Congo Actualité n. 494

MINERAIS DE SANG

Le blanchiment des minerais 3T par le Rwanda et des entités privées.

Amsterdam & Partners LLP – Washington DC – Avril 2024. [1]

SOMMAIRE

1. INTRODUCTION ET RECOMMANDATIONS
2. L’INTERNATIONAL TIN SUPPLY CHAIN INITIATIVE (ITSCI)
3. LE RWANDA À LA MANŒUVRE DES PREMIÈRES DYNAMIQUES DE LA CONTREBANDE
4. LES PRINCIPAUX ACTEURS OCCIDENTAUX DU BLANCHIMENT DE MINERAIS DE SANG EN PROVENANCE DE LA RDC
5. CAS RÉCENTS DE COMMERCE ILLICITE DE MINERAIS DE SANG EN PROVENANCE DE LA RDC
a. Shabunda
b. Rubaya
6. LES MÉCANISMES DE LA FRAUDE AU RWANDA
a. La Société Rudniki: le cas de Jerry Fiala
b. Le cas de la mine H & B Mining
c. New Bugarama Mining, Établissements Munsad
7. FRAUDE INTERNE À L’ITSCI
8. LES PROFITEURS DE LA COMMERCIALISATION DES MINERAIS CONGOLAIS PAR LE RWANDA

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1. INTRODUCTION ET RECOMMANDATIONS

«Tout le monde voit les massacres à l’Est du Congo. Mais tout le monde se tait».

L’Australie, qui représentait 50 à 60 % de l’offre mondiale de tantale, un dérivé du coltan, a fermé sa plus grande mine en 2008. Depuis 2011, la RDC et le Rwanda ont pris le relais. Selon les  données officielles américaines, en 2020 la RDC, le Rwanda et le Brésil représentaient ensemble 77 % de la production mondiale de tantale La RDC fournissait près de 40 % de ce total, le Rwanda représentant 15% de la production Mondiale.
En 2021, les données officielles américaines ont montré que le Rwanda fournissait 15 % de l’offre mondiale du tantale, alors qu’il ne produit que de modestes quantités de tantale à partir de ses propres mines. En outre, les États Unis achetaient 36 % de leurs importations totales de tantale au Rwanda, contre seulement 7% provenant de la RDC.
Le Rwanda a utilisé un réseau international de haut niveau pour aider à la contrebande, à la vente et tirer profit des minerais de la RDC qui sont transportés le long d’itinéraires commerciaux militarisés. Kigali a bénéficié d’une couverture institutionnelle pour commercialiser ces minerais, en détournant à son profit un système de conformité dirigé par l’industrie minière et des entreprises telles que AVX Corporation, KEMET Corporation et Global Advanced Metals, qui fabriquent des composants électroniques; ces entreprises légitiment la contrebande en achetant, en toute connaissance de cause, des minerais blanchis en provenance du Rwanda.
Les équipes de contrôle (due diligence) de grandes entreprises technologiques telles qu’Apple, Intel, Sony, Motorola et Lockheed Martin ont également été informées que les minerais achetés au Rwanda ont été introduits en contrebande depuis la RDC, dans un contexte d’exploitation violente. Ces minerais ne sont donc ni «exempts de conflits» ni obtenus légalement, mais les entreprises technologiques les utilisent malgré tout pour fabriquer leurs produits, allant des ordinateurs portables aux avions, des smartphones aux appareils médicaux.
Paradoxalement, le Rwanda est présenté comme une plaque tournante sûre et efficace dans la  chaîne d’approvisionnement en minerais. Pourtant, le régime rwandais, sous la direction du président Paul Kagame, est le principal  responsable de la guerre dans l’est de la RDC, en envoyant des troupes militaires directement sur le terrain ou en appuyant des groupes armés locaux.
Un des objectifs cachés de cette guerre est le pillage des ressources minérales de la RDC, au profit soit de l’enrichissement de certaines personnalités politiques, militaires et du monde des affaires au niveau local et régional, soit des intérêts de bon nombre de sociétés minières et d’entreprises des nouvelles technologies au niveau international.
En mars 2023, le ministre des Finances de la RDC, Nicolas Kazadi, a déclaré que son pays perdait près d’un milliard de dollars par an du fait de la contrebande de minerais vers le Rwanda. Le ministre a déclaré que, en 2022, le Rwanda avait exporté près d’un milliard de dollars d’or, d’étain, de tantale et de tungstène, alors que le pays ne possède que peu de gisements miniers dans son sous-sol. «Tout provient de la RDC, c’est évident », a-t-il déclaré.

Amsterdam & Partners recommandent en conséquence ce qui suit:

  • Boycotter les minerais 3T en provenance du Rwanda, afin de mettre un terme à l’exploitation illicite des minerais de la RDC par ce pays.
  • Veiller à ce que les minerais achetés dans la région des Grands Lacs proviennent directement de la RDC.
  • Adopter une réglementation juridiquement contraignante, pour contrôler la chaîne d’approvisionnement en minerais.
  • Désigner une agence de contrôle internationale indépendante, pour superviser le respect de la chaîne d’approvisionnement en minerais de RDC, en lieu et place des systèmes mis en place par l’industrie minière.
  • Mettre fin à tous les contrats et accords miniers avec des hauts responsables nationaux et internationaux bien connus ayant facilité le blanchiment des minerais de la RDC.
  • Appliquer des sanctions contre les contrebandiers internationaux notoirement connus ainsi que les acteurs d’origine rwandaise qui supervisent le réseau de trafic illicite.
  • Poursuivre en justice toutes les parties qui ont profité du transport et du commerce des minerais blanchis, y compris les complices Congolais.
  • Recourir aux juridictions nationales et internationales pour obtenir réparations.

