Rwanda actualité – mai 2011 – supplément

L’ÉVIDENCE DES RESPONSABILITÉS DU FPR – La déclaration de l’Institut de Droit Humanitaire International (Etats-Unis) – Un militaire du FPR arrêté à Washington – Le TPIR tire a sa fin: son bilan est mitige
RWANDA: L’AVEUGLEMENT DES ACTIVISTES DU FPR – I. La différence de nature entre les massacres des Tutsi et ceux des Hutu – 1. Seuls les massacres des Tutsi doivent être considérés comme un génocide – 2. Les massacres des réfugiés Hutu en RDC n’étaient pas intentionnels – 3. Le nombre des victimes en RDC et au Rwanda est extravagant – II. Le FPR n’a fait qu’exercer son droit de «legitime defense» – 1. L’ONU n’a pas respecté les règles en matière de réfugiés – 2. Les camps étaient contrôlés par les génocidaires – 3. Les ex-FAR et les Interahamwe avaient l’intention d’envahir le Rwanda

L’ÉVIDENCE DES RESPONSABILITÉS DU FPR

La déclaration de l’Institut de Droit Humanitaire International (Etats-Unis)

Le 5 mai, l’Institut de Droit Humanitaire International (Etats-Unis) a publié un communiqué selon lequel dans une déclaration du 2 mai [AP], le Procureur rwandais, Martin Ngoga, a renouvelé les fausses accusations de «négationnisme» du génocide rwandais à l’encontre du Directeur de IHLI, le Professeur américain, Peter Erlinder; en cause ses publications académiques, basées sur des témoignages et des documents venant du dossier du TPIR (Tribunal Pénal International pour le Rwanda).

L’Institut est autorisé à faire la déclaration suivante:

– Le Professeur Erlinder a déclaré publiquement, à de nombreuses reprises, qu’il ne conteste pas que des dizaines de milliers de Tutsis rwandais ont péri entre avril et juillet 1994, dans des circonstances qui cadrent avec la définition du génocide telle que l’entend la Convention sur le Génocide, mais que des dizaines de milliers de Hutus ont également été victimes en avril-juillet 1994, et plus tard.

– Les professeurs Stam de l’Université de Michigan et Davenport de Université Notre-Dame, deux anciens enquêteurs du TPIR, après avoir analysé tous les rapports du gouvernement rwandais, ceux des ONG et de l’ONU, ont trouvé qu’entre avril et juillet 1994, le nombre de Hutus qui ont été tués est deux fois plus grand que le nombre de Tutsis.

– Le jugement Militaire-1 au TPIR (version complète: 8 février 2009) n’a pas trouvé suffisamment de preuves pour reconnaître les anciens officiers militaires coupables d’une conspiration planifiée de longue date, destinée à commettre le génocide contre les Tutsis, ou à perpétrer d’autres crimes;

– L’Ambassadeur des États-Unis et des documents américains de 1994, rendus publics, établissent que les causes réelles du génocide au Rwanda sont: (a) le déplacement de 1 million et demi de Rwandais face à l’agression militaire du FPR au début de 1993 et (b) l’assassinat des présidents du Rwanda et Burundi par le FPR en avril 1994. L’ambassadeur américain au Rwanda avait personnellement averti Kagame en novembre 1993, que, s’il reprenait la guerre, il serait tenu responsable des massacres qui s’ensuivraient au Rwanda. . Ceci a été également confirmé par des câbles du Département d’Etat le 7 avril 1994;

– Des documents de l’ONU montrent que le FPR était militairement dominant à partir de février 1993 et, selon des messages du général Dallaire adressés à l’ONU entre avril et juin 1994, Kagame a refusé de faire cesser la violence parce qu’il était victorieux;

– L’ancien procureur du TPIR, Carla Del Ponte a écrit dans ses mémoires de 2009 que c’est la culpabilité du Général Kagame dans l’assassinat des présidents du Rwanda et du Burundi qui a déclenché le génocide rwandais; l’acte d’accusation de 2008, émis par le juge espagnol Merelles Abreu et le juge français Bruguière, indique la même chose.

– L’acte d’accusation espagnol décrit également -préfecture par préfecture- les 325.000 meurtres de Hutus et Tutsis pour lesquels Kagame et le FPR sont responsables, sans compter les massacres au Rwanda et au Congo, après 1994;

– L’ONU a publié un rapport de 600 pages, «Projet Mapping», qui documente le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre commis par le FPR de 1993 à 2003. Les rapports du conseil de sécurité de l’ONU documentent le fait que le FPR s’est emparé des ressources naturelles du Congo en 2001, 2002, 2003 et 2008 pour une valeur d’au moins 250 millions de dollars par an, causant 6 à 7 millions de morts.

