Congo Actualité n.241

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: STOP AUX MASSACRES DANS LE TERRITOIRE DE BENI

  1. LES GROUPES ARMÉS

  2. Les Forces Démocratiques Alliées (ADF)

  3. Les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR)

  4. Le Mouvement du 23 mars (M23)

  5. L’insécurité à Rutchuru

  6. LES RÉLATIONS ENTRE LA RDCONGO ET LE RWANDA

  7. Une incursion de militaires rwandais en RDC

  8. La délimitation des frontières entre la RDC et le Rwanda

  9. L’opération d’enregistrement biométrique des réfugiés rwandais

  10. RESSOURCES NATURELLES

  11. Le rapport du Programme de l’Environnement de l’ONU (PNUE)

  12. Le rapport de Amnesty International et Global Witness

 

1. LES GROUPES ARMÉS

a. Les Forces Démocratiques Alliées (ADF)

Le 15 avril, dix-neuf personnes (13 hommes et six femmes) ont été tuées à la machette à Beni, territoire de l’est de la RDC où des massacres de civils ont lieu depuis plus de six mois. Une situation qui perdure malgré la présence des Casques bleus et de l’armée. L’administrateur du territoire, Amisi Kalonda, a précisé que neuf des victimes ont été décapitées et que les victimes ont été tuées vers 09h00 du matin, lorsqu’elles se rendaient aux champs. L’attaque, attribuée aux rebelles ougandais des ADF, s’est produite à Matiba et Kinzika, localités du secteur de Beni-Mbau. Depuis octobre 2014, plus de 300 personnes, y ont été tuées dans une succession de massacres commis principalement à l’arme blanche.[1]

Le 19 avril, deux présumés rebelles ougandais des ADF ont été arrêté dans deux quartiers situés aux alentours de la ville de Beni (Nord-Kivu). Selon des sources sécuritaires, ces présumés ADF ont fait des révélations accablantes sur les derniers massacres des civils à Beni. L’un d’eux a fait état d’un réseau de ravitaillement des ADF, qui serait piloté par un officier supérieur des FARDC. L’autre a avoué l’existence d’un groupe des ADF aux alentours de Beni, pour y commettre les massacres des civils.[2]

Le 23 avril, cinq personnes ont été tuées dans le village Kalongo, localité Kipera, à 6 kilomètres au Nord-Ouest d’Oïcha (Nord-Kivu), à l’aide des machettes par des présumés ADF.[3]

Le 26 avril, après trois jours de violents combats, les forces armées de la RDC ont repris le contrôle d’un camp des rebelles ougandais des ADF à Baruku, situé entre les rivières Bango et Semuliki, dans le territoire de Beni. Le commandant de l’opération « Sokola 1 », le général Muhindo Akili, a affirmé que le commandant adjoint des ADF, Muzamir Kiribaki Kasadha, a été tué lors de ces combats. Le commandant des opérations « Sokola 1 » a précisé que la personne tuée est la troisième personnalité et l’un des formateurs des unités combattantes des ADF. Et selon d’autres sources sécuritaires, après la conquête du camp rebelle de Baruku , les FARDC ont récupéré plusieurs armes, une réserve importante de minutions, une grande quantité de machettes et plusieurs documents d’instruction des ADF. A en croire ces sources, les FARDC sont actuellement à la poursuite du Numéro 2 des ADF qui serait à la tête d’une centaine d’hommes dans la zone de Medina.[4]

Le 28 avril, les Forces armées de la RDC (FARDC) ont affirmé avoir découvert quatre fosses communes dans la localité de Bango, en territoire de Beni, à plus de 350 km au Nord de Goma (Nord-Kivu). Selon des sources militaires de la région, cette découverte a été faite dans un ancien camp des rebelles ougandais des ADF de Baruku déjà reconquis par les Forces armées de la RDC dans le cadre de l’opération Sokola 1. Le porte-parole militaire du secteur opérationnel Grand-Nord et de l’Opération «Sokola 1», le major Victor Masandi Bubitende, plaide pour une enquête internationale, afin d’élucider l’affaire. «C’est au cours des accrochages après la fuite de Monsieur Baruku, le numéro 2 des ADF à Bango, que nos forces ont occupé le camp Bango, dit le camp “Baruku”, et ont découvert 4 fosses communes remplies des personnes humaines», a indiqué major Victor Masandi. Cet officier de l’armée congolaise affirme croire que dans ces fosses communes il y a des corps des rebelles ADF tombés au cours des accrochages avec les FARDC ou soit des otages tués avant l’arrivée des FARDC au camp de Baruku.[5]

