LA MAJEUR PARTIE DU COLTAN EXPORTÉ PAR LE RWANDA PROVIENT ILLÉGALEMENT DE L’EST DE LA RDC, PAR CONTREBANDE
SOMMAIRE
1. EN 2023, LE RWANDA S’EST CLASSÉ PREMIER EXPORTATEUR MONDIAL DE COLTAN POUR LA 5E FOIS EN 10 ANS
2. LE 90% DES MINERAIS EXPORTES PAR LE RWANDA Y ONT ETE INTRODUITS ILLEGALEMENT A PARTIR DE LA RDC
3. L’UE ET LE RWANDA ONT SIGNÉ UN PROTOCOLE D’ACCORD SUR LE COMMERCE DE MATIÈRES PREMIÈRES CRITIQUES
4. LE M23 EXPLOITE ILLEGALEMENT LES MINERAIS DE RUBAYA POUR LES ACHEMINER EN CONTREBANDE AU RWANDA
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1. EN 2023, LE RWANDA S’EST CLASSÉ PREMIER EXPORTATEUR MONDIAL DE COLTAN POUR LA 5E FOIS EN 10 ANS
La République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda sont les deux principaux exportateurs mondiaux de coltan, minerai essentiel dans l’industrie électronique et présent dans nos ordinateurs et smartphones. Entre 2014 et 2023, les deux pays ont publié des chiffres d’exportation totalisant 32 702 tonnes de coltan.
RDC *** Rwanda +++ (en tonnes)
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RDC *** Rwanda +++ (en tonnes)
Les exportations de coltan de la RDC ont atteint 1918 tonnes en 2023, contre 2070 tonnes pour le Rwanda. Selon les statistiques officielles des deux pays, compilées par l’Agence Ecofin, c’est la cinquième fois depuis 2014 que le Rwanda exporte plus de coltan que son voisin congolais.
Outre 2023, le Rwanda a dépassé la RDC en 2014, en 2015, en 2017 et en 2019. Après un pic à 2302 tonnes en 2014, les exportations rwandaises de coltan ont évolué en dents de scie, restant inférieures à 2000 tonnes jusqu’à l’année dernière.
Sur la décennie, la RDC a de son côté atteint son pic en 2020, avec 2466 tonnes exportées. Si les deux pays ont occupé tour à tour la place de premier exportateur mondial de coltan, les volumes d’exportations consolidés sur 10 ans montrent que la RDC reste en tête avec 17 330 tonnes, contre 15 374 tonnes pour le Rwanda.
Il faut souligner que les chiffres sus-cités ne tiennent pas compte des circuits d’exportation de contrebande dans les deux pays, qui échappent au contrôle des autorités. Minerai essentiel à l’électronique moderne, le coltan est largement exploité de manière artisanale, notamment dans les régions du Nord et du Sud Kivu, où la présence de groupes armés et la corruption généralisée rendent les contrôles difficiles. La contrebande est même alimentée par les multinationales peu regardantes sur l’origine du coltan qu’elles achètent.
«Une enquête des Nations unies a révélé que de nombreux comptoirs achètent sciemment du coltan dans des zones contrôlées par des groupes armés et exploitent la distinction entre eux et les négociants pour prétendre ignorer l’origine du minerai […] Les entreprises internationales transportent ensuite le minerai directement vers le pays de destination ou le réexportent via l’Ouganda et le Rwanda vers des installations de traitement à l’étranger», relate un rapport publié en mars 2022 par l’ENACT, une initiative de lutte contre le crime organisé transnational.
Intitulé «Mining and illicit trading of coltan in the Democratic Republic of Congo», le document souligne que le Rwanda est la voie privilégiée pour le négoce illicite du coltan. Kigali ne taxe pas les exportations du minerai et permet aux marchandises importées d’être requalifiées «made in Rwanda» à condition de subir une transformation dans le pays avec une valeur ajoutée d’au moins 30%. «Il est donc probable que la majeure partie du minerai exporté du Rwanda soit d’origine congolaise», conclut l’ENACT. Parmi les recommandations pour mettre fin à ce trafic illégal, l’ENACT propose aux multinationales de mettre en œuvre des programmes de traçabilité pour vérifier leur chaîne d’approvisionnement en coltan.[1]
Le commerce du coltan est très souvent entaché par la contrebande et les exportations illicites, particulièrement dans les régions du Nord et du Sud Kivu. La présence de groupes armés et un niveau élevé de corruption facilitent ces activités illégales, souvent ignorées ou même encouragées par des entreprises internationales peu scrupuleuses sur l’origine du coltan qu’elles acquièrent.
