Congo Actualité n.214

SOMMAIRE

EDITORIAL: LES ENJEUX DES PROCHAINES ELECTIONS DE 2015 E 2016

1. DÉJÀ EN ROUTE VERS LES PROCHAINES ELECTIONS

2. ALERTE SUR DE NOUVEAUX POSSIBLES AMENDEMENTS CONSTITUTIONNELS

a. Le pavé dans la marre

b. La réunion de la majorité présidentielle à Kingakati

EDITORIAL: LES ENJEUX DES PROCHAINES ELECTIONS DE 2015 E 2016

Où en sommes-nous?

En janvier dernier, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI ) avait soumis au Parlement sa feuille de route pour les prochaines élections. Il y a beaucoup de difficultés qui se présentent à l’horizon, surtout si l’on tient compte que les prochaines élections présidentielles et législatives devront avoir lieu en novembre 2016, étant donné que le Président de la République et les députés nationaux ont été « élus » en Novembre 2011, pour une durée de 5 ans. En outre, les élections des députés provinciaux, prévues pour 2012, n’ont pas eu lieu. Selon la constitution, ce sont les députés provinciaux qui élisent, au second degré et pour une durée de cinq ans, les sénateurs nationaux et les gouverneurs des provinces. Considérant que les dernières élections des députés provinciaux ont eu lieu en 2007, il s’ensuit que le mandat des sénateurs, des députés provinciaux et des gouverneurs des provinces est terminé depuis 2012. Enfin, les élections locales n’ont jamais été organisées, ni en 2007 ni en 2012.

Ce que la CENI propose

Face à cette situation, la CENI a proposé d’organiser d’abord les élections locales, dans la première moitié de 2015. Dans ce cas, le parlement devra approuver une série de dispositions à inclure dans la loi électorale.

Dans la même année , selon l’une de ses deux propositions, la CENI organiserait également les élections de sénateurs nationaux, des députés provinciaux et des gouverneurs des provinces qui seraient élus au suffrage indirect par les conseillers des communes et des secteurs. Il s’agit de  changements tout à fait remarquables par rapport à la Constitution actuelle, selon laquelle les députés provinciaux sont élus au suffrage universel direct et les sénateurs et les gouverneurs sont élus au suffrage universel indirect par les députés provinciaux.

Motivée, du moins officiellement, pour des raisons budgétaires et de contraintes de calendrier, cette proposition de la CENI nécessiterait de la révision d’une série d’articles de la loi électorale qui, par conséquent, devrait être examinée et approuvée par le Parlement, avant être promulguée par le Chef de l’Etat. Il faudrait procéder également à la révision des articles 104, 197 et 198 de la Constitution, relatifs à l’élection des députés provinciaux, des sénateurs et des gouverneurs.

En outre, pour améliorer la fiabilité du fichier électoral de la CENI, les participants aux concertations nationales avaient proposé d’organiser un recensement général de la population, avant la tenue des prochaines élections présidentielles et législatives.

Toutes ces opérations préliminaires sont susceptibles d’entraîner de sérieux retards dans l’organisation de l’ensemble des élections. Surtout, une éventuelle révision de la Constitution, considérée au moins inopportune par la plupart de la population, provoquerait sans doute des contestations, des divisions et des conflits qui perturberaient de façon irréversible soit la préparation que la réalisation des élections elles-mêmes.

En outre, le mode de suffrage indirect contribuerait à affaiblir la participation de la population, à augmenter la distance entre les électeurs et les élus et pourrait favoriser le phénomène de la corruption parmi les «grands électeurs». L’expérience des dernières élections le démontre abondamment.

Une tentative maladroite

La question que ces derniers temps a fait couler beaucoup d’encre est de savoir si Joseph Kabila acceptera de ne pas se représenter comme candidat aux prochaines élections présidentielles en 2016, à la fin de son deuxième mandat autorisé par l’art. 70 de la Constitution, selon lequel «le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois». Cet article est verrouillé par l’art. 220, selon lequel «… la durée et le nombre de mandats du Président de la République … ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle». Selon la Constitution, il est donc impossible que l’actuel président de la République, à la fin de son deuxième et dernier mandat, puisse se représenter comme candidat à la prochaine élection présidentielle. Pour y réussir, il serait nécessaire d’éliminer les obstacles posés par ces deux articles. Comment y parvenir?

