle composé naguère de rebelles tutsis alliés du Rwanda…) et présenté comme «renseignant» est confronté au prévenu. Lui aussi connaît la mosquée de Katindo et l’imam Suleiman et il confirme que le contenu des prêches portait bien sur la guerre sainte, sur le recrutement de nouveaux adeptes et sur le soutien à apporter aux combattants cachés dans les forêts.
Selon le Général Major Mukuntu Kiyana Timothée, Ministère Public dans ce procès, en brousse et dans des régions d’accès difficile, les responsables des camps de formation continuent à recruter, sur une base de militantisme religieux, des jeunes Congolais, mais aussi des Somaliens, Kényans, Ougandais, Tchadiens et Soudanais.[2]
En ce qui concerne ces étrangers, il est difficile de penser qu’il s’agisse de «Foreign Fighters» (combattants étrangers) arrivés au Congo pour s’enrôler dans un djihad hypothétique en vue de la création d’un califat dans la région des Grands Lacs d’Afrique. Il s’agit plutôt d’étrangers présents sur le sol congolais depuis plusieurs années, voire des décennies, pour des raisons politique, économiques ou professionnelles.
C’est le cas, par exemple de Moussa Bachran ou « Moussa Tchadien », un prévenu appelé à comparaitre devant le tribunal militaire de Beni dans le procès de « présumés ADF ». Il est le cousin de Hissène Habré, le dictateur tchadien qui, à la fin des années 80, entretenait les meilleures relations avec le président Mobutu. Après le renversement d’Hissène Habré en 1990, remplacé par son cousin Idriss Deby, une centaine de membres de sa garde personnelle furent accueillis au Zaïre où ils assurèrent la garde rapprochée du président Mobutu. «Lorsqu’à l’invitation du président Mobutu, Hissène Habré est venu dans ce qui était encore le Zaïre, moi je suis resté à Goma», explique Moussa. Par la suite, le Tchadien a pris femme dans la capitale du Nord Kivu et s’est lancé dans le commerce des minerais (or et pierres précieuses). Accusé d’avoir accueilli à son domicile et financé les études de jeunes musulmans qui devaient rejoindre les présumés-ADF à Beni, il a clamé son innocence, alors que ses avocats ont conditionné la poursuite de son audition à la restitution de ses biens, dérobés par les militaires de l’armé congolaise: deux jeeps, des diamants, de l’argent et des effets personnels.[3]
Ça pourrait être le cas du Colonel Kachanzu Nzama Hangi aussi, Officier Supérieur des FARDC affecté au département logistique (T4) des Opérations SUKOLA 1, poursuivi dans le procès sur les présumés ADF. Dans l’acte d’accusation du Ministère Public, le Colonel Kachanzu Hangi est formellement inculpé de participation à un mouvement insurrectionnel et de violation des consignes. Selon le Général Major Mukuntu Kiyana Timothée, Ministère Public dans ce procès, le Colonel Kachanzu est ougandais, militaire de l’UPDF (armée ougandaise) qui, par la magie de la réunification et du brassage de l’armée, s’est retrouvé au sein des FARDC. A l’époque de la rébellion du RCD-KML, Kachanzu a été pris pour le compte de l’UPDF comme Assistant instructeur des combattants de l’APC (Armée du Peuple Congolais).
Avec la réunification du pays, Kachanzu aura la chance de figurer sur la liste des militaires et Officiers du RCD-KML transmise au Gouvernement. Il bénéficiera ainsi, comme beaucoup d’autres, de la reconnaissance en grade par l’Ordonnance du Chef de l’Etat. Étant donné que l’armée congolaise doit assumer son histoire, le Ministère Public a rappelé qu’à ce titre, le prévenu est poursuivi comme Officier FARDC. Le Général Mukuntu a rappelé que, en rapport avec l’attaque de la localité d’Eringeti du 29 novembre 2015, le Rapport du Groupe d’Experts de l’ONU sur la RDC du 23 mai 2016 citait déjà le Colonel Kachanzu comme étant l’Officier FARDC ayant renseigné les ADF sur les positions FARDC ainsi que leur dotation/logistique, facilitant ainsi l’ennemi à opérer aisément. Une autre source du Ministère public c’est le Service de Renseignement Ougandais. Ce dernier avait alerté sur la présence en RDC d’un ravitailleur (en vivres, armes et munitions) des ADF, oeuvrant sous la couverture d’un Officier FARDC, le Colonel Kachanzu.[4]
Parmi les chefs coutumiers appelés à comparaître, il y a Mwami Désiré Boroso Bin Bendera II. Âgé de 48 ans, marié et père de 10 enfants, Mwami Boroso est le Chef de la localité de Baungatsu-Luna, résident à Eringeti, en Groupement Bambuba-Kisiki, Secteur de Beni-Mbau, au nord du Territoire de Beni et il est accusé d’être en lien avec les ADF. Le prévenu Kakule Baraka (ancien Joueur de football à Eringeti) a soutenu avoir surpris, en 2014, 12 combattants ADF à la résidence de Mwami Boroso. Ceux-ci venaient de loger chez-lui et s’apprêtaient à regagner la brousse après s’être visiblement ravitaillés. Pour tenter d’acheter son silence, Mwami Boroso aurait donné à Kakule Baraka 40$, le menaçant de mort au cas où il divulguerait le secret.