Selon un rapport de l’ENACT datant de mars 2022, le Rwanda joue un rôle central dans le négoce illicite du coltan, bénéficiant de réglementations favorables qui permettent de reclasser le minerai importé comme produit rwandais après transformation. Cette pratique alimente les spéculations selon lesquelles une grande partie du coltan exporté par le Rwanda proviendrait en réalité de la RDC. En effet, la République Démocratique du Congo principale pourvoyeuse de ce minerai, a toujours considéré cela comme le fruit du pillage de ses ressources par le Rwanda. C’est pourquoi, le gouvernement congolais l’a toujours accusé d’apporter son soutien à certains mouvements armés (AFDL, RCD, CNDP et M23), dans le but de continuer à exploiter frauduleusement les ressources précieuses du son sous-sol congolais.
La guerre qui sévit à l’Est de la RDC engendre des conséquences dévastatrices pour la population congolaise, qui paie le prix fort de ce conflit. Des millions de personnes sont déplacées, vivent dans des conditions précaires et sont victimes de violences et d’abus de toutes sortes.
Face à cette situation complexe, des recommandations ont été formulées pour endiguer le flux illégal de coltan. Elles incluent l’adoption par la RDC d’une méthode de diligence raisonnable pour tracer les cargaisons jusqu’à leur source et l’engagement renforcé de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs pour encourager les initiatives de traçabilité du coltan. En outre, les multinationales sont invitées à vérifier minutieusement leur chaîne d’approvisionnement afin de s’assurer de la légalité et de l’éthique de leurs acquisitions.[2]
2. LE 90% DES MINERAIS EXPORTES PAR LE RWANDA Y ONT ETE INTRODUITS ILLEGALEMENT A PARTIR DE LA RDC
Qualifiée de «scandale géologique», la République démocratique du Congo héberge dans son sous-sol plus de la moitié des réserves mondiales de coltan. Les réserves du pays sont estimées à 60% à 80% des réserves mondiales et les réserves restantes sont partagées entre l’Australie, le Brésil, le Canada, l’Espagne, la région de l’Orénoque au Vénézuela, et la Chine.
Le coltan, la cassitérite et le wolframite, trois produits stannifères communément appelés 3T (Tin, Tantalum et Tungsten), sont extraits dans les provinces de l’Est et du Sud-Est du pays, précisément du Maniema, Nord-Kivu, Sud-Kivu, Haut-Katanga, Haut-Lomami, Lualaba et Tanganyika. La province du Kivu, au nord de la RDC, abrite la plus forte concentration des réserves de coltan du pays.
En 2019, la RDCongo a produit 40% de l’offre mondiale de coltan. Soit 1 106,42 tonnes pour le Nord-Kivu et 182,29 tonnes pour le Sud-Kivu. Toutefois, la proximité de ce territoire avec le Rwanda, l’Ouganda et la Tanzanie, ainsi que les conflits armés qui en résultent, ne lui ont pas permis une jouissance saine et paisible de cette ressource.
En 2021, selon les statistiques communiquées par le ministère congolais des Mines. la production industrielle du coltan est évaluée à 148,72 tonnes en RDC, soit à peine 11% du volume global du pays au cours de la même année, En revanche, la production artisanale de ce minerais est de 1 291,03 tonnes et représente 89% de la production nationale. C’est donc un volume total d’environ 1.439,79 tonnes de coltan qui a été produit en 2021 en RDC, selon un rapport de la Banque centrale du Congo (BCC) se référant aux données publiées par le ministère des Mines.
Par contre, jusqu’en 2011, le Rwanda n’était pas officiellement reconnu comme un pays producteur de coltan. En effet, jusqu’à cette date, aucun volume de production ou d’exportation de ce minerai ne lui était pas attribué. Pourtant, dès 2012, une étude le classe parmi les pays exportateurs, avec notamment 341 tonnes de coltan. Le volume est de 940 tonnes en 2013; 265 tonnes en 2014; 614 tonnes en 2016 et 318 tonnes en 2017. 2015 étant une année de passage à vide.
