Congo Actualité n. 498

LA RÉSURGENCE DU MOUVEMENT DU 23 MARS (M23)

Rivalités régionales, politique des donateurs et blocage du processus de paix (1èr  partie)

Ebuteli –  Groupe d’étude sur le Congo (GEC) – Rapport Août 2024

https://www.ebuteli.org/publications/rapports/rapport-la-resurgence-du-m23-rivalites-regionales-politique-des-donateurs-et-blocage-du-processus-de-paix

SOMMAIRE

RÉSUMÉ
INTRODUCTION
1. LE CONTEXTE HISTORIQUE
1.1. Prologue: la disparition du premier M23 (2012-2013)
2. LA RÉSURGENCE DU M23 (2021-2023)
2.1. La gestion du M23: un gouvernement plus faible qu’un M23 défait
2.2. La renaissance du M23
2.3. Parler, se battre, parler – escalade et diplomatie
2.4. Rapprochement entre l’Ouganda et le Rwanda; alliances des FARDC avec des groupes armés
2.5. La réponse internationale: les Processus de Nairobi et de Luanda
2.6. L’offensive des FARDC (depuis octobre 2022)

RÉSUMÉ

En novembre 2021, la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23) a refait surface dans la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Depuis, elle a déplacé environ 1,7 million de personnes, exacerbant la crise humanitaire.
Le M23 est devenu le centre de la rivalité géopolitique entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda.
L’impulsion principale de cette résurgence du M23 est extérieure à la RDC. Le M23 est surtout apparu comme un moyen pour le Rwanda de projeter son influence contre son voisin du nord, l’Ouganda et la faiblesse de l’État congolais a aggravé la crise, qui a aussi des racines profondes au niveau local.
Même après que les deux pays, le Rwanda et l’Ouganda, ont renoué leurs relations au début de l’année 2022, le soutien rwandais au M23 s’est maintenu et accentué, alors que le groupe prenait de l’ampleur. La réaction du gouvernement congolais a aggravé cette crise.
Frustré par son armée, qui est truffée de réseaux de clientélistes, le gouvernement a eu recours à des entreprises de sécurité privées et à la collaboration avec des groupes armés étrangers et locaux.
Comme ces groupes et le M23 recrutent sur des bases ethniques, les tensions communautaires se sont accrues et les attaques contre les civils se sont multipliées.
Contrairement aux récits avancés par le gouvernement rwandais et le M23, selon lesquels la rébellion est apparue en réponse à la violence anti-Tutsi et à la collaboration entre les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) et le gouvernement congolais, nous constatons que c’est plutôt la montée en puissance du M23 qui a conduit au renforcement de ces phénomènes. Cela n’excuse pas ces comportements – il est impératif que le gouvernement congolais s’attaque aux discours de haine et les sanctionne, y compris au sein de sa propre coalition politique, et qu’il mette fin à son soutien aux groupes armés – mais suggère que le M23 a exacerbé les maux qu’il cite, et non qu’il est apparu en réponse à ces maux.
La réponse internationale a été terne. Bien que presque tous les principaux donateurs aient publiquement condamné le soutien du Rwanda au M23, il n’y a pas eu de conséquences matérielles.
Étant donné que les donateurs fournissent l’équivalent de 74 % du budget du Rwanda en aide étrangère, leur échec à utiliser ces leviers en dépit des informations dont ils disposent leur donne une responsabilité considérable dans la crise actuelle. En effet, au milieu de la rébellion, le Royaume-Uni a signé un accord controversé avec le Rwanda pour extrader les demandeurs d’asile,
le Commonwealth a tenu sa réunion semestrielle des chefs d’État à Kigali, l’Union Européenne (UE) a fourni à la Force de Défense du Rwanda (RDF) 20 millions d’euros pour ses opérations au Mozambique, et une série de réunions de l’ONU et du secteur privé ont eu lieu au Rwanda.
Deux processus parallèles ont été mis en place pour faire face à la crise: l’un basé à Nairobi et conduit par la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). Il s’est concentré sur la dimension nationale et comporte deux volets: la facilitation des pourparlers entre les belligérants et le déploiement – bien que bref – d’un contingent militaire, la Force Régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EACRF). Le second, qui s’est déroulé sous les auspices de l’Union Africaine (UA), essaie d’atténuer la crise internationale entre la RDC et ses voisins, et a été accueilli à Luanda par le gouvernement angolais. Les deux ont eu du mal à progresser.
À partir de la fin 2023, l’EACRF s’est retiré à la demande du gouvernement congolais, qui l’accusait de passivité à l’égard du M23, a été progressivement remplacé par une force de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), la Mission de la Communauté de Développement de l’Afrique Australe en RDC (SAMIDRC).
L’impasse demeure néanmoins. Il existe un désaccord fondamental: le gouvernement congolais considère le M23 comme un faux-nez du Rwanda et un mouvement illégitime et refuse de négocier avec lui; or les autres pays de la région se sont abstenus de faire pression sur le Rwanda et poussent plutôt pour un compromis négocié entre le gouvernement congolais et le M23.
Pour sortir de ce bourbier, compte tenu du rôle joué par le Rwanda dans le déclenchement de la crise du M23, une pression accrue, y compris financière, sur ce Pays de la part de la communauté internationale serait la première étape la plus évidente pour obliger le Rwanda à retirer ses troupes du territoire congolais et à cesser tout soutien au M23, afin de contraindre ce dernier à se retirer de ses positions et à rejoindre le processus de désarmement et de réinsertion sociale.
Le gouvernement congolais a également des responsabilités, d’autant plus que la rébellion du M23 n’est qu’un élément d’une crise beaucoup plus large. Si le sentiment anti-Tutsi n’est pas à l’origine de cette nouvelle crise, la diabolisation de cette communauté est largement répandue et s’est intensifiée depuis le début de la rébellion. Le gouvernement congolais devrait réprimer la discrimination et promouvoir le retour des dizaines de milliers de Tutsis qui se trouvent dans des camps de réfugiés situés dans les pays voisins. Plus généralement, il devrait investir dans la réconciliation communautaire et la réforme agraire. En effet, depuis le début de la guerre en 1993, peu de choses ont été faites pour résoudre ces problèmes. Plus largement, le gouvernement doit forger un processus politique pour traiter avec tous les groupes armés – il y en a plus d’une centaine – dans l’est du Congo, impliquant la démobilisation, la réconciliation des communautés, le retour des réfugiés, le développement économique et la réforme du secteur de la sécurité. Il est clair que l’approche actuelle de la gestion de la crise n’a pas fonctionné et qu’une nouvelle doit être adoptée, avec plus de détermination et de volonté politique.