Un autre prévenu, Okabo Mabruki, a indiqué que Boroso ne pouvait en aucun cas nier ses liens avec l’ADF. La preuve, dit-il, au cours d’une perquisition de la Police faite à sa résidence en son temps, 12 jambières et des uniformes des combattants ADF avaient été retrouvées dans sa maison. Il aurait soudoyé la Police d’Oicha pour recouvrer sa liberté. Mwami Boroso a nié en bloc toutes les déclarations de Mabruki et a souhaité que l’OPJ de la Police, le Commissaire Papy, basé à Oicha, qui avait perquisitionné chez-lui comparaisse comme renseignant.
Un renseignant répondant au nom de Fatavizuri Moterne, ancien Commandant de la Police à Eringeti, a dit avoir acheté innocemment une moto d’un Taximan d’Eringeti. Il sera surpris d’être sommé quelques jours plus tard par les ADF, qu’au cas où il ne donne pas 600$ pour la moto lui vendue indûment, les ADF attaqueront Eringeti. Le message lui était reporté par Boroso et un jeune présenté par lui comme messager ADF. Il lui sera indiqué que la somme d’argent devait être remise à Boroso pour la faire parvenir aux ADF. A ce propos, Boroso dit avoir agit comme Chef de village et non comme collabo ADF. Il a soutenu que c’était pour épargner la vie des villageois qu’il s’est senti obligé de répondre à l’exigence des ADF. Et d’ajouter que même s’il avait pris l’argent du Commandant Fatavizuri Moterne tel qu’exigé par les ADF, il l’avait leur fait parvenir par un intermédiaire. Au regard de ce qui évolue aux différentes audiences de la Cour Militaire Opérationnelle à BENI, la question reste posée: «existerait-il des ADF sans complicité locale?».[5]
La cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu a auditionné, le jeudi 16 février 2017, le maire de Beni, Nyonyi Bwabakawa, comme renseignant dans le procès des présumés rebelles ADF.
Un prévenu présumé ADF, Suleyman Amuli Banza, un musulman de nationalité congolaise accusé d’être membre de la rébellion des ADF, l’avait cité comme collaborateur de ce groupe armé, déclarant que M. Bwanakawa aurait pris contact avec un chef de la rébellion pour négocier la fin des massacres des civils à Beni. «Si nous voulons avoir la lumière au sujet de ceux qui tuent les gens, il va falloir qu’on se tourne vers l’honorable maire de Beni, Masumbuko Nyondi et le général Muhindo Akili Mundos, commandant de la 31e brigade de l’armée congolaise. Ce sont eux qui apportent l’appui aux rebelles ADF», avait-il déclaré lors de l’audience publique du vendredi 10 février dernier à la tribune du 08 mars à Beni.
Dans sa déposition, le maire de Beni a parlé d’un message téléphonique qu’il a reçu de la part des présumés ADF qui sollicitaient une négociation avec lui en brousse. Un rapport avait été fait à sa hiérarchie et aux services de sécurité, a-t-il déclaré. Le ministère public a, de son côté, assuré que Nyonyi Bwanakawa agissait dans le cadre d’une mission d’infiltration des présumés-ADF, avec qui il était en contact pour distinguer les «vrais» des «faux-ADF». C’est l’action du maire qui aurait ainsi permis l’arrestation de plusieurs éléments rebelles.[6]
c. «Vrais», «faux» et «présumés» ADF
Le sigle des Allied Democratic Forces (Forces Démocratiques alliées) se décline désormais en «vrais», «faux» et «présumés» ADF. «Les « vrais » ADF étaient polis et nous respectaient, ils venaient dans nos champs, achetaient nos poules, des vivres et nous aidaient même à faire nos travaux», se souvient un vieil agriculteur d’Eringeti, en ajoutant: «Ces tueurs d’aujourd’hui ne sont pas nos amis d’hier, je vous l’assure». En plein cœur du «triangle de la mort», dans cette localité du territoire de Beni dévastée par les enlèvements et les massacres, à 80 km au nord du centre-ville, on ne comprend plus rien. Comment ces miliciens, qui ont pour certains épousé des filles du pays, qui ont noué des alliances et collaboré étroitement avec les groupes politico-militaires de ces dernières décennies, auraient-ils pu se transformer en égorgeurs? Les femmes enceintes et les enfants ne sont plus épargnés par les tueurs. Ni les religieux ou les humanitaires.