Selon un rapport d’ENACT (2022), en 2013, les recettes d’exportations du coltan pour le Rwanda (le pays est le premier exportateur mondial!) se chiffraient à 134,5 millions de dollars pour 2.466 tonnes de tantale exporté, soit 28% de la production mondiale.
Toujours en 2022, dans une étude intitulée «La laverie ITSCI: comment un système de diligence raisonnable semble blanchir des minéraux de conflits», Global Witness dénonçait les pratiques de pillage, de contrebande, de blanchiment et de corruption politique bénéficiant de la complicité des plus hautes autorités de la RDCongo et, surtout, du Rwanda.
«Un acteur clé du lancement du programme ITSCI au Rwanda estime que seulement 10% des minerais exportés par le pays [Rwanda, Ndlr] avaient réellement été extraits sur son territoire, les 90% restants ayant été introduits illégalement à partir de la RDC», précisait l’étude.
Citant quelques-unes de ces sources du secteur minier en RDC et au Rwanda, l’Ong affirmait dans son rapport que «le gouvernement rwandais a parfaitement conscience que les volumes de production sont artificiellement gonflés par la contrebande».
Ou encore que «la majeure partie des minerais étiquetés proviennent de mines non validées situées sur les territoires voisins, y compris des mines occupées par des milices et mobilisant fréquemment le travail d’enfants».
Pourtant, chose curieuse, la compagnie américaine AB Minerals, installée dans la région depuis quelques années, avait annoncé, en 2016, la construction de la première usine de traitement de coltan au Rwanda. Il s’agissait de la toute première du genre.[3]
Les minerais extraits dans les sites miniers situés dans les zones reculées de l’est de la RDC sont acheminés dans les centres urbains frontaliers: Bukavu, Goma, Kalehe, Butembo, Beni,… et c’est de là que part l’exportation légale ou pas.
Dans un certain nombre de cas, l’exportation frauduleuse prend la même route que l’exportation légale. Évidemment, quand il s’agit d’un commerçant associé à des acteurs politiques, administratifs ou militaires, si pas les trois à la fois. Dans ces cas, il suffit de sous-évaluer la qualité ou la quantité à déclarer et aucun contrôle ne sera fait, car le produit appartient à quelqu’un qui jouit de la complicité de quelque puissant. En effet, détenir une parcelle de pouvoir en RDC est comme un passeport pour tout se permettre.
Pour les citoyens lambda, c’est là que l’exportation prend une autre forme. Il y a trois voix frauduleuses qu’on utilise régulièrement pour exporter les minerais.
D’abord le système dit « kuchora ». Les propriétaires collaborent avec les petits commerçants qui utilisent les entrées poreuses entre Goma et Gisenyi dans le « Makoro » pour faire traverser les minerais de manière frauduleuse.
En deuxième lieu, les négociants utilisent les personnes vivant avec handicap qui font le commerce transfrontalier pour faire traverser leurs marchandises car ils sont moins contrôlés à la frontière. Une fois de l’autre côté du pays, ils savent où déposer les colis.
Et enfin, il y a des négociants qui collaborent avec des officiers militaires des FARDC pour échapper aux taxes relatives à l’exportation. Ces militaires s’approprient les minerais et les font traverser à la douane sous leur influence. En contrepartie, les négociants leur donnent un pot-de-vin.
Le Rwanda est la voie privilégiée pour le commerce illicite de minerais, principalement le coltan. Contrairement au gouvernement congolais, il ne taxe pas les importations des minerais et la législation du pays permet aux marchandises importées d’être reconnues comme des marchandises rwandaises si elles subissent une transformation ultérieure dans le pays avec au moins 30 % de valeur ajoutée.
Il y a un autre élément qui favorise la contrebande des mineraisde la RDC vers le Rwanda: les prix.
En 2018 et 2019, les prix moyens étaient de 23,85 USD/kg en RDC et de 36 USD/kg au Rwanda. Selon le pourcentage de concentré de tantale dans le coltan, le minerai se négociait en RDC entre 35 et 52,5 USD/kg en 2021, tandis qu’au Rwanda, le prix se situait entre 52 et 65 USD/lb (0,5 kg) la même année.