INTRODUCTION

Après plus de huit ans d’inaction relative, le M23 a refait surface dans l’est de la RDC en novembre 2021. Depuis, malgré les initiatives diplomatiques, ce groupe rebelle s’est considérablement renforcé, passant d’un groupe de quelques dizaines de combattants confinés sur les contreforts du Mont Sabinyo, à la frontière entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda, à une force de milliers de combattants, occupant de larges pans de la province du Nord-Kivu.
Au moment de la rédaction de ce rapport, le M23 contrôle toujours des agglomérations importantes telles que Rutshuru-centre, Kanyabayonga et Kitshanga ainsi que tous les accès routiers aux villes de Sake et de Goma.
Le M23 n’est pas le seul groupe armé présent dans l’est de la RDC. Plus d’une centaine sont actifs, dont certains sont plus meurtriers que le M23 – par exemple, les ADF ou la Codeco. Le M23 est cependant devenu le centre de l’attention. Aucun autre groupe ne contrôle et n’administre un territoire aussi vaste et stratégique, menaçant Goma, une ville importante. Aucun autre ne bénéficie non plus d’un soutien aussi significatif de la part d’un gouvernement étranger. Le M23 est également porteur d’une symbolique lourde, compte tenu du rôle que ses dirigeants ont joué dans les rébellions passées.
Cette note analytique tente de situer le M23 dans son contexte historique, politique national et géopolitique régional. En particulier, nous essayons de comprendre les facteurs qui ont conduit le gouvernement rwandais à soutenir la rébellion, son homologue congolais à mettre en œuvre une réponse aussi inefficace, et ce qui a façonné la réponse internationale à la crise.
Le rapport est divisé en trois parties. Dans la première, nous retraçons l’histoire de la rébellion depuis ses débuts en 2012, en mettant l’accent sur la période la plus récente. Dans la deuxième partie, nous analysons les actions et les intérêts des différents acteurs, afin de mieux comprendre pourquoi la crise ne montre que peu de signes d’apaisement. Nous terminons le rapport par quelques considérations politiques.