«Les “vrais” ADF disent qu’ils ne sont pas seuls à égorger et que s’ils l’ont fait, c’est parce que la population les a dénoncés. Depuis le début des opérations militaires [en 2014], ils ont coupé tout contact avec les locaux», assure Jacques Paluku Matswime, un paysan de 49 ans.
En novembre 2016, Jacques Paluku Matswime a été kidnappé dans son champ. Il avait été contraint à servir de porteur, marchant des nuits entières dans la forêt avec des ADF ougandais, les «vrais», pense-t-il. L’otage les a vus s’entraîner, combattre, prier et débattre des différents courants de l’islam. Durant ces dix jours, il était ligoté pendant ses rares moments de repos. «Avant de me libérer», raconte-t-il, «ils m’ont demandé de transmettre des messages: dire à l’armée congolaise de ne plus attaquer leurs positions, dire à la Monusco de cesser les bombardements et la surveillance aérienne».
Le territoire de Beni est sans doute la zone la plus militarisée. Aux soldats congolais s’ajoutent les casques bleus de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Congo (Monusco).
Pas suffisant pour endiguer les massacres. L’ONU navigue à vue, faute de moyens techniques pour récolter des renseignements fiables. Les drones qu’utilise la Monusco se révèlent incapables de percer la canopée de la forêt tropicale. «Il nous faudrait une petite CIA locale ici», soupire un haut responsable de la Monusco, «car, au fond, on ne sait rien, ni sur les ADF, ni sur ces militaires qui collaborent avec eux, ni sur les autres massacreurs. Faute de preuves, on se contente de théories plus ou moins étayées». A Beni, on pourrait en effet compter les différentes thèses et théories sur les auteurs de ces atrocités. A chacun son équation. Parmi les inconnues, on retrouve l’accaparement des terres, des rivalités ethniques, de micro-conflits coutumiers et des batailles pour le contrôle du trafic de bois dans une région pauvre en minerais.
«L’étiquette ADF est devenue une sorte de franchise, la situation est extrêmement confuse. Plusieurs acteurs comme les FARDC [l’armée congolaise] et d’anciens membres de groupes armés locaux sont impliqués dans les violences. Mais on ne trouve pas de motifs évidents à ces massacres», explique l’ancien expert de l’ONU Jason Stearns.[7]
d. La menace djihadiste dans l’est de la RDC est une pure invention
Le chercheur Thierry Vircoulon déconstruit le mythe d’un mouvement djihadiste dans la région du Nord-Kivu, thèse «inventée» et exploitée par Kinshasa.
A l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), dans la ville de Beni et ses environs, les massacres se sont poursuivis malgré la présence des casques bleus. Tout a démarré en 2010 avec des enlèvements qui se sont transformés en tueries quatre ans plus tard. Selon la société civile, plus de mille personnes ont perdu la vie, égorgées le plus souvent, parfois tuées par balles. A en croire Kinshasa, ces exactions sont commises par les combattants d’un mystérieux groupe armé ougandais d’obédience islamiste, les Forces Démocratiques Alliées (ADF), considérés comme des «djihadistes».
Question: Les autorités congolaises se disent en «guerre contre le terrorisme» à l’est du pays. Y a-t-il une véritable menace djihadiste dans cette partie de la RDC?
Thierry Vircoulon: C’est une menace inventée et exploitée par les autorités congolaises et ougandaises. Le prétendu visage de l’islamisme radical dans la province du Nord-Kivu, frontalière de l’Ouganda, ce sont les ADF. Or les ADF n’ont pas de prétentions ni de caractéristiques djihadistes. Les faits sont vrais: des tueries abominables commises sur le territoire de Beni. Mais leur interprétation, une implantation djihadiste au cœur de l’Afrique, est sujette à caution, voire tendancieuse.
- Ce que vous qualifiez d’«invention» s’inscrit-elle dans une stratégie politique de la part de Kinshasa sous pression de la communauté internationale?