Le 30 avril, le journal officiel ougandais, New Vision, a affirmé que le chef des ADF, Jamil Mukulu, a été arrêté en Tanzanie, où il est actuellement détenu, dans l’attente d’une extradition en Ouganda. Les polices ougandaise et tanzanienne ont refusé de confirmer ou de démentir cette arrestation. Jamil Mukulu, qui serait âgé de 51 ans, est recherché par l’Ouganda pour une série de crimes incluant des actes « terroristes » et des meurtres. Interpol avait émis à son encontre un mandat d’arrêt à la demande de Kampala.[6]

Le 3 mai, des accrochages ont eu lieu entre les FARDC et les rebelles ougandais des ADF à Parikingi et Kokola (Nord-Kivu). Le bilan fait état de quatorze ADF tués et cinq armes récupérées. Selon le porte-parole des FARDC à Beni, le major Victor Masande, au cours de ces accrochages, quatre militaires FARDC ont été également tués. D’après toujours le major Victor Masande, l’armée continue à exerce une pression sur les ADF dans la zone de Bango, à l’extrême nord – est du territoire de Beni.[7]

Le 4 mai, vers 11h locales, un hélicoptère de la Monusco transportant le commandant de la force de la mission onusienne a essuyé des tirs des hommes armés non identifiés, dans le domaine d’Oïcha, à 20 km au nord de Beni. Bien qu’il n’y ait aucune revendication pour l’instant, les Nations unies soupçonnent les rebelles ADF d’être responsables.[8]

Le 5 mai, deux casques bleus tanzaniens des Nations unies ont été tués, 13 ont été blessés et quatre ont disparu, lors d’une embuscade attribuée aux rebelles ougandais des ADF. Les casques bleus ont été attaqués dans le village de Kikiki, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de la ville de Beni, dans la province du Nord-Kivu, a indiqué Félix Basse, porte-parole de la Monusco.[9]

Le 8 mai, l’Ouganda a demandé à la Tanzanie l’extradition du chef rebelle des ADF, Jamil Mukulu. Une délégation de policiers ougandais s’est rendue à Dar es-Salaam pour procéder à son interrogatoire et, éventuellement, à son transfert si la Tanzanie l’accorde.[10]

Le 8 mai, dans la nuit, des présumés rebelles ADF ont tué sept personnes au quartier Matembo, commune de Mulekera, à 1 km au Sud de l’aéroport de Mavivi, en territoire de Beni (Nord-Kivu). Ce nouveau massacre porte à plus de 300, le nombre de civils tués en cinq mois dans cette partie du Nord-Kivu, se plaint la société civile. Selon des témoins, ces assaillants, cagoulés, portaient des armes de guerre et étaient vêtus en uniforme militaire. Parmi les sept victimes, on compte deux femmes. Un rescapé de 7 ans dont 4 membres de la famille ont été tués, indique que les auteurs ont retiré ses parents de la maison avant de les achever à coup de machette, bêches et haches, à quelques mètres seulement de leur habitation. Dans leur passage, ces présumés rebelles ADF ont également emporté des chèvres et autres animaux de la basse-cour et ont tout pillé comme un dépôt où sont gardés les matériels de plantation de cacao.

La société civile s’étonne que quatre positions militaires soient situées à deux km du lieu de l’attaque. C’est notamment à l’aéroport de Mavivi et au quartier Ngadi, où les casques bleus mènent aussi des patrouilles diurnes. Le président de cette structure, Teddy Kataliko, estime qu’il faut s’interroger sur l’efficacité des services de sécurité dans cette contrée du Nord-Kivu. Il s’étonne également que tous les services et autorités administratifs n’aient pris aucune mesure après avoir été alertés, jeudi dernier, de la présence d’un groupe armé dans le quartier Matembo.

Le chargé de la communication de l’Association africaine de défense des droits de l’Homme (Asadho) de Beni, Kizito Bin Hangi, a rappelé que l’Asadho avait sollicité une «mutation au niveau de commandement Sokola 1, car les FARDC sont incapables d’assurer la sécurité de la population et les massacres se passent souvent à côté de leurs positions».[11]

Le 11 mai, six personnes ont été tuées au quartier Kalongo, non loin de l’aéroport de Mavivi, dans le territoire de Beni, portant à treize le nombre de civils tués en l’espace de trois jours dans ce territoire. Une fois de plus, ce nouveau massacre est attribué à des rebelles ougandais des ADF.

