LA LAVERIE ITSCI
Enquête sur un programme de diligence raisonnable apparemment impliqué dans le blanchiment de minerais de conflit.
Global Witness – Avril 2022 – (2ème partie sur 3).[1]
SOMMAIRE
2. BLANCHIMENT DE MINERAIS PROVENANT DE MINES NON VALIDÉES EN RDC: UN PROBLÈME SYSTÉMIQUE
2.1. Contamination des chaînes d’approvisionnement d’ITSCI à Nzibira, Lubuhu et Chaminunu
2.1.1. Minerais étiquetés à Nzibira
2.1.2. Minerais étiquetés à Lubuhu
2.3. Contamination des chaînes d’approvisionnement d’ITSCI à Rubaya
2.3.1. Rivalités et intimidations sur le marché de la traçabilité
2.3.2. Trafic inter-concessions de minerais
2.3.3. Les hommes d’affaires internationaux qui contrôlaient le coltan de Rubaya
2.3.4. Une personnalité bien placée d’ITSCI aurait tiré profit de minerais de contrebande
2.4. Les failles du système de traçabilité d’ITSCI en RDC
2.4.1. Une surveillance insuffisante et des dysfonctionnements en matière de coopération et d’application
2.4.2. Le blanchiment de minerais: une politique officieuse
2.4.3. La complicité manifeste d’ITSCI et le conflit d’intérêts
2.5. Les failles du système ITSCI au regard du « devoir de diligence raisonnable »
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2. BLANCHIMENT DE MINERAIS PROVENANT DE MINES NON VALIDÉES EN RDC: UN PROBLÈME SYSTÉMIQUE
Dans ce chapitre, on présente deux études détaillées de cas donnant à penser que la mission de traçabilité de l’Initiative de la chaîne d’approvisionnement de l’étain (ITSCI) est sévèrement entravée par les fonctionnaires de l’état et ses propres agents de terrain chargés de la bonne mise en œuvre du programme. Nos recherches démontrent que ces fonctionnaires étiquettent de manière systématique les minerais provenant de mines non validées et que, ce faisant, ils donnent lieu à l’introduction de minerais d’origine douteuse mais estampillés «propres» dans les chaînes d’approvisionnement internationales. Autrement dit, loin de garantir que les minerais proviennent de mines libres de conflit, les preuves accumulées laissent supposer qu’ITSCI est utilisée pour un blanchiment des minerais à grande échelle.
Notre première étude de cas démontre que dans les zones de Nzibira, Lubuhu et Chaminunu, d’importantes quantités de minerais ont été étiquetées, malgré leur provenance de mines non validées, dont certaines font l’objet d’interférence avec des groupes armés.
Après cette étude de cas approfondie, nous présentons d’autres exemples illustrant des problèmes similaires dans le Sud et le Nord-Kivu.
La deuxième étude de cas apporte des preuves qu’ITSHI aurait tenté de porter atteinte à une entreprise qui avait décidé d’adopter un système de traçabilité concurrent, manœuvre qui a fini par déclencher des débordements de violence mortels. Cette étude de cas présente également des preuves d’un trafic des minerais provenant de la concession de cette société vers une concession voisine, où ils auraient été blanchis par ITSCI avant d’être exportés par des sociétés membres du programme. Parmi les individus à qui profite le crime, on retrouve un membre bien placé d’ITSCI. Nous poursuivrons ce chapitre en analysant les défaillances du système de traçabilité ITSCI et des systèmes de diligence mis en œuvre en RDC.
2.1. Contamination des chaînes d’approvisionnement d’ITSCI à Nzibira, Lubuhu et Chaminunu
2.1.1. Minerais étiquetés à Nzibira
La ville de Nzibira, dans le territoire de Walungu, au Sud-Kivu, est une plaque tournante majeure pour le commerce et le traitement initial des 3T dans la province. À en croire les statistiques officielles, plus de 270 tonnes de minerais 3T y ont été étiquetés en 2020, soit près de 10 % de l’ensemble des minerais étiquetés par ITSCI dans le Sud-Kivu cette année-là.
Sous le programme ITSCI, les négociants doivent acheminer leurs minerais dans des sacs scellés sur les sites miniers classées vertes du secteur vers les centres de négoce de Nzibira où, après traitement initial, ils pourront une seconde fois les empaqueter et les sceller avec une étiquette «négociant» ITSCI, en vue d’être livrés aux sociétés d’exportation.
Pourtant, nos recherches nous ont permis de repérer d’importantes disparités entre le volume de minerais étiquetés et le volume de minerais réellement produits dans les mines «vertes» de la zone de Nzibira. Sept mines (Mahamba, Kanyungu, Mushangi D8, Zola-Zola D23, Chembeke, Chaminyago et Tshosho) de la zone de Nzibira sont considérées comme classées «vertes» par le ministère des Mines.
Selon les estimations du gouvernement et des représentants du secteur, la production mensuelle était inférieure à 5 400 kg au cours du premier trimestre 2021, mais des statistiques officielles font état d’une production mensuelle de plus de 27 600 kg de 3T pour les mêmes mines et la même période. Ces dernières statistiques de production du ministère des Mines s’appuient sur les données provenant des registres d’ITSCI.