- Cette rhétorique de Kinshasa a pour but de surfer sur la vague globale anti-terrorisme et d’essayer de s’attirer les bonnes grâces de puissances occidentales qui luttent contre le djihadisme. Et ce, dans l’espoir de provoquer des réactions de solidarité. L’islam radical est devenu un outil pratique pour les régimes dictatoriaux qui ont besoin de justifier leur répression interne et de s’attirer les bonnes grâces des puissances du Nord.
Il faut rappeler l’histoire de ce groupe armé, qui était composé de musulmans en lutte contre le régime ougandais et s’était réfugié à la frontière congolo-ougandaise au milieu des années 1990. A cette époque, il était bien vu des autorités zaïroises [Mobutu Sese Seko était encore au pouvoir]. Il s’était allié à un autre groupe de rebelles ougandais (les NALU) et fut un groupe armé comme les dizaines d’autres qui opéraient dans cette région pendant presque vingt ans. Et puis en 2013-2014, il y a eu un tournant et les ADF ont commencé à cibler les populations de manière répétée.
Les massacres qui ont lieu sur le territoire de Beni, dont la responsabilité est systématiquement attribuée aux ADF, ne sont jamais revendiqués et restent inexpliqués. Les ADF demeurent quasiment invisibles. Ils ne communiquent pas, ne font pas de propagande sur Internet et sont absents de la «djihadosphère». Alors que les autres groupes djihadistes en Afrique et ailleurs utilisent la violence dans leur quête de notoriété et d’influence à la fois dans et hors du mouvement djihadiste. La violence religieuse est la base de la propagande djihadiste, ce qui n’est pas du tout le cas avec les ADF.
- Quid de la doctrine religieuse des ADF?
- Si c’est du salafisme, c’est une version tout de même très tropicalisée. Il y a des vidéos où l’on voit des membres des ADF danser! Sur ces vidéos, les hommes ressemblent plus à des maï-maï [groupe d’autodéfense] qu’à des djihadistes, tant dans l’accoutrement que dans l’attitude.
Leur islamisme est finalement très discret. Ils n’arborent pas les symboles du djihad et ne semblent pas être dans une logique de défenseurs de la «vraie foie musulmane» face à des «apostats». Ils ne prétendent pas vouloir créer un califat dans la région des Grands-Lacs, ne ciblent pas particulièrement l’armée congolaise, ni des chefs religieux… Autant d’indices qui laissent à penser qu’ils sont finalement assez superficiellement islamisés.
- Et pourtant, à ses débuts, leur ancien chef, Jamil Mukulu, un Ougandais chrétien converti à l’Islam, a été influencé par des mouvements islamistes radicaux…
- Jamil Mukulu a effectivement embrassé l’islam de la secte tabligh. Il avait aussi noué des liens avec le Soudan d’Omar Al-Bachir et son éminence grise d’alors, Hassan Al-Tourabi. Puis les autorités ougandaises ont accusé les ADF d’être alliées à Al-Qaida, ont accusé Jamil Mukulu de s’être entraîné dans des camps au Pakistan. Enfin, selon Kampala et Kinshasa, ils auraient établi des contacts avec les djihadistes somaliens d’Al-Chabab. Mais aucune preuve n’est venue étayer ces affirmations. Seules des relations entre l’un des fils de Jamil Mukulu et des organisations musulmanes radicales kényanes ont été découvertes au moment de son arrestation. Les ADF restent mystérieux et taiseux. L’arrestation de Jamil Mukulu en Tanzanie en 2015 n’a rien changé.
- Comment expliquez-vous qu’un groupe armé ougandais ayant vécu des décennies en harmonie avec la population locale en RDC sombre dans l’ultra-violence en 2014 et multiplie les massacres?
- Ce changement de comportement est l’un des mystères des ADF. Ils ne sont pas dans une logique de recrutement de croyants en vue de l’expansion d’un califat en Afrique mais dans une logique de sanctuarisation territoriale. On peut observer de leur part une stratégie de sanctuarisation de certaines zones du territoire de Beni qu’ils ont interdit d’accès aux villageois. Leur discours était simple: «Si vous passez là, on vous tue». Ce qu’ils ont fait. Il y a une vingtaine de groupes armés toujours actifs dans la région des Kivu. Les ADF se singularisent des autres mouvements armés par leur absence de contact avec les organisations internationales. C’est par exemple le seul groupe armé de l’Est congolais qui n’a pas de relation avec la Croix-Rouge internationale. C’est pourquoi on s’interroge toujours sur la motivation précise de cette sanctuarisation. Eux revendiquent ces terres, en affirmant qu’elles leur ont été données par Mobutu Sese Seko qui les avait accueillis dans les années 1990, mais ce n’est pas une explication suffisante.