Une quarantaine d’hommes en treillis, portant des armes blanches et des armes à feu ont fait incursion vers 17 heures 30 locales dans le quartier Kalongo, indiquent les témoins. Les assaillants ont ensuite tué à bout portant les six personnes. Les victimes « revenaient des champs » lorsqu’elles ont été attaquées à la tombée de la nuit par des « présumés ADF », a affirmé Amisi Kalonda, administrateur du territoire de Beni.[12]

Le 12 mai, pendant la nuit, un massacre de civils a été perpétré par des hommes armés à Mapiki et Sabu, deux villages du secteur de Beni–Mbau situés à près de 30 Kilomètres au nord-ouest de la ville de Beni (Nord-Kivu). Selon la société civile locale, une vingtaine de personnes ont été tuées à la machette. C’est aux environs de 19 heures locales mardi, que des hommes armés ont fait une incursion à Mapiki et Sabu. Selon des sources locales, les assaillants ont découpé à la hache et à la machette plusieurs habitants causant la mort d’une vingtaine d’entre eux. Sept civils ont ainsi été tués à Mapiki et quinze à Sabu, selon un bilan livré par Teddy Kataliko, le président de la société civile du territoire de Beni. Ces nouvelles tueries interviennent moins de 24 heures après le séjour du vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur à Beni, Evariste Boshab, qui était en mission d’évaluation de la situation sécuritaire dans la région.[13]

b. Les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR)

Le 7 avril, en faisant un premier bilan des opérations lancées contre les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) depuis le 29 janvier dernier, le commandant de la troisième zone de défense de l’armée congolaise, le Général Léon Mushale, a affirmé que les Forces armées de la RDC (FARDC) ont repris le contrôle de trente-cinq localités occupées jusque là par les rebelles rwandais des FDLR au Sud et Nord-Kivu. L’officier de l’armée congolaise précise que parmi les localités récupérées, 21 sont situées au Sud-Kivu et 14 dans la partie sud du parc des Virunga, au Nord-Kivu. La même source indique que les militaires congolais ont également neutralisés 237 rebelles FDLR dont 13 ont été tués. Le général Léon Mushale parle également de 85 armes lourdes et légères et plusieurs munitions récupérées.[14]

Le 9 avril, à Kinshasa, le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende Omalanga, a affirmé que, en ce qui concerne l’opération de désarmement forcé des FDLR dénommée Sukola 2, le bilan pour la période allant du 27 janvier jusqu’au 7 avril, est de 162 Fdlr capturés, 13 tués au combat et 62 éléments rendus sans opposer de résistance et mis à la disposition de la Monusco en vue de leur rapatriement. Parmi ces derniers, on compte 15 enfants soldats. En outre, 342 éléments des FDLR s’étaient volontairement rendus, dont 338 avant le début de l’opération de désarmement forcé et 4 pendant la phase préparatoire de cette dernière. À l’heure actuelle, ils sont répartis entre les sites de Kisangani, Kanyabayonga et Walungu. Ainsi donc, le chiffre global des éléments Fdlr neutralisés est à ce jour de 575.[15]

Les habitants des territoires de Rusamambo, Bukumbirwa, Kasiki, Luhanga, Buleusa, en territoire de Lubero (Nord-Kivu) disent être victimes de diverses exactions des rebelles des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR). Selon la société civile locale, ces rebelles rwandais vivent au sein de la population et se comportent en maitres, en commettant des actes barbares notamment des tueries, pillages, arrestations arbitraires et autres. En particulier, ils procèdent souvent au pillage des récoltes et au vol d’autres biens de valeur comme les téléphones portables. De leur côté, les FDLR accusent les jeunes de ces villages de collaborer avec les miliciens Maï-Maï. Plusieurs jeunes sont arrêtés et libérés après paiement de caution dont le montant varie selon les jours et les circonstances.

Les autorités de Lubero s’inquiètent du fait que les opérations contre les groupes armés piétinent dans la région alors qu’elles ont été lancées avec pompe. «L’armée congolaise a promis de traquer les FDLR mais nous, nous n’avons vu aucun acte de traque pour contraindre ces FDLR à quitter», s’inquiète un des responsables de la société civile de Lubero.[16]

c. Le Mouvement du 23 mars (M23)

Le 21 avril, faisant suite à une première rencontre en février à Kigali, une délégation technique du ministère de la Défense congolais s’est rendue au Rwanda pour rencontrer les ex-rebelles du Mouvement du 23-Mars (M23), en vue d’organiser leur rapatriement volontaire. La discussion a été houleuse. Selon les ex rebelles, «il n’y a que 122 d’entre eux qui ont été amnistiés» et ils s’interrogent: «Quelles garanties nous donnent-ils? Nous sommes prêts pour le retour, mais tous, pas la moitié». Aucune avancée n’a été donc constatée.[17]

