LES ROUTES VERS LES URNES EN RDC – Dangereuse Loi Electorale. ( Gilbert KIAKWAMA Kia Kiziki, Depute National, Kinshasa)

Honorable Président, Honorables Membres du Bureau, Honorables Députés, Chers Collègues,
Les conséquences qu’aurait l’adoption du projet de loi électorale tel que présenté par le gouvernement sont trop graves pour que nous soyons complaisants. La loi électorale est une des normes structurantes de la Démocratie. Son adoption est une question de Responsabilité.

Honorables Députés, Chers Collègues,

Aucun système n’est bon en soi. C’est ainsi qu’il existe plusieurs systèmes électoraux à travers le monde. Ce qui en fait de bons systèmes, c’est que, là où ces différents systèmes électoraux ont cours, ils sont universellement compris et acceptés par les populations. C’est la condition sine qua non d’une démocratie apaisée : l’adhésion de tout un peuple aux règles qui le gouvernent.

Un exemple, le Royaume-Uni. Depuis des décennies le système électoral de ce pays est le First Past The Post (FPTP), appelé à être réformé par référendum. Cette réforme a été annoncée en campagne par les libéraux-démocrates et est aujourd’hui âprement discutée à l‘occasion du référendum. Entre l’adoption des nouvelles règles et les prochaines élections, il devrait se passer environ 4 ans.

Or, chers collègues, dans le cas du Congo, la réforme est tardive, introduite, comme la révision constitutionnelle, sans débat citoyen préalable et, vu les conditions du débat général actuel, cette réforme risque d’être adoptée sans même un débat parlementaire digne de ce nom. De plus, la nouvelle loi électorale ne laisse pas assez de temps aux candidats potentiels pour s’adapter.

Honorable Président,

Pendant les 4 dernières années, tous les politiciens ont travaillé dans leur base à la lumière des leçons tirées des élections de 2006. Il n’y avait pas d’apparentement, pas de scrutin majoritaire de liste, et à Kinshasa, les districts étaient les circonscriptions. Toutes leurs stratégies politiques et électorales étaient basées sur 2006. C’est tout ce travail qui est remis en cause par le changement en dernière minute des règles du jeu. Or, en politique électorale il existe trois facteurs déterminants : le temps, l’argent et les hommes. Moins vous avez de temps, plus vous avez besoin d’argent et d’hommes. Où un pauvre candidat lambda trouvera-t-il l’argent pour faire en 6 mois le travail de 5 ans ?

Honorables Députés,

Dans l’exposé des motifs le gouvernement dit vouloir améliorer le fonctionnement des institutions et donc vouloir renforcer les partis politiques qui en désignent les animateurs. Or, un parti national présentant 500 candidats députés nationaux devrait investir 250.000,- $. Si on ajoute les élections provinciales, sénatoriales, locales, et les élections des gouverneurs on arrive facilement à 2 millions de dollars.

Avec ce montant, la campagne n’est pas encore financée et les témoins électoraux ne sont pas encore défrayés. Cela implique 2 choses :

– Vu leur pauvreté, vous rendez les partis « otages » des individus, des hommes forts. Surtout les partis de l’Opposition. Celui qui aura 500,- $, obtenus on ne sait comment, sera candidat. Peu importe s’il est le moins méritant, ou celui ayant le moins de chance de gagner.

– Vous avouez indirectement que les partis de la majorité se sont assez enrichis pour pouvoir se permettre de payer des sommes aussi faramineuses sans frémir. A vous en croire, par rapport à 2006 l’Etat s’est appauvri au point de devoir faire un tour d’élections en moins. Mais par contre, les individus et les partis qui composent la majorité, eux, peuvent supporter une augmentation de plus de 2.000 % de la caution électorale.

En clair on va faire une démocrature des riches et des kuluna en cravate.

Chers Collègues,

Adopter cette loi est le plus sûr moyen d’aller vers les drames ivoiriens, zimbabwéens ou kenyans :

1. Sur la caution. Vous rendez prohibitif le coût d’accès aux responsabilités politiques. Un instituteur méritant, reconnu dans sa communauté ne pourrait pas payer la caution de 500,-$.

2. Sur le Seuil d’éligibilité. Il est à 20 %. Donc, ne seront comptées que les voix des listes ayant plus de 20 % des suffrages exprimés. Chers collègues, rapportés à cette chambre, 20 % c’est 100 députés. Devinez qui seul pourrait siéger avec ses 110 élus ? Le PPRD !!

Messieurs les partisans de la loi nouvelle, que se passera-t-il quand les électeurs des candidats à 17, 18,19 % se rendront compte que leurs voix n’ont même pas été comptabilisées ?

3. Sur le Scrutin majoritaire de liste. Exemple : Dans une circonscription à 10 sièges, tous les partis d’un camp s’apparentent et obtiennent mécaniquement 51 %. Leurs adversaires, apparentés ou non, obtiennent 49 %. Résultat : 100% des sièges vont au camp qui a eu 51 % des voix.

Messieurs, que se passera-t-il quand les électeurs de ceux qui ont obtenu 49 % verront que leur camp n’a même pas un siège ? Que se passera-t-il dans les circonscriptions pluri-ethniques, si par exemple les Bahunde soutiennent majoritairement un camp et les Banande un autre ?