1. LE CONTEXTE HISTORIQUE

1.1. Prologue: la disparition du premier M23 (2012-2013)

Le M23 est né en avril 2012 à la suite d’une mutinerie d’officiers principalement rwandophones des FARDC dans le Nord et le Sud Kivu. Nombre d’entre eux étaient d’anciens membres d’autres rébellions soutenues par le Rwanda et basés dans les Kivus. Bosco Ntaganda, Sultani Makenga et la plupart des autres officiers supérieurs avaient été membres du Front Patriotique Rwandais (FPR) qui a pris le pouvoir au Rwanda en 1994, puis de l’Alliance des Forces Démocratiques de Libération du Congo / AFDL (1996-1997), du Rassemblement Congolais pour la Démocratie / RCD (1998-2003) et enfin du Congrès National pour la Défense du Peuple / CNDP (2004-2008).
Suite à un accord entre le Rwanda et la RDC signé le 23 mars 2009 – date qui a donné son nom au M23 – le CNDP a été démantelé. Son commandant, Laurent Nkunda, a été arrêté et assigné à résidence à Kigali, tandis que ses officiers ont obtenu des postes importants au sein des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) dans le Nord et le Sud-Kivu. Bosco Ntaganda est devenu commandant adjoint des opérations dans l’Est de la RDC et Sultani Makenga commandant adjoint du Sud-Kivu.
Deux facteurs principaux ont provoqué la création du M23 trois ans plus tard. Premièrement, le gouvernement congolais était désireux de démanteler les réseaux de l’ex-CNDP qui avaient affirmé leur contrôle sur de larges pans de l’armée dans le Kivu, à la suite de l’accord de 2009. Début 2012, Kinshasa a commencé à planifier le redéploiement de nombreux officiers clés hors de cette région. Deuxièmement, après la débâcle des élections de 2011, le président Joseph Kabila, désireux de regagner sa légitimité et sous la pression internationale, a pris des mesures pour arrêter le plus haut gradé de l’ex-CNDP, le général Bosco Ntaganda, pour lequel la Cour Pénale Internationale (CPI)  avait émis un mandat d’arrêt.
Soutenue par le Gouvernement rwandais, la rébellion a d’abord réussi  à s’emparer de la ville de Rutchuru en juillet 2012 et de Goma, la capitale provinciale, en novembre 2012. La chute de Goma a provoqué une forte réaction internationale et a été le début de la fin pour la rébellion, qui s’est retirée de la ville après huit jours. Le Rwanda a subi d’intenses pressions diplomatiques, qui ont abouti à la suspension de plus de 200 millions de dollars d’aide au Rwanda et à la fin du soutien de Kigali à la rébellion.
Sous la pression militaire des FARDC appuyées par la Brigade d’Intervention de la Force de la Monusco (FIB), composée de 3 000 soldats d’Afrique du Sud, de Tanzanie et de Malawi, privé du soutien du Rwanda et déchiré par un conflit de leadership entre Makenga et Ntaganda, le M23 a été contraint de fuir hors des frontières congolaises et de reconnaître sa défaite le 5 novembre 2013. Néanmoins, en décembre 2013, sous la pression des pays de la région, le gouvernement congolais a signé une déclaration – qui n’est pas, selon le gouvernement, un accord contraignant – selon laquelle il accorderait au groupe l’amnistie pour les actes de guerre et d’insurrection et assurerait le retour des réfugiés et la restitution de leurs biens.
Le gouvernement congolais n’a jamais mis en œuvre cet accord; la menace militaire avait disparu et le gouvernement ne voyait pas la nécessité de mettre en œuvre un engagement qui aurait pu se traduire par des réformes politiquement coûteuses, voire dangereuses. Le M23 s’est scindé en deux factions, l’une dirigée par Sultani Makenga et basée en Ouganda, l’autre dirigée par Jean-Marie Runiga au Rwanda. Une grande partie de ses troupes s’est auto-démobilisée et est rentrée chez elle en RDC et au Rwanda, tandis que quelques centaines sont restées dans des camps militaires dans ces deux pays.
Cependant, en 2016, un groupe de quelques dizaines de combattants du M23, dirigé par Sultani Makenga, a quitté l’Ouganda pour s’installer en RDC, sur les flancs du mont Sabinyo. Au cours des années suivantes, ce groupe a eu des accrochages réguliers avec les FARDC, abattant deux hélicoptères en 2017, mais est resté confiné à une petite zone.

2. LA RÉSURGENCE DU M23 (2021-2023)

2.1. La gestion du M23: un gouvernement plus faible qu’un M23 défait

En janvier 2019, à la suite d’élections présidentielles controversées, Félix Tshisekedi a été investi. La plupart des observateurs s’accordent à dire qu’il était arrivé deuxième lors des élections, mais qu’il a conclu un accord avec le président sortant Joseph Kabila.
Cet accord a donné à Tshisekedi la présidence mais a permis à la coalition de Kabila de conserver le pouvoir au parlement et de contrôler une grande partie des postes dans les gouvernements nationaux et provinciaux. Les premières années de l’administration Tshisekedi auraient pu constituer une occasion de s’attaquer au problème du M23, qui était alors une force affaiblie. Cependant, cette absence de menace a également laissé le gouvernement sans sentiment d’urgence face aux insurgés.
Étant donné que de nombreux dirigeants du M23 se trouvaient au Rwanda et en Ouganda, il était naturel pour Kinshasa de tendre la main à ses voisins. Une première réunion a eu lieu à Kigali en octobre 2019 entre Delphin Kahimbi, chef du renseignement des FARDC, le chef de l’ex-M23 vivant au Rwanda, Jean-Marie Runiga, et le directeur du Service national de renseignement et de sécurité rwandais (NISS), Anaclet Kalibata. Ils se sont mis d’accord sur le principe selon lequel le M23 pourrait être réintégré dans l’armée avec ses anciens grades après un recyclage. Lors d’une réunion de suivi en octobre 2019, ils ont convenu d’une feuille de route qui lèverait les mandats d’arrêt contre les dirigeants du M23, libérerait leurs membres arrêtés pour insurrection et réintégrerait ceux qui remplissent les conditions requises dans les FARDC et le service des parcs nationaux.
La mise en œuvre de cette feuille de route n’a toutefois pas fait l’objet d’un suivi suffisant, ce qui a contribué aux tensions sur le terrain. En juillet 2020, les combattants du M23 ont affronté les FARDC, tuant trois personnes. Puis, en octobre 2020, une délégation du M23 s’est rendue à Kinshasa, composée de Lawrence Kanyuka, conseiller politique et porte-parole du mouvement, de Bosco Mberabagabo, dit «Castro», chargé de la sécurité et du renseignement, et de Benjamin Mbonimpa, son secrétaire exécutif. Bien qu’ils aient attendu des mois avant de rencontrer leurs homologues, ils ont fini par rencontrer le ministre de l’Intérieur, Gilbert Kankonde. Selon des extraits d’une lettre publiée ultérieurement par le M23, datée de février 2021, Kankonde a demandé 1,3 million de dollars à la présidence pour accompagner leur «reddition» dans un délai de neuf mois. Il n’est pas certain que ces fonds aient été versés.
Après avoir passé près d’un an dans la capitale, la délégation du M23 est repartie en octobre 2021.
Entretemps, le 4 juillet 2021, le président Tshisekedi a signé un décret établissant le nouveau Programme de Désarmement, de Démobilisation, de Relèvement Communautaire et de Stabilisation (P-DDRCS) et avait nommé Tommy Tambwe Rudima pour le coordonner. Ce programme était censé relancer le défunt programme de démobilisation et créer un nouveau cadre de stabilisation. La stratégie de DDR excluait toute amnistie pour les «crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et toute autre violation grave des droits de l’homme», ainsi que toute réintégration collective des groupes armés dans les FARDC – des positions qui allaient plus tard devenir des contraintes importantes pour d’éventuelles négociations avec le M23. Ces interdictions peuvent être interprétées comme étant rétroactives: tout accord antérieur conclu entre le gouvernement et les groupes armés qui contreviendrait à ces dispositions deviendrait nul et non avenu ou devrait être renégocié. Cela remettait donc en cause la feuille de route de Kigali de 2019, qui prévoyait la réintégration en bloc du M23.