Néanmoins, nos sources indiquent que les agents de l’État attribuent fréquemment aux minerais originaires de mines non validées des étiquettes de mines classées vertes. Les chiffres évoqués plus haut semblent indiquer que moins de 20 % des minerais étiquetés à Nzibira début 2021 proviennent réellement de mines classées vertes dans la localité. Les 80 % restants auraient donc été introduits illégalement dans la chaîne d’approvisionnement ITSCI.
Des sources locales ont confirmé que d’importants volumes de minerais extraits dans des mines non validées avaient été acheminés à Nzibira. «Tous les négociants à Nzibira achètent des minerais issus de sites non validés», selon un agent du ministère des Mines. Les chiffres présentés ici bas tendent à confirmer que ces minerais ont été étiquetés et notés dans les registres d’ITSCI comme provenant de mines classées vertes mais inexploitées autour de Nzibira.
Mines classées vertes du Minerais étiquetés, en kg Production estimée, en kg
secteur de Nzibira (janvier – mars 2021) (janvier – mars 2021)
Mahamba 5,250 438
Kanyungu 4,575 1.050
Mushangi D8 11,307 6,852
Zola-Zola D23 16,028 1,710
Chembeke 22,825 348
Chaminyago 8,012 1,920
Tshosho 14,862 3,810
Total 82,859 16,128
D’autres minerais proviennent de la mine de Lukoma, très productive mais non validée, dans la collectivité de Nindja. Jusqu’en mai 2021, Lukoma était occupée par un groupe Raia Mutomboki nommé « Force Populaire pour la Paix », dirigé par Mabuli Shabadeux.
À l’époque de cette enquête, les exploitants étaient contraints de travailler entre une et trois heures par semaine pour la faction de Mabuli Shabadeux, et les négociants étaient prélevés par ce même groupe armé d’une taxe de 10 000 francs congolais par colis de 50 kg de cassitérite.
Certains minerais étiquetés à Nzibira proviennent également du territoire de Shabunda, à l’ouest de Nzibira, et notamment des mines autour de la ville de Luyuyu. Jusqu’à la mi-juin 2020, ces mines auraient été occupées par une faction Raia Mutomboki dirigée par Bitota Bikambi.
Un groupe Raia Mutomboki était parvenu à faire pression sur le bureau local du SAEMAPE, afin qu’il leur reverse 15 % des taxes levées sur les minerais, D’autres minerais encore proviennent des mines de Burhinyi, dans le territoire de Mwenga. La mine de Chigubi est très productive mais non validée. Global Witness y a vu des enfants travailler.
Depuis longtemps, ITA a parfaitement connaissance du risque que des minerais de conflit puissent infiltrer la chaîne d’approvisionnement d’ITSCI dans la zone de Nzibira. Depuis 2015 au moins, l’ONU et des organisations de la société civile alertaient sur les conséquences bien réelles de ces risques. Les quatre mines classées vertes à l’époque, et desquelles les minerais étaient censés être étiquetées à Nzibira, ne présentaient quasiment aucun signe d’activité en 2015, d’après un rapport de l’ONG congolaise Max Impact qui s’était rendue sur place en juillet de cette année-là. Il est donc surprenant que près de 1 800 kg de cassitérite étiquetée aient pu être attribués à une seule de ces mines, Chembeke, en l’espace d’une semaine fin juin 2015, d’après les données du registre présentées par Max Impact.
Les conclusions de Max Impact ont par la suite été confirmées et étoffées par le rapport d’un consultant recruté par Pact. Pour ces quatre mines « vertes », le consultant a estimé une production mensuelle de cassitérite entre 250 kg et 1200 kg à l’époque de sa visite de terrain, fin mars-début avril 2016. On constate donc un écart vertigineux avec les 41 000 kg et 38 000 kg de minerais 3T étiquetés comme provenant de ces mines en mars 2016 par les agents du SAEMAPE et la division des Mines, respectivement. Selon les calculs, 3 % au plus des minerais étiquetés par ITSCI en mars 2016 (période de la mission de terrain du consultant) ont réellement été extraits des mines auxquelles ils ont été attribués.
Le consultant a également identifié les zones d’origine des minerais introduits frauduleusement dans le programme ITSCI à travers son système d’étiquetage à Nzibira, lesquelles correspondent globalement à celles de 2021:
> Les environs de la mine de Lukoma, à l’époque contrôlée par une faction Raia Mutomboki. Une partie de la production était acheminée vers Bukavu, et le reste vers Nzibira;
> Les mines du territoire de Shabunda, qui étaient sous le contrôle de cinq factions distinctes de Raia Mutomboki. Une partie de la production était acheminée par voie aérienne à Bukavu, mais la majorité des minerais était transportée par la route en passant par Nzibira.
