Congo Actualité n.245

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: PRIORITÉ AUX ÉLECTIONS CONSTITUTIONNELLEMENT CONTRAIGNANTES

  1. APRÈS LES CONSULTATIONS DU PRÉSIDENT KABILA

  2. LA COMMISSION ÉLECTORALE

  3. UNE PLAINTE CONTRE LA CORRUPTION

 

1. APRÈS LES CONSULTATIONS DU PRÉSIDENT KABILA

Les différentes personnalités que le Président Joseph Kabila a rencontrées lors de ses consultations du mois de juin ont exprimé des points de vue souvent divergents. Les plus flagrantes étant celles entre la chambre basse et la chambre haute.

Pour le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, plus question de toucher au calendrier électoral. Toutes les élections sont importantes et il faut toutes les organiser. Mais cette exigence ne dit rien sur la façon de procéder pour respecter ce calendrier. Le gouvernement n’a toujours pas annoncé quelle somme sera débloquée pour financer les sept scrutins. Aucun matériel électoral n’a été commandé. Enfin, la loi sur la répartition des sièges, préalable à l’organisation des locales a été rejetée par les députés. Une session extraordinaire devrait être convoquée sous peu pour permettre l’adoption de cette fameuse loi.

De son côté, le Sénat a eu des propos beaucoup plus critiques sur le processus en cours. Son président, Léon Kengo Wa Dondo, a proposé de revoir le calendrier pour le rendre plus réalisable, quitte à regrouper un certain nombre de scrutins. Il a aussi appelé à ce que l’enveloppe de plus d’un milliard de dollars pour financer les élections soit réduite. Enfin, selon lui, il faut absolument intégrer les nouveaux majeurs, ces cinq ou dix millions de jeunes — personne ne sait exactement — devenus majeurs après 2011, pour qu’ils puissent voter à chacune des élections.

Selon le calendrier électoral, les personnes ayant atteint l’âge de majorité après 2011 ne pourront pas participer aux élections communales, municipales, urbaines et provinciales de 2015, car la Ceni considère ces élections comme des arriérés des élections de 2006 et 2011 pour lesquelles l’enrôlement avait été clôturé en 2011, lorsque les nouveaux majeurs étaient encore mineurs. Selon la Ceni, ils ne pourront que participer aux législatives couplées à la présidentielle de novembre 2016. Face à ces divergences, Joseph Kabila a prévu d’organiser une réunion interinstitutionnelle entre les deux chambres. L’objectif est d’harmoniser leurs positions, car ces divisions risquent de ne pas être tenables très longtemps.[1]

Le 20 juin, les présidents des groupes parlementaires de l’Opposition ont écrit une lettre au Président du bureau de l’Assemblée Nationale, pour lui signifier que leurs députés ne participeraient pas à une session parlementaire extraordinaire qui traiterait de la loi sur la répartition des sièges pour les élections locales. En effet, lors de ses échanges avec les députés nationaux dans le cadre des « Consultations », le Président de la République avait recommandé la convocation d’une session extraordinaire du Parlement pour réexaminer et adopter la loi sur la répartition des sièges pour les élections locales, municipales et urbaines. Ledit projet de loi avait été recalé par la plénière de l’Assemblée nationale le 13 juin 2015, à quarante huit heures de la clôture de la session ordinaire. Les députés nationaux, toutes tendances confondues, Majorité et Opposition, avaient reproché à ce texte des incohérences et de fausses statistiques, ainsi que la non prise en compte de nouveaux majeurs.[2]

Le 21 juin, les principaux partis de l’opposition politique (l’Unc, le Mlc, le Mpcr, le Cder, l’Envol, les Fac, l’Ecidé, l’Atd et le groupe parlementaire Udps et alliés), réunis au sein de la « Dynamique pour l’unité d’action de l’opposition« , ont rejeté la proposition avancée par le Président de la République à propos d’une session parlementaire extraordinaire qui serait convoquée pour examiner et approuver la loi sur la répartition des sièges. Dans leur déclaration, ces Forces politiques et sociales ont estimé qu’une telle session contribuerait «à faire glisser le calendrier électoral».

