RAPPORT MAPPING DE L’ONU SUR LES CRIMES EN R.D.CONGO: 3^ SORTIE

SECTION I – CHAPITRE II : –
JUILLET 1996 – JUILLET 1998: PREMIÈRE GUERRE ET RÉGIME DE L’AFDL –
B. ATTAQUES CONTRE LES REFUGIES HUTU –
1. Sud Kivu: –
Après leur installation au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, en juillet 1994, les ex-FAR/Interahamwe ont utilisé les camps de réfugiés situés le long de la frontière avec le Rwanda et le Burundi comme des arrière-bases et des camps d’entraînement, en vue d’un leur éventuel retour au Rwanda.

On avait recommandé le déploiement d’une force internationale pour séparer les combattants armés des réfugiés civils et pour éloigner les camps des réfugiés de la frontière, mais rien a été fait, faute de financements et, surtout, de volonté politique.

À partir du mois d’août 1996, des éléments armés banyamulenge/tutsi (réunis au sein del’AFDL), mais aussi des militaires de l’APR et des FAB, ont attaqué les camps de réfugiés, sous prétexte de désarmer les ex-FAR/Interahamwe. Toute cette période a été caractérisée par une poursuite impitoyable des réfugiés hutu, qui ont alors entrepris un long périple à travers le pays qu’ils ont traversé d’est en ouest en direction de l’Angola, de la République centrafricaine ou de la République du Congo.

SECTION I.

INVENTAIRE DES VIOLATIONS LES PLUS GRAVES DES DROITS DE L’HOMME ET DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE COMMISES SUR LE TERRITOIRE DE LA RDC ENTRE MARS 1993 ET JUIN 2003.

CHAPITRE II.

JUILLET 1996 – JUILLET 1998 : PREMIÈRE GUERRE ET RÉGIME DE L’AFDL

B. ATTAQUES CONTRE LES REFUGIES HUTU

191. Après leur installation au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, en juillet 1994, les ex-FAR/Interahamwe ont utilisé les camps de réfugiés situés le long de la frontière avec le Rwanda et le Burundi comme des arrière-bases et des camps d’entraînement. Mettant à profit l’alliance stratégique conclue depuis plusieurs décennies avec le Président Mobutu et le niveau de corruption régnant au sein des FAZ, les ex-FAR ont racheté ou récupéré le matériel militaire confisqué à leur arrivée au Zaïre.

192. Face à la montée des tensions entre le Zaïre et le Rwanda, plusieurs États ont proposé d’éloigner les camps de réfugiés de la frontière. Certains ont aussi recommandé le déploiement d’une force internationale de maintien de la paix et l’ouverture de négociations au niveau régional. Mais, faute de financement suffisant, de volonté politique et de stratégie adaptée pour séparer les combattants des réfugiés, les camps n’ont pas été déplacés et les éléments ex-FAR et Interahamwe ont continué à s’armer en vue d’une reprise du pouvoir à Kigali par la force. Du fait de la présence de nombreux génocidaires parmi les ex-FAR, de l’isolement diplomatique croissant du Président Mobutu et du refus des nouvelles autorités rwandaises d’ouvrir des négociations, aucune solution politique n’a pu être dégagée et les attaques des ex-FAR/Interahamwe au Rwanda se sont multipliées de même que les incursions de l’APR sur le territoire zaïrois. À partir du mois d’août 1996, des éléments armés banyamulenge/tutsi, mais aussi des militaires de l’APR et des FAB, se sont infiltrés au Sud-Kivu. Ils ont attaqué les FAZ et les ex-FAR/Interahamwe mais aussi et surtout les camps de réfugiés dont certains servaient d’arrière-bases aux ex-FAR/Interahamwe et aux groupes armés hutu burundais (CNDD-FDD et PALIPEHUTU-FNL).

193. Toute cette période a été caractérisée par une poursuite impitoyable des réfugiés hutu, des ex-FAR/Interahamwe par les forces de l’AFDL/APR à travers tout le territoire congolais. Les réfugiés, que les ex-FAR/Interahamwe ont parfois encadrés et utilisés comme boucliers humains au cours de leur fuite, ont alors entrepris un long périple à travers le pays qu’ils ont traversé d’est en ouest en direction de l’Angola, de la République centrafricaine ou de la République du Congo.