2. L’INTERNATIONAL TIN SUPPLY CHAIN INITIATIVE (ITSCI)

L’Initiative pour les Minerais Responsables («Responsible Minerals Initiative» / RMI)) définit des normes internationales pour les fonderies et les raffineries et vise à aider les entreprises à faire des choix éclairés sur les minerais d’origine responsable dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Voir https://www.responsiblemineralsinitiative.org/minerals-due-diligence/standards/
L’Initiative pour la Chaîne d’Approvisionnement de l’Étain (International Tin Supply Chain Initiative / ITSCI) est un système mis en place par l’industrie minière pour tracer l’origine des minerais 3T (étain, tantale et tungstène) et les étiqueter. Voir https://www.itsci.org

L’ITSCI a facturé des frais pour ses services et son adhésion, ce qui a fini pour être considéré comme une condition préalable à l’exportation légale de minerais en provenance de la région des Grands Lacs. Les cotisations de l’ITSCI ont toujours été élevées: un droit d’adhésion unique compris entre 3 000 et 30 000 dollars s’applique aux membres à part entière, en fonction de l’entreprise et de sa position dans la chaîne d’approvisionnement, ainsi que de «toute contribution antérieure». Les membres à part entière doivent également s’acquitter d’une cotisation annuelle initiale comprise entre 2 000 et 10 000 dollars, tandis que les membres associés doivent payer une cotisation annuelle de 7 839 dollars. En plus des cotisations annuelles et des droits d’adhésion, des cotisations au programme sont également perçues par le biais de prélèvements sur les exportations. Au total, les acteurs en amont ont couvert au moins 80 % des coûts du programme ITSCI.
L’ITSCI a été accusée par les acteurs en amont, en particulier les mineurs congolais, d’appauvrir davantage les intervenants les plus vulnérables de la chaîne d’approvisionnement mondiale. Les mineurs, qui gagnent à peine leur vie, sont les plus durement touchés par les prélèvements et autres frais de l’ITSCI.
En 2018, plus de 30 membres de la société civile et de la communauté minière du Congo ont condamné l’ITSCI pour ce qui est décrit comme des coûts de vérification préalable (due diligence) injustes en RDC, par rapport à ceux imposés au Rwanda. Le groupe d’associations congolaises a déclaré que les prélèvements plus élevés au Congo «constituent une incitation majeure à commettre des fraudes minières». Dans un mémo, la coalition de la société civile et des mineurs a déclaré qu’en 2016, les frais de l’ITSCI s’élevaient à 180 dollars par tonne d’étain au Rwanda, contre 480 dollars par tonne d’étain dans les provinces du Kivu.
De même, les membres de l’ITSCI au Rwanda ont payé 300 dollars par tonne de coltan, mais les membres basés dans la région du Kivu ont payé 600 dollars par tonne de coltan. Cet écart appauvrit les Congolais, mais l’ITSCI a refusé de modifier sa structure tarifaire.
L’organisation internationale Global Witness, dans un rapport d’enquête de 2022 sur le système de traçabilité de l’ITSCI, a fait des observations similaires. Elle a déclaré que ce sont les mineurs artisanaux qui ont le plus souffert de la mise en œuvre de ce système. Trois hauts fonctionnaires du secteur minier ont déclaré à Global Witness que le coût de ce système était in fine supporté par les mineurs artisanaux, car les frais de prélèvement sont soustraits du prix de vente officiel des mineurs. Selon Global Witness: «En substance, donc, ce sont les exploitants artisanaux (à savoir les plus pauvres et les moins puissants de la chaîne d’approvisionnement) qui se retrouvent à supporter le coût d’un système de traçabilité apparemment défaillant».

3. LE RWANDA À LA MANŒUVRE DES PREMIÈRES DYNAMIQUES DE LA CONTREBANDE

Les méthodes utilisées par le Rwanda pour piller les minerais de la RDC ont évolué au fil du temps, passant d’une forme directe à une forme indirecte de contrôle de la chaîne d’approvisionnement en amont et en aval.
Pendant la deuxième guerre du Congo menée par le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), un mouvement armé créé et appuyé par le Rwanda, les premières années du «Congo Desk»,  un dispositif mis en place par l’armée rwandaise pour sécuriser les biens et les ressources précieuses en RDC de 1998 à 2003, ont été caractérisées par le pillage massif des ressources naturelles congolaises par le Rwanda. Pendant cette période, on estime que 60 à 70 % du coltan exporté de la RDC a été extrait sous la surveillance directe de l’armée rwandaise et de ses alliés congolais. Les minerais étaient souvent transportés vers Kigali ou Cyangugu à l’aide d’hélicoptères militaires rwandais et d’avions petit-porteurs appartenant à des petites compagnies aériennes locales ou à Victor Bout, un trafiquant d’armes.
En 2006, la méthode d’exploitation a changé. Les lucratives concessions de coltan de Bibatama à Rubaya étaient aux mains du Congrès National pour le Défense du Peuple (CNDP), une milice congolaise appuyée par le Rwanda.
De 2006 à début 2009, l’ancien chef de guerre Bosco Ntaganda, qui a combattu dans toutes les milices appuyées par le Rwanda, faisait passer en contrebande l’équivalent de 15 millions de dollars américains par semaine de l’est de la RDC vers le Rwanda.
En 2009, après avoir intégré les FARDC (Forces armées de la République Démocratique du Congo), le CNDP a continué à surveiller les mines de Rubaya. Les membres du CNDP ont commencé à être désignés à des postes de contrôle juste à l’extérieur des concessions minières, ou à être utilisés comme gardes du corps.
En 2011, deux ans après être devenu commandant adjoint des opérations militaires de l’armée congolaise, le général Ntaganda contrôlait les mines de Mungwe et de Fungamwaka, près de Numbi et tirait des bénéfices de l’exploitation minière à Nyabibwe, dans le Sud-Kivu. À Rubaya, Ntaganda tire d’importants revenus des taxes prélevées par un réseau parallèle de policiers déployés dans les mines. Pendant ce temps, la domination de Ntaganda sur les Kivus a facilité le trafic de minerais vers le Rwanda; il était facile pour Ntaganda d’organiser des opérations de contrebande transfrontalières, parce que ses hommes contrôlaient Goma, à la frontière avec le Rwanda.
Ntaganda, qui résidait à Goma, tirait d’importants revenus des taxes prélevées sur les minerais passant la frontière et aurait détenu plusieurs comptes bancaires au Rwanda libellés au nom de son épouse. Il était également propriétaire des station-service S. Petrol Congo, près de l’aéroport de la ville et possédait de grandes exploitations agricoles à Ngungu, dans le Nord-Kivu.
En 2012, Ntaganda a rompu avec l’armée congolaise pour redevenir un seigneur de guerre, cette fois à la tête du Mouvement du 23 mars (M23), un mouvement créé, armé, financé et commandé par le Rwanda. Les forces du M23 ont pris le contrôle des villes clés de Rubaya, Kitchanga, Kilolirwe, Mushaki, Kingi et brièvement de Goma. Il n’est donc pas étonnant que le Rwanda et sa milice supplétive, le M23, aient réussi à contrôler les routes commerciales. À ce stade, ils n’ont plus besoin de contrôler directement les mines, puisque les barrages routiers sont devenus leur principale source de financement, ouvrant littéralement la voie à un système violent de taxation illicite, d’extorsion et de racket de protection. Le commerce des minerais pillés est donc organisé différemment, mais reste militarisé. Ce qui est remarquable, c’est que la destination des minerais 3T blanchis et les acteurs puissants au sommet du cartel criminel sont restés les mêmes au fil des ans.
Mis en déroute en 2013, le M23 a repris les hostilités vers la fin de 2021.