Selon des sources sécuritaires, des ex-M23 rassemblés dans des camps d’entrainement au Rwanda et en Ouganda seraient prêts à reprendre les hostilités dans l’Est du Congo. Le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, a confirmé la tenue de réunions secrètes à Kisoro, Kigali et Kampala des ces militaires défaits. «Nous avons des informations que dans nos pays voisins, Rwanda et Ouganda, on vient de créer une nouvelle rébellion appelée Mouvement Chrétien pour la Reconstruction du Congo (MCRC). Les ex-M23 veulent dissimuler ce mouvement au Congo pour faire ce que le M23 et le Cndp avaient fait autrefois», a précisé le chef de l’exécutif provincial du Nord-Kivu. Des anciens rebelles se sont réunis dans des hôtels bien connus au Rwanda et en Ouganda pour monter ce projet macabre. La population a été appelée à dénoncer les cas d’infiltration. Tout acte suspect doit être rapporté à l’autorité la plus proche, a insisté le chef du gouvernement provincial du Nord-Kivu.[18]

Le 30 avril, le ministre congolais de la Justice a annoncé une nouvelle vague d’amnisties. Parmi les bénéficiaires, il y aurait plus de 350 ex-rebelles du Mouvement du 23-Mars (M23), réfugiés en Ouganda et au Rwanda après leur défaite militaire fin 2013.

220 ex-rebelles amnistiés se trouvent en Ouganda, 122 autres au Rwanda, une trentaine sont incarcérés à Kinshasa et quatre sont détenus à Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, où le M23 était très actif. Ces ex-rebelles ont bénéficié de la loi d’amnistie du 11 février 2014, qui concerne les coupables de « faits insurrectionnels », « faits de guerre » et « infractions politiques », et dont ils pouvaient espérer bénéficier en signant un « acte d’engagement » à ne pas récidiver. Les crimes graves sont exclus de la loi d’amnistie, comme le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le terrorisme, la torture, les violences sexuelles, l’utilisation ou la conscription d’enfants, le détournement de fonds publics et le pillage.

Lors de la défaite du M23, en novembre 2013, quelque 1.300 combattants avaient fui en Ouganda, tandis que 700 autres s’étaient déjà réfugiés au Rwanda. Toutefois, en août 2014, le M23 avait révélé un total de 3.657 signataires de l’acte d’engagement.[19]

d. L’insécurité à Rutchuru

La coordination territoriale de la société civile de Rutshuru, au Nord-Kivu, a affirmé que plus de soixante personnes ont été assassinées entre janvier et mars 2015. Elle précise aussi que plus d’une vingtaine d’autres ont été blessées par balles et quatre-vingts autres encore enlevées. Cette organisation citoyenne épingle notamment comme causes la présence de multiples groupes armés locaux qui travailleraient avec ou en complicité avec certains militaires. Ces derniers seraient aussi impliqués directement dans les assassinats, kidnappings et pillages enregistrés dans ce territoire. Afin d’améliorer la sécurité, la société civile recommande aux autorités politico-militaires, la permutation des troupes des FARDC qui ont longtemps travaillé dans ce territoire. Elle demande également des opérations de désarmement de tous les groupes armés locaux.[20]

Le 29 avril, à Nyamilima, dans le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu), des habitants ont organisé une manifestation pour protester contre le meurtre des cinq de leurs, dont les corps décapités ont été retrouvés dans leurs champs à l’ouest de Nyamilima. Cette situation a crée déjà une vive tension entre les ethnies Nande et Hutue. En effet, les Nande attribuent ces meurtres aux membres du groupe ethnique Hutu. L’administrateur de Rutshuru a déplore la situation et a lancé un appel au calme, en annonçant des enquêtes pour faire éclater la vérité dans cette tuerie. Ces cinq habitants, tous de cette localité, s’étaient rendus dans leurs champs, deux jours auparavant, dans le  paysannat de Nyamitwitwi et Kabumbira, à l’ouest de Nyamilima. Et depuis, on était resté sans nouvelles d’eux. Les habitants sont allés à leur recherche. Et ils ont retrouvé leur corps sans vie dans les champs. La mort de cinq dernières personnes porterait à 30, le nombre de civils tuée, dans leurs champs, par armes blanches ou par balles en groupement Binza depuis le début janvier dernier.

La plupart de ces meurtres sont attribués au groupe Nyatura d’un certain Kamodoka.[21]

2. LES RÉLATIONS ENTRE LA RDCONGO ET LE RWANDA

a. Une incursion de militaires rwandais en RDC

Le 22 avril, les autorités congolaises ont dénoncé une incursion de militaires rwandais en territoire congolais, à environ 120 km au nord-est de Goma, en plein parc des Virunga, un parc qui s’étend des deux côtés de la frontière congolo-rwandaise.