Un militaire du FPR arrêté à Washington

La police nord américaine a arrêté à Washington un des quarante militaires incriminés par le juge espagnol Fernando Andreu. Le militaire rwandais Justus Majyambere était détenu pour «immigration illégale», mais les alarmes se sont déclenchées lorsque l’ordinateur d’Interpol a reconnu qu’il était recherché par un tribunal de l’Audiencia Nacional basé à Madrid.

Il y a trois ans, le juge Fernando Andreu Merelles avait, en effet, délivré un mandat d’arrêt international contre quarante hauts militaires du FPR, en mettant également en cause le président actuel, en les accusant de génocide, de crimes contre l’humanité et de terrorisme. Ils sont considérés comme responsables de la mort de plus de quatre millions de Rwandais et congolais ainsi que de neuf espagnols (six missionnaires et trois civils), faits commis dans les années nonante.

Justus Majyambere, major dans l’armée rwandaise, est impliqué dans l’agression de plusieurs populations et dans l’attaque contre le centre de Médecins du Monde où travaillaient les volontaires espagnols, abattus le 18 Janvier 1997. Ceux-ci avaient été témoins de plusieurs crimes commis par le FPR.

Fernando Andreu Merelles a envoyé à Washington la confirmation de l’identité du détenu afin qu’il soit maintenu en détention et puisse être extradé vers l’Espagne. Toutefois, selon des informations de dernière minute qui circulent sur les réseaux sociaux, cette personne aurait déjà été relâchée.

En effet, un diplomate rwandais basé à New-York, sans préciser si oui ou non Justus Majyambere avait été arrêté puis relâché ou expulsé vers le Rwanda, a fait savoir que l’intéressé venait de d’arriver à Kigali le 22 mai en provenance des Etats Unis, où il était arrivé le 13 mai pour un stage…qui n’aura donc duré que moins de 7 jours. Tout est dit. Le major Majyambere, objet d’un mandat d’arrêt émis par la justice espagnole était un hôte encombrant des Etats Unis qui, toutefois, par leur soutien inconditionnel au régime rwandais, au lieu de le remettre à ceux qui les recherchent, l’ont refoulé vers le Rwanda.

L’acte d’accusation déclarait que les accusés avaient pris le pouvoir par la force et avaient mis en place un régime de «terreur», «commis des crimes odieux» contre des civils, la plupart des réfugiés hutus rwandais ainsi que sur la population congolaise.

Selon le juge, ces exterminations ont été commises «sous prétexte de raisons de sécurité», mais en vue de l’invasion et la conquête du Congo. Entre autres crimes, le juge espagnol cite l’assassinat de six prêtres espagnols et trois aides soignants de Médecins du Monde, ainsi que des meurtres survenus entre 1994 et 2000 dans les camps de réfugiés où ils travaillaient.

Ce fut le cas du Père Joaquin VALLMAJÓ, arrêté par l’Armée patriotique rwandaise (APR) et dont le corps n’a pas encore été retrouvé, qui avait dénoncé les massacres et les persécutions contre les Hutus. De plus, quatre missionnaires maristes furent assassinés en Novembre 1996, dix jours après que l’un d’eux, le Père Servando, ait demandé de l’aide pour les réfugiés par le biais du COPE. Les trois aides soignants de Médecins du Monde, qui travaillaient dans le camp situé à Mugunga et qui avait été témoin de plusieurs meurtres, ont été abattus le 18 Janvier 1997.

Beaucoup de massacres ont été commis pendant le génocide rwandais. Il y a, pour ne citer que cela, le crime commis dans le stade de Byumba, le 23 avril 1994. Ce jour-là, 2.500 personnes y ont été rassemblées et tuées à l’aide de grenades lancées de l’extérieur. Une fois achevées par les soldats, leurs corps ont été enterrés dans le Parc National de l’Akagera.

Le TPIR tire a sa fin: son bilan est mitige

Il est prévu que le Tribunal Pénal International pour le Rwanda achève les procès à la fin de cette année en première instance et en 2013 pour les procès en appel.