4. Sur le Scrutin majoritaire de liste encore. Vous prétendez ne plus vouloir de député élu avec 300 voix. Mais, Messieurs, que se passera-t-il quand le siège de l’Honorable Adam Bombole sera donné au candidat d’un obscur parti ayant récolté 300 voix sur son nom, parce que la liste MP, à laquelle cet inconnu est apparenté, a raflé tous les sièges ?

5. Sur le cas particulier de Kinshasa. Je reviens à mon politicien kinois. Pendant 4 ans et demi cette personne, a réparti son effort sur 5 communes. A 6 mois des élections, vous lui dites qu’elle doit oublier les liens tissés avec 80 % de ses électeurs, pour aller dans 1 seule commune en chercher d’autres qui ne la connaissent pas et qu’elle n’aura pas le temps de convaincre. Messieurs, que se passera-t-il quand ce politicien verra un autre candidat être élu parce que, ayant beaucoup d’argent, il a pu modifier sa stratégie ?

6. Sur le cas particulier de Kinshasa encore. Avec le nouveau découpage vous ethnicisez le scrutin. On a connu ça sous Mobutu. Les communes étaient les circonscriptions. Résultat, les ressortissants du Bas-Congo et du Bandundu ont été élus très majoritairement. Le dictateur avait simplement dit : Recommencez les élections, mais sans les candidats de ces provinces. Sa justification était : Kinshasa doit être le miroir de la diversité du Zaïre. Mais ils auraient pu y penser avant, lui et ses laborantins, lorsqu’ils avaient concocté la règle !

Aujourd’hui c’est la même chose pour le Projet de loi électorale sous examen comme pour d’autres. Vous adoptez des règles et des mesures dont nous vous avertissons qu’elles auront des conséquences néfastes. Vous n’écoutez pas. Raison : Vu l’urgence, Vu la nécessité. Résultat : RIEN… ou le Désordre. Conséquence : Vu l’urgence, vu la nécessité, il faut faire quelque chose « raka-raka », comme disent les Kinois, pour éviter le pire, et on repart dans la mauvaise direction. La loi d’amnistie, les contrats chinois sont là pour témoigner de cette façon néfaste de concevoir votre responsabilité de gouverner. De même, tous les budgets adoptés depuis 2008 au moins en attestent ; malgré nos critiques, vous affirmiez avec aplomb qu’ils contenaient les sommes nécessaires à l’organisation des élections. C’est un cercle vicieux. Jamais vous n’hésitez à entrainer toute la nation congolaise vers le péril. Les Kinois diraient que vous faites les choses « na nko ! ». Sans vouloir faire de polémique, je remarque que vous avez recyclé les laborantins de l’époque de Mobutu.

Honorable Président, Honorables membres du Bureau, Honorables Députés, Chers Collègues,

En Tunisie, en Egypte, en Libye, au Yemen, au Bahrein, en Syrie, des peuples dont tous les observateurs soulignaient l’apathie et l’incapacité à revendiquer, se révoltent et poussent leurs élites à changer le pays. Ces peuples exigent que leurs dirigeants leur rendent Dignité et Respect.

Tout ceci devrait nous interpeller Chers Collègues. Pourquoi un jeune de 15-20 ans, une paisible ménagère, un vénérable professeur en arrivent-ils à revendiquer si fort dans la rue, au péril de leur vie ? Parce qu’ils ont perdu confiance dans les élites politiques de leurs pays. Ils en ont assez du Mensonge et de l’Injustice. Ils en ont assez d’accepter le Mépris et l’Arrogance.

Parfois les élites déçoivent par leur égoïsme, leurs compromissions. Mais parfois aussi, les élites peuvent surprendre leurs populations par les actes courageux qu’elles posent et c’est en cela que notre responsabilité est engagée. Comment accepter que la Majorité Présidentielle propose un système où seuls les riches peuvent accéder à un mandat électif ? Comment comprendre que la même Majorité propose de modifier profondément les règles du jeu électoral alors que les experts de la CENI eux-mêmes disent que plus on change les règles, plus les procédures et les matériels doivent changer par rapport à 2006, et plus les délais seront allongés ? Comment comprendre que les membres de la M.P. acceptent l’inégalité et les risques de ce texte, là où les congolais ne cessent de réclamer plus d’Egalité entre compatriotes, plus de Vérité et plus de Justice.

Vu la logique qui sous-tend les dernières réformes institutionnelles, vu le mépris des conséquences et des risques, c’est à se demander si ceux qui défendent ce projet veulent vraiment un Congo à la démocratie apaisée, où chacun accepterait d’autant mieux la loi qu’il la connait et la comprend. En fait, une seule analyse s’impose : le Président de la République et quelques-uns parmi les siens aiment tellement leur pouvoir qu’ils sont prêts à tout pour le garder. Ils sont prêts à changer toutes les règles, à supprimer tous les garde-fous, à éliminer même leurs alliés, peu importe les conséquences pour le pays.

Chers Collègues, j’en appelle à la responsabilité de chacun. Revenons à la loi de 2006. Que ceux qui veulent la changer profondément reviennent à la prochaine législature avec un mandat clair du peuple, et qu’ils commencent la procédure de modification en début de législature.

Chers Collègues de la majorité. Ne laissez pas faire cette nouvelle violence à la jeune démocratie congolaise. Pire encore. Ne soyez pas complices de votre propre meurtre politique.

Je vous remercie.

Gilbert KIAKWAMA kia KIZIKI
Député National CDC (Convention des Démocrates Chrétiens)
Président du Groupe parlementaire Chrétien-Démocrates (CD)