D’après le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, une patrouille de reconnaissance de l’armée congolaise accompagnée de gardes du parc, a pu confirmer la présence de militaires rwandais sur la colline Musangoti, à environ 1 000 mètres à l’intérieur du territoire congolais, près de Chanzu, dans le territoire de Rutchuru. Des habitants font état d’autres incursions aussi, plus au sud, au niveau de la colline d’Ehu, dans le territoire de Nyirangongo, à une trentaine de kilomètres de Goma. Plusieurs dizaines de militaires rwandais auraient franchi la frontière dans la nuit du 18 au 19 avril, pour se diriger vers le parc des Virunga. À en croire certaines sources locales du Nord-Kivu, les troupes rwandaises auraient franchi la frontière depuis le 19 avril. La première colonne [de RDF] serait entrée par le village de Hehu près de Kibumba, la nuit du 18 au 19 avril. La nuit du 20 au 21 avril, une autre colonne a traversé la frontière au niveau de Kitotoma dans le groupement Buhumba. Cette nuit-là, une autre colonne a traversé la frontière par Kabuye.  Ces témoignages concordants n’ont pas pu être confirmés officiellement. Seule certitude, cette incursion n’est pas la première.

«Nous nous interrogeons si la présence de l’armée rwandaise sur le sol congolais ne constitue pas une diversion pour permettre à une nouvelle rébellion appelée Mouvement Chrétien pour la Reconstruction du Congo (MCRC) de nous infiltrer», a estimé Julien Paluku, gouverneur du Nord Kivu. Les autorités congolaises ont annoncé avoir saisi le Mécanisme étendu de vérification conjointe (EJVM), organisme international chargé de surveiller la frontière, pour qu’il enquête sur la situation. Les incidents frontaliers sont fréquents entre le Rwanda et la RDC: il n’est pas rare que des patrouilles des deux armées se rencontrent, sans forcément s’affronter, autour de cette frontière bornée à la suite d’un accord entre la Belgique et l’Allemagne en 1910 et aujourd’hui plutôt mal délimitée. Les relations entre le Congo et son petit voisin sont tendues. La RDC a été envahie par les troupes rwandaises pendant les deux guerres du Congo (1996-1997 et 1998-2003) et, jusqu’à la chute du M23, Kigali a soutenu plusieurs milices à dominante tutsi qui se sont succédé au Nord-Kivu.[22]

b. La délimitation des frontières entre la RDC et le Rwanda

Le 29 avril, Rachidi Tumbula, un des experts de la commission technique mixte de délimitation des frontières entre la RDC et le Rwanda, a annoncé la fin des travaux d’implantation de toutes les vingt-deux bornes pour le 30 avril. Il a également annoncé le début, pour bientôt, des travaux de construction des bornes à la zone neutre entre la RDC et le Rwanda. Ce travail de la délimitation des frontières entre la RDC et le Rwanda se fait à l’aide de l’appareil GPS (Global Positioning System) qui permet à ces experts de repérer et d’identifier les 22 anciennes bornes, plantées par les colonisateurs en 1911.[23]

Le 2 mai, les experts rwandais et congolais ont fini de localiser sur le terrain l’emplacement des 22 bornes qui démarquent la frontière telle que définie en 1911 par les colonisateurs belges et allemands. Prochaine étape désormais: reconstruire ces 22 bornes qui séparent le Rwanda de la République démocratique du Congo sur un tracé d’une trentaine de Km, allant de la ville de Goma jusqu’au mont Ehu. Aucune perte de territoire pour l’un ou l’autre pays, insistent les experts, mais des ajustements. A l’emplacement de la deuxième borne, par exemple, une maison rwandaise. Mais à la borne 3, 4, 5 et 6, ce sont des Congolais qui ont construit leur domicile et empiètent sur la frontière. Or l’idée est de recréer une zone neutre de 12 mètres entre les deux pays. Faut-il détruire ou déplacer ces maisons ? Ces ajustements vont être adoptés dans les prochains jours. Une fois les ajustements adoptés, restera ensuite à reconstruire l’ensemble des 22 bornes. Mais le plus dur reste à faire: délimiter la frontière liquide, celle qui traverse le lac Kivu, riche de ressources notamment gazières. Et pour cela, aucun calendrier n’est prévu.[24]

c. L’opération d’enregistrement biométrique des réfugiés rwandais

Le 11 avril, à Lubumbashi (Katanga), le gouvernement congolais a lancé l’opération de sensibilisation et enregistrement biométrique des réfugiés rwandais. Menée par le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR), cette opération d’enregistrement cible plus de 245.000 réfugiés rwandais vivant en RDC dont 80% au Nord-Kivu. Selon cette agence des Nations unies, les réfugiés concernés par cette opération sont ceux qui avaient fui le Rwanda à partir de 1994. Le vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab, a affirmé que «cette opération a pour but de connaitre le nombre de réfugiés rwandais vivant en RDC et de recueillir les choix de retour des intéressés, de les munir des documents qui puissent éviter les cas des retours clandestins en RDC et prévenir de situation d’apatride dans la région des Grands-lacs».