Son bilan est mitigé. Ce tribunal devait relever un défi: lutter contre l’impunité dans le cadre des crimes de guerre et de génocide commis au Rwanda. C’est d’ailleurs ce qui est stipulé dans ses textes fondateurs. Sa mission était de juger les responsables des crimes contre les violations des droits de l’Homme commis au Rwanda entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

Alors que les deux parties en conflit étaient concernées, le TPIR n’a inculpé que des personnes venant du camp vaincu, assurant l’impunité aux vainqueurs.

Pourtant, depuis sa fondation en 1994, le TPIR a mis sur pied une section des « enquêtes spéciales » dont la mission était d’enquêter sur les crimes commis par les hommes du Front Patriotique Rwandais. De nombreux témoignages ont été recueillis et des preuves matérielles ont été rassemblées. Ils sont sous scellé. Pourquoi ne sont-ils pas exploités ? Pourquoi les inculpations des criminels du FPR n’ont jamais été concrétisées ? La réponse est donnée par Florence Hartmann, porte-parole de la Procureure Carla Del Ponte. Dans son livre Paix et Châtiment paru en 2007, elle explique « comment, sur pression des Etats-Unis, les enquêtes spéciales visant les suspects de l’Armée patriotique rwandaise (APR) ont été enterrées, entachant à jamais le bilan du TPIR » [Agence Hirondelle : 7/9/2007].

Sur ce même registre, ce tribunal a fait obstruction à ce que l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, qui est le déclencheur du génocide rwandais, soit diligenté. Le premier Procureur du TPIR, le sud-africain Richard Goldstone (1994-1996) y était acquis. Il va partir en laissant le chantier aux enquêteurs. Parmi ceux-ci, l’avocat australien Michael Hourigan. Celui-ci avait eu des témoignages comme quoi le FPR était l’auteur de cet acte terroriste et d’autres massacres de la population civile, à grande échelle. Mais le successeur de Richard Goldstone, la canadienne Louise Arbour, écarta le rapport d’un revers de la main, prétextant que cela ne rentrait pas dans le mandat du Tribunal. Le rapport Hourigan fut mis sous embargo. Louise Arbour sera remplacée par la suissesse Carla Del Ponte qui s’est faite taper sur les doigts quand elle a voulu rouvrir le dossier. En août 2003, elle fut vite dessaisie du dossier Rwanda par le Conseil de sécurité de l’ONU, pour ne s’occuper que de l’ex-Yougoslavie.

Carla Del Ponte sera remplacée par le gambien Hassan Bubacar Jallow. Pierre Richard Prosper, procureur américain au TPIR jusqu’en 1998 et qui deviendra, en 2001, ambassadeur américain pour les crimes de guerre, a rassuré le président Kagame de son impunité. Cette promesse a été concrétisée par Hassan Bubacar Jallow. Il « a entériné la promesse des Etats-Unis aux autorités rwandaises sur l’abandon des poursuites contre les militaires tutsis par le TPIR. » [Agence Hirondelle : 7/9/2007].

RWANDA: L’AVEUGLEMENT DES ACTIVISTES DU FPR

Par Jean Charles Murego

Un rapport du Haut Commissariat des Droits de l’Homme de l’ONU sur les violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire en République Démocratique du Congo (RDC), communément appelé le Mapping Report, publié le 1er octobre 2010, accuse sept pays dont l’Ouganda, le Burundi et le Rwanda d’ avoir perpétré dans cet immense pays , entre 1993 et 2003, des exactions contre les civils congolais et les réfugiés rwandais et évoque la possibilité d’actes de génocide.

Les activistes du Front Patriotique Rwandais(FPR) récusent l’accusation d’actes de génocide et même celle de crimes de guerre portée contre certains des membres de son armée, l’Armée Patriotique Rwandais (APR). Ils organisent, à l’instar de Monsieur Aldo Ajello, ancien envoyé spécial de l’Union Européenne dans la Région des grands lacs africains, la défense du FPR autour de deux pivots principaux: d’une part, la différence de nature entre les massacres des Tutsi et ceux des Hutu et, d’autre part, la légitimité de l’attaque des camps des réfugiés. Cette argumentation montée par les autorités rwandaises et reprise par leurs partisans paraît très fragile comme le montre l’analyse des éléments avancés pour étayer les deux thèses.

