Congo Actualité n. 495

LES « MINERAIS DE SANG », FACTEURS DE CONFLITS AU KIVU (RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO) – 1ère Partie

Étude des rivalités territoriales dans une zone grise d’Afrique centrale

Melvil Bossé – https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02445404/document

SOMMAIRE

INTRODUCTION
1. LE KIVU COMME THÉÂTRE DE CONFLITS. À L’ORIGINE DE LA GUERRE
1.1. La situation géographique, facteur déterminant dans la succession des conflits
1.2. Les minerais au cœur des enjeux: un sous-sol qui suscite les convoitises
1.3. Les enjeux démographiques, un défi global pour la région des Grands Lacs
1.4. Conclusion de la première partie

INTRODUCTION

La RDC comptait 81 millions d’habitants en 2017, ce qui en fait le quatrième Etat le plus peuplé d’Afrique. À elles deux, les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu atteignent presque 12,5 millions d’habitants (soit 15% de la population congolaise) pour une superficie de 125 000 km² (plus de quatre fois la taille de la Belgique). Ancienne colonie belge ayant accédé à son indépendance en 1960, la RDC fait aujourd’hui partie des pays les moins avancés (PMA) selon les catégories économiques établies par les Nations Unies: avec un PIB par habitant de 785 dollars internationaux en 2017, le pays se classe parmi les plus pauvres du monde. Malgré une croissance économique enregistrée à plus de 7% entre 2010 et 2015, le taux de pauvreté est estimé à plus de 60% (3ème le plus élevé au monde en 2017). Il apparaît donc clairement que les richesses minières congolaises, qui expliquent la croissance, ne profitent aucunement à la population, notamment dans les régions touchées par les conflits armés. La RDC paraît encore loin des pays émergents et reste ancrée dans ce que l’on appelait il y a quelques décennies le «Tiers-monde».
Depuis la fin de la deuxième guerre en 2003, la République Démocratique du Congo (RDC) n’est officiellement plus un Etat en guerre. Ce vaste pays d’Afrique centrale, dont le territoire couvre une superficie d’environ 2 345 000 km² (soit plus de quatre fois la France), connaît pourtant des déchirements internes et un conflit qui perdure toujours aujourd’hui. C’est dans l’Est de la RDC, au sein des provinces orientales du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, que les luttes armées se manifestent encore. Ainsi au Kivu, région frontalière de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et de la Tanzanie, se situant à 1500 km de la capitale congolaise Kinshasa, des factions rebelles et autres milices engagées dans la guerre prennent part à un conflit qui a constitué le prolongement de la « grande guerre d’Afrique » dans les années 2000. Celle-ci désigne la Deuxième guerre du Congo qui, entre 1998 et 2003, a impliqué neuf pays africains ainsi qu’une trentaine de groupes armés, provoquant plus de trois millions de morts, ainsi qu’un million de déplacés.
C’est dans ce contexte marqué par la violence que les provinces de l’Est congolais échappent au contrôle étatique de Kinshasa, et ce même à la suite de la formation d’un gouvernement de transition en avril 2003. Par conséquent, le Kivu peut être défini comme une zone grise, car l’Etat de droit, la RDC, n’y a plus de contrôle de facto (c’est-à-dire dans la réalité concrète), mais seulement de jure (un contrôle juridique officiel et reconnu). L’on peut parler d’une zone grise lorsque les institutions centrales d’un Etat souverain «ne parviennent pas, par impuissance ou par abandon, à pénétrer dans un certain territoire pour affirmer leur domination, laquelle est assurée, par contre, par des micro-autorités alternatives».
Cette défaillance fait de la RDC un Etat failli. Ce terme a été défini comme une «incapacité partielle ou totale de l’Etat à offrir sa protection et les services minima qu’il doit en théorie prodiguer à ses citoyens». La défaillance peut être spatiale. Dans ce cas, une portion du territoire étatique échappe au contrôle du pouvoir central. C’est le cas des territoires de l’Est congolais. Une telle faille a permis à des groupes armés hétéroclites de s’implanter et d’asseoir leur emprise sur différentes parties du Kivu.
Les groupes armés implantés à la frontière orientale de la RDC répondent aujourd’hui, au moins en partie, à des intérêts économiques et luttent notamment pour les richesses du sous-sol kivutien.
L’accaparation des ressources minières du Kivu représente ainsi l’un des enjeux majeurs de la guerre et sans doute la principale raison des tensions entre ses acteurs. Parmi ces ressources, on trouve principalement de l’or et de la cassitérite (étain), mais également des diamants ou encore du coltan. Le colombo-tantalite est utilisé dans l’industrie électronique pour la fabrication des smartphones et ordinateurs portables. Ce matériau aussi rare que précieux, devenu indispensable à l’ère moderne, a connu un boom économique très important à partir des années 1990 et la région du Kivu en abrite 80% des réserves mondiales. Toutes ces matières premières suscitent des convoitises et attisent les rivalités, qui deviennent virulentes.
C’est en cela qu’il est possible de parler de minerais de sang, terme qui renvoie à des minerais alimentant des conflits armés et qui en sont souvent le principal enjeu. L’on peut parler aussi de minerais de conflit, car les différents groupes armés s’affrontent entre eux pour le contrôle des mines réparties sur leurs territoires, en vue de financer leurs guerres. Les minerais sont extraits des mines du Kivu, au cœur d’un territoires montagneux occupés par la forêt équatoriale. Ces collines et montagnes de l’Est permettent l’implantation des combattants dans les maquis d’un territoire enclavé.
En profitant de l’exploitation des richesses du sous sol congolais, certaines grandes puissances, mais également les pays voisins de la RDC, contribuent à un «pillage généralisé». C’est ainsi que les firmes qui exploitent les gisements de minerais, ou qui bénéficient de leur revente, donnent origine à un processus de néocolonialisme économique. Lorsque l’on parle de néocolonialisme, un terme fort et sujet à polémiques, cela désigne «le maintien, ou le retour, à des liens de subordination entre les Etats nouvellement indépendants et les anciennes puissances coloniales». Pour vérifier si le recours à la notion de néocolonialisme peut se justifier, il faudra déceler les liens de domination – subordination existants dans les rapports géoéconomiques entre l’Etat congolais d’une part, et ses voisins (Rwanda, Ouganda) ainsi que les firmes occidentales et/ou asiatiques d’autre part.
À concepts-clés, des notions restent à présenter pour cerner pleinement le sujet. Au cœur de celui-ci se trouve le terme de libanisation, qui marque les situations caractérisées par l’effondrement de l’autorité de l’Etat central et la toute-puissance, au moins locale, d’acteurs insurrectionnels (guérillas). Les territoires tenus par ces derniers ne sont pas limités par des frontières, mais par des lignes de front plus ou moins stables. Comment la RDC est-elle devenue un Etat libanisé? Le Kivu a été défini comme «une vaste région, à la situation stratégique, caractérisée par la présence d’Etats en conflit et prise dans les conflits d’intérêt des grandes puissances voisines». Les puissances ici concernées ne sont pas seulement les voisins rwandais et ougandais, mais aussi ces Etats qui dominent le monde multipolaire d’aujourd’hui et qui ont des intérêts plus globaux (la realpolitik menée par les Etats Unis, ainsi que la géo-économie internationalisée de la région des Grands Lacs).