«A cette étape, l’opposition n’entend pas cautionner une démarche qui vise à faire valoir les élections locales comme un argument supplémentaire qui contribue à faire glisser le calendrier électoral», a affirmé le député Delly Sessanga, en précisant que «les élections locales, pour lesquelles on veut convoquer une session extraordinaire, doivent impérativement être postposées, afin de tenir compte des exigences légales et constitutionnelles, qui veulent que non seulement les nouveaux majeurs soient enrôlés, mais que l’on puisse aussi clarifier la cartographie des entités à la base qui ont été créées en désordre».[3]

Le 26 juin, le président du Mouvement pour le Renouveau (MR), Clément Kanku, a invité le président Joseph Kabila à se prononcer « clairement » sur ses vraies motivations de convoquer un dialogue. Il a fait cet appel, dans un point de presse tenu à Kinshasa, au siège de son parti politique. Pour lui, en convoquant le dialogue, une certaine opinion estime qu’il a l’intention d’obtenir le glissement au-delà de son mandat. «Nous estimons que le dialogue ne peut pas devenir un prétexte pour offrir un chèque en blanc à la majorité présidentielle, afin de contourner la volonté du peuple en obtenant le fameux glissement. C’est pourquoi nous pensons que ce dialogue se fasse pour trouver des solutions. Nous disons non au glissement», a soutenu Clément Kanku. Le président du MR est l’un des opposants qui avaient accepté de répondre aux consultations présidentielles qui se sont déroulées au courant de ce mois de juin.​[4]

Le 27 juin, réunis au cours de leur 52è assemblée plénière à Kinshasa, les membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) ont recommandé que les élections locales, municipales et urbaines – prévues en octobre 2015 – soient reportées en 2017. La priorité doit être accordée, selon eux, aux provinciales (députés nationaux, gouverneurs et sénateurs), aux législatives et à la présidentielle. «Les élections locales, municipales et urbaines pourraient se tenir en 2017, en se donnant ainsi le temps et les moyens de mieux les préparer», a indiqué le secrétaire général de la Cenco, abbé Léonard Santedi.

L’abbé Santedi a insisté aussi pour que le dialogue annoncé ne puisse énerver ni dans sa lettre, ni dans son esprit tout ce qui est envisagé dans la constitution de la République: «Ni dans son déroulement, ni dans ses conclusions et recommandations, le dialogue envisagé ne peut énerver directement ou indirectement la lettre et l’esprit de la constitution de la République, ni ignorer les institutions républicaines prévues par elle».[5]

Le 29 juin, le président de la République, Joseph Kabila, a invité tous les Congolais à «s’inscrire dans la voie du règlement pacifique de toutes les divergences politiques, conformément à la tradition congolaise de prévention, de gestion et de résolution des conflits». Il a fait cet appel à l’occasion de son discours prononcé la veille de la célébration du 55e anniversaire de l’indépendance du Congo.

Joseph Kabila a affirmé que la RDC est «le bien le plus précieux au monde», en ajoutant que «nous devons l’aimer, la chérir et la protéger. Quoi qu’il en soit, quoi qu’il en coûte. Dans cette optique, la paix, la stabilité et la sécurité s’imposent à nous, comme un impératif non négociable. Notre destin commun en dépend», a-t-il ajouté.

Le chef de l’Etat a indiqué que le nouveau cycle électoral ne pouvait le laisser indifférent et il a donc affirmé: «J’ai donc engagé la nation sur la voie des consultations et éventuellement du dialogue, afin qu’ensemble, opposition, majorité et société civile puissent convenir des voies et moyens, permettant de surmonter des obstacles qui jonchent la marche vers la 3e série d’élections générales, voulues libres, transparentes, crédibles et apaisées».

Selon lui «les obstacles qui jonchent la marche vers la 3e série d’élections sont liés au calendrier électoral global, au financement du processus électoral, à la participation au scrutin 2015 d’anciens mineurs et à l’impératif de la sécurisation des élections». Le président Kabila estime que ces problèmes sont porteurs de divergences et qu’il faudra les résoudre. «Ne pas régler ces questions pourrait engendrer des conflits», a-t-il prévenu.

Concernant le calendrier électoral, le Président a rappelé que «ce calendrier exigé à cor et à cri par l’opposition, a été contesté par la même opposition aussi tôt publié».