4. LES PRINCIPAUX ACTEURS OCCIDENTAUX DU BLANCHIMENT DE MINERAIS DE SANG EN PROVENANCE DE LA RDC

David Bensusan, ressortissant britannique, contrebandier notoire basé à Kigali et cité dans plusieurs enquêtes des Nations unies, a participé à l’organisation et à la supervision des activités minières pour le Congo Desk de 1997 à 2003, et a contribué à superviser l’acheminement des minerais congolais vers le Rwanda et les revendeurs internationaux. Au début de la deuxième guerre du Congo (1998-2003), Bensusan a également mis en place des comptoirs en RDC qui auraient appartenu à Paul Kagame et à des membres de sa famille, ainsi qu’à James Kabarebe. En 2002, la moitié des comptoirs de Goma appartenaient à des Rwandais, tandis que l’autre moitié était associée ou protégée par des Rwandais. Bensusan, qui a travaillé en étroite collaboration avec le général Kabarebe avant de mourir en 2021, était le directeur général de Minerals Supply Africa (MSA) et de loin le plus grand exportateur de minerais du Rwanda. MSA, dont la société mère Cronimet a des bureaux en Suisse et en Allemagne, enregistrait un chiffre d’affaires annuel de 100 millions de dollars, selon des sources industrielles qui ont requis l’anonymat.
Avec ses collègues rwandais, il a conçu des moyens de contourner les mesures de mise en conformité (compliance). Bensusan se plaisait souvent à raconter à ses collègues et à ses amis comment la MSA était si douée pour réussir à faire passer des minerais congolais vers le Rwanda à destination d’acheteurs étrangers.
C’était un secret de polichinelle pour les acteurs de l’industrie au Rwanda que Bensusan s’approvisionnait en minerais auprès de Rubaya (Nord Kivu / RDC). Selon plusieurs témoignages, les négociants de Rubaya envoyaient leurs «cargaisons directement aux sociétés minières du Rwanda, principalement à Minerals Supply Africa Ltd.».
Bensusan a joué un rôle central dans la création de l’ITSCI, dont la MSA est l’un des membres fondateurs. Il craignait que, dans le sillage de la loi Dodd-Frank, il devienne impossible pour les entreprises internationales d’acheter des minerais 3T provenant de la région des Grands Lacs.
Il avait donc compris qu’un système de traçabilité frauduleux offrirait un moyen de poursuivre le commerce de minerais de contrebande et de minerais issus de conflits en provenance de la RDC.
Vers 2010, grâce à ses relations étroites avec des personnes clés du gouvernement rwandais, il aurait commencé à travailler en étroite collaboration avec Kay Nimmo, responsable du développement durable pour l’ITA, l’International Tin Association (Association internationale de l’étain), qui représentait des fonderies d’étain traitant environ deux tiers de la production mondiale, selon les estimations de l’époque. Kay Nimmo avait été envoyée au Rwanda pour mettre en place un système de traçabilité et de vérification préalable au nom de l’ITA, qui partageait l’inquiétude de M. Bensusan.
De 2011 à 2013, après le démarrage de l’ITSCI, les exportations de minerais 3T de MSA ont grimpé en flèche – toutes officiellement certifiées comme des minerais rwandais.

Chris Huber est un ressortissant suisse qui a bénéficié du butin du Congo Desk pendant les périodes les plus sombres de la violence en Afrique centrale. La société de Huber, Medivals Minerals Ltd, s’est vue accorder quatre concessions minières par le RCD-Goma, un mouvement rebelle soutenu par le Rwanda qui a occupé illégalement de grandes parties de l’est de la RDC et a massacré des milliers de personnes entre 1998 et 2003. Par l’intermédiaire de ses sociétés actuelles, Tawotin et Rudniki, Huber s’est emparé d’un quart du marché d’exportation du coltan au Rwanda. De 1998 à 2003, Huber a transporté du coltan congolais à partir de zones contrôlées par le Rwanda, en travaillant avec Rwanda Metals, une société gérée par Tri-Star Investments, qui avait été créée par Kagame et son Front Patriotique Rwandais (FPR) au pouvoir.
Les Nations Unies ont découvert par la suite que Huber, ainsi que des sociétés liées au ressortissant britannique John Crawley, s’approvisionnaient en coltan dans des zones contrôlées par des éléments du CNDP, soutenus par le Rwanda, ainsi que dans des zones hutues dans les Kivus. Enfin, Chris Huber est un membre du conseil d’administration de Wolfram Mining and Processing (WMP), une société rwandaise qui  fait venir de la RDC et probablement du Burundi des minerais non certifiés qui sont vendus à des acheteurs internationaux comme légitimes. Les minerais de contrebande sont exportés par l’intermédiaire du réseau d’entreprises de Huber.