Cette étude a pour but d’appréhender le conflit au Kivu en cernant ses multiples enjeux et acteurs, en analysant ses conséquences sur la situation socioéconomique davantage que ses causes (déjà maintes fois relatées dans de nombreux travaux), mais aussi en étudiant ses perspectives.
Deux principales hypothèses seront ici esquissées.
Tout d’abord, le conflit au Kivu est moins dû à des tensions ethniques qu’à la ruée vers l’accaparation des ressources naturelles, c’est-à-dire les minerais précieux. Malgré l’existence de conflits identitaires, les conflits  interethniques ont tout de même grandement laissé place aux tensions liées aux «trésors» du sous-sol.
Cependant, motivations économiques et affrontements identitaires peuvent être liés. Un conflit interethnique, ou bien «conflit identitaire», répond à une logique dans laquelle «l’ethnie n’est pas tant la cause de l’affrontement, souvent artificiellement construit, mais l’acteur désigné et la victime potentielle». Il s’agit d’une guerre civile dans laquelle les motivations des acteurs «peuvent être économiques et liées à des questions de territoire: appropriation de terres agricoles, de ressources minérales». C’est le cas au Kivu, où l’on se dispute le territoire pour la rente qu’il peut apporter.
Les conflits identitaires naissent le plus souvent dans des Etats fragiles, où les ethnies et les peuples jouent un rôle social et culturel réel. Parfois les peuples sont dressés les uns contre les autres par des propagandes et des campagnes de dénigrement. L’Afrique des Grands Lacs remplit ces conditions. Les guerres «classiques» inter étatiques y ont désormais laissé place aux guerres intra étatiques, ou «civiles», ce qui n’empêche pas de relever des cas d’ingérence en RDC. Via l’appui apporté à certains groupes armés en RDC, le gouvernement de Kigali, capitale rwandaise, s’octroie en quelque sorte un droit d’ingérence chez son voisin congolais, malgré le fait que, parmi les principes essentiels du droit international démocratique, figure […] la non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres Pays.
Une seconde hypothèse est la suivante: le Kivu serait un exemple-type de l’un des grands paradoxes [que peut engendrer] la mondialisation. Région pleinement insérée dans les échanges internationaux via les flux de minerais, ce processus y génère en retour insécurité et perte de contrôle. Le Kivu restant très peu développé, ce serait finalement une marge du «village global» mondialisé.
L’objectif principal de ce mémoire est de déceler les facteurs, essentiellement économiques, qui prolongent la guerre aujourd’hui. Si l’Afrique subsaharienne attire les investisseurs économiques (notamment chinois aujourd’hui), la pauvreté ne semble pas s’éloigner de l’Afrique centrale, car les Etats comme la RDC (mais aussi la Centrafrique ou le Burundi) sont marqués par leur instabilité politico-territoriale. Au niveau du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, les populations souffrent quotidiennement des exactions commises par les groupes armés et des violations des droits de l’Homme sont dénoncées sans cesse depuis plus de vingt ans. La crise humanitaire à laquelle l’Est congolais est ainsi confronté se traduit par une mortalité très élevée, de nombreuses violences sexuelles ou encore le recours à des enfants-soldats et des enfants travaillant dans les mines. Ce cycle belliqueux est rendu possible par l’éloignement géographique, politique et symbolique de Kinshasa.
Cette étude a donc pour ambition d’apporter une grille de lecture pour comprendre le conflit au Kivu, tout en soulignant le paradoxe dessiné par la «guerre des minerais»: les espoirs de paix de la population congolaise semblent se confronter à l’abondance des richesses naturelles de leur pays.
Ce travail  s’articulera donc autour de la problématique suivante:
La stabilité politique et sociale du Kivu peut-elle être envisagée malgré la richesse d’un sous-sol qui alimente et perpétue les tensions?
Prendre en compte la localisation géographique de la région est indispensable pour saisir l’origine de la guerre au Kivu. C’est pourquoi nous appréhenderons cet espace en tant que théâtre de conflits dans la première partie. La situation de guerre s’est enlisée, en faisant progressivement de ce théâtre une zone grise: c’est ainsi que nous l’analyserons en seconde partie. Les défis sont de taille pour un territoire imprégné dans un contexte de tensions, où les intérêts économiques de chaque acteur paraissent être un frein au développement de la population. Le problème sera posé dans la troisième partie, dans laquelle nous questionnerons la réelle place que tient la RDC dans l’aire économique des Grands Lacs et le rôle dont Kinshasa dispose, alors qu’il est confronté à l’ingérence d’autres Etats.