1. Sud-Kivu

194. Après les massacres survenus au Burundi fin 1993 et la prise de pouvoir par le FPR au Rwanda en 1994, plusieurs centaines de milliers de réfugiés hutu burundais et rwandais ainsi que des éléments ex-FAR/Interahamwe et des rebelles burundais du CNDD-FDD avaient trouvé refuge dans la province du Sud-Kivu. Fin 1994, les éléments ex-FAR/Interahamwe ont multiplié les incursions, parfois meurtrières, au Rwanda afin de reprendre le pouvoir par la force. À partir de 1995, l’Armée patriotique rwandaise (APR) a mené au moins deux raids au Zaïre afin de les neutraliser. L’incident allégué suivant a été documenté:

• Le 11 avril 1995, une cinquantaine de militaires de l’APR ont attaqué à l’arme lourde le camp de Birava, sur le territoire de Kabare, tuant une trentaine de personnes et en blessant gravement un nombre indéterminé d’autres. Au cours de l’attaque, les ex-FAR/Interahamwe et les réfugiés n’ont pas riposté.

Territoire d’Uvira

196. En 1996, l’UNHCR estimait à 219 466 le nombre de réfugiés dans le territoire d’Uvira, pour les deux tiers de nationalité burundaise. Ces réfugiés étaient repartis dans les onze camps situés le long de la rivière Ruzizi: Runingu, Rwenena, Lubarika, Kanganiro, Luvungi, Luberizi (camp situé entre Mutarule et Luberizi), Biriba, Kibogoye, Kajembo, Kagunga et Kahanda. Bien que dans certains camps, les réfugiés civils cohabitaient avec des éléments ex-FAR/Interahamwe (par exemple, dans le camp de Kanganiro) ou ceux du CNDD-FDD (par exemple, dans le camp de Kibogoye), l’immense majorité des réfugiés étaient des civils non armés.

L’incident allégué suivant a été documenté :

• Dans la nuit du 13 au 14 octobre 1996, des éléments armés banyamulenge/tutsi ont attaqué le camp de Runingu à l’arme lourde, tuant quatre réfugiés et en blessant sept autres.

197. Après la création officielle de l’AFDL le 18 octobre 1996, les troupes de l’Alliance appuyées par celles de l’APR et des FAB (Forces armées burundaises) ont attaqué le village de Bwegera. Après avoir pris le contrôle du village, le 20 octobre, les militaires se sont divisés en deux colonnes, la première partant vers Luvungi en direction du nord et la seconde vers Luberizi en direction du sud. Au cours de leur progression, les militaires de l’AFDL/APR/FAB auraient mené des attaques généralisées et systématiques contre les onze camps de réfugiés rwandais et burundais installés dans le territoire. Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants:

• Le 20 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué les camps de réfugiés d’Itara I et II situés près du village de Luvungi, tuant au moins 100 réfugiés burundais et rwandais. Dans le village voisin de Katala, ils ont capturé et tué à bout portant des réfugiés qui tentaient de fuir. Les militaires ont ensuite forcé la population locale à enterrer les cadavres dans des fosses communes.

• Le 20 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué à l’arme lourde le camp de Kanganiro situé à Luvungi, tuant un nombre indéterminé de réfugiés dont une vingtaine qui se trouvaient dans l’hôpital du camp. Au cours de la même journée, ils ont aussi tué un nombre indéterminé de réfugiés qui se cachaient à Luvungi dans les maisons de civils zaïrois. Les militaires ont ensuite forcé la population locale à enterrer les cadavres dans des fosses communes.

• Le 20 octobre 1996, à leur entrée dans le village de Rubenga, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué un nombre indéterminé de réfugiés et de civils zaïrois qui fuyaient en direction du Burundi. Les corps des victimes ont ensuite été jetés dans la rivière Ruzizi.

• Le 21 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué le camp et le village de Lubarika, tuant un nombre indéterminé de réfugiés rwandais et burundais ainsi que des civils zaïrois qui tentaient de fuir le village après le départ des FAZ. Les militaires ont obligé la population locale à enterrer les corps dans quatre grandes fosses communes. Le même jour, les militaires ont aussi brûlé vifs trente réfugiés dans une maison du village de Kakumbukumbu situé à 5 kilomètres du camp de Lubarika.