- Les habitants parlent de «vrais et faux ADF», soupçonnent la «main noire de Kinshasa», vilipendent la Mission de l’ONU en RDC (Monusco) accusée de collusion avec les «massacreurs». Quelle lecture faites-vous des dynamiques qui poussent aux massacres?
- La situation n’est pas seulement opaque. Elle est volontairement opacifiée. Ce qui est assez classique à l’est de la RDC, où les conflictualités sont anciennes, se renouvellent mais restent peu ou prou les mêmes depuis plusieurs décennies.
Depuis plus de vingt ans, l’est de la RDC est une zone grise où il y a un entrelacs de conflits dont les enjeux sont les territoires et leurs ressources, auxquels se superposent des réseaux de trafics régionaux et internationaux. A cela s’ajoutent des implications importantes de Kinshasa, car cette multitude de conflits locaux peut être instrumentalisée à des fins politiques à l’échelle nationale.
Les ADF continuent d’exister grâce à des complicités, probablement des deux côtés de la frontière RDC-Ouganda. Ce groupe armé remplit sans doute une fonction utile pour des acteurs politiques, dont certains peuvent ainsi bénéficier de trafics frontaliers illégaux. La situation, comme les acteurs impliqués demeurent très nébuleux.
Plusieurs indices pointent des officiers supérieurs de l’armée congolaise qui ont servi dans la zone. Et un réseau clientéliste pourrait impliquer certains hommes politiques et hommes d’affaires.
D’après les sources locales, les violences ne seraient pas seulement le fait des ADF historiques, mais aussi d’autres groupes armés, voire de ce que les habitants désignent par l’expression «ADF FARDC» [Forces armées de la RDC]. Récemment, devant la cour militaire opérationnelle, des militaires congolais ont été mis en cause.[8]
En effet, le comportement de l’armée congolaise face à la vague de tueries de Beni est éminemment suspect. Aussi bien les parlementaires congolais que le Bureau des Droits de l’homme des Nations Unies en RDCongo mettent en doute la version officielle de la responsabilité des ADF dans plusieurs massacres et pointe des responsabilités au sein de l’armée congolaise. Dès novembre 2014, la commission parlementaire envoyée pour enquêter sur les massacres dans la région de Beni souligna que le plan de protection des civils élaboré par le Général Champion de la Monusco n’a pas fonctionné. Plus troublant encore, certains officiers congolais auraient interdit à leurs hommes de porter secours aux populations durant les massacres ou auraient sciemment attendu plusieurs heures après les massacres pour envoyer des secours. En 2014 et 2015, les régiments 808, 809, 905 et 1.006 auraient été impliqués dans les massacres de Tenambo-Mamiki, de Ngadi et de Mayangose.
Alors que les ADF sont une priorité de sécurité, le manque de réactivité de l’armé congolaise se répète lors du massacre d’août 2016. Une fois encore, le réseau d’alerte précoce mis en place par les Nations Unies n’a pas fonctionné. Des témoignages au sein de la Société Civile indiquent que des officiers de l’armée congolaise auraient intimé l’ordre aux relais civils de ce système d’alerte précoce de ne pas l’utiliser en cas d’attaque. Ces témoignages mettent aussi en évidence des complicités entre les ADF et certaines unités de l’armée congolaise à tel point que la Société civile locale parle des « ADF – FARDC ». À ce titre, il convient de rappeler que le meurtre du « héros » de la lutte contre le M23, le colonel Mamadou Ndala, en janvier 2014, est considéré comme un règlement de comptes entre militaires congolais maquillé en embuscade des ADF. Le mystère des ADF semble s’inscrire dans la longue tradition de complicité et d’instrumentalisation des groupes armés dans l’est de la RDCongo par le commandement de l’armée congolaise.