I. La différence de nature entre les massacres des Tutsi et ceux des Hutu.

1. Seuls les massacres des Tutsi doivent être considérés comme un génocide car ils ont été planifiés.

Le FPR et ses activistes fondent essentiellement la thèse de la planification des massacres des Tutsi sur deux prétendues preuves: un fax que, le Général Roméo Dallaire, ancien commandant des casques bleus au Rwanda, aurait transmis, le 11 janvier 1994, au Secrétariat Général de l’ONU et l’assassinat du président Habyarimana par les extrémistes hutu. Or, s’agissant de ce meurtre, les trois enquêtes indépendantes, menées par un expert du TPIR, Michael Hourigan, un juge espagnol, Fernando Andreu Merelles et un juge anti-terroriste français, Jean-Louis Bruguière, désignent le président Kagame comme le commanditaire de cet acte terroriste. Aucune autre enquête, à part celle des autorités rwandaises qui sont juges et parties, n’a abouti à l’implication de ceux qui sont appelés extrémistes hutu.

Quant au fax du 11 janvier 1994, il repose sur le témoignage de Jean-Pierre Turantsinze, dont la crédibilité a été mise en doute par le TPIR. Dans son jugement rendu dans l’affaire «Bagosora et consorts», la Chambre de première Instance du TPIR a estimé que l’existence d’un plan machiavélique et les renseignements fournis par Jean-Pierre inspiraient des réserves.

Elle a conclu que le Procureur n’a pas établi, au-delà d’un doute raisonnable, que les quatre accusés se sont entendus entre eux ou avec d’autres, pour commettre le génocide. Dans la mesure où celui qui était considéré comme le cerveau du génocide est disculpé du chef d’entente en vue de commettre un génocide, la thèse de la planification des massacres des Tutsi ne tient donc plus.

Le problème est que les fanatiques du FPR se moquent de l’évolution des connaissances sur ce qui s’est réellement passé au Rwanda pendant la guerre qui a opposé le FPR et les autorités rwandaises d’octobre 1990 à juillet 1994.

En évoquant la thèse de l’assassinat du président Habyarimana par les extrémistes hutu, que plusieurs enquêtes indépendantes ont infirmée, et le témoignage de Jean-Pierre, sur lequel le TPIR a exprimé des réserves, les «amis» du FPR, comme M. Ajello, cherchent à prouver que seuls les massacres des Tutsi méritaient la qualification de génocide contrairement à ceux des Hutu, qui, d’après eux, n’avaient pas été intentionnels. Quel est le bien-fondé de cette affirmation?

2. Les massacres des réfugiés Hutu en RDC n’étaient pas intentionnels.

Selon les «Kagamistes», comme Aldo Ajello, l’APR n’a jamais eu l’intention de massacrer les réfugiés hutu dans l’ex-Zaïre. La preuve est que les autorités rwandaises ont organisé un couloir humanitaire pour laisser passer les Hutu qui «voulaient» regagner leur pays. Certes, dit-il, il y a eu des morts parmi les réfugiés rwandais qui ont refusé de rentrer, mais ils sont imputables à la maladie, aux balles perdues et aux ex-FAR et aux Interahamwe qui s’en sont servi comme boucliers humains.

Cette argumentation est fallacieuse et peu convaincante. Tout d’abord, les militaires del’APR ne pouvaient pas, devant les caméras des médias internationaux, ordonner de tirer sur les réfugiés rapatriés de force, alors que leur propagande consistait à prétendre qu’elles menaient la guerre en ex-Zaïre pour délivrer les bons Hutu de l’emprise de leurs congénères extrémistes. De plus, le génocide ne consiste pas seulement à vouloir éliminer la totalité d’une population mais aussi une partie, ce qui est plus probable lorsqu’il s’agit de la composante qui représente 85% d’une population d’environ 8.000.000 d’âmes.

Or, l’intention d’exterminer les réfugiés hutu qui avaient échappé au rapatriement forcé ne fait aucun doute. Les militaires du FPR les ont traqués à travers tout le territoire de la RDC jusqu’ à plus de 2.000 Km (Wendji et Mbandaka) de la frontière rwandaise. D’après divers témoignages recueillis par les experts de l’ONU, quand ils les attrapaient, ils les regroupaient et tiraient sur eux de façon indiscriminée à l’arme lourde ou les frappaient à coup de marteaux et de houes. Cette chasse aux réfugiés hutu à des distances aussi longues, leur dispersion dans des zones inhospitalières et inaccessibles aux humanitaires et leurs massacres délibérés ne peuvent se justifier que par l’intention de les liquider parce qu’ils étaient Hutu dans la mesure où la majorité des victimes évaluées entre deux cents mille (200.000) et trois cents mille (300.000) hutu étaient des enfants, des femmes, des malades et de personnes âgées et que ces tueries se sont produites loin du Rwanda et dans un environnement inhabité, ce qui rend peu crédible l’idée selon laquelle leur mort serait une simple conséquence de la guerre.