Quant au financement des élections, il a précisé que l’organisation de ce scrutin est évaluée à environ 1 milliard de dollars américains, alors que le budget pour l’ensemble des besoins de l’Etat a été arrêté à 9 milliards USD. Pour Joseph Kabila, «les anciens mineurs sont injustement privés d’un droit légitime». Revenant sur la sécurisation des élections, le chef de l’Etat, a noté que les expériences malheureuses du passé ont démontré que «la non acceptation des résultats des élections par les perdants a conduit à des violences avant, pendant et après les élections».[6]

Le président congolais a semblé fermer la porte à toute forme de médiation étrangère dans le « dialogue national » qu’il a proposé en vue de parvenir à des élections apaisées, alors que c’est une condition posée par une partie de l’opposition pour y participer. Dans son message, Joseph Kabila a affirmé que «l’écrasante majorité» des Congolais qui se sont déjà exprimés sur le sujet «souhaite que dans l’éventualité du dialogue, celui-ci soit mené sans ingérence étrangère, à travers un nombre limité de participants, et pour une durée relativement courte».

Mais l’opposition, qui soupçonne Joseph Kabila de chercher à s’accrocher à tout prix au pouvoir, apparaît désunie face au dialogue proposé par le chef de l’État, à qui la Constitution interdit de se représenter à la présidentielle.

Une coalition de l’opposition réunissant deux des principaux partis de l’opposition, l’UNC et le MLC, a déjà annoncé son intention de boycotter le dialogue, y voyant une manœuvre du camp présidentiel pour retarder les élections.

L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), parti de l’opposant historique Étienne Tshisekedi, a dit être disposée à y prendre part, mais à condition que celui-ci soit supervisé par un médiateur étranger.

D’autre part, à propos de l’ordre du jour du dialogue, si Étienne Tshisekedi et Joseph Kabila parlent de baliser le chemin pour un processus électoral transparent et crédible, de créer un climat apaisé avant les élections, de corriger les erreurs du passé, le chef de file de l’opposition congolaise remet sur la table des négociations la question de son impérium volé en 2011. Pourtant, dans le camp Kabila, on trouve cela comme de la pure mégalomanie. «On ne peut pas revenir sur les élections passées, alors que nous sommes à une année d’une nouvelle présidentielle», a répété plusieurs fois, Lambert Mende, le porte-parole du gouvernement congolais. De ces contradictions, il apparait clairement que les deux, Étienne Tshisekedi et Joseph Kabila, vont d’un extrême à l’autre. Ce qui risque de compliquer la tenue du dialogue.[7]

Le 30 juin, la nouvelle classe politique et sociale de l’opposition nationale a proposé la tenue éventuelle d’un «dialogue politique présidé et modéré par les Congolais». Le porte-parole de cette nouvelle plateforme politique, Steve Mbikayi, l’a suggéré au cours d’un point de presse organisé à l’occasion de la commémoration du 55e anniversaire de l’indépendance de la RDC. Il a invité tous les Congolais à «dire non à tout dicta qui viendra de l’étranger». «Nous avons réaffirmé notre volonté d’aller à un dialogue politique des Congolais, pour des Congolais. Un dialogue qui doit être convoqué par les Congolais, présidé et modéré par des Congolais», a affirmé Steve Mbikayi. Le porte-parole de l’opposition nationaliste a proposé pour ce faire la co-modération du Cardinal Monsengwo et de Mgr Marini Bodo. Si les autres membres de la classe politique congolaise ne sont pas d’accord avec ces deux prélats, Steve Mbikayi a suggéré un africain «qui a de la notoriété comme Abdou Diouf pour jouer à la médiation». Il a appelé les Congolais à «continuer à se battre pour arracher la vraie indépendance totale: politique, économique et culturelle». Le chef de l’État a entamé depuis le début du mois de juin des consultations avec les forces vives, en vue d’un éventuel dialogue national. Mais la question de la médiation divise la classe politique congolaise. Certains saluent l’idée du dialogue, mais sous l’égide de la communauté internationale. D’autres, par contre, réfutent cette idée et pensent que s’il y aura dialogue, qu’il se tienne entre les Congolais.[8]

Le 1er juillet, à Kinshasa, dans une déclaration politique lue par la secrétaire générale du parti, Eve Bazaiba, le Mouvement de libération du Congo (MLC) a rappelé que la gestion du calendrier électoral global est une compétence exclusive de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Le parti de Jean-Pierre Bemba a réagi au discours du Président de la République, Joseph Kabila, prononcé le 29 juin, à l’occasion de la commémoration du 55e anniversaire de l’indépendance de la RDC.