• Le 21 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué à l’arme lourde le camp de réfugiés de Luberizi, situé entre Luberizi et Mutarule, tuant environ 370 réfugiés. Les militaires ont jeté les corps des victimes dans les latrines. Ils ont aussi tué plusieurs dizaines de personnes (réfugiés et zaïrois) au niveau des villages de Luberizi et Mutarule. Après les tueries, les corps de plus de 60 victimes ont été retrouvés dans les maisons des deux villages.

• le 24 octobre 1996, des troupes de l’AFDL/APR/FAB ont attaqué le camp de Kagunga et y ont tué un nombre indéterminé de réfugiés. Un témoin direct de l’attaque a affirmé avoir vu huit cadavres. Les militaires ont aussi tué un nombre indéterminé de réfugiés qui tentaient de fuir en compagnie de Zaïrois au niveau du village de Hongero, situé à un kilomètre de Kagunga.

198. Après la prise de la ville d’Uvira dans la nuit du 24 au 25 octobre 1996 et la mise en déroute des FAZ sur pratiquement tout le territoire d’Uvira, les réfugiés burundais et rwandais se sont enfuis dans plusieurs directions. Certains sont partis dans le territoire de Fizi puis ont atteint le Nord-Katanga, la Tanzanie ou la Zambie. D’autres ont tenté de fuir vers le nord en passant par les territoires de Kabare et Walungu. De nombreux réfugiés burundais se sont enfuis en direction du Burundi. Ne pouvant pas traverser la rivière Ruzizi, ils ont souvent été appréhendés au niveau de la sucrerie de Kiliba et des villages de Ndunda, Ngendo et Mwaba.

Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants:

• Le 25 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué un nombre indéterminé de réfugiés qui se cachaient dans des habitations abandonnées dans les secteurs 3 et 4 de la sucrerie de Kiliba.

• Entre le 1er et le 2 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué de manière indiscriminée environ 250 civils, parmi lesquels plus de 200 réfugiés et une trentaine de Zaïrois dans le village de Ndunda, situé tout près de la frontière avec le Burundi. Au cours de l’attaque, plusieurs réfugiés se sont noyés dans la rivière Ruzizi en tentant de s’enfuir.

• Le 24 novembre 1996, dans le village de Mwaba, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont brûlé vifs 24 réfugiés hutu burundais en provenance du camp de Biriba. A leur arrivée à Mwaba, les militaires ont arrêté les personnes présentes dans le village. Après les avoir interrogées, ils ont libéré les civils zaïrois et enfermé les réfugiés burundais dans une maison qu’ils ont incendiée.

199. Les militaires de l’AFDL/APR/FAB ont érigé de nombreuses barrières sur la plaine de la Ruzizi, autour des villages de Bwegera, Sange, Luberizi, Kiliba, à l’entrée d’Uvira cité (Port de Kalundu), au niveau de Makobola II (dans le territoire de Fizi) et à celui du ravin de Rushima (territoire d’Uvira). Au niveau de ces barrières, les militaires auraient trié les personnes interceptées en fonction de leur nationalité sous prétexte de préparer leur retour dans leur pays d’origine. Les personnes identifiées comme Hutu rwandais ou burundais sur la base de leur accent, de leurs caractéristiques morphologiques ou de leur habillement ont été systématiquement séparées des autres personnes interceptées et tuées dans les environs.

Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants:

• Le 22 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué dans le ravin de Rushima, entre Bwegera et Luberizi, un groupe de près de 550 réfugiés hutu rwandais qui s’étaient enfuis des camps de Luberizi et Rwenena quelques jours auparavant. Les militaires avaient intercepté les victimes au niveau des barrières érigées dans les environs. Entre le 27 octobre et le 1er novembre 1996, sous prétexte de les rapatrier au Rwanda, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont conduit un nombre indéterminé de réfugiés supplémentaires dans le ravin de Rushima et les ont exécutés.

• Au cours des jours et des semaines qui ont suivi le 25 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué un nombre indéterminé de réfugiés à un endroit appelé Kahororo, situé dans le secteur 7 de la sucrerie de Kiliba. Les victimes avaient été appréhendées dans les villages environnants.

• Le 29 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué environ 220 réfugiés de sexe masculin à proximité de l’église de la 8e CEPZA [Communauté des églises pentecôtistes au Zaïre], actuellement CEPAC [Communauté des églises pentecôtistes en Afrique centrale] dans le village de Luberizi. Les victimes faisaient partie d’un groupe de réfugiés à qui les militaires avaient fait croire qu’ils devaient se regrouper en vue d’être rapatriés au Rwanda. Les militaires ont séparé les hommes du reste du groupe et les ont tués à coups de baïonnettes ou par balles. Les corps des victimes ont été enterrés dans des fosses communes situées à proximité de l’église.