John Crawley, ressortissant britannique et avocat formé aux États-Unis, possède ou est administrateur d’un certain nombre d’entreprises qui extraient et commercialisent des minerais de la RDC, notamment East Rise, basée à Hong Kong, Tantalum Mining Katanga SARL et Kisengo Mining Company SARL, basées en RDC, ainsi que d’autres sociétés aux États-Unis, au Brésil, en Afrique du Sud et, jusqu’en 2020, en Suisse.
Crawley est également administrateur de Refractory Metals Mining Company Ltd (RMMC) et est affilié à Minerals Resources International AG (MRI), une société suisse qui s’occupe principalement de la production et de la valorisation de matières premières pour les consommateurs de tantale. Selon l’ITSCI, MRI a des liens étroits avec Mining Mineral Resources (MMC), une société de la RDC créée en 2008 pour mener des activités d’exploration, d’exploitation minière et de commerce de métaux et de minerais, y compris l’étain, le tantale, le niobium et l’or.
Ancien directeur de l’association commerciale mondiale du tantale, le Tantalum Niobium International Study Centre (TIC), Crawley a mis au point l’argumentaire sur le traçage responsable des minerais et la conduite éthique. «Je pense que les entreprises ont la responsabilité de tracer et d’auditer leurs chaînes d’approvisionnement», a-t-il déclaré en 2010, ajoutant que le tantale n’était pas difficile à tracer. Malgré cela, Crawley a fait le commerce de minerais provenant de zones de guerre de la RDC par l’intermédiaire de ses sociétés Niotan et African Ventures, entre autres. Comme Huber, Crawley est une des figures de proue du trafic illicite de minerais de Rubaya, au Nord Kivu. En 2018, Crawley a assisté à un important congrès d’entreprises à Rwamagana, dans l’est du Rwanda, où les responsables de l’industrie voulaient montrer que ce pays était un important producteur de coltan et d’autres minerais. Dans un entretien avec un journaliste rwandais lors de cette visite, Crawley a déclaré que 80 % du tantale mondial était fourni par l’Afrique centrale et, dans une moindre mesure, par d’autres pays africains, bien qu’il ait évité d’estimer les niveaux spécifiques de la production rwandaise.

5. CAS RÉCENTS DE COMMERCE ILLICITE DE MINERAIS DE SANG EN PROVENANCE DE LA RDC

a. Shabunda

En 2018, des enquêteurs des Nations Unies ont découvert que l’étain, le tantale et le tungstène provenant des zones contrôlées par les factions Raia Mutomboki et les éléments de l’armée congolaise dans le territoire de Shabunda étaient blanchis.
Plus précisément, les minerais 3T certifiés comme provenant du site minier de Chaminyago, situé près de Nzibira, provenaient en réalité de sites miniers situés à Kigulube et Nzovu (territoire de Shabunda), où les Raia Mutomboki et certains officiers des FARDC collectaient 10 % de la production pour financer leurs activités.
En 2022, Global Witness a signalé que d’importants volumes de minerais provenant de mines non homologuées par l’ITSCI étaient acheminés à Nzibira. Certains de ces minerais provenaient en réalité de la mine de Lukoma, qui était occupée par le groupe armé Raia Mutomboki. Selon l’enquête de Global Witness. les mineurs travaillent entre une et trois heures par semaine pour les Raia Mutomboki et les négociants payaient une taxe de 10 000 francs congolais (environ 5 dollars) par colis de 50 kg de cassitérite au même groupe armé.
Certains minerais certifiés à Nzibira provenaient des mines de Luyuyu, occupées par une faction des Raia Mutomboki dirigée par Bitota Bikambi jusqu’en juin 2020. Ce groupe Raia Mutomboki avait réussi à faire pression sur le bureau local du Service de l’Assistance et encadrement de l’Exploitation Minière Artisanale et à Petite Échelle (SAEMAPE), pour qu’il lui remette 15 % de la taxe sur les minerais. D’autres minerais proviennent de mines situées à Burhinyi (territoire de Mwenga),  dont la mine de Chigubi, très productive mais non homologuée, car des enfants y travaillaient.
Les Établissements Rica, une entreprise de transformation basée à Bukavu, est l’un des principaux acheteurs de minerais provenant de ces régions où le blanchiment d’argent se pratique à grande échelle. Le directeur des exportations d’Établissements Rica est Léon Nzogu, qui a travaillé dans le passé avec Établissements Panju, qui appartenait au célèbre contrebandier Panju Zulfkar Ali, accusé de contrebande de minerais et de financement des Forces  Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR) et du Rassemblement Congolais pour la Démocratie – Goma (RCD-Goma). Panju a cessé d’acheter de l’or en 2005 après son arrestation, mais il a continué à participer au commerce de l’étain, du tantale et du tungstène. En 2023, Établissements Rica est membre en conformité de l’ITSCI, mais a repris les équipements et le personnel de Panju, qui a cessé ses activités. Toutefois, en 2023, l’ITSCI a indiqué que «aucun problème actuel concernant les minerais de conflit et la vérification préalable n’a été identifié» au sujet d’Établissements Rica.

