Congo actualité n. 208

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: L’ignoble assassinat du Colonel Mamadou N’Dala

1. LE COLONEL MAMADOU NDALA ASSASSINÉ À BENI

a. L’attentat

b. Les réactions de la population

c. Les premières pistes

d. Premières analyses de l’attentat sur base des photos et des vidéos disponibles

e. Les hypothèses se précisent

f. Les personnes arrêtées

ÉDITORIAL: L’ignoble assassinat du Colonel Mamadou N’Dala

1. LE COLONEL MAMADOU NDALA ASSASSINÉ À BENI

a. L’attentat

Le 2 janvier, le colonel Mamadou Ndala, commandant de la Brigade Commando URR (Unité de réaction rapide), a été tué dans une embuscade dans le village appelé Ngadi (Matembo), près l’aéroport de Mavivi, à cinq km de la ville de Beni (Nord-Kivu). Joint au téléphone, le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a confirmé la nouvelle en affirmant que «le colonel Mamadou Ndala a été tué. (…) Apparemment, ce sont des ADF-Nalu qui l’ont tué avec deux de ses gardes du corps. C’est vraiment une perte immense pour les FARDC. Il était en route vers Eringeti, à 54 km de Beni pour le déploiement d’un bataillon de commandos quand sa jeep est tombée dans une embuscade». Un officier supérieur de la Monusco a confirmé l’attaque, en affirmant que «Il y a eu une embuscade, a priori des ADF-Nalu, contre les FARDC».

Un journaliste de l’AFP qui s’est rendu sur le lieu de l’attaque a vu le corps calciné et décapité du colonel Ndala et cinq militaires blessés être transférés à l’hôpital de la ville de Beni. Des commandos étaient en pleurs ou avaient les larmes aux yeux. Tous étaient sous le choc, et pétris de colère et d’incompréhension. Le colonel Mamadou Ndala a été au premier plan lors des opérations des Forces armées de la RDC contre le M23. Il menait une autre opération contre des rebelles ougandais de l’Adf-Nalu. L’armée avait déjà réussi à récupérer la localité de Kamango, Kisiki et le pont de Semliki, jadis occupé par des rebelles.[1]

b. Les réactions de la population

Agé de 33 ans, le colonel Mamadou Moustapha Ndala était le commandant du 42e bataillon des unités de réaction rapide. Formé par des instructeurs belges, angolais, américains, voire chinois, il était considéré comme le héros de la guerre contre le M23, un groupe armé appuyé par le Rwanda et l’Ouganda. Pour Fidel Bafilemba, chercheur pour l’ONG américaine Enough Project, «ce patriote représentait un espoir que son pays peut aspirer à bâtir une armée républicaine s’il existe une volonté politique». Mamadou Ndala est né le 8 décembre 1978 à Ibambi, en territoire de Wamba, dans la province Orientale (nord-est), voisine du Nord-Kivu. Musulman, marié et père de trois enfants, il est entré dans les Forces armées de la RDC (FARDC) le 6 juin 1997. Quatre ans plus tard, le 7 janvier 2011, il devenait colonel. Élevé au grade de général de brigade à titre posthume, Mamadou Ndala a été inhumé le lundi 6 janvier au cimetière islamique de Kintambo, à Kinshasa.[2]

Le colonel Mamadou Ndala incarnait, aux yeux de la population de la partie est du pays, le renouveau du succès de l’armée congolais sur les groupes armés. A Beni, les rues se sont vidées, le marché a fermé. Des petits groupes discutent de la mort de « Mamadou » et certains se demandaient si la traque des groupe armés encore actifs dans l’est de la RDC pourrait se poursuivre comme prévu. Au centre-ville de Goma, capitale du Nord-Kivu, la tristesse se lit sur les visages. La colère aussi. Des pneus sont brûlés dans certains coins chauds de la ville. Dans le quartier commercial de Birere, « boutiques et magasins sont fermés en mémoire du colonel Mamadou Ndala », rapporte Ley Uwera, une journaliste locale. Une façon de lui rendre un dernier hommage.[3]