Pour Eve Bazaiba, la Ceni est un organe indépendant dont les prérogatives ne peuvent en aucun cas être aliénées ou subordonnées à un autre organe y compris la présidence de la République.

Selon le MLC, ce n’est pas avec le Président qu’il faut discuter des échéances électorales. Un président qu’il soupçonne de vouloir se servir de ce dialogue pour négocier son maintien au pouvoir au-delà du second mandat en cours. «Le président Kabila, pour le moment, ne constitue plus un interlocuteur en matière d’élections», estime Eve Bazaïba Masudi, selon qui «l’interlocuteur en matière des élections, ce sont les cadres tripartites de la majorité, de l’opposition et de la Céni. Le Président de la République appartient à la famille de la majorité et il est donc déjà representé».

«Il est donc de la seule responsabilité de la Ceni de régler les questions électorales. C’est à la Ceni de régler la question du calendrier électoral, celle des nouveaux majeurs et celle de l’audit du fichier électoral», a déclaré la secrétaire générale du parti.

Le MLC reste sur ses revendications et demande toujours une modification du calendrier électoral pour que la présidentielle se déroule avant les élections locales.

Concernant le budget des élections évalué à environ un milliard de dollars américains, le MLC a précisé que le financement de celles-ci «ne peut faire l’objet de compromis, surtout lorsqu’il s’agit de ne pas énerver la Constitution». Le MLC dit tenir pour responsables les autorités budgétaires ainsi que l’exécutif national «pour l’impréparation et l’amateurisme dans la gestion de la chose publique, notamment en ce qui concerne la non prise en compte des provisions nécessaires à la préparation des élections générales». Eve Bazaiba a soutenu que la communauté internationale reste disponible pour assister la Ceni, comme ce fut le cas en 2006 et 2011. «Il est donc impérieux d’activer tous les partenariats susceptibles d’aider la République à organiser les élections dans les délais constitutionnels», a ajouté la secrétaire générale du MLC.[9]

2. LA COMMISSION ÉLECTORALE

Le 17 juin, au cours d’un point de presse tenu à Kinshasa, le rapporteur de la Commission électorale, Jean-Pierre Kalamba, a affirmé n’avoir pas pu publier, le 15 juin, la liste provisoire des candidats aux élections provinciales, à cause de la découverte de plus de 700 doublons dans les listes des candidatures présentées. Les auteurs de cette mauvaise pratique se sont retrouvés à la fois candidats pour telle formation et suppléants pour d’autres, et cela dans plusieurs provinces, comme expliqué par Jean-Pierre Kalamba: «Un nombre impressionnant a été trouvé des candidats, qui au Kongo central est candidat premier suppléant sur la liste d’un parti politique. A Kinshasa, ce même candidat est indépendant. A l’Equateur, il est deuxième suppléant d’un candidat d’un autre parti politique». D’après Jean-Pierre Kalamba, une disposition de la loi pourra sanctionner ces cas de doublons. Mais, la Ceni veut d’abord en discuter avec les partis politiques, ses partenaires engagés dans le processus électoral. Pour un total de sept cent-onze sièges à pourvoir pour les élections provinciales, la Commission électorale a réceptionné dix-sept mille quatre cent dix candidatures.[10]