1. LE KIVU COMME THÉÂTRE DE CONFLITS: À L’ORIGINE DE LA GUERRE

1.1. La situation géographique, facteur déterminant dans la succession des conflits

Les deux provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu sont intégrées dans l’Afrique des Grands Lacs.                    C’est pourquoi elles ont été affectées directement par les évènements ayant frappé cette région dans les années 1990, c’est-à-dire principalement les crises au Rwanda. Pour comprendre pourquoi ces territoires de l’Est congolais ont été touchés par des conflits dépassant les frontières interétatiques, il faut bien avoir conscience de la localisation des Kivus. Les deux capitales provinciales, Goma (Nord-Kivu) et Bukavu (Sud Kivu), se situent en bordure du lac Kivu et tout juste à proximité de la frontière avec le Rwanda. Ainsi, c’est surtout dans ces deux villes que plus d’un million de réfugiés rwandais s’établirent en 1994. Pour prendre la mesure de l’incidence de ces évènements sur la situation actuelle, un retour historique est nécessaire.
Vers la fin des années 1990, après la chute du mur de Berlin (1989), les deux puissances anglophones (États-Unis et Angleterre) étaient à la recherche de nouveaux équilibres politiques et économiques dans une Afrique centrale essentiellement francophone (Zaïre, Rwanda et Burundi).
Leur rêve politique était de favoriser l’émergence d’une nouvelle classe dirigeante, capable de sauvegarder leurs intérêts économiques dans la région des Grands Lacs Africains. En Ouganda, Yoweri Museveni, appartenant au groupe Banyankole de l’ethnie Hima (Tutsi), était arrivé au pouvoir en 1986, après avoir défait, avec l’aide des réfugiés tutsis rwandais, l’armée du président Milton Obote. Bon élève du Fond Monétaire International (FMI), il avait rapidement gagné la sympathie des États-Unis. Au Zaïre, le président Mobutu avait perdu la confiance de son peuple et de la communauté internationale et se retrouvait seul et affaibli, notamment après l’introduction du multipartisme en 1991, la tenue de la Conférence Nationale Souveraine en 1992 et le début d’une grave maladie.
Au Rwanda, depuis octobre 1990, le Front Patriotique Rwandais (FPR), un mouvement politique et militaire composé de réfugiés tutsis rwandais ayant fui vers l’Ouganda à la fin des années 1950 et au début des années 1960, à l’occasion de la révolution hutu et de la fin du la monarchie Tutsi, avait mené à plusieurs reprises une série d’attaques à partir de l’Ouganda, avec l’intention de retourner au pays natal, de renverser le régime hutu et de reprendre le pouvoir.
Entre avril et juillet 1994, en même temps qu’a lieu le génocide, les troupes du Front Patriotique Rwandais (FPR), venant de l’Ouganda au nord, avancent vers Kigali, capitale du Rwanda. La progression de ce mouvement armé Tutsi provoque la fuite de deux millions de rwandais, qui partent se réfugier dans d’immenses camps au-delà des frontières. La majorité d’entre eux est Hutue, une ethnie qui représente 80% de la population rwandaise. Parmi eux, la majorité étaient des civils ayant fui les combats, mais il y avait aussi beaucoup d’anciens responsables du génocide des Tutsis: des soldats de l’ancienne armée rwandaise et des membres des milices Interahamwe, qui commençaient à se réorganiser pour reconquérir le pouvoir au Rwanda.
Réagissant à cette menace, face à l’inertie de l’ONU, le nouveau gouvernement de Kigali avait décidé d’envoyer ses troupes dans le pays voisin, pour démanteler les camps de réfugiés, neutraliser l’ancienne armée rwandaise et la milice Interahamwe et destituer le président zaïrois Mobutu Sese Seko qui les avait accueillis et instaurer, à Kinshasa, un régime politique qui lui serait plus favorable.
C’est le début d’un long cycle de guerre qui perdure jusqu’aujourd’hui  dans l’Est congolais.
Fin octobre 1996, l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) franchit la frontière avec le Zaïre et attaque les camps des réfugiés rwandais, avec la complicité de l’Alliance des Forces Démocratiques de Libération (AFDL), un groupe armé zaïrois, à prédominance Tutsi, fomenté par le régime rwandais et mené par Laurent-Désiré Kabila. Il s’agit de la Première guerre du Congo qui durera six mois, de novembre 1996 à mai 1997. La plupart des réfugiés civils hutus rwandais rentrèrent au Rwanda, d’autres avaient fui vers l’intérieur du Zaïre, loin de la frontière avec le Rwanda et, parmi ces derniers, il y avait aussi les militaires de l’ancienne armée rwandaise et les miliciens Interahamwe. Les troupes de l’APR et de l’AFDL se mirent à leur poursuite et, quelques mois plus tard, le 17 mai 1997, prirent la capitale, Kinshasa.
Des troupes de l’armée ougandaise et de l’armé burundaise ont aussi participé à cette guerre, dont un des principaux objectifs était le renversement du régime du président dictateur congolais Mobutu Sese Seko. En effet, les présidents rwandais, ougandais et burundais, Paul Kagame, Yoweri Museveni et Pierre Buyoya respectivement, considéraient le président zaïrois Mobutu Sese Seco comme leur ennemi commun, car il aurait donné hospitalité aux groupes rebelles qui tentaient de les déstabiliser depuis leurs fiefs congolais.