Si le gouvernement congolais et la Monusco continuent d’imputer aux seuls ADF la responsabilité des massacres de la région de Beni et de décrire ce mouvement comme un groupe de fanatiques islamistes ougandais, cette lecture est de plus en plus contestée. Dès 2012, l’International Crisis Group insistait sur la « congolisation » des combattants ADF, remettait en cause l’existence d’une coopération directe avec les Shebaab et soulignait que « le gouvernement ougandais instrumentalisait la menace terroriste à des fins intérieurs et extérieurs ». Au début 2016, le groupe d’Études sur le Congo de l’université de New York estimait qu’outre les ADF, des membres de groupes armés locaux (notamment d’anciens du Rassemblement Congolais pour la Démocratie – Kisangani / Mouvement de Libération et d’anciens membres du CNDP / M23) et des FARDC portaient une part très importante de responsabilité dans ces tueries. À ces voix dissonantes s’ajoute celle des autorités locales. En effet, selon le maire de Beni, Bwanakawa Nyonyi, les massacres sont le fait d’une « nébuleuse » derrière laquelle se cachent « des mains politiques congolaises », une opinion partagée par de nombreuses organisations locales de la Société civile.[9]
e. Les tuniques des musulmans aident à masquer la face rwandaise de l’occupation
La thèse de la responsabilité des ADF dans les massacres ne convainc pas à Béni. «Nous ne pouvons pas affirmer ou infirmer que les ADF sont responsables de ces crimes», affirme, prudent, le directeur de la Commission Justice et Paix de Butembo-Beni. Mais il ajoute, aussitôt: «Beaucoup affirment que c’est le gouvernement et les populations rwandaises qui sont les commanditaires de ces crimes pour balkaniser la région». C’était le point de vue du religieux assomptionniste Vincent Machozi, assassiné dans la nuit du 20 mars 2016. Peu de temps avant d’être tué, il avait accusé sur son site Internet Beni-Lubero, le président Joseph Kabila et le président rwandais Paul Kagame d’être les commanditaires des massacres. Selon lui, ils instaureraient un climat de terreur afin de pousser la population à quitter leurs terres, une zone dont le sous-sol est riche en coltan. Dans son dernier message avant d’être assassiné, le P. Machozi écrivait: «Les tuniques des musulmans aident la diversion qui tend à masquer la face rwandaise de l’occupation pour faire avancer la thèse de l’islamisme El-Shebab ou Boko Haram qui n’a jamais réussi à convaincre un seul Congolais tellement la face du Rwanda est visible partout».[10]
Cette opinion semble être aussi celle de Richard Kalule, chef de quartier à Rwangoma, à 5 kilomètres du centre ville de Beni. Le 13 août 2013, alors qu’il rentrait de ses champs en compagnie d’autres paysans, il a été subitement intercepté. Voici ce qu’il dit: «vêtus de tenues militaires kaki ou « tâche tâche » comme celles de l’armée congolaise, des assaillants se sont jetés sur nous. Dans leur groupe, il y avait aussi des femmes et des enfants, tous étaient dotés de haches, de machettes, de bâtons. Ils nous ont jetés au sol, ligotés et ont commencé à nous tuer avec méthode. Moi, j’ai été blessé, laissé pour mort, deux femmes ont été violées puis abattues».
Le groupe des assaillants semblait être venu à pied de Rushuru, une localité située sur la lisière sud du parc des Virunga, et il est reparti le même soir, laissant 40 cadavres dont certains avaient eu la tête fendue à coups de hache. Appelés sur les lieux, quatre policiers militaires ont tiré sur cette foule, mais ils n’ont fait que des blessés qui réussirent à s’enfuir.
- Kakule assure que parmi les assaillants, outre les tenues militaires, certains portaient de «grandes chemises» et arboraient de «longues barbes» comme les Musulmans. La plupart s’exprimaient en swahili, mais M. Kakule se targue d’avoir discerné des Rwandais parmi eux car, dit-il, «ils mélangeaient les R et les L, c’est typique des Rwandais».
Depuis lors, Zaituni Vangu, laissée veuve avec six enfants, dont la maison a été incendiée, n’ose plus aller aux champs. Pas plus que Marcelline Kafutu qui a perdu sa mère et sa sœur lors de cette attaque, ni Mme Paluku, 68 ans, frappée de coups de hache dans la hanche. Lucides, ces femmes s’interrogent: «ces gens qui ont tué les nôtres, étaient dotés de machettes neuves, visiblement passées à la meuleuse pour pouvoir mieux trancher. Ils semblaient être en opération et nous ont dit en partant «nous reviendrons, car cette terre nous a été donnée du temps de Mobutu». A première vue, tant par la langue utilisée que par les méthodes (blessures à l’arme blanche, tueries en groupe…) ces assaillants ressemblent plutôt à des Hutus rwandais descendus sur Beni depuis le Parc des Virunga où ils campent depuis vingt ans et qui convoitent les riches terres des alentours de Beni.[11]
2. LE MOUVEMENT DU 23 MARS (M23)
a. Une tentative d’infiltration sur le territoire congolais à partir de l’Ouganda
Le 18 février, Erique Gasana, ancien lieutenant de l’armée congolaise et combattant de l’ex-groupe armé Mouvement du 23 mars (M23), s’est rendu aux Forces armées de la RDC (FARDC) et il a affirmé que l’un des chefs de ce mouvement, Sultani Makenga, et un groupe de combattants sont actuellement présents dans le territoire de Rutshuru, au Nord-Kivu. Selon son récit, un groupe de combattants a été préparé pour s’attaquer aux gardes du parc pour récupérer leurs armes.