Cette opération d’enregistrement durera un mois. Une autre avait été menée, entre septembre 2013 et janvier 2014, par la Commission nationale pour les refugiés (CNR) avec l’appui du Haut-commissariat de Nations unis pour les réfugies (HCR), dans d’autres territoires du Katanga à savoir: Kalemie, Kabalo, Nyunzu, Manono et Kongolo.[25]

Le 7 mai, la Commission nationale pour les réfugiés (CNR) au Sud-Kivu a annoncé une opération d’enregistrement, dans les jours à venir, des réfugiés rwandais vivant dans les territoires de Fizi et Uvira (Sud-Kivu). Cette opération d’enregistrement biométrique va concerner des réfugiés arrivés en RDC entre 1994 et 1998 et sera menée par les agents de la CNR accompagnés par ceux du HCR.

Le responsable de la CNR au Sud-Kivu, Gratien Mupenda, a précisé en quoi consiste cette opération: «Le réfugié va donner son empreinte digitale, décliner toute son identité et va au finish obtenir l’attestation des réfugiés». Cette opération sera menée dans la ville de Bukavu et à travers les territoires du sud-Kivu voire au Maniema.[26]

3. RESSOURCES NATURELLES

a. Le rapport du Programme de l’Environnement de l’ONU (PNUE)

Le gouvernement congolais a validé et qualifié comme «verts» 7 sites miniers de Walikale et six autres de Lubero, au Nord-Kivu. Les territoires de Walikale et Lubero rejoignent ainsi Masisi dont 17 sites miniers artisanaux ont été validés et qualifiés au début de l’année 2014. Ce qui porte désormais à 30 le nombre de sites de cassitérite, wolframite et coltan qualifiés et validés au Nord-Kivu. Le ministre provincial des Mines du Nord-Kivu, Jean Ruyange, précise cependant que dans ces trois territoires, il reste encore plusieurs sites artisanaux « classés rouges ». Ils sont situés dans des zones encore en proie à des conflits armés. Par ailleurs, le site de cassitérite de Bisié à Walikale, déjà déclaré par le gouvernement « site à exploitation industrielle », ainsi que celui de niobium de Lweshe à Rutshuru, géré industriellement par Somikivu, ne sont pas concernés par cette qualification qui vise uniquement les sites à exploitation artisanale. Le député Juvénal Munubo s’est réjoui de la validation de ces sites miniers de Walikale, estimant qu’elle contribuerait à relancer les activités économiques. «Les minerais de Walikale n’étaient pas acceptés sur le marché, parce que c’était considéré comme des minerais en lien avec des conflits armés», a-t-il rappelé.[27]

Le 17 avril, le Programme de l’Environnement de l’ONU (PNUE), basé à Nairobi, a publié un rapport où il affirme que les milliards de dollars tirés des trafics d’ivoire, d’or et de bois, financent des dizaines de groupes armés dans l’est de la RDCongo et y alimentent des conflits chroniques.

Selon ce rapport, « des groupes criminels internationaux militarisés sont impliqués dans des trafics à grande échelle » de « minerais, d’or, de bois, de charbon et d’ivoire », rapportant jusqu’à 1,3 milliard de dollars chaque année. Ces bénéfices financent – selon les diverses estimations – entre 25 et 49 groupes armés congolais et « alimentent de façon croissante les conflits » dans cette région où des rébellions sèment la terreur et le chaos depuis 20 ans parmi les populations locales, poursuit le Pnue. Le trafic d’or constitue le plus gros de ces recettes illégales, rapportant jusqu’à 120 millions de dollars annuels. Le contrôle des zones les plus riches en minerais (or, étain, coltan…) est un des enjeux alimentant l’instabilité chronique entretenue par diverses milices dans l’Est du Congo – en Province-Orientale, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu et au Katanga – régions dont de vastes parts échappent à l’autorité de Kinshasa.

« Ces fonds captés par des gangs criminels (…) auraient pu être utilisés pour bâtir des écoles, des routes, des hôpitaux et pour payer des professeurs et des médecins », a souligné Martin Kobler, le chef de la Mission de l’ONU en RDC (Monusco).