b. Rubaya

Au fil des années, le tantale de Rubaya a régulièrement été passé en contrebande au Rwanda via Goma. La contrebande de tantale se fait par camion, souvent par des petits postes frontières de Goma, tels que Manor et le cimetière de l’ITG. Les sacs de minerais sont payés en espèces aux soldats congolais et rwandais aux points de transit avant que les minerais ne soient transportés à Gisenyi où ils sont certifiés.
Les mines artisanales les plus lucratives de la RDC se trouvent à Rubaya et sont connues sous le nom de Bibatama, où les plus grandes concessions sont gérées par deux entités: la Société Minière de Bisunzu (SMB) et la Coopérative d’Exploitants Artisanaux de Masisi (COOPERAMMA). Ces concessions et d’autres à Rubaya sont depuis longtemps au cœur d’un vaste réseau de contrebande impliquant un réseau de mafieux locaux et internationaux. Au cours des premières années de la guerre, la région riche en minerais était contrôlée par un réseau composé de militaires rwandais et de miliciens d’abord du RCD-Goma, puis du CNDP et, enfin, du M23.
Edouard Mwangachuchu, un Tutsi congolais, était jusqu’en 2023 réputé propriétaire de la SMB, et Robert Habinshuti Seninga, un Hutu congolais, était président de la coopérative COOPERAMMA. Tous les deux sont d’anciens membres du RCD contrôlé par Kigali. Ces hommes controversés ont exporté illégalement vers le Rwanda des minerais de la RDC.
La SMB était membre de l’ITSCI, un programme de traçabilité des minerait  3T mais, vers la fin de 2018, la SMB quitta l’ITSCI pour adhérer à un autre programme de traçabilité: le Programme Better Mining (PBM) de RCS Global.
Selon les enquêteurs des Nations Unies, de septembre 2021 à mars 2022 au moins, le commerce transfrontalier illicite de coltan non certifié provenant des mines de Rubaya vers le Rwanda a notablement augmenté.
Des sources non identifiées mentionnées par les enquêteurs des Nations Unies révèlent que l’une des raisons pour lesquelles davantage de minerais faisaient l’objet d’un commerce illicite à partir de Rubaya était due à la création d’une nouvelle coentreprise appelée Congo Fair Mining (CFM) qui avait obtenu un accès légal à l’une des concessions de Rubaya adjacentes à la SMB. Cette nouvelle société était le fruit d’un partenariat entre la Société Aurifère du Kivu et du Maniema (SAKIMA) et la Coopérative des Artisanaux Miniers du Congo (CDMC), dont le président n’était autre que John Crawley.
Global Witness a indiqué que, suite à l’incapacité récurrente de SMB de payer les mineurs de la coopérative en temps voulus, des minerais étaient transportés par les mineurs de la concession de la SMB, nouveau membre du Programme Better Mining (PBM), vers la concession voisine de SAKIMA et ensuite introduits illicitement dans la chaîne d’approvisionnement du programme de l’ITSCI. Ces minerais seraient étiquetés par l’ITSCI et ensuite exportés vers le Rwanda par deux sociétés membres de l’ITSCI, qui sont devenues les principaux exportateurs de coltan au Nord-Kivu: la Coopérative des Artisanaux Miniers du Congo (CDMC) et la Société Générale de Commerce SARL (SOGECOM)
Entre-temps, la coentreprise entre SAKIMA et l’entreprise CDMC de Crawley a évincé COOPERAMMA de Habinshuti Seninga, provoquant des fraudes à travers les concessions et permettant de dicter les prix au kilo du coltan, ce qui semble avoir engendré plusieurs épisodes de violence. Les Nations Unies ont fourni des preuves qui identifient Habinshuti Seninga, qui est également un parlementaire provincial au Nord-Kivu, comme un coordinateur et un financier du trafic et de la contrebande de minerais illicites et non certifiés. Les Nations Unies ont également signalé que des soldats congolais étaient impliqués dans la taxation et le commerce illégal des minerais extraits dans les concessions de la SMB. Enfin, Edouard Mwangachuchu, député national et réputé propriétaire de la SMB, a été arrêté et condamné en 2022, pour complicité avec le Mouvement du 23 mars (M23), qui avait repris les hostilités vers la fin de 2021.

6. LES MÉCANISMES DE LA FRAUDE AU RWANDA

Il n’y a que quelques mines commercialement exploitables au Rwanda, avec de modestes gisements de minerais 3T. Contrairement à la RDC, le Rwanda ne possède pas de grandes mines à ciel ouvert. Les quelques mines à ciel ouvert du Rwanda sont de petite taille. La production minière totale du Rwanda est estimée entre 20 et 40 millions de dollars par an, selon des professionnels de l’exploitation minière ayant une expérience dans le pays. L’Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz (RMB) indique toutefois que les exportations de minerais 3T du pays s’élèvent à environ 800 millions de dollars en 2020. Cela suggère qu’environ 760 millions de dollars de minerais proviennent de la RDC, mais sont expédiés à l’international et vendus à des acheteurs étrangers comme ayant été extraits au Rwanda.
L’écart entre la production réelle et les exportations de minerais du Rwanda et la nature constante du trafic illicite, malgré la mise en œuvre de programmes de conformité et de surveillance, suggèrent un degré de fraude institutionnelle au long de la chaîne d’approvisionnement mondiale qui implique des individus, des entreprises internationales, des fonctionnaires, des organisations et agences gouvernementales et des organismes de réglementation.
Les ventes totales de minerais de toutes les sociétés minières connues au Rwanda sont estimées à moins de 3 millions de dollars par mois, selon les sources industrielles. Ces sources affirment que, en 2015, plus de 50 % de tous les minerais exportés du Rwanda provenaient de la RDC et qu’un étonnant 90 % du tantale exporté par le Rwanda avait été extrait en RDC. En 2018 et dans les années consécutives, les chiffres ont continué à grimper.