La mort du colonel Mamadou Ndala a consterné plusieurs habitants de la ville de Goma où il était très apprécié pour son implication dans les combats contre les rebelles du M23. Un habitant de Goma a confié que cet officier de l’armée congolaise était pour lui «celui qui a redonné de la dignité aux Congolais de Goma, en infligeant une cuisante défaite au M23». A l’annonce de la mort du colonel, des femmes des militaires ont brièvement marché dans les rues de Goma, encadrées par des policiers. Les conducteurs des motos taxis se sont mis à klaxonner. La plupart des commerces ont tout de suite fermé.[4]

Le 3 janvier, dans la matinée, dans la ville de Beni et dans plusieurs localités du territoire du même nom, La population a protesté contre le meurtre, la veille, du colonel Mamadou Ndala. A Beni, plusieurs jeunes ont brûlé des pneus sur le Boulevard Nyamwisi, l’artère principale de la ville. Les mêmes scènes ont été observées dans certains quartiers des communes de Mulekera et Beu, où des boutiques, magasins et petits commerces étaient fermés. des manifestations similaires ont été organisées dans d’autres localités du territoire de Beni, comme Oicha, Mbau, Mutwanga et Eringeti. Ces localités sont parmi les plus touchées par les enlèvements des civils par des présumés rebelles ougandais des ADF/Nalu. C’est dans cette même zone que se déploient depuis quelques jours les commandos des unités de réaction rapide des FARDC, en prévision de la traque de ces rebelles et leurs alliés. A Beni, on pense que Mamadou a été tué  pour ses dernières victoires sur le M23 et que, donc, c’était prémédité.[5]

c. Les premières pistes

Pour le moment, les circonstances de la mort du colonel Mamadou restent encore floues.

Pour M. Mende et un officier de la Monusco, une embuscade des ADF-Nalu, qui pactisent avec des  groupes armés locaux, n’est pas à exclure. Si l’hypothèse d’une implication des rebelles ougandais de l’ADF dans l’attaque paraît la plus plausible, certains observateurs n’écartent pas la piste d’un « assassinat » par ses « propres frères d’armes ». En effet, le caporal Paul Safari, un garde du corps du colonel Ndala, n’en n’est pas si sûr: «J’ai vu deux des assaillants, et ils portaient l’ancienne tenue verte des FARDC. Je ne crois pas que ce soit les ADF-Nalu». Près de la jeep, des commandos accusent des frères d’armes de « régiment » d’avoir tué leur chef. «Ils sont jaloux à cause de notre succès dans le Rutshuru! Ils vont nous sentir!», a lancé l’un d’eux, dont l’avis est partagé par certains. «L’attaque a eu lieu dans une zone contrôlée par les FARDC, où la présence des ADF n’est pas signalée. Il faudrait donc enquêter pour savoir ce qui s’est réellement passé», relève un élu du Nord-Kivu. La population de Beni attribue cet assassinat à des militaires Ruandophones des Fardc complices du M23 et elle pense que cette embuscade aurait été planifiée à partir de Kinshasa par les nostalgiques de la balkanisation du Pays. Une autre hypothèse est celle d’éléments du M23 infiltrés parmi les ADF-Nalu à partir de l’Ouganda où ils avaient fui après leur débâcle. Il est fort possible que les forces spéciales du Rwanda (RDF) et de l’Ouganda (UPF) y soient aussi impliquées.[6]

d. Premières analyses de l’attentat sur base des photos et des vidéos disponibles

Une équipe de cinq experts (en criminologie, explosifs, balistique) du DESC (Défense et Sécurité du Congo) a visionné les différentes images et photos de l’attaque du véhicule du Col Ndala et a confronté les différentes thèses.

En visionnant les images du véhicule dans lequel le colonel a trouvé la mort, on ne voit pas d’impact visible d’un obus de roquette. Selon Jean-Marie Ndambi, diplômé de l’Ecole Royale Militaire (ERM) belge, docteur ingénieur en sciences appliquées, expert en explosif et membre de la DESC, «un obus de roquette contient une charge explosive qui s’enclenche au contact de sa cible. Dans le cas présent, on ne voit aucun indice d’explosion (dégâts importants au véhicule, éparpillement des débris, présence d’un cratère au sol, …). Rien ne montre que ce véhicule a été touché par un obus d’une roquette antichar. Il a pris feu comme un véhicule incendié. Si la roquette avait été tirée à bout portant, le côté opposé du véhicule aurait dû, également, subir de dégâts importants. Le véhicule aurait dû également être projeté un peu plus loin. Cependant, ces éléments caractéristiques de la balistique sont absents sur les images qui circulent. Par ailleurs, la cabine du véhicule semble être intacte. Ce qui exclue la thèse d’un tir d’obus».