2.1.2. Minerais étiquetés à Lubuhu
De même qu’à Nzibira, les deux mines validées dans le secteur de Luhago, à savoir Kachuba et Muhinga, dans la collectivité de Nindja (territoire de Kabare) – ne sont pas très productives, avec un rendement d’environ deux tonnes de cassitérite au premier trimestre 2021, d’après des estimations officielles corroborées par un expert sectoriel. Bien qu’il s’agisse des deux seules mines de minerais 3T validées du secteur de Luhago, dont les minerais peuvent donc légitimement être étiquetés au centre de négoce de Lubuhu, près de 30 tonnes de cassitérite y ont pourtant été étiquetés à la même période, selon des données officielles. Plus de 90 % des minerais étiquetés à Lubuhu début 2021 auraient ainsi été introduits de manière frauduleuse dans la chaîne d’approvisionnement d’ITSCI. Des sources officielles sont venues confirmer cette déduction en nous informant que les minerais étiquetés à Lubuhu provenaient en fait de mines non validées de Nindja, notamment de la mine de Lukoma et d’autres mines du territoire de Shabunda. «La dernière fois, j’avais déclaré un lot d’une tonne et demie [de minerais] provenant de Lukoma au nom de Kachuba, alors que tout le monde sait que le site de Kachuba n’est pas productif depuis plus d’une année», témoigne un négociant.
Mines classées vertes Minerais étiquetés, en kg Estimation de la production, en kg
secteur de Luhago (janvier – mars 2021) (janvier – mars 2021)
Kachuba 15.186 870
Muhinga 14.730 1.152
Total 29.916 2,022
2.3 Contamination des chaînes d’approvisionnement d’ITSCI à Rubaya
D’après le Groupe d’experts de l’ONU, le territoire de Masisi au Nord-Kivu abrite certaines des plus grandes mines de coltan au monde, avec un total d’au moins 15 % de la production mondiale. Les principales concessions de coltan se trouvent autour de la ville de Rubaya et sont détenues par les entreprises Société minière de Bizunzu (SMB) et SAKIMA.
Nos recherches dévoilent qu’une tentative d’ITSCI de nuire à ses concurrents (le programme de traçabilité Better Mining de RCS Global) aurait exacerbé des tensions existantes entre SMB et les mineurs de la Coopérative des exploitants miniers de Masisi (COOPERAMMA), qui extraient des minerais sur les concessions des deux sociétés. Ces tensions auraient par la suite contribué à des flambées de violences en 2019 et 2020.
2.3.1 Rivalités et intimidations sur le marché de la traçabilité
Entre les tensions ethniques divisant la direction de SMB et les mineurs de la COOPERAMMA et l’incapacité récurrente de SMB de payer les mineurs de la coopérative en temps voulus, les relations entre la société et la COOPERAMMA sont devenues très précaires fin 2018.
En janvier 2019, ITSCI a perdu l’adhésion de SMB à son programme de traçabilité au profit d’un de ses concurrents, le programme Better Mining de RCS Global. SMB avait annoncé publiquement son intention de changer de programme, invoquant des raisons financières et des préoccupations en matière de devoir de diligence. Dans une lettre au ministère des Mines consultée par Global Witness, SMB explique que, selon elle, ITA ne déployait pas assez d’agents sur le terrain pour garantir une traçabilité effective. Le départ d’un de ses plus gros clients n’a visiblement pas plu à ITSCI. Selon la SMB, lorsque elle a décidé de quitter le programme à la mi-décembre 2018, ITSCI aurait immédiatement mis un terme à ses services de traçabilité et de diligence pour la société, au mépris du préavis d’un mois prévu dans leur contrat.
Toutefois, au lendemain de l’envoi du courrier de rupture de contrat par SMB, ITSCI publiait quatre incidents concernant SMB, dont deux de niveau 1. Trois de ces incidents concernaient des événements ayant eu lieu deux mois plus tôt. D’après un représentant de SMB, ITSCI aurait directement envoyé des notifications de ces incidents à tous ses membres, y compris aux fonderies et aux sociétés en aval de la chaîne, sans entamer la moindre discussion préalable avec SMB – ce qui est pourtant la procédure habituelle – ni même informer SMB de l’existence de ces incidents. Ces alertes auraient fini par refroidir les clients internationaux de SMB, soudain réticents à prendre le risque d’acheter des minerais d’origine douteuse.
SMB, des agents de l’État et un agent de terrain d’ITSCI avaient convenu de la manière dont les incidents en suspens devaient être traités suite à la résiliation de l’adhésion de SMB à ITSCI mais, d’après SMB, le programme n’aurait pas respecté cet accord. Le litige a abouti au blocage pendant plus d’un an de deux conteneurs de coltan et d’un demi-conteneur de cassitérite, tous étiquetés, appartenant à SMB et destinés à l’exportation, et d’une valeur totale d’environ 2 millions de dollars. Après le retrait de SMB du programme, ITSCI a continué à alerter sur des incidents impliquant la société, sans toutefois établir de liaison claire avec ses propres chaînes d’approvisionnement. SMB a déclaré à Global Witness que ces manœuvres l’avaient empêché d’écouler au moins 120 tonnes de minerais.