Une fois au pouvoir avec l’appui du Rwanda et de l’Ouganda, après s’être autoproclamé président et avoir renommé le Zaïre en République Démocratique du Congo, Laurent Désiré Kabila constate que le Pays se trouve désormais dans les mains de ses alliés rwandais et ougandais qui occupent des postes importants dans les secteurs de l’économie, de la politique, de la sécurité et de l’administration. Le nouveau chef d’état major générale de l’armée congolaise, par exemple, est James Kabarebe, chef d’état major de l’armée rwandaise qui avait coordonné l’avancée des troupes de l’AFDL/APR vers Kinshasa. Le Président Kabila se retourne donc contre eux, demande aux troupes étrangères de se retirer du Congo et chasse les membres Tutsis de son nouveau gouvernement. Ce brusque revirement d’alliances constitue l’élément déclencheur de la Deuxième guerre du Congo (1998-2003).
Le Rwanda et l’Ouganda ayant gardé leur présence en RDC, le territoire congolais se retrouve rapidement divisé. Le pays est ainsi partagé en plusieurs zones d’influence: l’Ouest contrôlé par le gouvernement de Kabila d’un côté, le Nord et l’Est sous influence rwandaise et ougandaise de l’autre. En plus de maintenir leur présence militaire aux Kivus, les gouvernements de Kagame et de Museveni appuient des guérillas dans les régions qu’ils contrôlent: le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), appuyé par le Rwanda, s’empare des principales villes kivutiennes (Goma, Bukavu, Uvira) tandis que le Mouvement de Libération du Congo (MLC), soutenu par l’Ouganda, est lui établi au Nord du pays. Kabila gagne de nombreux soutiens qui lui permettent d’empêcher la prise de Kinshasa par le RCD, dont l’Angola, la Namibie, le Zimbabwe et le Soudan. On a donc affaire à une guerre internationalisée à l’échelle du continent, d’où ses surnoms de «Première guerre mondiale africaine» ou «grande guerre d’Afrique».
De plus, d’autres milices armées viennent plus ou moins défendre le régime de Kabila lors de cette guerre: les Maï-Maï ainsi que le Front Démocratique de Libération du Rwanda (FDLR). Les premiers sont des groupes congolais d’autodéfense menant des actions de résistance au Kivu face à ce qu’ils voient comme une invasion rwandaise. Le FDLR a été fondé en 2000 par des Interahamwe (ex-génocidaires Hutus) avec comme objectif celui de reprendre le pouvoir à Kigali.
Pendant la guerre, en 2001, le président Laurent Désiré Kabila est assassiné et c’est son fils Joseph Kabila qui le remplace.
Cette «première guerre mondiale africaine» s’est terminée en 2003 par un accord de paix qui prévoyait un gouvernement de transition (1+4) présidé par le Président de la République, Joseph Kabila, assisté de quatre vice-présidents respectivement désignés par le gouvernement congolais, le RCD, le MLC et l’Opposition politique. Les troupes du RCD, du MLC et des Maï-Maï sont intégrées dans l’armée nationale.
La «grande guerre d’Afrique» a ensuite laissé la place à une guerre centrée au Kivu et le Rwanda a continué d’appuyer de nouvelles rébellions chez son voisin: parmi elles le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP), un groupe armé à majorité tutsi, conduit par Laurent Nkunda et actif de 2004 à 2009. La guerre du CNDP prend fin suite à la Conférence de Paix organisée à Goma en 2008 et à l’accord du 23 mars 2009.
En 2012, toujours le Rwanda appuie la création du Mouvement du 23 mars (M23), dont le nom fait référence à l’accord de paix du 23 mars 2009, considéré par les rebelles reprenant les armes comme non respecté par Kinshasa. Le M23 a été neutralisé en 2013 par une coalition des forces de l’ONU et de l’armée congolaise (la MONUSCO et les FARDC).
La succession de ces mouvements politico-militaire paraît révélatrice d’un système kivutien enrayé par la violence: la fin d’un mouvement rebelle ne fait pas disparaître la guerre, tant ces mouvements sont nombreux, et les multiples tentatives d’intégration des combattants à l’armée régulière semblent toujours se finir par une reprise des affrontements lorsque ceux qui ne sont pas satisfaits retournent au maquis, donnant lieu au cercle vicieux suivant: rébellion, accords de paix, intégration, nouvelle rébellion.
En outre, étant donné que nombre de chefs d’Etats de la Région des Grands Lacs Africains sont arrivés au pouvoir après avoir combattu au maquis (Kabila, Kagame et Museveni principalement), une certaine «culture» de la prise de pouvoir par les armes s’est développée au Kivu aussi.
Ce «système kivutien» reste en place dans un territoire particulièrement difficile à gérer pour le régime de Kinshasa. Le Kivu se distingue du reste de la RDC d’un point de vue géomorphologique: les infrastructures routières y sont très peu modernisées, voire quasiment inexistantes; certaines forêts et montagnes sont très reculées et enclavées et les rebelles peuvent y installer leur maquis, en étant sûrs que les FARDC auront beaucoup de mal à y accéder (et encore plus à y combattre); l’énorme  distance du Kivu par rapport à Kinshasa et sa proximité avec le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi l’ont entraîné dans les tensions venant de ces Etats voisins et dans un cycle de violences et de massacres qui a déclenché un cercle vicieux dont il est difficile de sortir.