L’absence des conséquences résultant de l’effet de souffle (véhicule fortement endommagé ou débris dans toutes les directions) ne plaide pas en la faveur d’une attaque au RPG.

Une autre incohérence est que le véhicule est resté en ligne droite, comme s’il se dirigeait pour s’arrêter ou se garer suite à une interpellation (ou un geste de stop) d’une personne faisant partie des connaissances du colonel ou d’un des passagers. En plus, étant donné que la route est droite, le véhicule devrait rouler à vive allure. À grande vitesse, il faudrait être un excellent tireur pour atteindre une cible en mouvement.

Selon les théories militaires classiques de la tactique de l’embuscade, l’heure d’attaque [vers midi, avec donc une forte visibilité, alors qu’une bonne embuscade se mène dans les conditions éphémérides d’obscurité (nuit), de faible visibilité (brouillard)] et l’emplacement choisi ne sont pas adaptés pour mener une embuscade de façon optimale. De plus, la route est en ligne droite permettant une évacuation rapide (alors qu’une embuscade est propice sur un virage ou une route sinueuse favorisant le ralentissement de la cible, ce qui n’est pas le cas). Autre critère défavorable à une embuscade que l’on a constaté est que la route est large et en bon état et qu’il n’y a aucun obstacle naturel. La configuration du lieu et les données liées aux éphémérides (météo, visibilité,…) ne permettent pas un effet surprise qui est la condition sine qua non pour la réussite d’une opération d’embuscade.

Pour l’Ir. Guy Ngongo, diplômé de l’ERM et spécialiste en balistique: «Personnellement, je trouve cela bizarre qu’il n’y ait aucun dégât apparent autour du véhicule. Ma première analyse me pousse à dire que le tir aurait été effectué à courte distance. Y’a-t-il eu infiltration par une petite unité qui aurait par la suite pris la fuite juste après la réussite de leur coup?».

L’hypothèse de l’Ir. Ngongo de gens qui auraient tiré à courte distance puis pris la fuite, rencontre à la fois l’analyse du Dr Ir Ndambi et la déclaration d’un témoin ayant aperçu deux personnes prenant la fuite et parlant Kinyarwanda et lingala. Ce qui écarte la thèse de l’attaque des ADF-Nalu et oriente vers une piste rwando-congolaise qui mettrait en cause les éléments du CNDP, M23 ou de la GR. Selon les experts de DESC, après analyse et confrontations, le scénario de cette attaque se serait déroulé comme suit: une personne que le Colonel Ndala connaissait aurait fait signe (de détresse ou de stop?) pour que le véhicule s’immobilise, les personnes ont surgi, l’ont identifié et l’ont abattu, ensuite ils ont mis le feu au véhicule.

D’ailleurs, on remarque que la camionnette brûle à partir d’en bas. Comme indiqué ci dessus, une roquette est destinée à faire exploser une cible, notamment, des chars ou des véhicules blindés. On voit, manifestement, que le véhicule a été aspergé des matières inflammables, afin de masquer, les traces des balles sur le corps. En plus, une source militaire des renseignements congolais a également fait état de l’envoi depuis la hiérarchie militaire à Kinshasa, d’un peloton de la garde républicaine, soit 35 hommes, pour renforcer l’unité du commandant Ndala dans sa traque aux ADF-Nalu. L’on sait très bien que la GR échappe au contrôle du chef d’EMG des FARDC. La thèse de la présence des éléments de la GR semble confirmée, car sur les images, certains militaires portaient des gilets pare-balles. Or, seuls les éléments de la GR sont dotés de cet équipement. Les gilets et les casques ne font pas partie des dotations des autres unités FARDC.  Tout porte à croire qu’il s’agit bien d’une marque de fabrique rwandaise derrière la mort de Ndala, via des éléments ex-Cndp évoluant encore dans les FARDC et qui contrôlent la Ville de Beni, sans exclure la piste de la GR.[7]

Selon un autre observateur, avec l’impact de la roquette, le véhicule aurait dû se renverser ou chavirer. Le moteur devrait présenter des signes d’impact. Le capot aurait dû s’ouvrir et le moteur prendre feu. On ne voit que l’aile avant droite déformée et enfoncée, pas d’une façon normale, alors qu’elle devait se désintégrer totalement. La cabine serait défoncée et ouverte en cas de tir de la roquette. Les 4 pneus en feu à en croire le bon état du capot et du moteur pousse à dire que le feu a été intentionnel et attisé à l’aide d’un combustible autre que le mazout. Pourquoi le pneu de réserve est il en feu, alors que la ridelle de la Toyota est intacte et avec sa couleur blanche?