En 2019, l’utilisation par ITSCI de rapports d’incidents à l’encontre de sociétés qui, comme SMB, avaient opté pour un autre système de traçabilité, avait entraîné l’intervention du ministère des Mines. Dans une lettre adressée à ITA, Pact et RCS Global, le ministère avait rappelé les événements en question et insisté pour que chaque programme se concentre exclusivement sur le lancement d’alertes dans sa propre chaîne d’approvisionnement, afin d’éviter toute concurrence déloyale.
Ce n’était pas la première fois qu’ITSCI se faisait rappeler à l’ordre. Dans un e-mail d’avril 2018 envoyé à ITA, le secrétaire général du ministère déclarait «condamner sans équivoque [l’]attitude» de cette dernière et de Pact, concernant le signalement d’incidents survenus en dehors de la chaîne d’approvisionnement d’ITSCI . Ce courrier électronique faisait référence à un signalement portant sur la mine de Kachuba (territoire de Kabare, Sud-Kivu), sous le régime du programme Better Sourcing (BSP) (plus tard renommé Better Mining de RCS Global).
Ces signalements apparemment abusifs visant à évincer RCS Global laissent suggérer qu’ITSCI est davantage préoccupée par le maintien de sa position dominante sur le marché de la traçabilité que par son objectif déclaré de créer des chaînes d’approvisionnement en minerais responsables qui ne contribuent pas aux conflits [et] aux violations des droits humains.
2.3.2 Trafic inter-concessions de minerais
Selon les données du ministère des Mines sur les minerais étiquetés, la production officielle de coltan de SMB dans sa concession de Rubaya a chuté d’environ 800 tonnes en 2017 à 175 tonnes en 2020, alors que sur la même période, celle de la concession de SAKIMA a décollé, passant d’à peine 100 tonnes à 660 tonnes sur la même période.
Un tel écart dans les volumes de production devrait se matérialiser par une affluente main d’œuvre sur la concession de SAKIMA et par d’autres signes manifestes d’activité minière, comme des aires de lavage, des cabanes et des pistes menant aux mines.
Pourtant, il n’en serait rien. Selon des témoins oculaires interrogés par le Groupe d’experts de l’ONU, en 2020 il n’y avait qu’entre 70 et 150 exploitants artisanaux dans la mine de Nyagisenyi (paraît-il la plus productive des mines de SAKIMA). Officiellement, la mine produit près de 210 tonnes de coltan, alors que Gakombe, sur la concession de SMB et où s’activaient près de 1000 exploitants en 2020, enregistrait une production légèrement inférieure à 100 tonnes.
Les images satellites analysées par le Groupe d’experts de l’ONU sur une période de deux ans ne montrent aucun signe d’activité minière manifeste à Nyagisenyi, ni dans d’autres mines de la concession SAKIMA, dont la production enregistrée est pourtant élevée.
Diverses sources remettent sérieusement en question les données officielles sur la production des mines de SAKIMA. Les exploitants locaux estiment que le rendement de trois mines parmi les plus productives, qui représente plus de 55 % de la production officielle totale de coltan de la concession de SAKIMA, s’élève à environ 6 à 7 tonnes par mois. Les sources de l’ONU envisagent un chiffre encore plus bas, entre 2 et 3 tonnes par mois. Selon ces estimations, les trois mines ne produiraient qu’entre 72 et 84 tonnes par an, voire entre 24 et 36 tonnes par an, selon la source retenue. Nous sommes donc très loin des 402 tonnes enregistrées par le ministère des Mines en 2020.
Il convient de noter que ce que le ministère publie en tant que «production» correspond en fait au volume de minerais entrant dans les programmes de traçabilité (ITSCI dans le cas de SAKIMA et, depuis 2019, Better Mining pour les minerais de SMB).
Le Groupe d’experts de l’ONU s’est fait l’écho d’un trafic de minerais entre les concessions de SMB et de SAKIMA depuis au moins 2018, en s’appuyant sur les témoignages d’exploitants artisanaux décrivant leur propre implication dans ces transactions. ITSCI a connaissance de ce trafic inter-concessions, et aurait mis en œuvre «des procédures d’étiquetage améliorées, dont des contrôles supplémentaires», depuis septembre 2019.
L’un des contrôles appliqués par ITSCI consiste à restreindre la distribution d’étiquettes, en fonction des estimations de production de référence. Cette mesure pourrait assurer que le nombre d’étiquettes livrées corresponde au même ordre de grandeur que les volumes produits dans la mine. Toutefois, dans la concession de SAKIMA, ces estimations ne correspondent pas à celles de l’ONU et d’autres sources (voir tableau ci-dessous), bien qu’elles aient été mises à jour en 2019, dans le cadre de «procédures d’étiquetage améliorées».