2.2. La renaissance du M23

Félix Tshisekedi était arrivé au pouvoir en promettant de faire de la fin des conflits une priorité, déclarant qu’il était «prêt à mourir pour la paix». Il n’a cependant pas fait beaucoup de progrès: au cours des deux premières années de son mandat, les déplacements  internes sont passé de 5.010.000 à 6.100.000 personnes et les meurtres de civils liés au conflit sont passés d’une moyenne de 132 à 199 par mois pour les Kivus et l’Ituri.
Le 7 novembre 2021, le M23 a attaqué les FARDC dans les villages de Ndiza, Chanzu et Runyoni, sur les flancs nord et ouest du Mont Sabinyo, tuant quatre personnes dans leurs rangs. Le M23 était clairement frustré et déçu par le manque de progrès dans ses négociations avec Kinshasa.
Cependant, la principale impulsion de cette résurgence est venue de la géopolitique régionale. Le facteur le plus important était la relation tendue entre les gouvernements ougandais et rwandais.
Depuis plusieurs mois, Kampala et Kinshasa discutaient de partenariats économiques. Le 16 juin 2021, les deux gouvernements ont signé un contrat pour la construction de deux routes par des entreprises ougandaises : Kasindi-Beni-Butembo et BunaganaGoma. Cette dernière route devait passer à quelques kilomètres de la frontière rwandaise. Puis, en octobre 2021, les gouvernements ougandais et congolais ont signé un protocole d’accord prévoyant des opérations militaires pour protéger les équipes de construction des routes.
Le 16 novembre, la situation a connu une escalade dramatique. Un attentat-suicide à la bombe à Kampala a tué au moins quatre personnes et en a blessé 37, dont 27 policiers. Les autorités ougandaises ont rapidement accusé les ADF; l’État islamique, auquel les ADF sont affiliés, a également revendiqué l’attentat. Quelques jours après l’attaque de Kampala, Tshisekedi a accordé au gouvernement ougandais le droit de mener une opération contre les ADF sur le territoire congolais.
Les 20 et 21 novembre, le M23 a intensifié ses attaques: une centaine de combattants lourdement armés ont attaqué la base du parc national des Virunga de Bukima, d’où partaient de nombreux touristes à la rencontre des gorilles des montagnes.
Le 25 novembre, selon une source diplomatique, le président rwandais Paul Kagame, présent à Kinshasa dans le cadre d’un sommet de l’Union africaine, a demandé à Félix Tshisekedi de renoncer au projet de construction du tronçon routier Bunagana-Goma.
Le 30 novembre, l’armée ougandaise commence néanmoins son opération sur le territoire congolais. Elle est baptisée «Shujja» («héros» en swahili) et entraine une grave détérioration des relations entre l’Ouganda et le Rwanda.
En décembre 2021, c’est au tour de l’armée burundaise de déployer ses troupes dans le Sud-Kivu pour traquer la rébellion RED-Tabara, avec l’accord tacite de Kinshasa.
Le 13 décembre 2021, les polices nationales congolaise et rwandaise avaient signé un protocole d’accord visant à lutter contre «les djihadistes, le terrorisme, le trafic de drogue et la contrebande entre autres». Selon un communiqué de la police rwandaise, une unité opérationnelle conjointe basée à Goma devait être créée. Cet accord a cependant provoqué un tollé dans l’opinion publique congolaise. Le 20 décembre, une manifestation contre la présence rwandaise a été organisée à Goma, faisant trois morts parmi les manifestants et un mort parmi les policiers. Suite à cet incident, la PNC a démenti, lors d’une conférence de presse, que la police rwandaise allait intervenir sur le territoire congolais, remettant en cause l’accord signé.
Ces dynamiques simultanées ont donné au gouvernement rwandais le sentiment d’être vulnérable et isolé dans la région. De hauts responsables des services de renseignement rwandais ont exprimé à l’époque leur crainte que l’Ouganda n’utilise sa présence en RDC pour déstabiliser leur pays. Ces dernières années, les deux pays s’accusaient mutuellement de tentatives de déstabilisation en soutenant les forces de l’opposition, en kidnappant des citoyens et en infiltrant des agents de renseignement.
Quand l’Ouganda et le Burundi ont commencé leurs opérations militaires en RDC fin 2021, il est clair que le Rwanda s’est senti assiégé.
Le 8 février 2022, dans un discours prononcé lors de l’investiture de son gouvernement, Paul Kagame a semblé lancer un avertissement à ses voisins: «Nous ne souhaitons à personne moins de sécurité et moins de paix. Mais si vous voulez que nous nous battions, nous le ferons. (…) Ce n’est absolument pas un problème. Nous avons des professionnels qui le font bien. Soit ici, soit ailleurs. (…) maintenant notre doctrine [est]: là où le feu vient, c’est là où nous le trouvons. (…) La raison pour laquelle nous surveillons la RDC, ce sont les FDLR et d’autres groupes en RDC qui peuvent se mêler aux ADF (…). Nous traiterons la situation comme il se doit. Nous en sommes encore au stade de la compréhension, de la recherche d’un moyen pour que nous soyons tous d’accord sur le problème». Quelques semaines plus tard, les opérations d’envergure du M23 commencent, avec un soutien de l’armée rwandaise.