Selon certaines rumeurs, il y aurait déjà des membres de la majorité présidentielle qui, en essayant de contourner l’art. 220, proposent de modifier l’art. 70, pour changer le mode d’élection du Président de la République qui devrait être élu non par le peuple, au suffrage universel direct, mais par les membres du Parlement, au suffrage universel indirect. Selon ces politiciens de la majorité présidentielle, étant changé le système constitutionnel de l’élection du chef de l’Etat, on entrerait dans une nouvelle phase de la République et le président actuel, Joseph Kabila, pourrait alors se présenter pour une nouvelle candidature.

 Mais cette stratégie semble inefficace, car en 2011 aussi on avait changé l’art. 71 pour réduire à un les deux tours des élections présidentielles, mais cette révision n’avait pas entraîné l’annulation du mandat précédent. Dans ce cas, la majorité présidentielle n’hésiterait pas à convoquer un référendum populaire pour modifier l’art. 220. Ce serait l’estocade finale infligée à la Constitution et à la démocratie elle-même. A ce moment-là, le peuple congolais devra être prêt à sauver sa Constitution et sa liberté.

Trop de contradictions

La majorité présidentielle déclare solennellement qu’elle va respecter la Constitution mais, au même temps, elle propose de modifier certaines règles de vote, ce qui implique nécessairement la révision de certains articles de la Constitution. Elle dit qu’il n’ y a pas de moyens financiers suffisants pour organiser les élections des députés provinciaux au suffrage direct, mais elle pourra les trouver pour organiser, si nécessaire, un référendum populaire pour la révision de la Constitution. La Ceni a présenté au Parlement deux propositions sur l’organisation des prochaines élections. La première requiert la révision de certains articles de la Constitution, la deuxième non. Eh bien, sans examiner d’abord les deux propositions, le Sénat a directement mis à l’ordre du jour du débat parlementaire la question de la révision constitutionnelle.

Ne jamais trahir les attentes de la population

C’est à la Ceni d’éviter de tomber dans les pièges qui lui seraient tendus. Elle peut le faire en exerçant sa prérogative d’indépendance et en organisant les prochaines élections dans le strict respect de la Constitution, sans faire recours à une quelconque révision constitutionnelle qui pourrait être instrumentalisée au service d’intérêts particuliers.

En outre, dans la préparation du calendrier des prochaines élections, la CENI devrait prendre en compte les attentes d’une grande partie de la population, selon qui les élections des députés provinciaux devraient avoir lieu au suffrage universel direct en 2015, suivies par les élections, au suffrage indirect, des sénateurs nationaux et des gouverneurs des provinces. Les élections du Président de la République et des députés nationaux devraient être organisées en 2016. En ce qui concerne les élections locales, elles pourraient être organisées en 2015, en même temps que les élections des députés provinciaux ou, s’il n’était pas possible, en 2017.

Les différentes composantes de la société civile, y compris les associations de défense des droits de l’homme, les confessions religieuses, les organisations des femmes et des jeunes, devront s’engager davantage à faveur d’une éducation civique de la population qui puisse lui permettre de faire face aux prochaines élections avec responsabilité et esprit critique.

 1. DÉJÀ EN ROUTE VERS LES PROCHAINES ELECTIONS

Le 20 février, l’ambassadeur de la délégation de l’Union Européenne (UE) en République Démocratique du Congo, Alexandre Katranis, a annoncé la visite imminente de la chef de la Mission d’observation électorale (MOE) de l’UE, Mariya Nedelcheva, pour évaluer l’application des recommandations formulées après les élections du 28 novembre 2011.

Pour rappel, dans son rapport final sur les élections présidentielle et législatives rendu public le 29 mars 2012, la MOE de l’Union européenne avait formulé vingt-deux recommandations pour améliorer la transparence et la crédibilité lors des prochaines élections provinciales et locales, estimant que les résultats des élections de 2011 manquaient de crédibilité. Brièvement, la MOE de l’UE a recommandé la mise en place immédiate de la Cour constitutionnelle; la recomposition de la Commission électorale nationale indépendante (CENI); la simplification des bulletins de vote ; l’audit et la révision du fichier électoral, la mise en application de la loi sur le financement des partis et l’adoption d’une loi encadrant les dépenses de campagne. La Chef de cette mission d’observation électorale, Mariya Nedelcheva, a demandé au Parlement de la RDC d’adopter une loi organique visant à répartir clairement les compétences entre le ministère de la Communication et médias d’une part, et d’autre part, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), organe de régulation des médias congolais.