Comparaison des estimations de la production de référence des mines de SAKIMA (concession de Rubaya) par ITSCI, les mineurs artisanaux et les sources de l’ONU:
Mines Estimation mensuelle Estimation mensuelle Estimation mensuelle
. de la production de la production de la production
. par ITSCI par les exploitants artisanaux par les sources de l’ONU
. (en tonnes) (en tonnes) (en tonnes)
Nyagisenyi 19.8 5-6 1-2
Birambo 4.7 1 1
Mululu 6.8 0 0
Total 31.3 6-7 2-3
En 2020, ITSCI estimait une production supérieure à 31 tonnes par mois dans ces trois mines, soit dix fois plus que la limite supérieure des estimations de l’ONU. Cela voudrait dire qu’ITSCI distribue au moins dix fois plus d’étiquettes que nécessaires pour marquer la production réelle de ces trois mines. D’après cette enquête, l’excédent est utilisé pour étiqueter les minerais trafiqués extraits de la concession voisine de SMB.
Le fort déclin des niveaux de « production » officiellement enregistrés sur la concession SMB a été largement compensée par l’augmentation de la production sur la concession de SAKIMA, de sorte que la production totale enregistrée sur les deux concessions reste relativement stable. À ceci il faut ajouté les nombreux rapports et témoignages évoquant de potentiels vols de minerais dans la concession de SMB par la suite étiquetés sur la concession de SAKIMA. Tout porte à croire que l’essentiel du coltan qui serait frauduleusement étiqueté à SAKIMA provient en fait de la concession de SMB.
2.3.3 Les hommes d’affaires internationaux qui contrôlaient le coltan de Rubaya
Derrière le coltan de Rubaya, on trouve l’homme d’affaires britannique John Crawley, qui entretient des relations privilégiées avec ITSCI, et son partenaire de longue date, le Suisse Chris Huber.
Crawley possède ou dirige un certain nombre de sociétés d’extraction et de négoce de minerais congolais, y compris la société hongkongaise East Rise, les entreprises congolaises Tantalum Mining Katanga SARL et Kisengo Mining Company SARL, ainsi que d’autres entreprises immatriculées aux États-Unis, au Brésil, en Afrique du Sud, et, jusqu’en 2020, en Suisse.
De son côté, Huber fait l’objet d’une enquête criminelle suisse depuis 2018 pour «suspicion de pillage» en RDC, un crime de guerre en vertu de la loi helvétique.
Selon l’ONG Trial International et l’Open Society Justice Initiative, à l’origine de la plainte, l’entreprise de Huber, Medivals Minerals Ltd, s’est vue accorder quatre concessions minières par le RCD-Goma, un mouvement rebelle soutenu par le Rwanda qui aurait occupé de larges territoires de l’est du Congo et massacré des milliers de congolais entre 1998 et 2003.
Le Groupe d’experts de l’ONU signalait en outre en 2009 que Huber avait acheté cette année-là des minerais originaires de mines congolaises contrôlées par des forces armées, et qu’il entretenait des relations avec le Front Patriotique Rwandais (FPR), le parti au pouvoir au Rwanda.
Depuis plus de dix ans, les opérations de Crawley et de Huber dans la région des Grands Lacs sont inextricablement liées. En 2009, Huber a été embauché comme consultant au Rwanda et en RDC par Refractory Metals Mining Company Ltd (RMMC), dont Crawley était l’un des administrateurs. La même année, Huber a également été consultant pour African Ventures Ltd, une société constituée par le père de Crawley, financée par la RMMC et décrite par le Groupe d’experts de l’ONU comme une couverture dont se servirait Huber. Ce dernier faisait aussi partie des premiers investisseurs et administrateurs de Niotan Inc., une société américaine de traitement du tantale racheté en 2012 par Kemet Corporation, dont Crawley était cadre dirigeant et administrateur.
Huber et Crawley sont également liés par leur apparente société-écran hongkongaise Star Dragon Ltd, qui partage son secrétariat juridique Strategy Consultants Ltd avec East Rise Corporation Ltd, la société de Crawley, mais aussi une adresse avec la RMMC et African Ventures.
Le groupe d’experts de l’ONU révélait en 2009 que RMMC et African Ventures Ltd s’étaient approvisionnés en minerais de conflit congolais; ce rapport avance aussi des preuves qu’East Rise Corporation Ltd aurait également acheté d’importantes quantités de minerais de contrebande au Rwanda au début des années 2010.
2.3.4 Une personnalité bien placée d’ITSCI aurait tiré profit de minerais de contrebande
Contrairement à SMB, qui exporte des minerais depuis sa concession de Rubaya, les minerais étiquetés à la concession de SAKIMA sont exportés par l’intermédiaire d’autres sociétés. En 2020, ces exportateurs étaient la Coopérative des artisanaux miniers du Congo (CDMC) et la Société Générale de Commerce SARL (SOGECOM).
Les volumes de «production» de coltan de SAKIMA ont augmenté au même rythme que les chiffres des exportations de deux sociétés. En l’absence d’autres grandes mines de coltan dans le Nord Kivu, les deux sociétés semblent avoir tiré parti du coltan volé sur la concession de SMB, pour en devenir les plus gros exportateurs du Nord-Kivu.