Selon l’agence Ecofin, 90 % du coltan exporté par le Rwanda est issu de l’exportation frauduleuse du Congo.
Ces minerais construisent des villes à l’étranger. «Kigali n’est pas construite avec la richesse du Rwanda, ce sont les ressources de la RDC», soutient monsieur Célestin Bamwisho Bwira Bivuya, ancien cadre du service DDRR. Il est soutenu par le Professeur Nissé Mughendi en affirmant que cette exploitation des minerais par les groupes armés étrangers, dont les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), ces combattants hutu rwandais ayant trouvé refuge au Congo, après la chute de leur régime à Kigali, ne bénéficie pas seulement à eux: «Les FDLR exploitent les minerais, pour les exporter, ils le vendent à des officiels rwandais ou des proches du régime au Rwanda qui, eux, les blanchissent et en font une partie de l’économie du Rwanda».
Selon le Professeur Nissé Mughendi, penser que la RDC puisse demander au Rwanda d’indiquer la source de ses exportations, c’est une entreprise beaucoup plus périlleuse que de travailler à la réduction de la porosité des frontières congolaises: «Et ça la RDC peut le faire sans provoquer d’incident diplomatique. Ce pays ne peut pas exporter des produits qui n’ont pas traversé. S’ils peuvent traverser, c’est en partie de notre faute. La solution doit être trouvée en RDC».[4]
3. L’UE ET LE RWANDA ONT SIGNÉ UN PROTOCOLE D’ACCORD SUR LE COMMERCE DE MATIÈRES PREMIÈRES CRITIQUES
Le protocole d’accord signé entre l’Union européenne et le Rwanda, le 19 février 2014, concernant l’exploitation de matières premières critiques, dont les minerais 3T (Tin, Tantalum et Tungsten), a déclenché l’ire du président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi. Il accuse le Rwanda de piller les ressources minières congolaises et l’UE de s’en rendre complice. Que se passe-t-il vraiment? Eléments de réponse avec le chercheur associé à l’IFRI, Thierry Vircoulon.
TV5MONDE: Après cet annonce d’accord, le président Tshisekedi parle de provocation de la part de l’Union européenne, il accuse le Rwanda d’être un pays « receleur » et l’UE d’être « complice de vol » de minerais, Pourquoi de telles accusations?
Thierry Vircoulon: La République démocratique du Congo accuse le Rwanda de piller ses minerais. Selon Kinshasa, il y a de la contrebande de minerais entre la région du Kivu (située à l’est de la RDC) et le Rwanda. Le Rwanda exporte donc des minerais congolais. Et s’il y a contrebande, par définition, elle repose sur un système de corruption, notamment de l’armée congolaise. Des Congolais vendent ces minerais aux Rwandais.
TV5MONDE: De quels minerais et ressources est-il question?
Thierry Vircoulon: On parle surtout de coltan (ou tantale), d’étain (cassitérite) et de tungstène (wolframite). Ces minéraux sont collectivement désignés sous le vocable « 3T ». Il est également question d’or.
TV5MONDE: Que signifie cet accord entre l’Union européenne et le Rwanda?
Thierry Vircoulon: Ce n’est qu’un MOU, un « momerendum of understanding »(protocole d’entente en français, ndlr). C’est juste une déclaration d’intention, rien de dramatique. De plus, l’UE a signé le même type d’accord avec la République démocratique du Congo l’an dernier. Cela fait tout simplement partie de la politique européenne. L’UE est à la recherche de minerais un peu partout sur la planète, notamment le coltan, (nécessaire pour certaines nouvelles technologies, ndlr). Elle signe donc ce genre de MOU avec tout le monde.
TV5MONDE: Qu’est-ce que cela dit de l’UE concernant ces accusations de pillages du Rwanda?
Thierry Vircoulon: Comme je le disais, un MOU du même genre a déjà été signé entre la RDC et l’UE. Pour les 27 c’est la suite logique de leur politique. Concernant ces accusations de pillage, cela fait des années qu’elles existent. Ensuite, les déclarations du président congolais Félix Tshisekedi et du ministre congolais des Affaires étrangères Christophe Lutundula, ont uniquement un but propagandiste, pour exploiter politiquement cette annonce, alors que la République démocratique du Congo a signé le même MOU. Évidemment, pour Bruxelles, le timing est mauvais. Cet accord est signé au moment où le M23 se rapproche de Goma et où la tension est la plus forte au Nord-Kivu. Cela montre que, au sein de l’Union européenne, ce ne sont pas des diplomates. Ce genre d’accord est signé au plus mauvais moment.