• Le 3 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont brûlé vifs 72 réfugiés rwandais dans la maison de la COTONCO, située à un kilomètre du village de Bwegera. Les victimes avaient été capturées dans les villages voisins. Les éléments de l’AFDL/APR/FAB avaient rassemblé les victimes dans la maison de COTONCO en leur faisant croire qu’elles allaient être ensuite rapatriées au Rwanda.

• Le 13 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué environ 100 réfugiés burundais dans le village de Ngendo, situé à 7 kilomètres de Sange, dans le territoire d’Uvira.

• Le 8 décembre 1996, des militaires de l’AFDL/APR/FAB ont tué 13 réfugiés de sexe masculin dans le village de Rukogero situé à 9 kilomètres de Sange dans le territoire d’Uvira. Les victimes faisaient partie d’un groupe de 200 à 300 réfugiés qui avaient fui le camp de Kibogoye. Une fois arrêtés, les réfugiés ont été enfermés dans l’église de la 8e CEPZA. Les militaires ont laissé partir les femmes et les filles mais ont tué les hommes et les garçons. Les cadavres des victimes ont été jetés dans les latrines à côté de l’église.

• Le 12 décembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR/FAB ont tué quinze civils dans le village de Ruzia, parmi lesquels des réfugiés qui avaient fui le camp de Luberizi/Mutarule ainsi que des civils zaïrois. Les victimes ont été capturées au cours d’une opération de ratissage menée par les militaires afin de débusquer les réfugiés se cachant parmi la population zaïroise. Certaines victimes ont été brûlées vives dans une maison et d’autres ont été fusillées. Les corps des victimes ont ensuite été enterrés dans trois fosses communes.

• Le 22 décembre 1996 à Ruzia, au bord de la rivière Ruzizi, des militaires de l’AFDL/APR/FAB ont tué au moins 150 personnes dont une majorité de réfugiés rescapés de l’attaque sur le camp de Runingu. Les victimes se cachaient dans la forêt lorsque les militaires les ont repérées. Leurs corps ont été brûlés par les militaires deux jours après l’incident. Une autre source a avancé le nombre de 600 victimes.

Territoires de Walungu et de Kabare

200. En 1996, le HCR estimait le nombre de réfugiés dans les camps des territoires de Walungu, Kabare et Kalehe, communément appelés « les camps de Bukavu » à 307 499 personnes, reparties entre 26 camps: Kamanyola, Izirangabo, Karabangira, Nyangezi (Mulwa), Nyantende, Muku et Mushweshwe au sud de Bukavu, Bideka, Chimanga (Burhale), Bulonge (un camp non reconnu par le HCR), Nyamirangwe et Chabarhabe à l’ouest de la ville, Panzi, Nyakavogo, Mudaka/Murhala, INERA [Institut national pour l’étude et la recherche agronomique], ADI-Kivu [Action pour le développement intégré au Kivu], Kashusha, Katana, Kalehe, Kabira, au nord de Bukavu et Chondo, Chayo, Bugarula, Maugwere et Karama sur l’île d’Idjwi.

201. Au cours de leur progression vers Bukavu, les troupes de l’AFDL/APR ont détruit les camps de fortune construits par les réfugiés rescapés des massacres commis dans la plaine de la Ruzizi (territoire d’Uvira) et à l’ouest de la ville de Bukavu. À partir du village de Nyantende, les troupes de l’AFDL/APR se sont divisées en deux groupes. Un premier groupe a poursuivi en direction de Bukavu en passant par Buhanga, Mushweshwe, Comuhini, Chabarhabe, Ciriri et Lwakabirhi; un autre a pris la direction de Walungu-centre en passant par Muku, Cidaho et Cidodobo.

Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants:

• Le 20 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR en provenance de Bwegera et de la ville rwandaise de Bugarama ont attaqué le camp de réfugiés de Kamanyola, dans le territoire de Walungu, tuant un nombre indéterminé de réfugiés et de civils zaïrois. Les militaires ont ensuite jeté les corps des victimes dans les latrines du camp.