Les massacres de ces 300.000 réfugiés hutu et de plusieurs autres milliers de Hutu à l’intérieur du Rwanda relève d’une intention délibérée de l’APR d’exterminer une partie d’un groupe ethnique. Concernant l’utilisation des réfugiés comme boucliers humains par les ex-FAR, les récits des rescapés contredisent cette affirmation. Les ex- FAR ont plutôt, dans la mesure du possible, protégé les réfugiés en se positionnant entre eux et les militaires du FPR pour leur permettre de prendre une avance, en leur venant en aide pour traverser les rivières et les forêts congolaises.

Enfin, s’agissant du contexte de guerre, il est vrai que les experts auraient dû contextualiser davantage les massacres pour une meilleure compréhension des tragédies qui endeuillent le Rwanda et la RDC depuis octobre 1990. Mais le problème est que les rapports relatifs aux massacres intervenus au Rwanda en 1994 n’ont pas décrit les conditions de guerre dans lesquelles ces tueries se sont déroulées, et pire encore, l’ONU a décrété qu’il y a eu un génocide rwandais, sans recourir à l’intervention d’une instance judiciaire, contrairement à ce que propose le Mapping Report. Pourquoi deux poids, deux mesures?

De toute façon, si le contexte de guerre était pris en compte dans le cas du Rwanda et de la RDC, il est peu probable qu’il constitue une circonstance atténuante pour le FPR, dans la mesure où c’est lui qui a déclenché, à partir d’octobre 1990, toutes les guerres au Rwanda et en ex-Zaïre et qui a refusé, toute intervention des forces étrangères et toute solution pacifique dans le seul objectif d’imposer son hégémonie dans la région des Grands Lacs et d’enrichir ses dignitaires et ses sponsors par le pillage des ressources de la République Démocratique du Congo. Par ailleurs, le contexte de guerre ne disculpe pas des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

3. Le nombre des victimes en RDC et au Rwanda est extravagant.

La difficulté d’estimation du nombre des victimes n’est pas particulière à la RDC. Elle existe aussi dans le cas du Rwanda. Le recensement des victimes du génocide organisé par le gouvernement FPR n’a pas permis de trancher ces questions. Le nombre de 1.074.000 de victimes du génocide auquel il a abouti soulève des interrogations.

D’après ledit recensement, les victimes tutsi se chiffrent à 1.066.000 et les Hutu modérés à 8.000. En partant du nombre de 7.157.551 rwandais recensés en 1991, dont 590.900 Tutsi (8,4%), et en appliquant un taux d’accroissement de 3 %, calculé à l’époque, la population rwandaise peut être évaluée à 7.826.853 en avril 1994. Si l’on admet que les Tutsi représentaient 8.4% comme en 1991, leur nombre, en 1994, tournait autour de 657.456. En retenant l’hypothèse de 15% de la population avancée par certains, il se serait situé à environ 1.174.027. Dans la première hypothèse, les extrémistes hutu auraient tué plus de Tutsi qu’il en existait. Dans la seconde, il n’y aurait eu que 108.027 survivants tutsi. Quelle est la réalité? Personne n’en sait rien, officiellement au moins, puisque aucune donnée sur l’identité complète (noms, parents, lieu et date de naissance et de décès le cas échéant) des victimes et des rescapés n’a été publiée par les autorités rwandaises. Pourquoi prétexter de cette lacune pour mettre en doute la seule estimation du nombre de victimes congolaises et hutu ?

La question d’évaluation continuera à se poser aussi longtemps que l’estimation du nombre de victimes ne reposera pas sur un recensement exhaustif effectué par des experts indépendants et compétents, appuyé par les représentants de toutes les ethnies ou autres groupes politiques et sociaux concernés. Mais le désaccord sur le nombre total des victimes ne signifie pas qu’il n’y en a pas et qu’elles ne sont pas nombreuses. Il est fort probable qu’elles se comptent en millions en RDC, même si elles étaient inférieures à six millions. Il est inimaginable que les experts citent un chiffre aussi élevé alors qu’il ne s’agit que de quelques milliers. Quoi qu’il en soit, toutes les victimes, quel que soit leur nombre, ont droit à une justice. Il serait incompréhensible qu’il en soit autrement, alors que les massacres de loin moins importants en Bosnie, en Sierra Léone et même l’assassinat d’une seule personne, le premier ministre libanais, Rafi Hariri, ont conduit l’ONU à créer des tribunaux spéciaux pour juger ceux qui en sont responsables.