a. La Société Rudniki: le cas de Jerry Fiala

Jerry Fiala, un géologue tchèque octogénaire qui a travaillé au Rwanda pendant plus de 15 ans, n’a pris conscience de l’ampleur du trafic illicite au Rwanda que progressivement. «Je savais qu’il existait une contrebande générale de minerais au Rwanda, mais je n’en connaissais pas l’ampleur. Il m’a fallu du temps pour comprendre», a admis M. Fiala lors d’une série d’entretiens auxquels les auteurs de ce rapport ont eu accès.
En 2013, M. Fiala a vu des sacs de minerais transportés de la RDC au Rwanda. Il a visité plusieurs mines factices au Rwanda où des minerais ont été apportés et des opérations minières ont été mises en scène, dans le but de prendre des photos pour les documents d’exportation. Les mines factices dont il a été témoin se trouvaient à Gisenyi, à l’intérieur de la frontière rwandaise, à Nyamata, dans le sud-est du Rwanda, et dans la forêt de Nyungwe, où il n’y a pas de véritables opérations de production di minerais.
En 2006, M. Fiala gagnait modestement sa vie au Rwanda avec sa société Rudniki, qui produisait et vendait de petites quantités de tantale et d’étain, lorsqu’il a été approché par Chris Huber et un entrepreneur russe du nom de Simeon Briskin. À l’époque, Briskin était déjà une figure notoire de l’envers du décor de l’exploitation minière internationale, mais M. Fiala affirme qu’il n’était pas au courant de ses «exploits» financiers, qui n’ont été révélés que plus tard. Fiala savait que Briskin avait été conseiller de l’ancien président russe Mikhaïl Gorbatchev et qu’il avait des liens avec une importante usine de traitement de coltan, connue sous le nom d’Ulba, au Kazakhstan.
Huber, l’associé de Briskin, a indiqué à Fiala qu’il avait travaillé sous contrat pour le géant de l’exploitation minière industrielle Glencore. Huber et Briskin étaient prêts à donner à Fiala des fonds pour qu’il puisse acheter du matériel et développer les activités de Rudniki, en échange d’une dilution de ses actions. Fiala avait besoin d’argent et a donc accepté les conditions commerciales qui stipulaient que Rudniki vendrait exclusivement du tantale à Niotan, dont Huber était actionnaire. «Briskin m’a dit de ne pas m’inquiéter. Il m’a dit qu’ils finiraient par vendre Rudniki à Ulba (l’usine de traitement du coltan au Kazakhstan) et qu’entre 2 et 3 millions de dollars me reviendraient», a expliqué M. Fiala.
Huber était hyperconnecté dans le monde de l’exploitation minière, possédant plusieurs sociétés en Europe, en Asie et au Rwanda, et proche du FPR de Paul Kagame. Mais Huber et Briskin n’ont jamais tenu leurs promesses. Fiala n’a jamais touché son pactole.
De 2007 à 2014, l’actionnariat de M. Fiala s’est progressivement dilué, jusqu’à ce que le géologue tchèque perde finalement le contrôle de l’entreprise qu’il avait créée et soit licencié pour avoir posé trop de questions. A ce stade, il avait alors compris pourquoi Huber et Briskin blanchissaient des centaines de tonnes de minerais congolais par mois par l’intermédiaire de Rudniki, qui n’avait jamais réussi à produire plus que des quantités modérées de tantale et d’étain à partir du sol rwandais. Ils ont utilisé Rudniki pour contourner la législation américaine et les réglementations internationales, afin de poursuivre le trafic de minerais en provenance de la RDC.
Les documents fiscaux, bancaires et de production auxquels Fiala a pu accéder montrent que Huber et son partenaire russe ont échangé pour plus de 150 millions de dollars de minerais via Rudniki, par l’intermédiaire de Niotan, dirigée par John Crawley.
En 2012, KEMET Corporation, qui achète du tantale et est l’un des plus grands fabricants de condensateurs utilisés dans la haute technologie, a acheté Niotan pour 85 millions de dollars, par l’intermédiaire d’une filiale de Denham Capital Management, une société mondiale d’investissement dans la transition énergétique.
Il semblerait que Fiala aurait dû savoir qu’il se ferait escroquer par ces personnalités de poids: Huber, Briskin et Crawley. Mais au milieu de toute la rhétorique haussière et des promesses douteuses de l’époque, il a déclaré qu’il n’avait pas eu la prescience ou le recul nécessaires pour voir venir, du moins de loin, l’escroquerie.
Après avoir fui la Russie, Briskin a fait l’objet d’une enquête des autorités judiciaires pour le vol de 8 millions de dollars dans une usine pétrochimique à Angarsk, sur le chemin de fer transsibérien. Il se serait réfugié en Allemagne ou en Espagne, avant de rejoindre Huber dans sa somptueuse villa de la Côte d’Azur.