A en croire Erique Gasana, les combattants de l’ex-M23 sont pour la plupart armés de Kalachinkov et seraient commandés par le colonel déchu Joseph Mboneza. Au sujet de Sultani Makenga, ex-chef militaire du M23, il affirme qu’il est actuellement dans la réserve des gorilles de Sarambwe à Rutshuru, aux pieds des collines Sabinyo et Mikeno, à la frontière ougandaise. Il serait en compagnie d’une centaine de combattants recrutés à partir du camp militaire de Bihanga, en Ouganda. Toujours selon Erique Gasana, au moins soixante-neuf combattants de l’ex-rébellion du M23 sont signalés depuis le week-end dernier dans la région de Tongo, dans le territoire de Rutshuru.
D’après certains responsables militaires du Nord-Kivu, une dizaine de combattants recrutés par l’ex-mouvement rebelle sont actuellement détenus à l’Etat-major de Goma.
Le M23 est un ancien mouvement rebelle qui a occupé plusieurs territoires du Nord-Kivu entre 2012 et 2013 avant d’être défait par l’armée congolaise et la MONUSCO. La rébellion avait annoncé sa dissolution. De nombreux combattants ont trouvé refuge au Rwanda et en Ouganda.[12]
Le 20 février, des combats ont opposé le matin des présumés combattants de l’ancienne rébellion du M23 aux forces armées congolaises à Matebe, six kilomètres à l’Est de Rutshuru-centre, chef-lieu du territoire du même nom. Selon certaines sources, les affrontements ont duré presqu’une heure (de 8h30 à 9h25) et les FARDC ont repoussé les assaillants.[13]
Le 22 février, après d’intenses combats, les forces armées de la RDC (FARDC) ont réussi à déloger les combattants M23 de plusieurs collines qu’ils occupaient dans le groupement Busanza, en territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), après avoir été repoussés de Matebe.
«Nous nous sommes battus sur des collines durant toute la journée. II s’agit de la colline Songa, Kafumbiza, Botimbo, Rutezo et Kirambo. Dans la soirée précisément autour de 18 heures, les combattants M23 ont fui en Ouganda. Au total, 73 combattants ont traversé la frontière, nous en avons tué 16 et capturé 4», a dit un officier FARDC engagé au front, en ajoutant que la situation est pour le moment « sous contrôle de l’armée » qui procède au ratissage dans certains endroits où l’on a annoncé la présence de quelques éléments de l’ex-M23 dans les groupements Jomba et Busanza.
Depuis Kampala, Bertrand Bisimwa le président du Mouvement du 23 mars a publié un communiqué dans lequel il accuse les Forces armées de la RDC (FARDC) d’avoir utilisé la force contre «des ex-combattants M23 désarmés qui retournent dans leur pays, sans aucune intention de faire la guerre». Toujours selon le communiqué, «le choix du gouvernement d’imposer la guerre aux ex-combattants M23 retournés au pays, les contraignant ainsi à se défendre, constitue un signal négatif envoyé à leurs collègues restés dans les centres de cantonnement en Ouganda et au Rwanda, car ils comprendraient qu’ils ne sont pas les bienvenus dans leur propre pays».[14]
Le 27 février, le coordonnateur du Centre d’étude pour la promotion de la paix, la démocratie et les droits de l’homme (CEPADHO), Omar Kavota, a demandé au chef de l’Etat congolais d’exiger que l’ONU, l’Union africaine, la CIRGL et la SADC prennent des mesures contraignantes contre l’Ouganda et le Rwanda qui, selon lui, déstabilisent la paix et la sécurité de la RDC à travers le M23. Il a déploré le fait que Kampala et Kigali continuent de servir de bases arrières aux rebelles de l’ex-M23. D’ailleurs, poursuit le coordonnateur du CEPADHO, certains rebelles de l’ex-M23 capturés n’hésitent pas à déclarer ouvertement recevoir des armes et munitions de la part de l’Ouganda et du Rwanda.[15]
Le 1er mars, le général Léon Mushale, commandant de la 3ème zone de défense, a déclaré que, depuis le début des opérations menées contre le M23 depuis le 27 janvier dernier, les FARDC ont tué vingt rebelles du M23 et capturé vingt-cinq autres, dont quinze Rwandais et dix Congolais. Certains parmi eux se sont rendus, indique la même source. Du côté des FARDC, le général Mushale avance un bilan d’un mort, six blessés et deux hélicoptères écrasés.[16]
b. Une nouvelle stratégie
Selon certains sources, les M23 déjà infiltrés en Territoire de Rutshuru tentent de rallier les May-May Nyatura (Hutu congolais) à leur cause. Le prétexte présenté pour les séduire c’est de faire front commun pour libérer les Hutu contre les May-May qui les persécutent. Ces M23 veulent ainsi s’attirer l’allégeance des Hutu en simulant leur libération.