TV5MONDE: Quel est l’élément central de cette crise au Nord Kivu?
Thierry Vircoulon: L’exploitation des minerais est le carburant de ce conflit qui perdure depuis désormais 30 ans.
TV5MONDE: Selon l’Office rwandais des mines, les recettes d’exportation de minéraux du Rwanda en 2023 ont augmenté pour atteindre le record de 1,1 milliard de dollars. Dans le même temps, le ministre congolais des Finances, Nicolas Kazadi estimait une perte justement d’un milliard de dollars dans ses exportations de minerais. Ce pillage est donc avéré selon vous?
Thierry Vircoulon: Il n’y a pas de doute sur le pillage. Les chiffres des exportations rwandaises ont été très bons en 2023, mais tout le monde sait très bien que les chiffres de production et d’exportation ne collent pas. Il n’y a pas de mystère. Les chiffres augmentent parce qu’ il y a toujours cette contrebande importante dans la région du Kivu, et ce, malgré les initiatives de traçabilité mises en œuvre. Cela fait un pactole minier et financier important pour l’État rwandais qui n’a, en vérité, pas autant de ressources.
TV5MONDE: Selon Bruxelles, «l’objectif de ce protocole d’accord est d’accroître la traçabilité et la transparence et de renforcer la lutte contre le trafic illégal de minerais». Qu’en est-il alors?
Thierry Vircoulon: Il existe de nombreux rapports, dont ceux de l’ONU, sur cette contrebande de minerais avec le Rwanda et sur la contamination des chaînes d’approvisionnement censées être propres, justement par des minerais illégaux. Par ailleurs, il y a toute une longue série de dispositifs pour lutter contre l’exploitation abusive et le commerce illégal des minerais. Au lieu de signer ce protocole d’accord avec le gouvernement rwandais, l’UE aurait pu intensifier ses efforts pour améliorer les dispositions législatives existantes et en assurer l’application,[5]
Même si la RDC est vent debout contre l’accord minier signé le 19 février 2024 entre l’Union européenne (UE) et le Rwanda, car il «encourage le pillage de ses ressources par l’administration Kagame», le Premier ministre belge, Alexander De Croo, a laissé entendre que plus rien ne peut bloquer son application, car «c’est le choix de la Commission européenne».
À Bruxelles, devant les députés belges, il a répondu aux préoccupations soulevées notamment sur ce protocole d’accord conclu entre l’UE et le Rwanda, visant à favoriser le développement de chaînes de valeur durables et résilientes pour les matières premières critiques.
«La position de la Belgique est que cette convention vient à un mauvais moment et on l’a indiqué à la Commission européenne bien à l’avance. Une convention similaire existe déjà avec la RDC, mais établir cette convention maintenant avec le Rwanda est clairement un mauvais timing. Le choix a été fait par la Commission européenne. On ne peut plus changer le choix qui a été fait», a-t-il déclaré.
Alors que la RDC exige l’annulation de cet accord, De Croo estime, quant à lui, que ce qui reste à faire, c’est de le «sécuriser», parce qu’il est «un levier pour exiger au Rwanda d’avoir la transparence complète par rapport à son commerce des minéraux. On sait que le Rwanda est un commerçant des minéraux. On peut utiliser cette convention pour demander pour chaque transaction de bien démontrer quelle est la provenance et de démontrer que cette provenance, par exemple, ne serait pas un commerce illégal qui est conduit dans l’Est de la RDC. On déplore cette convention, mais utilisons-la comme un levier».[6]
4. LE M23 EXPLOITE ILLEGALEMENT LES MINERAIS DE RUBAYA, POUR LES ACHEMINER EN CONTREBANDE AU RWANDA
Une enquête menée par Radio Okapi a révélé que, dans la région de Masisi ( Nord-Kivu), la contrebande minière s’organise à travers trois réseaux distincts.