Le 22 juin, la Commission électorale a reçu les partis de la Majorité et de l’opposition sur la question des 700 doublons apparus dans les candidatures aux élections provinciales. 156 partis politiques toute tendance confondue sont concernés par ce phénomène de doublons dans 125 circonscriptions électorales de la RDC. Ces partis de la majorité et de l’opposition ont présenté des listes électorales avec des noms retrouvés sur d’autres listes. Pour trancher sur cette question, le député Omari Shadari de la MP a proposé de se référer à l’article 21 de la loi électorale selon lequel, «en cas de non conformité et dans un délai de dix jours, la Ceni retourne la liste ou la déclaration de candidature avec un avis motivé sur les raisons de non conformité, aux mains du candidat ou du mandataire, selon le cas, en l’invitant à présenter une nouvelle liste ou déclaration de candidature rectifiée». La Commission électorale a donc accordé dix jours aux partis politiques concernés pour corriger leurs listes. L’opposition politique a accepté cette décision de la Ceni, mais elle a posé tout de même d’autres problèmes, notamment ceux de report des élections locales et l’enrôlement des majeurs. «Le délai qui était fixé par la Ceni pour publier les listes provisoires des candidats aux élections provinciales n’a pas été observé. Donc nous restons préoccupé sur cette question comme sur d’autres, comme l’enrôlement des nouveaux majeurs, le report des élections locales et le financement du cycle électoral», a affirmé le député Delly Sessanga.[11]

Le 29 juin, la Commission électorale a publié la liste provisoire des candidats aux élections provinciales 2015. Le rapporteur de cette institution, Jean-Pierre Kalamba, a indiqué que plus de vingt-trois mille candidatures sont déclarées recevables sur les vingt-quatre mille réceptionnées. «Nous avons à peu près une moyenne de 33 candidats par siège pour la RDC. Au niveau de Kinshasa, la moyenne avoisine 79 par siège», a affirmé Jean-Pierre Kalamba. Six cent soixante-treize candidatures ont été rejetées, suite notamment aux cas des doublons dénoncé par la Ceni. Plus de 170 partis politiques tant de la majorité que de l’opposition sont concernés par ces sanctions.[12]

3. UNE PLAINTE CONTRE LA CORRUPTION

Le 23 juin, le chef de l’Etat, Joseph Kabila, a déposé une plainte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Elle a été remise au Procureur Général de la République, Flory Kabange Numbi, par le conseiller spécial du Président de la RDC pour la bonne gouvernance, Luzolo Bambi Lesa. Selon lui, plusieurs plaintes provenant des dénonciateurs dont s’est approprié le Président de la République font état des détournements de deniers publics et de corruption presque dans tous les secteurs de la vie nationale.

Ancien ministre de la Justice, Luzolo Bambi a été nommé en mars dernier, conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. En entrant en fonction, il avait promis d’agir et d’en faire le rapport dans les trois mois. Deux mois après, il avait indiqué que «la corruption est devenue endémique en RDC», et qu’il fallait l’arrêter, dénonçant une fraude fiscale de quinze milliards de dollars américains, enregistrée au pays chaque année, alors que son budget annuel est de huit milliards. La RDC occupe la 154e place sur 174 pays parmi les pays les plus corrompus, selon le rapport sur la corruption publié en décembre 2014 par Transparency International.[13]

Le document, d’une vingtaine de pages, viserait quatre gouverneurs: Moïse Katumbi Chapwe (Katanga, sud-est), Alphonse Ngoy Kasanji (Kasaï-Oriental, centre), Alex Kande (Kasaï-Occidental, centre) et Marcellin Chisambo Ruhoya (Sud-Kivu, est). La plainte vise également l’ancien directeur de cabinet du président, Gustave Beya Siku, et une quinzaine d’autres personnes, parmi lesquelles d’anciens hauts fonctionnaires. La plainte dénonce des faits de « corruption », fraudes » et « détournements ».

Elle demande au procureur général Kabange d’enquêter sur des allégations de fraude douanière à l’encontre de M. Katumbi – le populaire gouverneur sortant de la riche province du Katanga et potentiel candidat à la présidentielle de 2016 -, et de corruption à l’encontre des trois autres gouverneurs. Selon le document, M. Beya Siku, récemment renvoyé par M. Kabila et dont le nom avait ensuite été cité comme possible ambassadeur de RDC en Belgique, se voit reprocher d’avoir empoché des pots-de-vin en échange de l’attribution du marché du raccordement de Kinshasa par fibre optique à Moanda (sud-ouest), point d’arrivée du câble de télécommunication transatlantique.