2.3. Parler, se battre, parler – escalade et diplomatie

La première grande bataille de ce conflit a eu lieu dans la ville frontalière stratégique de Bunagana le 28 mars 2022, au cours de laquelle le M23 a déployé environ 400 combattants, selon le Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC. Le 29 mars, un hélicoptère de la Monusco s’est écrasé dans la région, causant la mort de huit casques bleus. Selon le groupe d’experts de l’ONU, l’appareil a été touché par des tirs provenant d’une colline contrôlée par le M23.
Les équipes ougandaises de construction de routes ont été affectées par les combats et semblent en avoir été l’une des cibles. Leurs engins de chantier avaient été déployés à Bunagana en février pour commencer les travaux; selon plusieurs sources locales, pendant les combats, l’armée ougandaise est intervenue sur le territoire congolais pour sécuriser les engins de chantier et a repoussé le M23.
C’est à l’occasion de cette offensive que le gouvernement congolais a pour la première fois accusé publiquement le Rwanda de soutenir le M23.
C’est à ce moment que la pression s’est accentuée sur le gouvernement congolais pour qu’il ouvre des négociations avec les rebelles.
Lors d’une rencontre entre Félix Tshisekedi, Paul Kagame, Yoweri Museveni et Uhuru Kenyatta à Nairobi le 8 avril, le principe de négociations avec le M23 aurait été accepté par la délégation congolaise. Le coordinateur congolais du Mécanisme national de suivi, Claude Ibalanky, s’est rendu à Kampala le 20 avril 2022 pour entamer ces discussions qui devaient ensuite se poursuivre à Nairobi où une nouvelle réunion de haut niveau a rassemblé les chefs d’État de la RDC, du Kenya, du Burundi et de l’Ouganda, le Rwanda étant représenté par son ministre des affaires étrangères. Dans ce sommet, les Chefs d’État ont décidé d’un ambitieux processus de paix à deux voies: le gouvernement congolais acceptait d’entamer des pourparlers de paix avec les groupes armés, tandis que la région s’engageait à rassembler des opérations militaires pour forcer les insurgés à se démobiliser.
Le M23 était le seul groupe armé présent à Nairobi. La délégation congolaise, embarrassée de devoir s’asseoir à la même table que les insurgés et de les légitimer, a rapidement changé de position, refusant d’engager des négociations avec les rebelles. Le 22 avril, le gouvernement congolais a rebaptisé les négociations «consultations» et les a étendues à une quarantaine d’autres groupes armés afin de diluer l’importance du M23.
Sur le terrain, le 23 avril, les combats reprennent entre les FARDC et le M23; la délégation congolaise à Nairobi profite de cette «agression» pour rompre les pourparlers avec les rebelles. C’est à cette époque que Tshisekedi a transféré la gestion du dossier M23 de Claude Ibalanky, qui avait initié les discussions avec ce groupe, à Serge Tshibangu, l’un de ses conseillers et partisan d’une ligne plus intransigeante.