Aucun des trois arguments avancés par les activistes du FPR pour justifier la différence de qualification des crimes commis contre les Tutsi et ceux perpétrés contre les Hutu n’est de nature à mettre en cause le droit des victimes civiles congolaises, rwandaises et burundaises de réclamer justice. Il en est de même des éléments présentés par les défenseurs du régime rwandais actuel et destinés à légitimer l’attaque des camps des réfugiés rwandais en RDC.

II. Le FPR n’a fait qu’exercer son droit de «legitime defense».

Cette prétendue légitime défense repose sur des spéculations, des faits non pertinents et des interprétations en contradiction avec la réalité.

1. L’ONU n’a pas respecté les règles en matière de réfugiés et les autorités congolaises se sont montrées complaisantes envers les ex-FAR.

Il est vrai que les réfugiés rwandais se sont installés, comme en Tanzanie et au Burundi, tout près de la frontière rwandaise avec la RDC. Mais, en réalité, ni le FPR et ses mentors, ni les autorités congolaises ne voulaient le déplacement des réfugiés hutu vers l’intérieur de ce pays.

L’éloignement de près deux millions de réfugiés hutu de la frontière n’aurait pas permis au régime de Paul Kagame de les rapatrier par la force pour assurer sa consolidation et d’en prendre prétexte pour envahir le Zaïre. Même si ces réfugiés avaient été installés loin de la frontière du Rwanda, ils auraient continué à exercer une pression sur le pouvoir rwandais pour l’amener à négocier. Or une solution pacifique du problème des réfugiés était incompatible avec la volonté de domination du FPR et le plan d’invasion de la RDC conçu par ceux qui l’instrumentalisaient. C’est donc la volonté du FPR et de ses parrains d’éliminer toute opposition aux nouvelles autorités rwandaises et d’introniser en RDC un pouvoir favorable à leurs intérêts qui explique l’attaque des camps et la traque, à des milliers de kilomètres du Rwanda, de ceux qui avaient pu échapper au rapatriement forcé.

La position des autorités zaïroises, compréhensible et raisonnable, au regard des dégâts environnementaux et économiques causés par ce nombre considérable de réfugiés, était que ceux-ci rentrassent chez eux le plus rapidement possible. Aussi se sont-elles investies activement dans la recherche d’une solution négociée sans succès parce que le FPR et ses sponsors refusaient tout pourparler avec les réfugiés.

L’accusation selon laquelle les autorités zaïroises auraient apporté leur concours aux ex-FAR, en vue de réorganiser une armée, en leur fournissant des armes et des munitions, afin qu’elles puissent contraindre le régime du FPR à négocier, pour faciliter le retour des réfugiés dans leur pays ou pour préparer une attaque contre le Rwanda, semble peu crédible. L’armée congolaise en déliquescence, mal payée, mal organisée, mal équipée n’était pas en mesure d’assister les ex-FAR en quoi que ce soit.

L’échec d’une solution pacifique au problème des réfugiés tutsi en 1990 et hutu en 1996 et la défaillance de l’ONU lors des divers massacres des civils dans la région des Grands Lacs africains sont imputables au FPR et à ses alliés qui ont fait le choix de sacrifier des millions de Rwandais, de Burundais et de Congolais à leurs intérêts politiques, économiques et financiers. En effet, si, au Rwanda, en avril-juillet 1994, et en RDC en 1996-1997 et en 1998-2003, l’ONU a manqué à son devoir d’assistance à personnes en danger, c’est parce que le FPR, l’AFDL, le RCD, le MLC et leurs sponsors anglo-saxons se sont opposés à toute intervention d’une force d’interposition ou d’imposition de paix.