En matière de respect des droits de l’homme, Mariya Nedelcheva a recommandé la lutte contre l’impunité, en faisant toute la lumière sur les violences commises pendant la campagne électorale, pendant et après les scrutins, notamment en ce qui concerne le comportement des forces de l’ordre et de certaines autorités locales. Dans un communiqué publié mardi 13 décembre 2012, la Mission d’observation de l’Union européenne avait déploré le manque de transparence dans les procédures de compilation des résultats de l’élection présidentielle. Ses observateurs avaient relevé que plusieurs témoins des candidats et des partis avaient été empêchés d’observer l’ensemble des étapes de la compilation au Katanga, à Kinshasa, au Sud-Kivu et en Province Orientale.[1]

Le 24 février, au cours d’une rencontre avec le président de la Ceni, Apollinaire Malumalu, à Kinshasa, des organisations de la société civile ont rejeté la révision constitutionnelle proposée par la Ceni en vue d’appliquer le mode de scrutin indirect pour les élections provinciales. Selon la société civile, le moment n’est pas propice pour une telle reforme, car elle redoute le risque de corruption de «grands électeurs».

La première option présentée par la CENI est celle de l’organisation des élections des députés provinciaux par scrutin indirect en 2015. «Les conseillers des communes, des chefferies et des secteurs élus pourront élire, en un même jour, députés provinciaux, gouverneurs et vice-gouverneurs, sénateurs, conseillers urbains, bourgmestres et bourgmestres adjoints», a expliqué l’abbé Malumalu. Pour y arriver, il juge indispensable la révision de quelques articles de la constitution. «On devrait, dans ce cas là [réviser] au niveau de la constitution l’article 104 qui concerne [le scrutin des] sénateurs et deux articles qui concernent les institutions provinciales: 197 et 198», a précisé la président de la Ceni. Cette option exige aussi la révision des articles 130, 139, 140,144, 150, 158, 168 à 170 et 240 de la loi électorale.

La deuxième option est celle de l’organisation des élections des députés provinciaux au suffrage universel direct en 2016 et celles des sénateurs et gouverneurs de province en 2017.[2]

Le 3 mars, dans une déclaration datée du 28 février, les Evêques catholiques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) ont affirmé que:

«Ils sont préoccupés par le dépassement du mandat des députés provinciaux et des sénateurs ainsi que par le dysfonctionnement institutionnel et la crise de légitimité dans les entités territoriales et urbaines de base.

Ils recommandent donc l’apurement des arriérés électoraux, comme gage de l’assise de la démocratie et du renforcement de la cohésion nationale.

Ils demandent, à cet effet, la tenue des élections provinciales au premier trimestre 2015, afin de mettre en place des institutions légitimes.

Ils recommandent que les opérations de fiabilisation du fichier électoral en cours et la stabilisation des cartographies opérationnelles s’effectuent de manière transparente et consensuelle.

Ils estiment que l’hypothèse des élections des Conseillers urbains, bourgmestres, Chefs des secteurs, Maires ainsi que des Députés provinciaux au suffrage indirect est de nature à compromettre le processus de consolidation de la démocratie. Car, le Souverain primaire se verrait ainsi mis en marge du processus de désignation de ses gouvernants et son droit de participer directement à la vie publique s’amenuiserait. Dans l’hypothèse d’un suffrage indirect, la crainte de manipulation et de corruption des électeurs est beaucoup plus grande.

Ainsi, conformément aux prescrits de la Constitution en son article 197, les Evêques demandent avec empressement que les élections au niveau provincial tout comme les élections municipales, urbaines et locales soient au suffrage universel direct, afin de promouvoir la démocratie à la base en renforçant le contrôle du peuple sur ses représentants.