• Le 21 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué un nombre indéterminé de réfugiés au niveau de Nyarubale, dans les collines de Kalunga, à 2 kilomètres de Kamanyola. Fuyant l’attaque contre leur camp de Kamanyola, ces réfugiés tentaient de rejoindre Bukavu. Certains ont été surpris pendant qu’ils se reposaient et d’autres ont été interceptés par des militaires au niveau des barrières érigées le long des routes. Les personnes répondant aux saluts en swahili des militaires avec un accent rwandais ou burundais étaient systématiquement exécutées. Les corps des victimes ont ensuite été enterrés par la population locale.

202. À partir du 22 octobre 1996, devant l’avancée des troupes de l’AFDL/APR, les réfugiés des camps de Nyangezi et Nyantende ont commencé à fuir en direction de Bukavu. À partir du 26 octobre 1996, les militaires ont lancé des attaques contre les camps situés au sud et à l’ouest de la ville de Bukavu. Dans la plupart des cas, les réfugiés avaient déjà quitté les camps avant l’arrivée des militaires pour fuir en direction des camps de Kashusha, INERA et ADI-Kivu (au nord de Bukavu) et Chimanga (à l’ouest de Bukavu en direction de Shabunda). Le 26 octobre, des militaires de l’AFDL/APR ont incendié le camp déjà abandonné de Muku, à 10 kilomètres de Bukavu dans le territoire de Walungu.

Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

• Le 26 octobre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué plusieurs centaines de réfugiés en fuite le long des axes reliant Nyantende à Walungu-centre et Nyantende à Bukavu. Les victimes venaient pour la plupart du territoire d’Uvira et de la plaine de la Ruzizi. Elles ont été tuées par balles, à coups de baïonnette ou sous l’effet d’éclats d’obus. Les militaires ont incendié la plupart des sites où se trouvaient les réfugiés. La majorité des victimes étaient des femmes, des enfants et des personnes âgées. Selon les témoignages recueillis, les militaires ont tué entre 200 et 600 personnes. Les corps des victimes ont été enterrés sur place par la population locale.

203. Après la prise de Bukavu le 29 octobre 1996, les troupes de l’AFDL/APR ont continué leurs opérations contre les camps situés au nord de la ville.

Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants:

• Le 2 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont attaqué à l’arme lourde le camp de Kashusha/INERA dans le territoire de Kabare, tuant des centaines de réfugiés. Au cours de l’attaque, les militaires de l’AFDL/APR ont tiré de façon indiscriminée sur les FAZ, les ex-FAR/Interahamwe et les réfugiés.

• Aux alentours du 22 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué plusieurs centaines de réfugiés dans le camp de Chimanga situé à 71 kilomètres à l’ouest de Bukavu. À leur arrivée dans le camp, les militaires ont demandé aux réfugiés de se rassembler afin d’assister à une réunion. Les militaires leur ont ensuite promis d’abattre une vache et de leur donner la viande afin qu’ils puissent reprendre des forces et rentrer dans de bonnes conditions au Rwanda. Ils ont ensuite commencé à enregistrer les réfugiés en les regroupant par préfecture d’origine. À un moment cependant, un coup de sifflet a retenti et les militaires positionnés tout autour du camp ont ouvert le feu sur les réfugiés. Selon les différentes sources, entre 500 et 800 réfugiés ont ainsi été tués.

Territoire de Kalehe

204. Après la prise de Bukavu par les troupes de l’AFDL/APR et la destruction des camps de réfugiés au nord de la ville, les rescapés se sont enfuis en direction du Nord-Kivu. Ils sont passés soit par le parc national de Kahuzi-Biega (en direction de Bunyakiri/Hombo) soit par Nyabibwe, sur la route de Goma. Les réfugiés qui sont arrivés à Nyabibwe n’ont cependant pas pu atteindre la province du Nord-Kivu car ils ont été pris en étau par les troupes de l’AFDL/APR qui arrivaient de Goma et de Bukavu.

205. La majorité des réfugiés qui étaient bloqués à Nyabibwe ont tenté d’atteindre Bunyakiri et Hombo en passant par les Hauts Plateaux de Kalehe. Un groupe s’est installé dans des camps de fortune au niveau de Shanje et Numbi. Poursuivis par les militaires de l’AFDL/APR, de nombreux réfugiés ont été tués dans ces camps de fortune et au niveau de Chebumba et Lumbishi, dans le territoire de Kalehe.

Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

• Le 21 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué plusieurs centaines de réfugiés et en ont blessé des centaines d’autres dans leur camp de fortune à Shanje ainsi que dans la forêt de bambous de Rukiga et ses environs, dans le territoire de Kalehe. Certaines victimes ont été tuées par balles, par des éclats d’obus ou de roquettes. D’autres, parmi lesquelles de nombreuses personnes

âgées, des malades et des enfants, ont été tuées le long de la route. Les militaires, qui leur avaient demandé de se rassembler et de marcher en colonne en direction du Rwanda, ont ouvert le feu sur eux en cours de route.

• Le 22 novembre 1996, des éléments de l’AFDL/APR ont tué un nombre indéterminé de réfugiés rescapés du camp de Shanje au niveau de Lumbishi.

206. La plupart des rescapés de Shanje ont fui par la forêt de bambous de Rukiga. Au niveau du village de Hombo, ils ont rejoint les rescapés du camp de Kashusha/INERA qui cherchaient à atteindre la province du Nord-Kivu en passant à travers le parc national de Kahuzi-Biega. L’incident allégué suivant a été documenté:

• Aux alentours des 2 et 4 novembre 1996, dans le parc de la Kahuzi-Biega, des éléments de l’AFDL/APR ont tué un nombre indéterminé de réfugiés.

Territoire de Shabunda

207. De nombreux réfugiés rescapés des camps d’Uvira et de Bukavu ont tenté de fuir en passant par le territoire de Shabunda. Ces réfugiés ont pris l’ancienne route reliant Bukavu à Kindu en passant par les villages de Chimanga, Kingulube, Katshungu et Shabunda, situés respectivement à 71, 181, 285 et 337 kilomètres à l’est de Bukavu. Vers la mi-décembre 1996, 38 000 réfugiés étaient enregistrés dans trois camps de fortune dans les environs de Shabunda: Makese I, Makese II et Kabakita (connus aussi sous le nom de Kabakita I, Kabakita II et Kabakita III). Un nombre indéterminé de ces réfugiés, souvent les retardataires, ont été tués par les militaires de l’AFDL/APR sur la route de Shabunda. Des massacres ont été rapportés dans les villages de Mukenge, Baliga et Kigulube en janvier 1997. Les victimes des éléments de l’AFDL/APR étaient pour la plupart des civils non armés. L’incident allégué suivant a été documenté:

• Le 5 février 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué environ 500 réfugiés au niveau du pont métallique sur la rivière Ulindi à Shabunda, à 9 kilomètres de Shabunda-centre. La plupart des victimes étaient des réfugiés qui avaient fui les camps de Kabakita I, II et III à l’approche des militaires. Après le massacre, les villageois ont été forcés de jeter les corps dans la rivière et de nettoyer le pont. Les militaires ont emmené de force les rescapés en direction de Kabatika puis les ont exécutés le lendemain.

208. Les réfugiés qui ont pu s’enfuir à temps ont pris la direction de Kindu. D’autres ont cherché à partir en direction de Bukavu après avoir appris que le HCR avait ouvert une antenne à Kigulube. Plusieurs milliers de réfugiés ont pris cette direction en circulant dans la forêt par petits groupes de 50 à 100 personnes. Depuis janvier 1997, les militaires de l’AFDL/APR contrôlaient la zone et ils avaient érigé de nombreuses barrières le long des principaux axes routiers. Entre les mois de février et d’avril 1997, des éléments de l’AFDL/APR auraient tué systématiquement les réfugiés passant par le village de Kigulube, les forêts environnantes et sur les 156 kilomètres de route séparant Kigulube et la cité de Shabunda.

209. Lorsqu’ils interceptaient des réfugiés à Kigulube, les militaires de l’AFDL/APR leur demandaient généralement de les suivre sous différents prétextes, notamment afin de les aider à pousser leur véhicule jusqu’à Mpwe. En cours de route, ils les auraient tué à coups de machette ou de couteau. Le nombre total de victimes est difficile à estimer mais il se chiffre à plusieurs centaines, voire plus d’un millier.