1.2. Les minerais au cœur des enjeux: un sous-sol qui suscite les convoitises

Depuis la période coloniale, les matières premières de la RDC ont toujours aiguisé les appétits.
Très riche en ressources naturelles, l’État Indépendant du Congo (EIC) a fait la fortune personnelle du roi des Belges Léopold II (1835-1909), en lui fournissant principalement du caoutchouc et de l’ivoire. Par la suite, le Congo Belge a enrichi l’État belge tout au long de la période de colonisation, en lui fournissant du café, du thé, du coton. De l’or, de la cassitérite,…
Dans les années qui ont immédiatement suivi l’indépendance (30 juin 1960), 60% de l’uranium, 70% du cobalt et 70% des diamants industriels produits sur la planète provenaient de l’ex-Congo belge. Dans ces circonstances, le Pays aurait pu commencer à profiter des richesses de son sol et sous-sol, pour entamer son développement économique loin de la domination étrangère. Ce n’a pas été comme ça. Au cours de ses trente ans de gouvernement, le président Mobutu Sese Seko a toujours considéré les richesses congolaises comme les siennes personnelles, ce qui l’a amené à investir principalement dans des projets augmentant son prestige personnel et favorisant la classe dirigeante la plus proche de lui, sans se soucier davantage de la population de son pays.
Par la suite, les matières premières du Kivu, notamment les minéraux, sont devenues partie intégrante d’une dynamique de conflit et de guerre. Déjà lors de la première guerre du Congo (1996-1997), les troupes rwandaises avaient pillé et transporté au Rwanda les minerais stockés dans les entrepôts auprès des mines et des centres commerciaux. Cependant, de nombreux observateurs s’accordent à dire que le pillage des minerais congolais est devenu plus systématique et structurel depuis le début de la deuxième guerre du Congo (1998-2003).
Selon Stéphane Rosière, «les richesses minières de l’ex-Zaïre sont à la fois le nerf et l’enjeu de la guerre qui oppose le régime Kabila à ses opposants. Les régions minières sont des objectifs primordiaux pour les acteurs de ce conflit. […] Les rwandais et ougandais financent donc une partie de leur effort de guerre en prélevant une part des bénéfices de l’exploitation de ces richesses par des sociétés privées». Dans son livre « Les nouveaux prédateurs » (2003), Colette Braeckman expliquait que l’ambition rwandaise de transformer le Kivu en «zone d’exploitation économique» est un projet ancien. L’or, l’étain, le coltan ou les diamants sont la raison première de l’ingérence des voisins de la RDC dans ce pays. Roland Pourtier affirmait ainsi clairement que «la prolongation de la guerre au Congo n’avait d’autre motif que de permettre la perpétuation des pillages lucratifs». Dans ce sens, Pierre Péan ainsi que Jean-Paul Mopo Kobanda ont accusé dans leurs travaux le Rwanda de faire partie des grands profiteurs de la guerre au Kivu.
À propos de la dichotomie rwando-congolaise, Boltanski a écrit: «Au fond, ce pillage c’était inévitable. D’un côté, un petit pays de montagnes surpeuplé, dépourvu de matières naturelles, où la moindre parcelle est cultivée, avec à sa tête un chef autoritaire mû par une implacable détermination, prêt à tout au nom du « plus jamais ça » et doté d’une armée disciplinée, la meilleure de la région. De l’autre, un territoire infini, un Etat moribond et un sous-sol débordant de richesses. Il n’y avait qu’à se servir».
Bien que le Kivu ait été plongé dans la guerre, comme nous l’avons vu, du fait de sa proximité avec les crises rwandaises et donc que la course aux richesses n’ait pas été l’élément déclencheur du conflit, cette course tient désormais pour beaucoup de spécialistes la première place dans les multiples facteurs qui conditionnent la guerre. Dans ce contexte, la population civile kivutienne est la première à payer le prix de cette «économie de prédation», indispensable à l’industrie des nouvelles technologies.
Dans un rapport de 2014. les experts de l’institut de recherche belge International Peace Information Service (IPIS) ont localisé près de 1.100 sites miniers dans les collines de l’Est, ainsi que 150 comptoirs (trading centers), qui servent d’intermédiaires pour les revendeurs. Sur plus de 1.000 mines visitées, ils ont noté la présence d’au moins un groupe armé dans près de 600. Des éléments des FARDC y sont présents dans plus d’une mine sur trois. Cette donne révèle le manque de discipline des FARDC, la corruption qui gangrène leurs rangs et la composition de cette armée (anciens rebelles, «entrepreneurs» politico-militaires souhaitant s’enrichir…). Dans d’autre mines,  il y a les Rayia Mutomboki, puis le NDC, les FDLR et des Maï-Maï.
Quatre moyens sont relevés pour appuyer leur contrôle et profiter des revenus de la part des groupes armés: les taxations illégales le plus fréquemment; l’achat des minéraux extraits; le creusement par eux mêmes et, enfin, le recours aux travaux forcés.
La mise à jour de la carte de localisation des mines rédigée par l’IPIS permet d’observer 1.107 sites pour la période 2016-2019 (sur un total estimé à presque 2.700), avec 48% de mines d’or, 38% de mines de cassitérite, 11% de mines de coltan (suivies de wolframite, diamants…). Les mines d’or sont donc les plus nombreuses et par conséquent celles qui comptent le plus de travailleurs au total. Ainsi, alors que l’on estimait à plus de 220.000 le nombre de creuseurs artisanaux dans l’ensemble des sites entre 2013 et 2014, 176.000 étaient des «chercheurs d’or». Si l’extraction aurifère est majoritaire, 98% de la production d’or serait passée en contrebande hors du pays avant d’être exportée.
Près de soixante ans après l’indépendance, alors que le prix d’un kilo de coltan tourne autour de 120 dollars US, les creuseurs congolais, qui travaillent dans des conditions très rudes au fond des mines, ne peuvent le vendre qu’à 6 dollars à des intermédiaires. Pourtant, «des mineurs artisanaux estimés à 500.000 dans l’Est de la RDC produisent des revenus indirects pour environ 10 millions de personnes». La mine de Bisié, dans le Nord-Kivu, produit près de 80% du total de la cassitérite de la province (8.000 tonnes par an, soit 50 millions d’euros) et, par conséquent, l’exploitation et le commerce de cet «or gris» génèrent la quasi-totalité des rentrées en devise du Nord-Kivu. Selon Boltanski (2010), «l’exploitation de la cassitérite fait vivre près d’un million de personnes. La majorité des mineurs de Bisié subsiste avec moins de 1,5 dollar par jour et est en général lourdement endettée.
Tout comme le coltan, la cassitérite (principal minerai d’étain) est indispensable aux nouvelles technologies: on trouve de l’étain partout aujourd’hui, et notamment dans les téléphones portables aux côtés de tungstène, de tantale et d’or. La dépendance envers les minerais se trouve donc autant du côté des pays consommateurs que des régions productrices comme le Kivu.