Par ailleurs, les ex-M23 auraient réussi à acquérir à leur solde le redoutable Bwambale Kakolele, seigneur de guerre originaire du Grand-Nord. Cela afin que ce dernier obtienne l’allégeance des Nande de Beni-Lubero à leur conspiration, en leur faisant croire qu’ils viennent les libérer contre les égorgeurs ADF.
Et pour faciliter la tâche à Kakolele, la milice Corps du Christ a été montée de toute pièce. Elle a été appelée May-May afin de mériter l’adhésion des Nande. Pourtant, cette dernière devra faire jonction avec les M23 en provenance de l’Ouganda et de Rutshuru.
D’autres informations révèlent que les May-May NDC Rénovés de Guidon (Hunde et Nyanga) auraient déjà mordu à l’hameçon des M23. Depuis peu, les M23 les utilisent avec certains May-May Mazembe (Nande) pour opérer des tueries contre les Hutu et déconcerter les FARDC par des attaques intempestives.
La plupart de combattants May-May ne savent pas aussi que c’est en vue de préparer la route au M23 qu’ils sont utilisés dans des attaques et des enlèvements de nature à susciter des tensions ethniques. En réalité, les M23 voudraient obtenir le désespoir et la colère des Hutu et des Nande pour légitimer leur guerre en se présentant en libérateurs pour les uns ou les autres, et afin d’obtenir le ralliement des groupes armés actifs dans la région: les Nyatura, les May-May, …
Certaines indiscrétions ont indiqué que les M23 ont réussi à infiltrer les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR). Ils seraient à la base de la dissidence constatée dernièrement au sein des FDLR/FOCA, de quoi vient de naître la nouvelle branche FDLR/CNRD (Conseil National pour le Renouveau et la Démocratie).[17]
[1] Cf Le Carnet de Colette Braeckman – Le Soir, 23.02.’17 Les longues racines de l’implantation musulmane au Nord Kivu
[2] Cf Joan Tilouine – Le Monde Afrique, 01.03.’17; Le Carnet de Colette Braeckman – Le Soir, 27.02.’17
[3] Cf Le Carnet de Colette Braeckman – Le Soir, 27.02.’17; Dunia Kongo Media (DKM), 17.02.’17
[4] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 28 Février 2017
[5] Cf Bulletin d’Information-CEPADHO du 25 Février 2017
[6] Cf Radio Moto Oicha, 18.02.’17; Dunia Kongo Media, 17.02.’17
[7] Cf Joan Tilouine – Le Monde Afrique, 01.03.’17 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/03/01/mathematique-macabre-a-l-est-du-congo_5087469_3212.html
[8] Cf Joan Tilouine – Le Monde, 06.03.’17 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/03/06/la-menace-djihadiste-a-l-est-de-la-rdc-est-une-pure-invention_5090023_3212.html
[9] Cf T. Vircoulon et J. Battory, « L’islam radical en République Démocratique du Congo. Entre mythe et manipulation », Notes de l’Ifri, Ifri, Février 2017.
Texte complet: https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/vircoulon_battory_islam_radical_rdc_2017.pdf
[10] Cf Laurent Larcher – La Crois, 13.03.’17 http://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Massacres-a-Beni-la-fausse-piste-djihadiste-2017-03-12-1200831246
[11] Cf Le Carnet de Colette Braeckman – Le Soir, 27.02.’17 Les civils de Beni s’interrogent toujours sur leurs assaillants
[12] Cf Radio Okapi, 21.02.’17
[13] Cf Patrick Maki – Actualité.cd, 20.02.’17
[14] Cf Patrick Maki – Actualité.cd, 22.02.’17; Radio Okapi, 23.02.’17; AFP – Africatime, 23.02.’17
[15] Cf Radio Okapi, 27.02.’17
[16] Cf Radio Okapi, 01.03.’17; Patrick Maki – Actualité.cd, 01.03.’17
[17] Cf Bulletin d’Information et d’Analyse-CEPADHO du 20 Février 2017