Le procureur général de la République est rattaché à la Cour suprême de justice, habilitée à juger les hauts-fonctionnaires et les élus.[14]

Le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, qui passe pour un possible candidat à la prochaine présidentielle, a déclaré être peu surpris par la révélation de la plainte pour fraude émanant du président Joseph Kabila contre lui. « J’ai déjà eu affaire à la justice juste avant l’élection présidentielle de 2011 », a déclaré M. Katumbi. «Je n’ai pas été officiellement notifié d’une plainte, mais le procédé et la méthode ne m’étonneraient pas. Dès que j’en serai saisi officiellement, je prendrai mes responsabilités», a ajouté ce gouverneur populaire de 50 ans, qu’un conflit larvé oppose à M. Kabila. «Déjà en 2009-2010, le gouvernement congolais avait lancé une procédure judiciaire contre ma famille et moi en Belgique et en Grande-Bretagne», a rappelé M. Katumbi, membre du parti présidentiel. Le gouverneur du Katanga était alors accusé de trafic d’armes, financement des rebelles et blanchiment d’argent. Ses comptes avaient été saisis et l’affaire s’était terminée par un non-lieu. A cette époque, M. Luzolo était ministre de la Justice.[15]

Le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, a qualifié de «rumeur» la nouvelle faisant état d’une plainte du président Kabila qui viserait des gouverneurs des provinces actuelles. Il s’exprimait à la sortie d’une audience que Joseph Kabila a accordée aux gouverneurs présents à Kinshasa pour l’inauguration de la nouvelle aérogare de l’aéroport de N’djili.[16]

Le gouverneur du Sud-Kivu, Marcellin Cishambo, cité dans le dossier par la presse, a démenti être poursuivi par la justice pour corruption et détournements de deniers publics. Il l’a déclaré de retour à Bukavu, après avoir rencontré, à Kinshasa, le président Kabila, à l’issue des consultations provinciales. Ancien conseiller politique du chef de l’état, le gouverneur du Sud-Kivu a assuré qu’il n’y a pas de plainte du président de la république qui vise un quelconque gouverneur de province du pays. Selon lui, les gouverneurs cités sont trainés inutilement dans la boue par la presse.[17]

La Rédaction de C-NEWS a reçu une fuite du Rapport Luzolo Bambi. Ce document comprend une lettre de transmission au Procureur général de la République et une note technique qui donne des indications claires sur la nature des crimes économiques commis et les personnalités susceptibles d’en répondre devant la Justice. Les personnalités impliquées ne sont pas désignées nommément mais seulement par leurs titres et qualités. Plusieurs personnalités publiques de premier plan sont concernées par cette plainte de Luzolo. Il s’agit notamment de l’ancien ministre délégué aux finances( Patrice Kitebi), de l’actuel ministre de transport ( Justin Kalumba) et des mandataires publics des plusieurs entreprises publiques (ex Onatra, Dgi, Dgrad, Ofida, etc). Mais les banques commerciales et d’autres structures privées sont aussi dans le viseur de Luzolo. Mais le document ne contient pas les noms des gouverneurs de province cités déjà par la presse. Le populaire gouverneur du Katanga, Moise Katumbi n’y est pas. Et rien n’indique que les enquêtes mèneront à lui, comme c’est le cas avec d’autres dossiers étayés dans la note Luzolo.[18]

Seule une partie de la plainte a fuité dans la presse. Il s’agit d’un document de cinq pages reprenant des accusations précises. Ainsi, quatre types de fraudes sont listés, à savoir le blanchiment et fuite de capitaux, mais aussi fraudes douanières et fiscales, détournements de deniers publics et corruption. Sont désignés comme responsables présumés de ces fraudes, presque tous les services de l’Etat qui gèrent les rentrées et les dépenses financières, comme la direction générale des impôts, celle des recettes administratives. En bref, les hauts fonctionnaires des ministères des Finances et du Budget. Sont également pointés du doigt, l’ancien ministre des Finances, Patrice Kitebi et l’actuel ministre des Transports, Justin Kalumba. Ils sont soupçonnés entre autres de surfacturation pour réhabiliter la piste d’atterrissage de l’aéroport de Kinshasa. Onze millions de dollars auraient ainsi été dépensés pour payer les travaux d’excavation sur 400 mètres, à en croire ce document.[19]

Le 27 juin, lors d’un point de presse à Kinshasa, une dizaine d’associations congolaises pour la défense des droits de l’homme ont salué l’initiative du Chef de l’Etat de porter plainte contre la corruption, le blanchiment des capitaux et le financement de terrorisme. Cependant, ils expriment des craintes quant à l’indépendance de la justice de pouvoir mener des enquêtes sans régler des comptes à certains acteurs politiques à l’approche des élections.