Tenant compte du coût que ces élections entraînent, les Evêques estiment qu’il est avantageux de coupler les élections provinciales et locales. Dans la perspective de garantir la souveraineté de l’Etat, le Gouvernement de la République devrait prévoir, dans son budget, les dépenses inhérentes à ces élections, avant de compter sur l’appui financier de ses partenaires traditionnels.
Les Evêques en appellent à la volonté politique de nos gouvernants et à la mobilisation de toute la population congolaise pour que le processus électoral se passe dans la paix et la vérité, dans la transparence et le respect des délais constitutionnels
».[3]

Le Mouvement de Libération du Congo (MLC) se dit opposé à la proposition du président de la CENI d’organiser l’élection des députés provinciaux au suffrage indirect. Le MLC réclame la poursuite du cycle électoral enclenché en 2011 et il invite la Ceni à organiser les élections, au suffrage direct, des députés provinciaux et, au suffrage indirect, des sénateurs et gouverneurs,

 avant de lancer un nouveau cycle. Il faut rappeler que, en novembre 2011, seules les législatives nationales et la présidentielle avaient été organisées, sans pouvoir continuer avec les élections des députés provinciaux, des sénateurs et des gouverneurs de province.[4]

Le 17 mars, la Société civile de Likasi (Katanga) a initié une pétition contre tout changement ou modification de la constitution. Cette pétition s’oppose aussi à l’élection des députés provinciaux au suffrage indirect.[5]

Le 24 mars, le rapporteur de la Ceni, Jean-Pierre Kalamba, a affirmé que la Ceni va afficher les listes électorales provisoires au mois de juin prochain, pour pouvoir procéder à leur actualisation. suite à d’éventuelles réclamations de la part de la population. Les listes définitives seront établies après croisement des listes provisoires et des résultats du recensement général. La version définitive sera publiée un mois avant les élections, comme exigé par la loi.[6]

2. ALERTE SUR DE NOUVEAUX POSSIBLES AMENDEMENTS CONSTITUTIONNELS

 

a. Le pavé dans la marre

Le 7 mars, le porte parole du gouvernement, Lambert Mende, a assuré que la prochaine présidentielle aurait bien lieu en 2016, conformément à la Constitution, sans toutefois exclure que la loi fondamentale puisse être modifiée d’ici-là.  «Avec ou sans l’appui de la communauté internationale, nous aurons des élections en 2016. La Constitution sera strictement respectée», a déclaré Lambert Mende, en ajoutant: «Toute révision de la Constitution n’est pas anticonstitutionnelle. Elle n’est anticonstitutionnelle que si elle touche à l’article 220» qui interdit de modifier « le nombre et la durée » des mandats du chef de l’Etat. Plus sibyllin, Mende a ensuite repris une formule selon laquelle «la Constitution (…) doit être respectée dans sa globalité; nul ne peut permettre ce qu’elle interdit, nul ne peut interdire ce qu’elle permet». Lambert Mende a ajouté que la multiplication d’élections au suffrage direct est un luxe que le pays ne peut pas s’offrir dans une situation de difficultés économiques et de contraintes d’ordre temporel.[7]

Le 18 mars, le secrétaire national du Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD), Claude Mashala, a initié une pétition pour changer la constitution. Ce haut cadre du parti présidentiel estime qu’il faut ouvrir la voie à plusieurs mandats au chef de l’Etat, Joseph Kabila, afin de lui permettre d’achever son programme de gouvernance dénommé «révolution de la modernité». Claude Mashala, qui se définit comme un «Kabiliste de l’aile dure et pure», prévient en outre que l’organisation de la prochaine élection présidentielle, attendu en 2016, est techniquement impossible si l’on doit organiser le recensement de la population, comme suggéré par les participants aux concertations nationales.[8]

Le 19 mars, le président d’un partis politique de l’opposition, le Mouvement du peuple congolais pour la République (MPCR), Jean-Claude Vuemba, a qualifié l’initiative de la pétition du secrétaire national du parti présidentiel, Jean-Claude Mashala, pour changer la constitution de la RDC de «divertissement inutile». Ce changement de constitution permettrait au président Kabila de rempiler. Ce qui n’est pas possible avec l’actuelle constitution. «Le Congo n’a pas besoin de ça. Le problème n’est pas celui d’un homme idéal qui doit venir. Il y a la constitution actuelle, on ne change pas les règles de jeu pendant un match en cours», a-t-il affirmé.[9]