1.3. Les enjeux démographiques, un défi global pour la région des Grands Lacs

Pour Roland Pourtier, «les questions identitaires, les ambitions politiques, l’exploitation des ressources naturelles n’explicitent que partiellement un conflit qui renvoie en dernière instance à des causes beaucoup plus profondes». Selon lui, «la question foncière et celle démographique constituent le fondement socioéconomique structurel des conflits du Kivu, lieu d’une véritable «conquête foncière» liée à une immigration mal contrôlée depuis les indépendances».
Pierre Péan, toujours dans une optique large intégrant le Kivu dans les visées et influences rwandaises, affirme de son côté: «Si le Rwanda n’a jamais accepté les frontières tracées par les colonisateurs, c’est que ses terres ne sont pas suffisantes pour nourrir une population croissante. Et il y a longtemps que des pasteurs tutsi, mais aussi des paysans hutu, se sont installés, par vagues successives, dans les pays voisins … Notamment sur les rives occidentales des lacs Albert, Édouard, Kivu et Tanganyika, dans tout l’Est du Zaïre, aujourd’hui RDC, dans les provinces Orientales, Nord-Kivu, Sud-Kivu et Katanga. Et il y a longtemps également que pour résoudre cette question existentielle est née, chez les Tutsi et leurs «cousins» les Hima, l’idée d’une République des Volcans, d’un Tutsiland, d’une Swahili Republic, une idée parfois dissimulée derrière celle d’une libération régionale. Cette volonté expansionniste des dirigeants rwandais n’est pas propre aux seuls Tutsis. Les Hutu, quand ils étaient au pouvoir (1960-1994), regardaient également vers les terres de l’Ouest. Après d’autres, Yoweri Museveni et Paul Kagame portent au milieu des années 1990 ce projet qui est la, ou une des, cause(s) de l’impossible paix dans l’Est de la RDC, et partant dans tout le pays».
Ainsi, une forte pression démographique conduisant à une concurrence accrue pour la propriété et l’usage des terres agricoles participe à l’amplification des tensions, qui résulteraient même de ces questions foncières depuis les années 1970 et 1980. Ce sont avant tout les flux migratoires qui conduisent aux pressions foncières du Kivu, car des millions d’immigrés, de déplacés et des réfugiés venant du Rwanda se dirigent vers les collines kivutiennes.
Selon Rosière, si certes «les violences politiques expliquent les mouvements de population», les migrations ne sont pas que des flux de réfugiés/déplacés datant des guerres des années 1990: elles s’inscrivent dans des processus plus anciens, qui expliquent le nombre de rwandophones (le kinyarwanda) en RDC depuis au moins la fin du XIXème siècle. En fonction des différentes vagues d’immigration, les rwandais venus au Kivu peuvent être distingués selon leur période d’arrivée: d’abord, les Banyarwanda (littéralement « ceux du Rwanda »), désignant en fait les congolais de culture rwandaise; ensuite, ceux que l’on a appelé les « transplantés » de la période coloniale; puis, les réfugiés d’avant 1994 en majorité Tutsis; enfin, les réfugiés venus depuis 1994, en majorité Hutus. Il y a ainsi eu de multiples flux migratoires entraînant une certaine complexité des réalités sociodémographiques au Kivu, d’autant plus que «les différences relativement claires au départ entre les quatre sous-groupes d’origine rwandaise sont devenues au fil du temps de plus en plus difficiles à identifier et donc aisément manipulables».
Pour Rosière, «les motivations de ces migrations [allant du Rwanda au Kivu] sont agraires et politiques. Le fort gradient de densité entre les terres rwandaises surpeuplées et ces régions de collines congolaises fertiles, moins peuplées, et dont la population est largement de même langue maternelle, explique la persistance des flux en provenance du Rwanda. Le Nord-Kivu est donc l’émissaire démographique traditionnel des trop-plein rwandais».