On peut conclure que le fait que le véhicule soit bien garé en lieu et place de se renverser ou de chavirer prouve que ni la roquette, ni le feu sont la cause de la mort du colonel. Le Colonel a été abattu avant la propagation du feu. Le feu intense dans la cabine était mis pour brûler le corps des passagers et pour effacer certaines traces. Le colonel a été assassiné.

DESC a poursuivi ses investigations en visionnant en profondeur (22h) la vidéo de l’attaque du Colonel Mamadou Ndala et apporte un complément d’enquête.

L’incendie qui s’est déclaré à tout le véhicule, jusque dans la cabine, amène à la conclusion que les corps présenteraient des aspects de brûlures graves, mais hélas, lorsque les corps sont étalés au bord de la route, c’est assez étonnant que leurs vêtements ne se soient pas consumés, même si on peut à peine voir des brûlures sur le visage d’un soldat et aussi au bras d’un autre…

Sont-ils morts asphyxiés, des suites de leurs brûlures, ou alors par balles avant qu’on ne mette le feu au véhicule ou même résultant de cette attaque? Ont-ils été atteints lors de l’attaque ou leur mort était-elle antérieure à l’attaque? Seules une expertise médico-légale sur les corps des victimes et une expertise balistique sur le véhicule auraient amené à l’identification des causes réelles de la mort de ces vaillants soldats. Une sérieuse enquête devrait apporter plus de lumière.

Il est difficile de dire quel type des munitions a touché le véhicule. Mais ce qui paraît spectaculaire, c’est la rapidité avec laquelle quasiment tout le véhicule s’est embrasé. Généralement, le feu se propage à partir du point d’impact, pour ensuite se généraliser à tout le véhicule et un certain temps est nécessaire avant que le feu ne se propage à tout le véhicule.

Combien de temps s’est écoulé avant que le véhicule ne s’embrase tout entier? La vidéo ne permet pas de le dire, car la vidéo commence alors que le véhicule a déjà pris feu. Comme on le voit, l’embrasement de tout le véhicule ne se fait pas de manière instantanée, mais il y a toujours un foyer d’où part le feu. L’hypothèse que du carburant ait été répandu avant de mettre le feu au véhicule est plausible, mais n’est pas la seule.

Il y a un autre aspect intrigant: la plupart de soldats sont restés indifférents et passifs. Ils n’ont pas même cherché à se mettre à couvert, identifier le danger et y faire face. Se croyaient-ils évoluant en terrain ami ou c’est de l’imprudence, pour qu’ils ne prennent pas des dispositions de sécurité accrue, afin d’éviter quelque autre attaque surprise? L’on ne remarque aucune volonté réelle, probablement de la part de leurs chefs, de fouiller la zone pour traquer l’assaillant. Tout paraît si normal, même banal.

Il y a eu quelques réactions timides de quelques militaires. L’on suppose que ce sont des soldats très proches du colonel qui ont sorti les corps des victimes du véhicule, alors que les autres n’en avaient presque rien à faire. Cette attitude d’indifférence fait surgir le doute que l’on serait en présence d’une certaine connivence avec les commanditaires, fussent-ils nationaux ou étrangers. Ou alors ceci traduirait-il qu’il y avait au sein l’unité commandée par le colonel Ndala des soldats qui obéissaient aux ordres d’un autre chef?