b. Le cas de la mine H & B Mining

Pendant plusieurs années, Bensusan, dont la société MSA était le plus grand exportateur de minerais du Rwanda, a affirmé que la mine vitrine du pays était H&B à Rwamagana. Dans sa lettre d’information de décembre 2018, l’ITSCI a rapporté que des délégués étrangers en visite au Rwanda ont vu des mineurs extraire et laver des minerais à H&B. Candida Owens, la directrice britannique de Cronimet Central Africa, était une des membres de cette délégation et avait déclaré que le site de H&B «est bien plus organisé que les autres sites que j’ai vu dans d’autres pays et je sens que nous avons maintenant une bonne compréhension du processus de mise en sac et d’étiquetage (traçage ITSCI)». Il lui incombait de convaincre les délégués du potentiel de H&B, étant donné que Cronimet est la société mère de la MSA de Bensusan.
Mais tous les délégués n’ont pas été convaincus par ce qu’ils ont vu à H&B en 2018. Il y avait peu de signes tangibles de l’existence d’une exploitation minière artisanale. Les experts de l’industrie ont remarqué que les quelques résidus présents sur le site semblaient avoir été apportés et empilés pour la forme. En outre, étant donné que  les gisements de tantale au Rwanda ont normalement une teneur d’environ 0,4 %, les mineurs auraient dû concasser, broyer et traiter des milliers de tonnes de minerai pour produire 50 tonnes de tantale par mois.
Peu après la visite de la délégation, H&B a suspendu ses activités et les actifs miniers de la société ont été vendus. Des sources de l’industrie, qui ont requis l’anonymat, ont déclaré que H&B, similairement à Rudniki, faisait partie des nombreuses mines factices au Rwanda où peu ou pas de minerais sont réellement extraits. L’ironie est que Cronimet, société mère de la MSA de Bensusan, devait savoir que H&B était une escroquerie. Les sources insistent également sur le fait que presque tout le monde, des mineurs aux négociants, exportateurs et acheteurs, en passant par les personnes chargées de veiller à l’approvisionnement responsable en minerais, était au courant de la fraude.

c. New Bugarama Mining, Établissements Munsad

Damien Munyarugerero, un ressortissant congolais qui exploitait le comptoir Munsad à Goma, était soupçonné d’avoir des liens avec le groupe armé CNDP et son chef de l’époque, Laurent Nkunda, à la fin des années 2000. Munyarugerero dirige aujourd’hui une société d’exportation / société minière au Rwanda appelée Établissements Munsad, dont la société sœur EPROCOMI a été citée par les enquêteurs des Nations Unies comme étant une mine inactive ayant reçu une validation (et donc des certifications) de la part de l’ITSCI. Munyarugerero est également le directeur général de New Bugarama Mining. Des sources de l’industrie, proches du dossier, ont indiqué que de grandes quantités de minerai de tungstène sont passées en contrebande de la RDC au Rwanda et vendues par l’intermédiaire de New Bugarama et de Wolfram Mining and Processing (WMP), cette dernière étant une société liée à Huber et à Wolfram Bergbau und Hütten, qui est une filiale du célèbre groupe d’ingénierie suédois Sandvik.

7. FRAUDE INTERNE À L’ITSCI

L’une des allégations les plus accablantes à l’encontre de l’ITSCI est qu’elle a permis à des membres puissants de poursuivre leurs activités illégales pendant des années, sans être expulsés, même lorsque les Nations Unies et d’autres entités ont fourni des preuves que ces membres étaient impliqués dans le trafic de minerais, comme ceux liés à David Bensusan, John Crawley et Chris Huber.
En 2012, les enquêteurs des Nations Unies ont signalé que du coltan provenant de Masisi, en RDC, était acheminé en contrebande vers Rudniki.86 Pourtant, Rudniki, une entreprise aux mains de Chris Huber, n’a été ni suspendue ni expulsée par l’ITSCI. Le fondateur de Rudniki, Jerry Fiala, a déclaré qu’il avait tenté d’obtenir des réponses auprès de l’ITSCI au sujet des exportations de minerais exagérément élevées enregistrées par Rudniki, au-delà de la capacité de ses mines, et qu’il avait d’abord été repoussé par les responsables de l’ITSCI à Londres, puis réprimandé par les responsables de l’ITSCI à Kigali.87 Fiala a fourni des preuves crédibles aux chercheurs et aux autorités judiciaires en Suisse que la société qu’il avait créée, mais dont Chris Huber l’avait évincée, était devenue un vecteur de trafic illicite.
Le groupe de travail initial de l’ITSCI comprenait Thailand Smelting & Refning Co Ltd (Thaisarco), Malaysia Smelting Corporation Berhad (MSC) et Traxys. Parmi les autres entreprises étroitement associées, citons Cronimet Central Africa, la société mère de MSA, RMMC de Crawley, Trademet, Huaying Trading Company, World Mining Company et Comptoir Panju. Toutes ces entreprises ont été citées dans des rapports des Nations Unies de 2008 et 2009 comme exportant ou s’approvisionnant en minerais congolais ayant un lien avec des conflits armés.
Dans son enquête de 2022 sur l’ITSCI, Global Witness a révélé les éléments suivants:
– Les minerais de la RDC ont continué à être introduits en contrebande au Rwanda à grande échelle, malgré la présence de l’ITSCI dans les deux pays, et des preuves suggèrent que le système ITSCI a en fait servi comme moteur de cette activité illégale, en particulier au cours des premières années qui ont suivi sa mise en place. Au lieu d’assurer la traçabilité de minerais sans liens avec des conflits, avec l’illégalité et avec des violations des droits de l’homme, l’ITSCI aurait plutôt rendu opaque l’origine et facilité le blanchiment de minerais douteux, tout en offrant un vernis de légitimité que la communauté internationale a accepté, malgré les signes d’avertissement évidents.
– L’ITSCI est devenue un instrument de légitimation du commerce de minerais passés en contrebande de la RDC au Rwanda: la mise en place par l’ITSCI d’un système couvrant la quasi totalité des minerais 3T exportés par le Rwanda en très peu de temps n’a été possible qu’avec le soutien ferme de certains acteurs de l’industrie de l’étain et du gouvernement rwandais.
– Le faux-semblant de traçabilité de l’ITSCI permet à ses membres de continuer à acheter des minerais 3T douteux dans la principale région productrice de coltan au monde, qu’ils ne pourraient pas vendre autrement.
Des sources de l’industrie minière suggèrent qu’un système a été mis en place, en sachant qu’il finirait par approuver des minerais douteux, abusant de la confiance accordée par la communauté internationale à la coalition autour de l’Association internationale de l’étain, malgré les antécédents d’un grand nombre de ses membres en matière d’approvisionnement souvent irresponsable.
De manière générale, l’ITSCI n’a pas tenu compte des minerais introduits en contrebande au Rwanda. L’ancien directeur d’une ONG basée aux États-Unis qui travaillait pour l’ITSCI sur le terrain a déclaré à Global Witness que «les horaires de travail d’ITSCI étaient de 8 h 00 à 17 h 00, mais les minerais étaient transportés frauduleusement entre 17 h 00 et 8 h 00».90 Il a déclaré qu’il avait proposé à l’ITA diverses mesures pour s’attaquer au problème, notamment la surveillance
d’opérations à la frontière entre le Congo et le Rwanda, mais que ces mesures n’avaient pas été retenues.
Selon Global Witness, «l’échec spectaculaire des services de traçabilité et de diligence raisonnable d’ITSCI mis en évidence par le présent rapport montre clairement que la démarche de l’autocontrôle est vouée à l’échec dans la gouvernance des chaînes d’approvisionnement. Lorsque l’on demande au loup de surveiller la bergerie, il ne faut pas s’étonner des conséquences. Plutôt que de miser sur l’autoréglementation, il faut demander des comptes à la filière sur la base de règles strictes de diligence raisonnable et imposer des sanctions en cas d’infractions
Hester Postma et Sarah Geenen, deux chercheurs à l’université d’Anvers, ont trouvé des preuves similaires que les opérateurs miniers rwandais vendaient des «tags» à des fins lucratives et étiquetaient des minerais qui ne provenaient pas des mines de l’ITSCI.
Leurs recherches ont révélé que l’ITSCI et son ONG partenaire de mise en œuvre PACT, ainsi que les fonctionnaires de l’Office rwandais des mines, du pétrole et du gaz (RMB), ne contrôlaient pas fréquemment les mines.
En effet, compte tenu du manque de ressources et d’expertise technique des contrôleurs, il était difficile de vérifier les niveaux de production et la qualité des minerais dans une mine donnée.
Comme Global Witness, les chercheurs de l’université d’Anvers ont trouvé des preuves que les «tags» ITSCI étaient utilisées pour certifier une production qui ne provenait pas de mines homologuées par l’ITSCI. Certaines mines de l’ITSCI au Rwanda ont produit très peu, mais leur production enregistrée était élevée.
Il existe également des preuves solides de l’existence d’un commerce de «tags»: «Selon certaines sources, les agents de terrain des mines de la RMB, qui sont censés distribuer les “tags ” aux mines respectives, pourraient être impliqués dans la vente de ces “tags” à des fins lucratives.