Un grand nombre de Congolais se demandent si le président Joseph Kabila quittera le pouvoir en 2016, à la fin de son deuxième mandat. La question est de nouveau au centre des débats. Certains membres de la Majorité Présidentielle viennent de proposer une contribution qui esquisse les voies et moyens de contourner l’article 220 de la Constitution sur la limitation du nombre de mandats présidentiels. Les réformes constitutionnelles qu’ils proposent épargneraient l’article 220 qui fixe à deux le nombre de mandats présidentiels. En effet les «durs» de la majorité proposent la modification du mode de scrutin pour la présidentielle. Le président de la République devrait désormais être élu au suffrage indirect par le Parlement, selon le modèle sud-africain ou angolais. Le mandat passerait de cinq à sept ans et un poste de vice-président serait créé. Le président sortant Joseph Kabila pourrait alors se représenter, puisque le système de désignation du chef de l’Etat aurait changé. La présidentielle, elle-même avancée, aurait lieu en 2015, c’est-à-dire une année avant la fin du mandat actuel et le président en fonction, Joseph Kabila, pourrait être candidat, car son actuel deuxième mandat ne serait pas expiré. Sa nouvelle élection annulerait tous les autres mandats précédents.

Cette proposition relève d’une volonté claire d’une partie de la majorité de maintenir Joseph Kabila au pouvoir. Mais tout le monde, au sein de la majorité n’est pas d’accord avec ce projet. Il y a aussi des personnes qui pensent que le président Kabila devrait respecter la Constitution dans sa forme actuelle et passer la main pour sauver la démocratie et garantir la paix. Si cette proposition de modifications de la Constitution était présentée au Parlement sans obtenir les adhésions réquises, elle devrait, bien sûr, être soumise à un référendum populaire.

«C’est une déclaration de guerre. Modifier le mode de scrutin du président, c’est totalement anticonstitutionnel», fustige pour sa part le député d’opposition, Martin Fayulu. «Le suffrage universel, tout comme la durée du mandat présidentiel de cinq ans renouvelable une seule fois, tout cela ne peut être en aucun cas modifié, car c’est verrouillé par l’article 220», estime Martin Fayulu.[10]

Un deuxième scénario est possible: un report « technique » de la présidentielle au-delà de novembre 2016. Compte tenu de la polémique dont le fichier électoral fait l’objet depuis 2011, un recensement administratif de toute la population paraît nécessaire avant le prochain scrutin. Pourra-t-il se faire avant novembre 2016? Le président de l’Assemblée nationale et secrétaire général de la majorité présidentielle, Aubin Minaku, répond: «Il faudra respecter les délais des échéances électorales dans la mesure du possible, répond Minaku, mais s’il y a un cas de force majeure, la Ceni [Commission électorale nationale indépendante] pourra saisir la Cour constitutionnelle, qui pourra elle-même autoriser un report à une date bien déterminée. L’essentiel est de trouver un consensus pouvoir-opposition qui sauvegarde la stabilité et l’unité du pays».

Un troisième scénario est celui à la poutine. « Si Joseph Kabila quitte le pouvoir, il sera peut-être tenté de faire le coup de Poutine », souffle l’un de ses proches. En 2008, pour respecter la Constitution, le numéro un russe avait laissé la présidence à Dmitri Medvedev et s’était installé à la primature avec des pouvoirs élargis. Puis, en 2012, il était revenu à la tête de l’État. Pour Joseph Kabila, tout le problème est de trouver un « Medvedev congolais » qui acceptera de s’effacer au bout de cinq ans de présidence. À Kinshasa, on évoque les noms d’Augustin Matata Ponyo, le Premier ministre, d’Aubin Minaku, le président de l’Assemblée nationale, ou d’Évariste Boshab, son prédécesseur. Dans le « clan des Katangais », on parle de Jean-Claude Masangu, l’ex-gouverneur de la Banque centrale, ou d’Albert Yuma Mulimbi, le patron des patrons. Circulent encore les noms d’Olive Lembe Kabila, la première dame, et de Janet Kabila, la soeur jumelle du président, qui est aussi députée. Reste à être élu au suffrage universel.[11]