2.4. Rapprochement entre l’Ouganda et le Rwanda; alliances des FARDC avec des groupes armés

Le 25 avril 2022, quelques jours après le sommet de Nairobi, le président Paul Kagame, qui n’y avait pas participé, se rendit en Ouganda pour la première fois depuis 2018. Il rencontre son homologue Yoweri Museveni, ce qui semble marquer la fin d’une période de tension entre les deux pays et sceller un rapprochement initié par la visite du fils de Museveni, le général Muhoozi Kainerugaba, à Kigali le mois précédent. Si les tensions entre le Rwanda et l’Ouganda ont contribué à provoquer la résurgence du M23, leur rapprochement n’a pas mis fin à la rébellion.
Confrontées à un défi militaire de taille de la part du M23 et des RDF, les FARDC ont conclu une série d’alliances opportunistes avec des groupes armés locaux. Le 9 mai 2022, à Pinga, dans le territoire de Walikale, plusieurs groupes armés locaux, dont l’APCLS, la CMC/FDP, le NDC-R et l’ANCDH, ont signé un accord et se sont engagés à cesser de se battre entre eux et contre l’armée nationale. Le colonel Salomon Tokolonga des FARDC était présent à cette réunion, ainsi que des représentants des FDLR.
Le 12 mai 2022, le président Félix Tshisekedi s’est publiquement prononcé contre cette stratégie en déclarant «on n’éteint pas le feu en jetant de l’huile». Ce discours n’a cependant pas été suivi de sanctions à l’encontre des personnes impliquées. Le colonel Tokolonga est toujours en poste et, selon un rapport intérimaire du groupe d’experts de l’ONU, des combattants de la CMC/FDP, de l’APCLS et des FDLR se sont battus aux côtés des FARDC fin mai et début juin 2022. Des membres de groupes armés auraient également été vus par des experts de l’ONU dans le camp militaire de Rumangabo, aux côtés des FARDC, le 9 juin 2022. GEC/Ebuteli ont également recueilli des témoignages faisant état de transferts de munitions des FARDC vers les groupes armés.
Outre ces alliances, et compte tenu des faiblesses de l’armée nationale, le gouvernement a commencé à faire appel à des entreprises militaires privées. Agemira, une société relativement peu connue basée en Bulgarie et enregistrée localement comme Agemira RDC, a commencé à travailler avec les FARDC en 2022 pour fournir et entretenir des avions de combat Sukhoi Su-25 et a ensuite étendu ses services. La société roumaine Asociatia RALF, qui travaille avec la compagnie locale Congo Protection, a également commencé à opérer autour de Goma en décembre 2022.