Même si de nombreuses des questions restent sans réponse, il n’en reste pas moins que seule une enquête sérieuse apportera plus de lumière à ce qui s’est passé. C’est aux autorités congolaises d’en décider et d’agir.[8]

e. Les hypothèses se précisent

Plusieurs raisons remettent en cause l’implication des rebelles ougandais des ADF-Nalu dans l’assassinat du colonel Ndala. Il y a d’abord la rapidité avec laquelle le gouvernement congolais a désigné les ADF-Nalu comme responsables de cet assassinat quelques heures seulement après l’attaque. Ensuite, il y a les circonstances de l’embuscade: un tir de roquette en plein jour à quelques kilomètres du centre-ville de Béni, sur une route contrôlée par l’armée congolaise. Cette route est de plus dégagée, ce qui rendrait difficile une infiltration. Il n’était pas dans sa voiture habituelle. Il fallait donc que les assaillants sachent que c’était bien le commandant Mamadou qui se trouvait dans ce véhicule. Pour cela, certains témoins n’écartent pas l’hypothèse d’un règlement de compte interne à l’armée congolaise. Très populaire auprès de la population, cet officier s’était attiré quelques jalousies. Il était vu comme le véritable héros de la victoire contre le M23, au détriment de sa hiérarchie et aussi du pouvoir politique.[9]

Apparaît alors une autre hypothèse sur la mort du colonel Ndala: l’assassinat à bout portant par un militaire de l’armée congolaise. La question est maintenant de savoir qui se cache derrière l’assassinat de Ndala?

A Goma, où la personnalité de Ndala a été élevée au rang de « sauveur de la RDC« , les regards se tournent vers Joseph Kabila. Le président congolais aurait été « gêné » par la popularité du colonel, présenté comme le vainqueur de la guerre contre le M23. Il faut dire que Joseph Kabila a brillé par son absence sur le terrain pendant toute la guerre au Kivu. Lors de sa venue à Goma, le « héros« acclamé par la population s’appelait Mamadou Ndala et non Joseph Kabila.

Une autre piste évoque les rebelles du M23 qui auraient pu se venger de leur défaite face aux FARDC. Une thèse peu plausible dans l’état actuel de recomposition de la rébellion, très divisée. Reste une dernière théorie. L’assassinat de Mamadou Ndala serait l’oeuvre d’un règlement de compte à l’intérieur de l’armée congolaise. Une piste accréditée par les premières arrestations toutes effectuées au sein des FARDC.[10]

Un élu local estime que les officiers militaires de Beni n’ont pas vu d’un bon oeil l’arrivée sur leur territoire du colonel Mamadou Ndala et de ses hommes. « Pour eux, Mamadou Ndala venait faire un job qu’ils n’ont pas pu faire: neutraliser l’ADF. Depuis 2009 (date de leur affectation), ils ont transformé la zone d’opération de Ruwenzori – où se cachent les rebelles ougandais – en zone de commerce », affirme-t-il, dénonçant des « arrangements » entre le commandement militaire de Beni et les chefs rebelles de l’ADF. L’enquête qui est en cours devra donc également apporter toute la lumière sur ces prétendues collusions contre-nature entre certains chefs de l’armée dans l’est de la RDC et les hommes de l’ADF/Nalu.[11]

Selon certains observateurs, l’assassinat de Mamadou Ndala est révélateur de l’état de l’armée congolaise. Pour Thierry Vircoulon, responsable de l’Afrique centrale pour International Crisis Group (ICG), «l’embuscade dans laquelle est tombée Ndala remet en cause l’image des unités qui ont combattu le M23. Sur la vidéo de l’attaque, l’attitude des soldats congolais n’est pas très professionnelle. Si on ajoute à cela les soupçons d’une responsabilité interne à l’armée, nous sommes donc encore loin de la résurrection des FARDC comme on veut bien nous le dire. Les problèmes de l’armée restent entiers».[12]

f. Les personnes arrêtées

Le 4 janvier, deux présumés suspects du meurtre du colonel Mamadou Ndala ont été arrêtés à Beni-ville. Parmi les suspects, des sources sécuritaires citent les noms d’un responsable du bataillon des FARDC à Beni-ville et un de ses gardes du corps. «Le commandant de la ville de Beni, le lieutenant-colonel Tito Bizuru Ogabo, a été arrêté alors qu’il tentait de faire défection le lendemain de l’assassinat du colonel Mamadou», a précisé une source de la société civile. «Son garde du corps a aussi été arrêté, car son téléphone a été trouvé sur les lieux de l’assassinat alors qu’il ne faisait pas partie du convoi», a-t-elle précisé. Pour des raisons d’enquête, l’officier militaire suspecté a été placé en résidence surveillée tandis que son garde du corps serait déjà arrêté. Le porte-parole de la 8e région militaire, le colonel Olivier Hamuli, ne confirme pas les arrestations dont fait état la société civile du territoire de Béni. Il évoque tout au plus de simples convocations à des fins d’interrogatoires, expliquant que la culpabilité des personnes interpellées n’était pas encore établie. Il a ajouté qu’il fallait attendre les résultats de l’enquête. Le lieutenant-colonel Bizuru a été l’un des premiers à arriver sur les lieux. Ce qui explique peut-être pourquoi son escorte, qui ne faisait pas partie du convoi, a perdu son portable sur la scène de crime.[13]