8. LES PROFITEURS DE LA COMMERCIALISATION DES MINERAIS CONGOLAIS PAR LE RWANDA

Au 31 décembre 2023, dans sa liste de  fournisseurs (fonderies et raffineries), Apple cite Global Advanced Metals, KEMET de Mexico, Ningxia Orient Tantalum Industry Co Ltd, Ulba  Metallurgical Plant JSC, Thaisarco, Taniobis, H.C. Starck, Wolfram Bergbau und Hütten AG et Malaysia Smelting Corporation. Ces entreprises s’approvisionnent en minerais au Rwanda.
Apple n’est pas le seul à acheter des matériaux à des entreprises qui s’approvisionnent au Rwanda. Comme Apple, Intel fabrique actuellement des produits qui intègrent des composants achetés à des entreprises s’approvisionnant au Rwanda, notamment Wolfram Bergbau und Hutten AG, Taniobis, Thaisarco, Malaysia Smelting Corporation, Ningxia Orient Tantalum Industry Co., Ltd, KEMET Blue Metals, H.C. Starck, Ulba Metallurgical Plant JSC et Global Advanced Metals, entre autres.
Les fournisseurs de Boeing sont Wol[1]fram Bergbau Hutten AG, Thaisarco, KEMET Blue Powder, Malaysia Smelting Corporation, Global Advanced Metals et Ningxia.
Motorola, Dell, Tesla et Lockheed Martin listent des fournisseurs similaires à partir d’une base de données créée par la Responsible Minerals Initiative (Initiative pour les Minerais Responsables, RMI), qui fournit un modèle de rapport générique que les grandes entreprises technologiques utilisent pour indiquer les sources des minerais contenus dans leurs produits. Les fonderies, raffineries et fournisseurs 3T figurant dans la base de données de la RMI sont censés se conformer  aux lignes directrices de l’OCDE en matière de vérification préalable. Mais la principale limitation de la RMI est qu’elle fournit aux fonderies et aux raffineries des données sur la chaîne d’approvisionnement en amont, en s’appuyant sur le processus de traçabilité frauduleux de l’ITSCI, pour certifier que les minerais sont exempts de conflit.
KEMET Electronics Corporation, un fabricant de composants électroniques, ainsi que le fournisseur de tantale Global Advanced Metals (GAM), s’approvisionnent directement en RDC et au Rwanda, Selon l’ITSCI. AVX, un autre fabricant de composants de premier plan, ne s’approvisionne qu’au Rwanda. AVX est pourtant depuis longtemps connue pour être l’un des plus importants acheteurs de tantale du Rwanda, alors que le Rwanda dispose de gisements insignifiants et que la majorité des minerais certifiés au Rwanda proviennent illégalement de la RDC.
La majorité des grandes entreprises technologiques, des fabricants d’automobiles et d’avions commerciaux et des entreprises de défense ont des chaînes d’approvisionnement qui comprennent des sociétés achetant des minerais que le Rwanda a blanchis à partir de la RDC. En d’autres termes, la chaîne d’approvisionnement mondiale est totalement contaminée. Le Rwanda étant l’un des principaux exportateurs mondiaux de tantale, en particulier, l’ampleur de la contamination est  immense.

[1] https://amsterdamandpartners.com/wp-content/uploads/2024/04/2024.04.25-AP-RDC-Minerais-de-sang.pdf