Dans ce contexte, l’Équipe Mapping a documenté les incidents allégués suivants :

• Dans la soirée du 13 février 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont tué, à coups de machette, entre 70 et 180 réfugiés dans la localité de Mpwe, sur la route menant au village de Kigulube. Après avoir rassemblé les réfugiés, les militaires leur ont dit qu’ils étaient venus pour régler le «problème» existant entre les Hutu et les Tutsi au Rwanda. Ils ont ensuite proposé aux réfugiés de se reposer et de manger quelque chose pour reprendre des forces avant de reprendre la route pour Kigulube. Enfin, ils les ont conduits par petits groupes dans une maison où ils les ont tués. Ceux qui ont tenté de s’enfuir avant d’être conduits dans la maison ont été tués par balles. Les corps des victimes ont pour la plupart été enterrés dans une fosse commune située derrière cette maison.

• Le 15 février 1997 des éléments de l’AFDL/APR ont tué près de 200 réfugiés sur deux sites situés respectivement à quatre et sept kilomètres de Kigulube. Un groupe d’une soixantaine de réfugiés a notamment été enfermé dans une maison que les militaires ont ensuite incendiée. Les corps des victimes ont été jetés dans des fosses communes.

• Le 30 mars 1997 et au cours des jours suivants, des éléments de l’AFDL/APR ont tué, en présence de plusieurs hauts responsables de l’APR, plusieurs centaines de réfugiés entre Katshungu et Shabunda dans les localités d’Ivela, Balika, Lulingu, Keisha et au niveau du pont Ulindi. Les victimes, parmi lesquelles se trouvaient un grand nombre de femmes et enfants étaient pour la plupart des rescapés du camp de Chimanga qui avaient trouvé refuge à Katshungu, une localité située à 54 kilomètres au nord-ouest de Shabunda.

• Au cours du premier trimestre 1997, de nombreux réfugiés sont morts d’épuisement et de faim au cours de leur trajet entre Kigulube et Shabunda. Menacés d’extermination à tout moment, ces populations étrangères au milieu et sous-alimentées n’ont pas reçu d’aide humanitaire. Après avoir interdit aux humanitaires de circuler au-delà d’un périmètre de 30 kilomètres autour de Bukavu, les responsables de l’AFDL/APR leur ont imposé la présence de facilitateurs appartenant à l’AFDL au cours de chacune de leur mission. Selon plusieurs témoins, ces facilitateurs en ont profité des missions des humanitaires pour fournir aux militaires de l’AFDL/APR des informations concernant la localisation et les mouvements de réfugiés. Ces derniers ont pu ainsi tuer les réfugiés avant qu’ils ne puissent être récupérés et rapatriés. Au cours de la même période, les militaires de l’AFDL/APR ont formellement interdit aux civils zaïrois vivant dans la région de porter secours aux réfugiés. Les militaires ont ainsi tué un nombre indéterminé de Zaïrois qui avaient aidé directement les réfugiés ou qui avaient collaboré avec les ONG internationales et les organismes des Nations Unies afin de les localiser et de pouvoir leur apporter une assistance. Le nombre total de réfugiés morts de faim, d’épuisement ou de maladie dans cette partie du Sud-Kivu est impossible à déterminer mais il s’élève probablement à plusieurs centaines voire plusieurs milliers.

210. Les tueries et les violations graves des droits de l’homme à l’encontre de réfugiés rwandais et burundais se sont poursuivies bien après la conquête militaire de la province par les troupes de l’AFDL/APR/FAB. L’incident allégué suivant a été documenté:

• Entre le 26 et le 29 avril 1997, des éléments de l’AFDL/APR ont enlevé, détenu arbitrairement et torturé une cinquantaine de mineurs hutu rwandais ainsi que neuf réfugiés adultes dans les environs de l’aéroport de Kavumu, dans le territoire de Kabare. Les victimes se trouvaient au centre de traitement pour enfants réfugiés de Lwiro lorsqu’elles ont été enlevées le 26 avril, entre 4 et 5 heures du matin. Elles ont été torturées puis acheminées en bus vers l’aéroport de Kavumu où elles ont été placées dans un container et de nouveau torturées et soumises à des actes cruels, inhumains et dégradants. Les militaires ont également battu le personnel médical du centre de Lwiro au motif qu’ils avaient accepté de soigner des réfugiés. Le 29 avril, suite à de fortes pressions internationales, les victimes ont été remises au HCR. Les victimes ont signalé qu’il y avait de nombreux autres containers sur l’aéroport et qu’ils étaient utilisés par les militaires pour torturer les réfugiés.