Or, ces phénomènes migratoires finissent par causer une surpopulation également au Kivu, dont la capacité d’accueil de population est de plus en plus mise à l’épreuve. Pour l’heure, les provinces de l’Est congolais sont loin de connaître la très forte densité du « pays des mille collines », le Rwanda, qui est de 452 hab/km². Celle du Nord-Kivu est de 112 hab/km² et celle du Sud-Kivu, de 83 hab/km². On pourrait donc penser que ces provinces regorgent d’espace libre, mais il ne faut pas oublier qu’elles sont occupées par la forêt équatoriale et ont un relief élevé; le territoire peut ainsi être parfois difficilement habitable. Les afflux massifs de populations alimentent donc bien les problèmes d’accès à l’eau, à la nourriture et au logement. Cela renforce les inimitiés, notamment lorsque des populations déplacées reviennent chez elles une fois que le contexte politico-militaire est un tant soit peu apaisé, et trouvent alors des « étrangers » qui occupent leurs terres.
L’accroissement de la densité a des conséquences sur les questions agropastorales car les rwandais, particulièrement Tutsis, sont principalement des éleveurs qui ont besoin de vastes étendues pour leurs troupeaux. Ces troupeaux de bovins peuvent empiéter sur les champs des agriculteurs, car ils ont besoin de se déplacer, notamment pendant la transhumance, un mouvement régulier de bétail entre des points fixes, en fonction de la disponibilité saisonnière des pâturages. La transhumance peut s’avérer source de conflits, car elle se trouve au cœur d’un enjeu majeur: celui de l’accès et du contrôle de la terre. Il y a donc des oppositions entre ces Tutsis éleveurs et les agriculteurs plutôt « autochtones congolais ». Ces oppositions peuvent amener à des affrontements armés lorsque les paysans font appel aux milices pour les défendre, ce qui constitue une « militarisation des litiges agropastoraux ». Par exemple, l’on peut constater des accusations de complicité entre chefs coutumiers et Maï-Maï (ou même FDLR) pour défendre les agriculteurs, tandis que d’autres accusations parlent d’accords entre les FARDC et les éleveurs Tutsis. Ceux-ci ont même pu créer une milice d’autodéfense nommée Twigwaneho.
Au final, l’on peut relever trois moteurs de la conflictualité persistante chez les populations rurales de la province du Sud-Kivu: les conflits fonciers, l’appui des communautés ethniques aux groupes armés et la faiblesse de la gouvernance locale. Cette gouvernance est en partie soumise aux règles traditionnelles du droit coutumier congolais car, en dépit de la proclamation de la propriété de l’Etat sur le sol et le sous-sol, certains chefs coutumiers continuent d’assumer la responsabilité de la question foncière. Il est donc possible d’affirmer que les incertitudes sur le foncier sont dues essentiellement à la persistance, en RDC, d’une dualité juridique entre droit et coutume.
À propos de la question démographique et foncière, on peut affirmer que les migrations aussi constituent une énième étincelle de conflictualité et ajoutent à la complexité de la situation des Kivus.
De son coté, il y a déjà dix ans, Pourtier observait une crise ascendante: «En quelques décennies, la saturation foncière a complètement changé la donne, multipliant les conflits pour la terre, dressant les autochtones contre les étrangers dans un contexte juridique confus, où droits coutumiers et droit moderne incarné par l’Etat se chevauchent. […] La question foncière, principale cause des violences interethniques, ne date pas d’aujourd’hui, mais elle n’a cessé de s’aggraver au rythme d’une croissance démographique qui fait de la terre l’enjeu central des conflits sociaux. […] La situation devient chaque année plus insoutenable dans ce petit espace saturé d’Afrique centrale, où la guerre semble s’être substituée aux famines comme régulateur démographique».
Comme le souligne Justine Brabant, «le prisme au travers duquel les agriculteurs du Kivu voient leurs relations avec les éleveurs est nourri d’une culture paysanne qui met l’accent sur l’appartenance collective de la terre et la nécessité de s’acquitter d’une redevance pour l’exploiter, mais également de la rhétorique guerrière de groupes armés, exacerbant la question de l’autochtonie et agitant la peur de l’invasion venue des pays voisins, en particulier le Rwanda, par le biais des flux migratoires. Cette peur se justifie par la porosité des frontières entre les pays, aggravant l’absence de sécurité et qui s’explique par le non-contrôle de Kinshasa sur la zone grise du Kivu. Le développement et la persistance de cette grille de lecture peuvent être interprétés comme le fruit de l’histoire politico-militaire agitée de l’est de la RDCongo».