Coltan exporté du Nord-Kivu (en tonnes)
. SMB CDMC SOGECOM Autres sociétés
2017 944 0 0 49
2018 503 488 0 75
2019 319 339 35 8
2020 217 392 490 0
Le trafic de minerais entre différentes concessions sont dénoncées par le Groupe d’experts de l’ONU et ITSCI depuis au moins 2018. CDMC et SOGECOM ne peuvent donc pas prétendre ne pas avoir eu connaissance du problème.
La CDMC est proche de deux pontes du secteur, John Crawley, le président de la société, et Chris Huber, qui a travaillé avec la CDMC en 2020.
Au cours de la dernière décennie, Crawley et Huber ont joué un rôle incontournable sur le marché du coltan de Rubaya. Entre 2014 et 2017 au moins, la société hongkongaise East Rise Corporation Limited, dont Crawley est un administrateur, a racheté l’essentiel du coltan de SMB.
Deux spécialistes du secteur minier nous ont précisé que Huber finançait les achats de coltan de SMB, et l’un d’eux a ajouté que ces transactions avaient lieu par l’intermédiaire de East Rise. En 2017 toutefois, la relation a commencé à s’envenimer entre SMB et le duo Crawley-Huber. La même année, la CDMC a ouvert un bureau dans le Nord-Kivu et, avant 2018, la société rattrapait presque les niveaux d’exportation de SMB dans la province. La CDMC exportait alors tout son coltan du Nord Kivu à Star Dragon Corporation Ltd, une probable société-écran profitant à Crawley et Huber.
L’étiquetage fallacieux par ITSCI de minerais introduits frauduleusement depuis la concession de SMB aide Crawley et Huber à maintenir leur mainmise sur le coltan de Rubaya, malgré les changements d’allégeance.
Crawley entretient des relations privilégiées avec ITSCI; entre 2017 et 2018, il a été président du TIC, dont le directeur siège au comité de gouvernance d’ITSCI . Il est resté membre du comité exécutif du TIC au moins jusqu’en 2020.
En 2019-2020, CDMC, Crawley et Huber ont étendu leur contrôle sur le coltan de la région de Rubaya. En 2019, CDMC a acquis trois nouvelles concessions auprès du ministère des Mines. En décembre 2020, la société a pris part à une coentreprise (joint venture) nommée Congo Fair Mining avec SAKIMA, détenue à 70 % par la DCMC et à 30 % par SAKIMA. Le contrat de la coentreprise prévoit que Congo Fair Mining hérite du contrôle la concession de SAKIMA à Rubaya ainsi que de l’intégralité de sa production.
2.4. Les failles du système de traçabilité d’ITSCI en RDC
2.4.1. Une surveillance insuffisante et des dysfonctionnements en matière de coopération et d’application
En principe, les agents de l’État devraient jouer le rôle de gardiens et contrôler les minerais avant qu’ils ne soient autorisés à intégrer le système ITSCI. Toutefois, on constate qu’il est très facile pour les exploitants et les négociants de blanchir des minerais en RDC. De multiples facteurs facilitent le blanchiment.
Faute de personnel suffisant, il est fréquent que le SAEMAPE, organisme public partenaire d’ITSCI, ne soit pas présent en permanence sur les mines classées vertes, alors que c’est lui qui est censé étiqueter les minerais. En 2020, une enquête d’IPIS révélait que près de 40 % des mines ITSCI sondées recevaient la visite du personnel du SAEMAPE moins d’une fois par mois. Par conséquent, les minerais sont souvent entreposés, que ce soit sur le site de la mine, sur un site de stockage situé hors de l’exploitation minière ou chez les négociants, en attendant l’arrivée des agents du SAEMAPE chargés d’effectuer l’étiquetage. Une autre étude datant de 2019 indiquait que, dans 42 % de toutes les mines ayant reçu la visite d’IPIS, les sacs de minerais étaient fermés en dehors du site minier. En outre, IPIS a découvert que des négociants recevaient des étiquettes de la part d’agents du ministère des Mines et qu’il était fréquent qu’ils étiquettent eux-mêmes leurs sacs. Cette procédure, qui va à l’encontre des règles d’ITSCI, est fortement susceptible d’entraîner des abus.
Tous ces facteurs accroissent le risque que des minerais issus de mines non validées ou classées rouges intègrent le système.
Les agents de l’État chargés d’étiqueter les minerais sont très mal payés, voire pas du tout. Ce facteur ne fait qu’aggraver la situation, encourageant les agents à vendre des étiquettes ou à exiger d’être rémunérés pour l’étiquetage.
À Numbi, par exemple, la plupart des agents de l’État ne reçoivent qu’une indemnité mensuelle (prime), basée sur les recettes fiscales générées par leur unité 301, au lieu d’un salaire régulier.
À Nyabibwe, les agents du SAEMAPE perçoivent une prime de 50 à 100 dollars seulement et certains conservent le statut de «stagiaires», alors qu’ils travaillent pour le SAEMAPE depuis des années. Souvent, les agents de la Division des mines congolais sont encore moins bien payés; à Nyabibwe, leur indemnité est de 30 dollars par mois seulement.