Le colonel Tito Bizuru, numéro un des FARDC dans la ville de Beni, a été mis aux arrêts. Cet officier est un ancien rebelle du CNDP (Congrès national pour la défense du peuple). Il avait réintégré l’armée en 2009 après la signature de l’accord du 23 mars qui avait mis fin à la rébellion de Laurent Nkunda. Après la mutinerie menée par plusieurs ex-combattants du CNDP en avril 2012, déclenchant la rébellion du M23, le colonel Bizuru n’avait pas fait défection. «Mais rien n’indique qu’il n’était pas resté en intelligence avec ses amis», tacle un officier de l’armée à Beni qui a requis l’anonymat. Pour lui, «l’assassinat de Mamadou Ndala est un règlement de comptes des ex-CNDP, pour la plupart rwandophones, contre celui qui a vaincu le M23 qui bénéficiait du soutien du Rwanda», accuse-t-il.

L’étau se resserre également autour du général Muhindo, alias Mundos, commandant du secteur opérationnel à Beni. On reproche surtout à cet ancien commandant de la garde républicaine à Goma de « n’avoir pas mené avec vigueur la traque des assaillants du colonel assassiné ». Des rumeurs ont fait état de sa fuite, mais aux dernières nouvelles l’officier hundé était toujours dans la ville, placé en résidence surveillée au camp militaire Mangango de Beni. Selon certaines sources, Moundos était dans la région à la tête d’un bataillon envoyé par Joseph Kabila pour prêter main forte au colonel Mamadou Ndala au Nord-Kivu. Une «rivalité» entre les deux hommes est évoquée par plusieurs sources. D’autres pensent que Moundos aurait pu être «la main» du président congolais dans cette affaire.

Entretemps, d’autres arrestations et interpellations ont eu lieu. La dernière en date, celle d’un certain Lieutenant Kelvin, chef des services de renseignements militaires à Beni, est intervenue le 8 janvier dans la matinée. À en croire une source militaire sur place, l’officier aurait déclaré avoir des informations sur les personnes qui ont planifié l’assassinat de Mamadou Ndala ainsi que sur la provenance de 300.000 dollars qui auraient été versés pour motiver certains soldats à exécuter ce plan. Une piste que les enquêteurs prendraient très au sérieux.[14]

Le 9 janvier, devant la population de Béni, Julien Paluku, gouverneur de la province du Nord-Kivu, a déclaré que le pouvoir n’est pas à la base de l’assassinat du colonel Mamadou Moustapha Ndala et a demandé à la population de cesser ces spéculations autour cette question et de laisser les enquêteurs poursuivre leur travail. «L’enquête ne peut pas se faire dans la précipitation. Déjà 32 suspects sont aux arrêts», a-t-il souligné.[15]


[1] Cf Radio Okapi, 02.01.’14; AFP – Matembo, 02.01.’14; Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 02.01.’14

[2] Cf AFP – Kinshasa, 04.01.’14

[3] Cf Radio Okapi, 02.01.’14 ; AFP – Matembo, 02.01.’14; Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 02.01.’14

[4] Cf Radio Okapi, 03.01.’14

[5] Cf Radio Okapi, 03.01.’14

[6] Cf Radio Okapi, 02.01.’14 ; AFP – Matembo, 02.01.’14; Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 02.01.’14

[9] Cf RFI, 04 et 06.01.’14

[10] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 08.01.’14

[11] Cf Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 09.01.’14

[12] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 08.01.’14

[13] Cf Radio Okapi, 05.01.’14; AFP – Kinshasa – Africatime, 06.01.’14; RFI, 06.01.’14

[15] Cf Xinua – Kinshasa, 10.01.’14