1.4. Conclusion de la première partie

En raison de multiples facteurs qui ont alimenté les tensions au Kivu, les conditions étaient réunies pour que la guerre éclate dans cette région de l’Est congolais. D’abord, la situation géographique, qui éloigne Goma et Bukavu de 1500 km de Kinshasa, au cœur de l’Afrique des Grands Lacs, a rendu le Nord-Kivu et le Sud-Kivu vulnérables à l’extension des crises des pays voisins sur leurs territoires – territoires dont le sous-sol se trouve être très riche en minerais précieux. De plus, ces crises ont accentué les flux de déplacés et de réfugiés dans une région déjà marquée par une pression démographique accrue, car la baisse de la mortalité pendant la colonisation belge a permis l’accroissement démographique. Par conséquent, sans que le Kivu n’ait été «prédestiné» à la violence bien sûr, ce territoire a constitué un terreau fertile pour une «explosion» conflictuelle particulièrement violente et meurtrière à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Le géographe Roland Pourtier affirmait ainsi: «Depuis la fin de la guerre du Rwanda en 1994 scellée par la victoire des Tutsis de l’Armée Patriotique Rwandais (APR), emmenée par Paul Kagame, sur les Forces Armées Rwandaises (FAR) du pouvoir hutu installé à Kigali depuis l’indépendance, l’épicentre des conflits s’est déporté au Kivu. […] Enchâssé dans l’entité géopolitique des Grands Lacs, le Kivu est partie prenante d’un système régional de conflits».
Le chercheur belge Kris Berwouts, spécialiste des questions politiques et sécuritaires en Afrique centrale (particulièrement en RDC), distingue surtout trois facteurs essentiels à la continuation de la guerre au Kivu – trois facteurs «qui s’imbriquent et dont aucun ne prend le pas sur l’autre»: s’il inclut bien l’extension de la crise rwandaise et les migrations en territoire congolais ainsi que la course aux richesses, Berwouts insiste sur ce qui est pour lui la première cause du conflit, à savoir «l’implosion de l’Etat congolais depuis 1960, liée à un problème de mauvaise gouvernance». Cette caractéristique qui fait de la RDC un Etat failli s’est traduite concrètement par la mutation du Kivu en tant que zone grise au cœur de l’Afrique des Grands Lacs.