2.5. La réponse internationale: les Processus de Nairobi et de Luanda

Même si le gouvernement congolais a intensifié sa réponse militaire, il est resté engagé dans la diplomatie. Les discussions se sont poursuivies à Nairobi pour mettre en place la Force Régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EACRF). Le 19 juin 2022, les chefs d’état-major de l’EAC adoptent un concept d’opération, attribuant à chaque État membre une zone d’opération dans l’est de la RDC, dans laquelle ils sont censés démanteler les groupes armés qui refusent de déposer les armes. Le Burundi et la Tanzanie (ce dernier n’a toutefois pas confirmé sa participation) se sont vus attribuer le Sud-Kivu et le Maniema; le Kenya a été chargé de la partie sud du Nord-Kivu, où se trouve le M23; l’Ouganda de la partie nord du Nord-Kivu et de l’Ituri; et le Soudan du Sud les provinces des Uélés. Chaque pays devait financer ses opérations.
Le document précisait également que le Rwanda était censé déployer des troupes au Nord et au Sud-Kivu, ajoutant toutefois que la RDC refusait leur participation. Ce rejet des troupes rwandaises a encore une fois irrité Kigali.
Alors que l’EACRF peinait à progresser, suite aux difficultés économiques et, surtout, à la complexité des relations qui existent parmi les Pays membres de l’EAC, en juillet 2022, l’Union Africaine (UA) a nommé le président angolais João Lourenço comme médiateur dans cette crise et un premier sommet a été organisé à Luanda le 8 juillet 2022. Alors que le processus de l’EAC était censé faciliter les discussions entre les parties congolaises au conflit, le processus parallèle de Luanda était réservé au dialogue entre les États. Il a abouti à l’adoption d’une feuille de route prévoyant le retrait du M23 et, de manière quelque peu ambiguë, la «révision et la mise en œuvre» de la «feuille de route conjointe 2019 des activités relatives au rapatriement en RDC des combattants du M23», qui prévoyait la réintégration de certains combattants du M23 dans les FARDC et le corps des gardes des parcs nationaux.
En septembre 2022, le gouvernement français s’est également impliqué. Les chefs des services de renseignement de la RDC et du Rwanda, Jean-Hervé Mbelu Biosha et Joseph Nzabamwita, se sont rencontrés pour des entretiens à Paris le 16 septembre 2022. Le 21 septembre, le président français Emmanuel Macron a organisé une rencontre entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Selon plusieurs sources diplomatiques, et confirmées en partie par des déclarations ultérieures de Macron lui-même, les contours de leur accord étaient les suivants: pas de collaboration entre les FARDC et les FDLR et le retrait du M23 sur ses positions d’avant avril 2022, y compris de Bunagana. La composante kenyane de la force de l’EAC occuperait alors ces positions abandonnées, après quoi des discussions seraient entamées entre le gouvernement congolais et le M23.
Le 8 septembre, les États membres ont signé à Kinshasa un accord légalisant le déploiement de l’EACRF. Malgré les progrès accomplis et ces accords officiels, il n’y avait toujours pas de consensus sur la forme que pourrait prendre un processus de paix, et encore moins sur la solution à apporter au conflit. Les pays d’Afrique de l’Est poussaient à une solution politique, arguant en privé que l’impasse militaire sur le terrain ne laissait pas d’autre choix. Pour le gouvernement en RDC, cette impasse était le résultat d’une intervention rwandaise illégitime; il n’y aurait « aucune négociation avec le M23 » et la seule issue acceptable était le retrait du M23 sur ses positions initiales sur les flancs du Mont Sabinyo.
Toutefois, suite à l’échec de l’armée congolaise face au M23, les initiatives régionales se sont accélérées. Le déploiement du contingent kényan de l’EACRF, chargé de s’attaquer au M23, a commencé le 12 novembre 2022 à Goma. Cependant, ses effectifs relativement faibles – 900 au maximum, selon l’autorisation du parlement kényan – et son mandat ambigu n’en ont pas fait une force de dissuasion crédible aux yeux du M23, qui a poursuivi son avancée.
Un nouveau sommet régional a eu lieu à Luanda le 23 novembre 2022. Son résultat a été plus énergique que les déclarations de Nairobi, exhortant le M23 à se retirer sur ses «positions initiales», apparemment au Mont Sabinyo, faute de quoi «les chefs d’État de l’EAC donneront instruction à la force régionale d’utiliser la force pour les contraindre à se soumettre». Cependant, le gouvernement kényan, dont l’armée devait mettre en œuvre cette opération, n’était pas présent à la réunion. L’ultimatum donné au M23 a expiré le 27 novembre 2022, sans réaction diplomatique ou militaire de la part de la région.
Le 23 décembre 2022, le M23 a remis certaines de ses positions à Kibumba, un village situé juste au nord de la ville de Goma, au contingent kényan de l’EACRF. Mais ce transfert n’a été que superficiel, car le M23 y a maintenu ses positions.
Le processus de Nairobi s’est de plus en plus effiloché, alors que le M23 a continué à gagner du terrain. Un nouveau sommet des chefs d’État de l’EAC s’est donc tenu à Bujumbura le 4 février 2023. Sa déclaration finale a observé que «la situation dans l’est de la RDC est une question régionale qui ne peut être résolue que par un processus politique» et a appelé à «un dialogue plus soutenu entre toutes les parties». Le lendemain, le ministre congolais des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, a publié un communiqué en désaccord avec cette déclaration, affirmant que «le mandat de la Force régionale est, sans équivoque, offensif». Des manifestations contre l’inaction de l’EACRF ont eu lieu le lendemain à Goma. Les chefs d’état-major de l’EAC, réunis à Nairobi le 9 février 2023, ont proposé une reconfiguration de l’EACRF. Désormais, tous les contingents de la force, et non plus seulement les troupes kényanes, devaient se déployer dans la zone d’opération du M23. Les premières forces burundaises ont commencé leur déploiement le 4 mars 2023, en prenant position sur le flanc ouest de la zone occupée par le M23; les Ougandais sont entrés le 31 mars à partir du poste frontalier de Bunagana, sur le flanc nord-est; et les Sud Soudanais se sont déployés le 8 avril pour prendre position dans le camp de Rumangabo, situé dans la zone contrôlée par le M23 .
Le déploiement de l’EACRF a eu pour effet de geler un temps le conflit entre les FARDC et le M23: les lignes de front n’ont que peu bougé entre avril et octobre 2023.
Dans cette période, le M23 s’était temporairement retiré de certaines de ses positions, comme celles de Mweso. Mais il était loin de se retirer sur ses positions initiales du Mont Sabinyo, comme le laissait entendre la feuille de route de Luanda. Dans certaines zones de déploiement de l’EACRF, le M23 conservait encore des troupes et sa propre administration.
Exaspéré par le processus de l’EAC, le gouvernement congolais s’est tourné vers la SADC, dans l’espoir d’obtenir un soutien. Le 8 mai 2023, la SADC a annoncé qu’elle avait approuvé le déploiement d’une force «en soutien à la RDC pour restaurer la paix et la stabilité dans l’est de la RDC», à la suite d’un sommet des chefs d’État à Windhoek.
A la fin de 2023, les forces de l’EACRF ont quitté la RDC à la demande du gouvernement congolais, qui a refusé de renouveler leur mandat. Le gouvernement congolais l’accusait de passivité, voire de complicité face au M23. Entretemps, le 15 décembre 2023, la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC), avec qui le gouvernement congolais était déjà en discussion, a déployé sa Mission en République Démocratique du Congo (SAMIDRC) composée de contingents tanzanien, malawite et sud-africain.
Par ailleurs, la diplomatie angolaise a tenté de relancer des pourparlers entre la RDC et le Rwanda après l’échec de l’entrevue entre les deux présidents à Addis Abeba en février 2024 en marge d’un sommet des dirigeants de l’UA. Le président angolais a vu les deux dirigeants séparément et Luanda a accueilli la réunion ministérielle en mars 2024 qui devait précéder un sommet entre chefs d’État. Suite à cette rencontre, et sous pression des bailleurs, surtout des États-Unis, la RDC a annoncé qu’elle allait développer un plan pour la neutralisation des FDLR. C’est seulement à la suite de la mise en œuvre de ce plan que Kigali devrait «revoir les mesures et le dispositif pris pour sa défense et sa sécurité». Les présidents rwandais et congolais devaient se rencontrer à Luanda pour un nouveau sommet, qui n’avait toujours pas eu lieu à l’heure où nous écrivions ces lignes.