Selon le Pnue, seuls 2% – soit 13 millions de dollars – des gains nets des trafics reviennent aux groupes armés, suffisamment néanmoins pour assurer « l’intendance de base de quelque 8.000 combattants » et « permettre à des groupes défaits ou désarmés de refaire surface et de déstabiliser la région ». Le reste de l’argent généré va dans les poches de « réseaux criminels transfrontaliers, opérant en et hors de RDC », notamment dans les pays voisins (Ouganda, Rwanda, Burundi et Tanzanie) et leur permet d’entretenir leur stratégie de « diviser pour régner » et de faire en sorte qu’aucun groupe armé ne puisse réellement dominer et s’emparer du trafic, selon le rapport.

Le Pnue dénonce également des tentatives de faire déclassifier le parc des Virunga, afin que son bois et son pétrole puissent être exploités.

Ibrahim Thiaw, directeur exécutif adjoint du Pnue, a affirmé que «la RDCongo est un pays très riche en ressources naturelles, mais l’on a constaté que les Etats fragiles et riches en ressources naturelles ont crû deux à trois fois moins vite que les pays les plus pauvres en ressources naturelles. Par conséquent, c’est comme si la richesse en ressources naturelles est devenue, en quelque sorte, un malheur», en précisant que, «au niveau international, on a constaté qu’au cours des 50 dernières années, 40 % des conflits sont liés à l’accès aux ressources naturelles». Selon lui, pour mettre fin durablement au conflit, «il faut intégrer la problématique des ressources naturelles dans les efforts de paix».[28]

b. Le rapport de Amnesty International et Global Witness

Le 22 avril, l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International et l’ONG de lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays pauvres, Global Witness, ont publié un rapport selon lequel près de 80 % des sociétés cotées en bourse aux États-Unis ne vérifient pas correctement si leurs produits contiennent des minerais provenant de zones de conflit en Afrique centrale et ne donnent pas d’informations suffisantes à ce sujet.

Ce rapport, intitulé « Une mine de transparence? », analyse 100 rapports établis par des entreprises telles que Apple, Boeing et Tiffany & Co au titre de l’article 1502 de la loi Dodd-Frank, ou loi relative aux minerais provenant de zones de conflit.

L’article 1502 de la loi Dodd-Frank vise à réduire le risque que les achats de minerais d’Afrique centrale ne contribuent à alimenter des conflits ou des atteintes aux droits humains.

En vertu de l’article 1502 de la loi Dodd-Frank, toutes les entreprises cotées en bourse aux États-Unis visées par la loi ont l’obligation de déterminer si leurs produits qui contiennent certains minerais – l’étain, le tungstène, le tantale et l’or – contribuent à alimenter le conflit ou des atteintes aux droits humains en RDC et dans les pays limitrophes, puis de rendre compte de leurs conclusions.

La République démocratique du Congo (RDC) est un lieu important d’approvisionnement en minerais – notamment l’or, l’étain, le tungstène et le tantale – pour les entreprises du monde entier. Ces minerais sont indispensables à la fabrication d’appareils électroniques, tels que les smartphones et les ordinateurs portables. Depuis plus de 15 ans, les groupes armés de RDC ont jeté leur dévolu sur le secteur minier pour financer leurs opérations, avec des conséquences dévastatrices, notamment de graves atteintes aux droits humains.

En 2014, en vertu de la loi Dodd-Frank, plus d’un millier (1.321) d’entreprises cotées en bourse aux États Unis susceptibles de s’approvisionner en minerais provenant d’Afrique centrale ont remis un rapport à la Securities and Exchange Commission (SEC), l’autorité américaine de contrôle des marchés. C’était la première année qu’elles avaient l’obligation légale de produire un tel rapport. La deuxième série de rapports est attendue pour début juin 2015.

Les principales conclusions du rapport sont les suivantes:

  • Parmi les entreprises dont les rapports ont été analysés, 79 % ne remplissent pas les obligations minimales de la loi américaine relative aux minerais provenant de zones de conflit.
  • La plupart des entreprises de cet échantillon ne prennent pas de mesures suffisantes pour établir clairement la chaîne d’approvisionnement des minerais qu’elles achètent. Seules 16 % ne se sont pas contentées de démarches auprès de leurs fournisseurs directs et ont pris contact, ou tenté de prendre contact, avec les fonderies ou les affineries qui transforment les minerais qu’elles utilisent.
  • Plus de la moitié des entreprises examinées ne signalent même pas aux cadres supérieurs de la société les risques qu’elles identifient dans leur chaîne d’approvisionnement.