Ces associations ont déclaré craindre que, à l’approche de l’élection présidentielle, cette action en justice ait plutôt un objectif politique. Ces Ong ont affirmé de ne pas comprendre ce réveil tardif des autorités pour lancer, aujourd’hui, la lutte contre la corruption, la fraude et le blanchiment des capitaux. Le moment choisi, à dix mois de l’élection présidentielle, rend cette action «suspecte», selon ces mêmes associations qui affirment que le parquet général de la République s’était montré «inerte» dans plusieurs dossiers de corruption, de détournement de deniers publics et de blanchiment de capitaux qui lui avaient été soumis les années précédentes. On risque d’assister à des procès spectaculaires qui, en réalité, viseraient des opposants, des concurrents ou autres adversaires politiques, parmi lesquels le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe, opposé à un éventuel troisième mandat du président Kabila. «Le collectif des organisations des droits de l’homme et de bonne gouvernance dénonce toute démarche qui tend à faire organiser des procès spectaculaires, dans le but déclaré de combattre la corruption mais, qui, en réalité, viserait des opposant, concurrents ou adversaires politiques», a déclaré Oscar Rachidi, militant de la Ligue contre la corruption et la fraude et pour la  bonne gouvernance. C’est pourquoi ces Ong ont recommandé au Parquet général de la République de prouver son indépendance en vidant d’abord toutes les affaires judiciaires restées en suspens. En outre, Oscar Rachidi, demande au procureur général de la République de s’intéresser également au cas de détournement des fonds de la Société nationale d’électricité qui avait impliqué, il y a quelques années, un ancien membre du cabinet du président de la République. Il se réfère également à la fraude douanière au Katanga, au Bas Congo et au Nord-Kivu, sans oublier de mentionner les secteurs minier, pétrolier et forestier.[20]

Le 2 juillet, à Kinshasa, le procureur général de la République, Flory Kabange Numbi, a affirmé que le Parquet général de la République n’a reçu aucune plainte contre inconnus ou individus émanant du président Kabila. Il s’agit plutôt d’une dénonciation portant sur des faits. A l’en croire, il n’existe donc pas de plainte visant quatre actuels gouverneurs de provinces.[21]

[1] Cf RFI, 20.06.’15

[2] Cf Eric Wemba – Le Phare – Kinshasa, 22.06.’15

[3] Cf Radio Okapi, 22.06.’15

[4] Cf Radio Okapi, 26.06.’15

[5] Cf Radio Okapi, 28.06.’15; http://www.cenco.cd/?id_art=225

[6] Cf Radio Okapi, 29.06.’15

[7] Cf Jeune Afrique, 30.06.’15; 7sur7.cd – Kinshasa, 30.06.’15

[8] Cf Radio Okapi, 30.06.’15

[9] Cf Radio Okapi, 01.07.’15; RFI, 01.07.’15

[10] Cf Radio Okapi, 17.06.’15

[11] Cf Radio Okapi, 22.06.’15

[12] Cf Radio Okapi, 30.06.’15

[13] Cf Radio Okapi, 23.06.’15

[14] Cf AFP – Africatime, 25.06.’15

[15] Cf AFP – Africatime, 26.06.’15

[16] Cf Radio Okapi, 26.06.’15

[17] Cf 7sur7.cd – Bukavu, 30.06.’15

[18] Cf C-News – 7sur7.cd,29.06.’15  http://7sur7.cd/new/les-fuites-du-rapport-luzolo-explosif-sur-la-liste-figurent-kitebi-kalumba-et-autresdocuments-en-exclusivite/

[19] Cf RFI, 30.06.’15

[20] Cf RFI, 28.06.’15; Radio Okapi, 29.06.’15

[21] Cf Radio Okapi, 03.07.’15