En avril 1994, l’armée rwandaise a proposé un cessez-le-feu et une force d’interposition mais le FPR a rejeté ses propositions. Au contraire, le 9 et le 10 avril 1994, il a sommé tous les étrangers de quitter le Rwanda dans un délai de vingt quatre heures et a poursuivi la guerre en dépit de ses conséquences sur l’expansion de la violence. De plus, la thèse très répandue selon laquelle Paul Kagame a sauvé les Tutsi du génocide est contredite par son comportement pendant la guerre. Il a ignoré l’avertissement d’une délégation de Tutsi de l’intérieur, conduite par Charles Shamukiga, qui lui faisait remarquer le risque de mort qu’il leur faisait courir s’il s’en prenait au président Habyarimana, d’ethnie hutu. En commanditant son meurtre, il a décidé consciemment de sacrifier ses congénères, pour accéder au pouvoir et aux richesses de la RDC. Ensuite, après avoir déclenché les massacres des Tutsi, il a rejeté tout cessez-le-feu et toute intervention d’une force étrangère et il ne s’est pas empressé de les secourir, d’après le lieutenant Abdul Ruzibiza.

En 1996-1997, lorsque les réfugiés rwandais ont supplié la communauté internationale de leur porter secours, une «certaine communauté internationale», en complicité avec le FPR, a affirmé mensongèrement qu’il n’y avait plus de réfugiés rwandais au Zaïre alors qu’ils étaient en train d’être chassés et abattus comme des animaux à travers le pays. Leur priorité était d’écarter toute intervention et d’assurer la victoire du FPR et de son allié l’AFDL quoi qu’il en coûtât en vies humaines.

A l’évidence, ni la proximité des camps de réfugiés de la frontière rwandaise, ni la complaisance éventuelle des autorités zaïroises envers les ex-FAR, ni l’aide qu’elles auraient fournie aux ex-FAR ne pouvaient légitimer l’attaque des camps des millions d’individus innocents et les massacres de ceux qui ont échappé au rapatriement forcé. L’allégation selon laquelle les camps étaient contrôlés par les génocidaires, ne pouvait pas non plus justifier la destruction des camps des réfugiés à l’arme lourde. Cette logique selon laquelle il serait permis de massacrer des innocents pour pouvoir tuer ceux qu’on juge coupables est absurde et dangereuse.

2. Les camps étaient contrôlés par les génocidaires qui empêchaient la majorité des réfugiés de retourner au pays et massacraient ceux qui manifestaient la volonté de rentrer.

Le FPR aurait attaqué les camps pour délivrer les bons hutu de leurs congénères extrémistes génocidaires qui les retenaient de force. Penser que les Hutu ont pris le chemin de l’exil, en 1994, devant l’avancée du FPR et n’ont pas voulu retourner dans leur pays après sa victoire, parce qu’ils étaient sous l’influence des génocidaires, c’est oublier que, à partir d’octobre 1990, au Nord du Rwanda, ils ont été massacrés ou chassés de leurs terres au point où, en avril 1994, un million avaient déjà fui cette organisation et vivaient, privés de leurs biens et de leurs droits, dans une situation de misère et promiscuité indicibles, que, à la reprise de la guerre, ils ont détalé devant les soldats du FPR qui tiraient indistinctement sur eux et, que, le 22 avril 1995, 8000 hutu ont été liquidés à Kibeho sous l’œil de la MINUAR II. Ces souvenirs ancrés dans la mémoire collective et ces faits récents suffisaient à les persuader de ne pas regagner immédiatement leur patrie. Que les anciens dirigeants, qualifiés abusivement tous de génocidaires, aient pu aussi leur conseiller de ne pas rentrer sans condition n’était que normal. Dans tous les cas, aucun réfugié n’avait appelé le FPR à son secours.

Et puis, la suite a montré qu’ils avaient raison de refuser de retourner au pays sans application de l’Accord d’Arusha qui avait défini les principes fondamentaux du système politique à instaurer au Rwanda et la répartition des postes clefs à l’armée, à l’assemblée législative et au gouvernement pendant la période de transition. Le rapatriement forcé des réfugiés hutu a enterré définitivement l’esprit de l’Accord d’Arusha et a permis au FPR de soumettre la population rwandaise à son pouvoir et de la traiter comme des citoyens de seconde zone. La discrimination dont elle fait l’objet est telle que les Tutsi, qui représentent moins de 20% de la population rwandaise, occupent plus de 80% dans plusieurs secteurs notamment dans l’administration, l’économie et l’armée. Les opposants réels ou supposés d’ethnie hutu sont injustement accusés de génocide, d’idéologie génocidaire et de divisionnisme et arbitrairement emprisonnés s’ils ne sont pas tout simplement liquidés. Le régime du président Kagame, conscient de sa fragilité, en raison de son caractère minoritaire et dictatorial, est obsédé par l’idée d’une opposition de la majorité hutu.