L’analyse de Global Witness et d’Amnesty International montre également qu’une entreprise de l’échantillon sur cinq a bien respecté les obligations de la loi, ce qui écarte l’argument selon lequel la mise en œuvre de ce texte est trop compliquée et trop coûteuse. Les entreprises n’ont aucune excuse pour ne pas enquêter correctement sur leurs chaînes d’approvisionnement.

«La loi relative aux minerais provenant de zones de conflit est une bonne occasion d’assainir les chaînes d’approvisionnement mondiales en minerais. Toutefois, nos recherches montrent que la plupart des entreprises semblent préférer poursuivre leurs affaires comme si de rien n’était, plutôt que de se préoccuper du risque que leurs achats de minerais financent des groupes armés à l’étranger», a déclaré Carly Oboth, conseillère stratégique à Global Witness.

«Les consommateurs veulent savoir ce qui se cache derrière les logos. Les entreprises sont soumises à une forte pression: elles doivent montrer qu’elles font tout leur possible pour garantir qu’aucune histoire terrible de conflit ou d’atteintes aux droits humains ne se cache derrière les produits qu’elles mettent en rayon», a déclaré James Lynch, responsable de l’équipe Responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International. «Les entreprises qui font toute la lumière sur leurs chaînes d’approvisionnement contribuent à empêcher un commerce néfaste des minerais qui alimente un conflit dévastateur pour l’Afrique centrale», poursuit-il.

Le 18 mai 2015, le Parlement européen va voter une loi européenne sur les minerais provenant de zones de conflit. Le texte final de cette loi doit comprendre une obligation de vigilance pour toutes les entreprises qui commercialisent de l’étain, du tungstène, du tantale et de l’or ou des produits contenant ces minerais sur le marché européen et qu’elles soient obligées de rendre compte de leurs activités. Pour le moment, le texte proposé est faible. Seulement 19 entreprises (fonderies et raffineurs) seraient concernées par une obligation de sourcer leurs minerais. Les autres entreprises – fabricants, commerçants et entreprises qui importent des produits contenant ces minerais – relèveraient d’un mécanisme d’auto-certification volontaire. A l’occasion du vote en plénière au Parlement européen entre le 18 et le 21 mai prochain, les eurodéputés auront l’opportunité unique de renforcer ce texte et de voter en faveur d’un règlement qui pourrait obliger toutes les entreprises qui mettent ces minerais sur le marché européen (sous quelque forme que ce soit) à s’approvisionner en minéraux de manière responsable et transparente.[29]

[1] Cf Radio Okapi, 16.04.’15; AFP – Jeune Afrique, 16.04.’15

[2] Cf Radio Okapi, 19.04.’15

[3] Cf Radio Okapi, 24.04.’15

[4] Cf Radio Okapi, 28.04.’15

[5] Cf Radio Okapi, 30.04.’15

[6] Cf AFP – Africatime, 30.04.’15

[7] Cf Radio Okapi, 05.05.’15

[8] Cf Radio Okapi, 05.05.’15

[9] Cf RFI, 06.05.’15

[10] Cf RFI, 09.05.’15

[11] Cf Radio Okapi, 09.05.15

[12] Cf Radio Okapi, 12.05.’15

[13] Cf Radio Okapi, 14.05.’15

[14] Cf Radio Okapi, 09.04.’15

[15] Cf Angelo Mobateli – Le Potentiel – Kinshasa, 09.04.’15

[16] Cf Radio Okapi, 07.05.’15

[17] Cf James Akena / Reuters – RFI, 22.04.’15

[18] Cf 7sur7.cd – Goma, 24.04.’15

[19] Cf AFP – Africatime, 30.04.’15

[20] Cf Radio Okapi, 08.04.’15

[21] Cf Radio Okapi, 29 et 30.04.’15

[22] Cf RFI, 23.04.’15; Jeune Afrique, 23.04.’15

[23] Cf Radio Okapi, 30.04.’15

[24] Cf RFI, 03.05.’15

[25] Cf Radio Okapi, 12.04.’15

[26] Cf Radio Okapi, 07.05.’15

[27] Cf Radio Okapi, 08.04.’15

[28] Cf RFI, 20.04.’15; AFP – TV5, 17.04.’15: http://information.tv5monde.com/en-continu/rdc-les-trafics-de-ressources-naturelles-alimentent-les-conflits-selon-l-onu-28888

[29] Cf http://www.amnesty.fr/Nos-campagnes/Entreprises-et-droits-humains/Actualites/Minerais-en-provenance-de-zones-de-conflits-ces-entreprises-americaines-qui-refusent-la-transparence-14976 ;

https://www.globalwitness.org/campaigns/democratic-republic-congo/digging-transparency/