Le 19 mars, le député de l’opposition et président national du Mouvement du Renouveau, Clément Kanku, a invité le président congolais Joseph Kabila à mettre fin à la «confusion » provoquée par la Majorité présidentielle, au sujet de sa participation ou non à l’élection présidentielle de 2016. Pour Clément Kanku, «il est impératif que le chef de l’Etat fixe l’opinion sur ce qu’il va faire en 2016. Tout le monde parle en son nom et lui, il ne donne pas sa position. Ça fait désordre. Ça risque de nous entraîner dans une instabilité à l’approche des élections».[12]

b. La réunion de la majorité présidentielle à Kingakati

Le 20 mars, une réunion des cadres de la majorité au pouvoir s’est tenue à Kinshasa pour faire le point sur les priorités des prochains mois et de tenter de calmer la polémique née autour d’une possible nouvelle stratégie pour réformer la Constitution et permettre à Joseph Kabila de concourir à un troisième mandat.

Après la rencontre, Aubin Minaku, président de l’Assemblée Nationale et secrétaire général de la MP, a déclaré que «le président de la République respectera la constitution. Il sera remplacé le jour où il y aura un président de la République élu conformément à la constitution». Une formule qui laisse toutes les options ouvertes. Pas de calendrier ni de précision sur ce qui devrait se passer en 2016. Le porte-parole de la Majorité présidentielle (MP), Sébastien Luzanga Shamandevu, a affirmé que «le Président Kabila a déclaré qu’il ne sera jamais question pour lui-même et sa famille politique de comploter contre la République ou contre la Constitution. Il est le garant de la Constitution qu’il a toujours respectée et qu’il continuera à respecter dans toutes ses articulations, de l’article 1er jusqu’à l’article 229. Tout ce qui se fera sous Son autorité se fera conformément à la Constitution».[13]

Le 21 mars, dans une déclaration publiée à l’issue de sa réunion tenue à Kingakati, la Majorité présidentielle (MP) soutient l’organisation des élections des députés provinciaux au suffrage indirect. Pour elle, c’est une formule réaliste au regard des moyens budgétaires disponibles et des contraintes de calendrier. La MP qui prend en compte les craintes émises quant à l’intégrité de ce type de scrutin entend y répondre en renforçant l’arsenal législatif, réglementaire et structurel de lutte contre la corruption dans le pays.

Elle envisage même de faire initier, le cas échéant par qui de droit, un référendum sur le mode de scrutin pour les élections des députés provinciaux. La MP adhère aussi à la proposition des concertations nationales d’organiser un recensement administratif de la population congolaise pour fournir en permanence à l’administration électorale des données objectives et fiables pour le fichier électoral. Cette perspective a déjà été dénoncée par plusieurs dirigeants de l’opposition qui y voient une manoeuvre pour reculer la date du scrutin présidentiel, vu l’ampleur de la tâche dans un pays aux infrastructures sommaires et au territoire grand comme cinq fois la France.[14]

Le 21 mars, Aubin Minaku a affirmé que les dénonciations de l’opposition sur d’éventuelles manœuvres de révision de la constitution ne seraient qu’un «faux débat». Il a déclaré que «la Constitution prévoit elle-même ses mécanismes de révision, mais la MP n’en est pas là», en précisant que «c’est le peuple qui nous a confié cette constitution et il appartiendra à ce même peuple de décider de l’avenir de la République. S’il faut consulter le peuple nous allons le consulter conformément à la constitution».[15]

Le 24 mars, le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, a fait savoir que certains sujets, non inscrits sur le calendrier des travaux de la session ordinaire de mars, seront examinés vu leur importance. Il a notamment cité la révision de la constitution, le code électoral, le recensement ainsi que la poursuite des reformes institutionnelles. Il a précisé que cette révision de la constitution n’allait pas porter sur l’article 220, limitant le nombre de mandats du président de la République, mais éventuellement sur le mode de scrutin des députés provinciaux, sénateurs et gouverneurs. Cette révision de la constitution est réclamée par la Ceni dans la première de ses deux propositions présentées dans sa feuille de route électorale. Une éventuelle organisation des élections des députés provinciaux au suffrage indirect entraînerait des conséquences sur les modalité des élections, au suffrage indirect elles aussi, des sénateurs nationaux, gouverneurs de provinces, bourgmestres, maires et conseillers urbains.[16]