2.6. L’offensive des FARDC (depuis octobre 2022)

Compte tenu de l’inefficacité de l’EACRF, le gouvernement congolais n’a pas renoncé à l’option militaire pour découdre avec le M23.
Le 20 octobre 2022, les FARDC ont repris les combats contre le M23  sur le territoire de Rutshuru. L’offensive des FARDC s’est rapidement effondrée et le M23 a rapidement gagné du terrain. Au cours du mois suivant, les rebelles ont plus que triplé le territoire qu’ils contrôlaient. Ils ont conquis les villes de Rutshuru-centre et de Kiwanja le 29 octobre 2022 et ont pris le contrôle d’une section de la route nationale 2, coupant la route principale entre Goma et les villes de Béni et Butembo au nord, rendant Goma plus dépendante de son commerce avec le Rwanda. Les rebelles ont ensuite progressé selon trois axes: au sud, en direction de Goma, en s’arrêtant à une vingtaine de kilomètres de la ville; au nord, vers le poste frontalier d’Ishasha, où étaient basés les rebelles rwandais du RUD; et à l’ouest, à travers le parc national des Virunga, en direction de Tongo, un bastion des FDLR.
L’expansion du M23 a bénéficié d’un important soutien extérieur de la part du Rwanda. Des images de drone prises pendant les combats à Rugari le 30 octobre 2022, montrent plusieurs soldats avec un équipement similaire à celui des RDF. Ce soutien a été indépendamment corroboré par le Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC dans trois rapports consécutifs. Le gouvernement américain a dénoncé à plusieurs reprises la présence de troupes des RDF sur le sol congolais et en août 2023 a imposé des sanctions contre le général rwandais Andrew Nyamvumba pour ce soutien.
Les FARDC n’ont pas pu opposer une grande résistance au M23 et ont fait recours à plusieurs groupes armés locaux. Ces groupes recrutent au sein de la population locale, généralement selon des critères ethniques. Cette situation a engendré une dynamique de conflit brutale, le M23 prenant pour cible des civils, en représailles à des embuscades lui tendues par des groupes armés. Par exemple, à Rushovu (14 novembre) et à Kanaba (17 novembre), un groupe local a attaqué le M23, tuant plusieurs de ses membres. Par vengeance, les 29 et 30 novembre 2022, le M23 est entré dans les villages de Kishishe et Bambu et a tué plusieurs dizaines de personnes.
Malgré cela, le gouvernement congolais a continué à soutenir les groupes armés contre le M23. Le 6 mars 2023, le ministre de l’Enseignement supérieur Butondo Muhindo Nzangi a annoncé que les groupes armés locaux seraient mobilisés en tant que réservistes de l’armée congolaise et que ces derniers devraient bénéficier des mêmes ressources que l’armée. Finalement, une loi créant un corps de réservistes a été adoptée par le parlement le 4 mai 2023. La loi et les différents discours des responsables gouvernementaux ont encouragé la formation de nouvelles milices sous le terme générique de wazalendo («patriotes» en swahili). Beaucoup de ces groupes ont émergé à proximité des positions du M23, mais d’autres se trouvaient dans les territoires de Beni et de Lubero, loin des lignes de front. Le terme a également été utilisé pour désigner des groupes armés déjà existants qui combattent aux côtés des FARDC, comme les milices hutues du CMC de Dominique Ndaruhutse, ou le NDC-R de Guidon Shimiray, ce dernier étant à la tête de la coalition connue sous le nom de «Réseau des patriotes résistants congolais».
Par ailleurs, les sociétés militaires privées ont poursuivi leur déploiement. Selon une source au sein de l’une d’entre elles, elles disposaient collectivement d’environ 900 hommes dans le Nord-Kivu à la fin du mois de mai 2023 et formaient des soldats congolais sur la base militaire de Mubambiro, près de Goma.  Le gouvernement congolais a également acheté au moins trois drones de combat de fabrication chinoise au cours de cette période, qui étaient basés à l’aéroport de Kavumu, près de Bukavu. Parmi eux, deux ont été abattus et le troisième s’est écrasé.
En mars 2024, le M23 a fait une poussée vers le nord dans le territoire de Rutshuru sans beaucoup de difficultés. Les rebelles ont pris Rwindi et la pêcherie de Vitshumbi sur le littoral du lac Edouard. Les FARDC avaient décampé jusqu’à Kanyabayonga avant même que les rebelles n’arrivent. Fin juin 2024, le M23 et le RDF ont à nouveau progressé brutalement vers le Nord, prenant le contrôle des localités de Kanyabayonga et de Kirumba, pénétrant ainsi sur le territoire de Lubero pour la première fois dans l’histoire de ce mouvement.
Ces avancées du M23 ont été possibles grâce à un appui direct de l’armée rwandaise. Selon le dernier rapport du Groupe d’expert de l’ONU sur la RDC, rédigé en avril 2024, au moins 3000 et 4000 soldats des RDF se trouvaient sur le territoire congolais, des effectifs qui pourraient être supérieurs aux 3000 membres du M23 selon la même source.