La gestion du système d’étiquetage ITSCI représente une charge de travail non négligeable pour le SAEMAPE et la Division des mines. Pourtant, alors qu’ils assument le gros du travail, ces acteurs ne reçoivent aucune compensation financière de la part d’ITSCI. Un haut fonctionnaire a ainsi expliqué à Global Witness que ses collègues et lui avaient le sentiment d’être exploités par ITSCI, dans la mesure où ce sont eux qui font le travail demandé dans le cadre du programme, mais sans contrepartie financière. Des hauts fonctionnaires du ministère des Mines suggèrent que les agents d’ITSCI ne respectent pas les hiérarchies des pouvoirs publics. Au lieu de cela, ils distribueraient du matériel d’étiquetage et donneraient directement des ordres quant à sa répartition aux agents des antennes locales, et ce, sans en référer à leurs supérieurs, sapant leur autorité. Un haut fonctionnaire du SAEMAPE au niveau provincial explique que Pact ne l’informe généralement pas des incidents et préfère communiquer les informations uniquement au Secrétaire général du ministère des Mines. La contribution des pouvoirs publics au fonctionnement du programme ITSCI est en outre affaiblie, dans la mesure où ITSCI ne fournit pas aux agents de l’État ses estimations de référence, qui représentent le principal moyen de contrôler si les niveaux de production minière que laissent supposer les quantités soumises pour l’étiquetage sont réalistes.
Pact dispose également d’un nombre très limité d’agents sur le terrain et ses représentants sont rarement présents sur les sites miniers. D’après une enquête d’IPIS réalisée en 2020 auprès d’un échantillon de mines adhérant au programme ITSCI, plus de la moitié d’entre elles recevaient la visite d’un agent d’ITSCI moins d’une fois par mois.
2.4.2. Le blanchiment de minerais: une politique officieuse
Dans les régions où s’est rendue Global Witness, les agents de l’État chargés d’étiqueter les minerais semblent particulièrement désireux de faire entrer autant de minerais que possible dans la chaîne d’approvisionnement d’ITSCI, et ce, quelle que soit leur provenance. Cette pratique semble désormais s’être officieusement généralisée et bénéficier du soutien de hauts fonctionnaires, afin d’éviter que les minerais refusés en RDC ne deviennent verts de l’autre côté du lac Kivu, au Rwanda. En effet, une position qui semble être commune à des représentants du ministère des Mines, à des représentants de coopératives, à des négociants et même à des acteurs de la société civile est que les minerais qui ne sont pas étiquetés en RDC le seront probablement frauduleusement au Rwanda.
2.4.3. La complicité manifeste d’ITSCI et le conflit d’intérêts
Les recherches de Global Witness ont révélé que les représentants d’ITSCI sont complices de certains cas d’abus vis-à-vis du système de traçabilité.
Dans le territoire de Kabare, deux personnes interrogées par Global Witness ont indiqué que les différents organismes miniers, la coopérative minière locale et l’agent d’ITSCI conjuguaient leurs efforts pour intégrer des minerais à la chaîne d’approvisionnement d’ITSCI. Dans un autre territoire, un agent de l’État nous a indiqué que les agents d’ITSCI savaient que les statistiques qu’ils déclaraient pour certaines mines n’étaient pas fidèles à la réalité de la production des mines en question, mais qu’ils ne remettaient pas ces chiffres en cause. Un autre agent de l’État a expliqué que l’agent d’ITSCI local prélevait une partie de la taxe exigée de manière illégale par les agents de l’État pour leur travail d’étiquetage, soi-disant en reconnaissance de son «aide» pour faire entrer des minerais dans la chaîne d’approvisionnement d’ITSCI.
Pour évaluer si les quantités d’étiquettes émises sont réalistes, ITSCI semble essentiellement se baser sur ses estimations de référence en termes de production minière.
À Rubaya, le chiffre de référence d’ITSCI pour la production de trois mines de SAKIMA pour l’année 2020 publié par le Groupe d’experts de l’ONU était plus de 10 fois supérieur aux estimations de l’ONU (voir section 2.3.2), ce qui laisse une énorme marge de manœuvre au blanchiment.
La part de minerais étiquetés d’origine illicite, qui serait de plus 90 % dans le secteur de Luhago (voir section 2.1.2) et d’environ 80 % dans celui de Nzibira (voir section 2.1.1) au premier trimestre 2021, montre les failles de cette approche d’ITSCI.
L’ampleur du phénomène d’étiquetage frauduleux de minerais suggère qu’ITSCI et les agents de l’État sur le terrain, mais aussi leurs supérieurs hiérarchiques, connaissent le problème, mais qu’ils se contentent de l’ignorer.
L’un des problèmes majeurs subsistant au sein d’ITSCI réside dans le fait que l’étiquetage de gros volumes de minerais est en fait dans son intérêt. Le programme ITSCI est principalement financé via des taxes payées par les exportateurs de minerais «3T» étiquetés et provenant de la région des Grands Lacs. D’après un rapport financier d’ITSCI, 97 % de son financement en 2019 provenait d’acteurs intervenant en amont dans la chaîne d’approvisionnement. Selon Pact, «plus le système a une large portée et plus la production y transitant est importante, plus le coût de participation [qu’ITSCI peut proposer à ses membres] est bas». Cette structure de financement incite à maximiser la quantité de minerais étiquetés, reléguant au second plan l’objectif d’ITSCI, à savoir filtrer les minerais entrant dans ses chaînes d’approvisionnement.