Le 25 mars, la coalition de l’opposition «Sauvons le Congo» a désapprouvé l’inscription de la révision de la constitution à l’agenda de la session parlementaire de mars. L’un des coordonnateurs de cette plate-forme, Martin Fayulu Madidi, a affirmé que «le regroupement sociopolitique Sauvons la RDC a constaté avec regret que la Majorité élargie a planifié un passage en force et elle veut ainsi réaliser un coup d’État à la Constitution du 18 février 2006. C’est très grave. Et nous ne pouvons pas accepter dans ce pays qu’on puisse réviser une constitution dans moins de cinq ans», a-t-il déclaré. L’opposant a invité la population congolaise à se mobiliser et à demeurer vigilante pour faire échec à ce qu’il qualifie de «coup d’Etat constitutionnel qui se prépare et qui frise la haute trahison».[17]

Le 25 mars, l’Union pour la nation congolaise (UNC) a dénoncé comme un « coup d’Etat constitutionnel » la volonté affichée par la MP de tenir les élections des députés provinciaux au suffrage indirect plutôt que direct. «Tout le monde rejette le suffrage indirect, on va confisquer la souveraineté du peuple, nous allons dénoncer ce coup d’Etat constitutionnel», a déclaré Vital Kamerhe, président de ce parti d’opposition. Le projet de la majorité impose de modifier l’article 197 de la Constitution congolaise. Kamerhe estime que cela servira de prétexte à une révision constitutionnelle plus large destinée à permettre au président de la République, Joseph Kabila, de se maintenir au pouvoir au-delà de 2016, ce qui lui est aujourd’hui interdit. Kamerhe craint que la majorité ne cherche à faire en sorte que le président soit élu au scrutin indirect par le Parlement et non plus au suffrage universel direct. Ainsi, «nous aurons pratiquement […] une nouvelle république» et l’on pourra dire que «les compteurs sont remis à zéro» en ce qui concerne les mandats présidentiels, aujourd’hui limités à deux, redoute-t-il.[18]

Le 27 mars, une cinquantaine de députés de l’opposition, les quarante de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), et une dizaine des petits partis alliés, se sont «opposés à toute initiative tendant à maintenir Monsieur Kabila au pouvoir au-delà de 2016». Les élus de l’UDPS et de ses alliés «exigent le respect des échéances électorales, de la durée et du nombre des mandats dans l’organisation des élections et ce conformément aux dispositions pertinentes reprises à l’article 220 de la Constitution», a déclaré Samy Badibanga, député de l’UDPS. Les députés de l’UDPS et ses alliés «rejettent aussi toute idée d’organiser les élections provinciales au scrutin indirect», estimant qu’à terme l’objectif est de «faire élire le président de la république au scrutin indirect, instaurer un septennat et établir un système des mandats illimités».[19]


[1] Cf Marcel Tshishiku – La tempête des Tropiques – Kinshasa, Africatime, 21.02.’14

[2] Cf Radio Okapi, 24.02.’14

[4] Cf Radio Okapi, 09.03.’14

[5] Cf Radio Okapi, 18.03.’14

[6] Cf Radio Okapi, 25.03.’14

 [7] Cf Marc Jourdier – AFP – Kinshasa, 10.03.’14

[8] Cf Radio Okapi, 18.003.’14

[9] Cf Radio Okapi, 19.03.’14

[10] Cf RFI, 17.03.’14

[11] Cf Christophe Boisbouvier – Jeune Afrique, 18.03.’14

[12] Cf Radio Okapi, 19.03.’14

[13] Cf Reuters – RFI, 21.03.’14; Radio Okapi, 21.03.’14; Angelo Mobateli – Le Potentiel – Kinshasa, 21.03.’14;

[14] Cf Radio Okapi, 24.03.’14; Le Soir, 21.03.’14

[15] Cf Radio Okapi, 22.03.’14

[16] Cf Radio Okapi, 25.03.’14

[17] Cf Radio Okapi, 25.03.’14

[18] Cf AFP – Kinshasa, 26.03.’14

[19] Cf AFP – Kinshasa, 27.03.’14