Cette obsession le pousse à s’en prendre même aux Hutu qui vivent en exil, parce qu’il les considère tous comme des opposants, sinon réels du moins potentiels. Pour miner cette opposition extérieure qu’il ne peut museler comme celle de l’intérieur, il use de plusieurs moyens. Il essaie d’abord d’accuser de génocide les opposants les plus influents. Aussi est-il obligé de procéder, parallèlement, à une politique de séduction de la diaspora, en vue d’un retour au Pays. La troisième méthode consiste à tenter de convaincre les autorités de certains pays, en particulier africains, d’expulser des Hutu auxquels elles ont accordé asile.

3. Les ex-FAR et les Interahamwe avaient l’intention d’envahir le Rwanda pour y poursuivre leur œuvre d’extermination des Tutsi.

Le FPR et ses activistes justifient toutes les guerres que cette organisation a initiées dans la région des Grands-Lacs africains par une même raison principale: protéger les Tutsi des génocidaires hutu.

Le FPR affirme que tous les ex-FAR et tous les Interahamwe, assimilés à la majorité des Hutu, voulaient revenir au Rwanda pour massacrer les rescapés du génocide des Tutsi. Cette thèse, dont se sert également M. Aldo Ajello et d’autres activistes pour légitimer l’attaque des camps de réfugiés en RDC, ne constitue pas un argument plus fondé que les deux précédents.

Prétendre que le FPR a attaqué les camps des réfugiés rwandais en ex-Zaïre en 1996 pour éviter la reprise du génocide des Tutsi au Rwanda relève de la pure spéculation.

Jusqu’à présent, aucune preuve n’a été apportée quant à l’intention prêtée aux ex-FAR «d’avoir voulu achever leur œuvre de génocide». Cette affirmation paraît d’autant plus infondée que la thèse de la planification des massacres des Tutsi par les extrémistes Hutu, parmi lesquels sont abusivement rangés tous les ex-FAR, n’a jamais été établie par le TPIR. Le régime du FPR, lui-même, ne semble pas y croire, puisqu’il n’hésite pas à intégrer ceux qu’il considérait hier comme planificateurs du génocide ou étaient censés être des extrémistes hutu dès lors qu’ils acceptent de le servir loyalement et aveuglement. La guerre que le FPR a menée contre les réfugiés rwandais en RDC n’a rien à voir avec la protection des Tutsi.

La théorie de guerre préventive à la Bush que le FPR et ses activistes s’ingénient à légitimer vise seulement à atténuer les atrocités perpétrées par l’APR en RDC et à justifier les attaques permanentes contre les opposants hutu au régime criminel et autocratique de Kigali, qui se plait à les qualifier tous de génocidaires ou d’extrémistes devant être combattus pour prétendument parer à tout risque d’un nouveau génocide des Tutsi. L’idée de la guerre préventive est très dangereuse parce que la guerre n’est plus considérée comme une mesure de dernier ressort, ce qui ne peut que multiplier les conflits. La preuve est que ceux-ci se succèdent les uns aux autres dans la région depuis octobre 1990 (par exemple: la 1ière et la 2ème guerre du Congo, celle de Laurent Nkunda et les opération Umoja Wetu, Kimya et Amani Léo, dans lesquelles les autorités rwandaises actuelles ont joué un rôle néfaste. Tous ces conflits n’ont fait que déstabiliser, de façon permanente, la région du Kivu.

Aucun recours à la force ne garantira une protection définitive à qui que ce soit et n’apportera une solution à long terme aux problèmes de partage du pouvoir et de coexistence pacifique entre les peuples de la région. Seul un débat dans le cadre d’une commission «Vérité et Réconciliation» à la sud-africaine permettrait de trouver des remèdes adéquats à la lutte pour le pouvoir entre les divers protagonistes. Si non, un jour ou l’autre, les peuples n’auront d’autre choix que de se révolter contre leurs oppresseurs en vue de conquérir leur liberté, chère à tout être humain, ce qui engagera la région dans un autre cycle de conflits armés.

La solution définitive des conflits dans la région des Grands-Lacs passera obligatoirement par l’établissement de la vérité sur ce qui s’y est passé et par une justice pour toutes les victimes.

La seule façon de mettre fin aux conflits est de lutter contre l’impunité, quelle que soit l’ethnie ou la tribu du criminel et d’entrer dans la culture de la vérité et du pluralisme, où les Rwandais affrontent, le plus objectivement possible, toute leur histoire, l’assument courageusement et trouvent un modus vivendi dans leur diversité.