Le conflit d’intérêts inhérent à ITA et à TIC est un problème-clé du programme ITSCI, à l’origine de nombreux problèmes mis en lumière. En effet, il s’agit, d’une part, de gérer un programme visant à stopper la vente de minerais «3T» d’origine douteuse sur les marchés internationaux et, d’autre part, de représenter de nombreuses sociétés comptant parmi les plus grands acheteurs de minerais «3T». En outre, le comité de gouvernance d’ITSCI se compose uniquement de représentants des organismes de la filière de l’étain et du tantale, qui ont parmi leurs membres certaines des sociétés les plus influentes de ce secteur. En outre, les structures de gouvernance d’ITSCI semblent peu satisfaisantes: seules deux personnes siègent à son comité de gouvernance, l’une étant responsable du programme ITSCI au sein d’ITA, et le programme ne dispose ni d’un conseil d’administration ni d’un comité de surveillance à qui le directeur du programme aurait à rendre des comptes.
2.5. Les failles du système ITSCI au regard du « devoir de diligence raisonnable »
ITSCI collecte et publie des informations détaillées sur les risques en lien avec la sécurité, les droits humains et la chaîne de responsabilité tout au long de ses chaînes d’approvisionnement, ainsi que sur les mesures de gestion de ces risques. À ce jour, elle a publiquement signalé plus de 2 500 incidents en tout au Nord-Kivu (depuis janvier 2014) et au Sud-Kivu (depuis juillet 2012).
Selon son site internet, ITSCI transmet tous les mois des synthèses d’incidents à ses membres, même si celles-ci sont uniquement rendues publiques ultérieurement. Au moment où on publie ce rapport, les derniers rapports publics signalant des incidents au Nord-Kivu et au Sud Kivu datent de fin décembre 2020.
Le signalement des incidents peut être un outil important de diligence raisonnable, à condition d’être effectué de manière détaillée et dans un délai raisonnable. En effet, il permet au grand public, aux clients, aux investisseurs et aux actionnaires d’évaluer les informations sur les mesures prises par les sociétés pour identifier et gérer les risques dans les contextes dynamiques dans lesquels elles évoluent.
Le système ITSCI de signalement des incidents a été cité en exemple dans un rapport de l’OCDE pour ses bonnes pratiques. Cependant, nos recherches mettent en lumière un certain nombre de cas dans lesquelles ITSCI semble avoir abusé de son propre système de signalement des incidents.
Premièrement, ITSCI semble minimiser les incidents graves, donnant l’impression que la plupart des incidents sont minimes. Global Witness a identifié diverses situations où des minerais liés à des groupes armés avaient intégré ou étaient fortement soupçonnés d’avoir intégré la chaîne d’approvisionnement d’ITSCI et qu’ITSCI n’a pas signalées, alors qu’elle aurait dû le faire. Dans plusieurs autres cas où la traçabilité était problématique, ITSCI n’a signalé les incidents qu’après leur signalement par d’autres organisations, telles que le Groupe d’experts de l’ONU.
C’est le cas notamment des rapports d’ITSCI sur les mines de Nzibira, de Kamatale et de Biholo. Dans tous ces cas, ITSCI a classé de manière erronée l’incident dans la catégorie « 2 » et non pas dans la catégorie « 1 », attribuée aux incidents les plus graves, comme cela aurait dû être le cas selon ses propres critères d’évaluation.
Deuxièmement, ITSCI semble souvent avoir délibérément ignoré des incidents impliquant des acteurs clés du secteur « 3T ». Un ancien manager de Pact chargé du programme ITSCI au Rwanda a indiqué à Global Witness qu’aucun incident grave mettant en cause certaines grandes sociétés n’avait été publié par ITSCI, et ce, alors qu’il avait lui-même signalé de tels incidents au secrétariat d’ITSCI. De plus, selon des sources du secteur, un membre influent d’ITSCI aurait abusé du système de signalement des incidents pour évincer ses concurrents.
Troisièmement, si ITSCI semble fermer les yeux sur certains incidents impliquant de grandes sociétés adhérant au programme, elle a en revanche émis des alertes détaillées concernant une société qui était déjà passée à un système de traçabilité concurrent. L’objectif apparent était de tenter de discréditer la société en question ainsi que le programme concurrent.
Ces exemples tendent à montrer comment le système de signalement d’ITSCI en matière d’incidents contraires à la diligence raisonnable est susceptible d’entraîner des abus. Si le signalement des incidents constitue un élément crucial de tout système de diligence raisonnable, il peut aussi être un outil puissant pour contrôler qui peut accéder ou non au marché concerné.
C’est là un aspect particulièrement problématique lorsque ce système est géré par un acteur tel qu’ITSCI, marqué par des dysfonctionnements dans ses structures de gouvernance et des membres aux intérêts commerciaux.