Le premier réseau opère depuis Rubaya, Matanda, Mushaki en direction de Kibati, Kibumba jusqu’au Rwanda.
Le deuxième réseau concerne d’importantes quantités de minerais qui transitent de Rubaya jusqu’à Kasunyu, en passant par Ngungu et Minova au bord du lac Kivu. À Kasunyu, des pirogues venues du Rwanda récupèrent ces minerais souvent dissimulés sous des sacs de café pour les acheminer vers le Rwanda.
Enfin, le troisième réseau est actif entre Bihambwe, Kisuma, Nyabiondo, Katale et Lushebere, ainsi que Pinga dans le territoire de Walikale.
Radio Okapi a investigué sur le fonctionnement de ces trois réseaux ainsi que les acteurs majeurs impliqués. Certaines sources mentionnent notamment les chefs de groupes armés, des personnalités influentes au sein de certaines communautés locales, des agents des services de sécurité, ainsi que des négociants.
Par exemple, bien que, avant le 30 avril 2024, la zone d’exploitation minière de Rubaya ne soit pas sous le contrôle des rebelles du M23, il est difficile d’expliquer comment les minerais quittent ce site minier, échappent au contrôle des services compétents, pour se retrouver au Rwanda, où ils sont vendus à un prix deux ou trois fois plus élevé que celui fixé dans les comptoirs agréés à Goma.[7]
Le 9 mai, interviewé par la presse, le député national Crispin Mbindule Mitono, a déclaré que les rebelles du M23-RDF ont pris le contrôle de la cité de Rubaya depuis le 30 avril, pour exploiter les minerais tels que le coltan et la cassitérite: «Depuis lors, le M23 a obligé la population civile à creuser des minerais dans les périmètres numéro 76, la mine de Rubaya. En cinq jours, ils ont réussi à exploiter 5440 kilogrammes de coltan et 3250 kilogrammes de cassitérite, qui sont maintenant acheminés vers le Rwanda. Les informations que nous avons indiquent que ces minerais sont actuellement stockés dans la cité de Mushake». D’autres sources dans la région ont rapporté que les rebelles du M23 ont déjà installé un mini comptoir à Rubaya pour acheter le coltan à 50 dollars le kilogramme. Les minerais extraits quotidiennement suivent un itinéraire bien défini: Mushaki, Kilolirwe, Burungu, Bwiza, Tongo, puis Kibumba, pour finalement passer la frontière de Kabuhanga et atteindre le Rwanda.[8]
C’est confirmé, les rebelles du M23/RDF se livrent déjà à l’exploitation des ressources naturelles dans les sites miniers de Rubaya, dans le territoire de Masisi (Nord-Kivu). Selon le président de la société civile de Masisi, Voltaire Batundi, les rebelles du M23/RDF ont même distribué des bêches aux habitants, afin de les encourager à creuser des minerais. Il en veut pour preuve, la hausse du prix d’un kilogramme de coltan qui est passé de 30$ à 70$ ainsi que le paiement journalier d’un creuseur qui est passé de 10 000 FC à 30 000 FC. Toutefois, l’M23 a annoncé l’instauration d’une taxe de 3.000$/ tonne de coltan et 2.000S/ tonne de cassitérite payable à Kigali, la capitale rwandaise, après-vente.[9]
Le 13 mai, dans un communiqué officiel, le ministère des Mines de la République démocratique du Congo a alerté sur l’activité criminelle du Rwanda en occupant Rubaya dans le Nord-Kivu par l’entremise du M23 et a appelé la communauté internationale, dont l’ONU et l’UE à un embargo contre des produits miniers exportés par le Rwanda grâce à la fraude et à la contrebande.
Selon la ministre Antoinette Nsamba Kalambayi, «cette option a l’avantage de freiner le financement des conflits par les minerais; protéger les intérêts économiques légitimes de l’Etat congolais; atténuer les violations des droits de l’homme par les groupes armés ainsi que les armées étrangères et rétablir la paix et la sécurité internationales».
Rubaya, situé à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Goma, est l’une des principales mines congolaises de coltan, un minerai stratégique utilisé dans l’industrie électronique.
Selon le ministère des Mines, à travers son préposé le M23, le Rwanda s’est emparé des périmètres de l’ancien Permis d’Exploitation 4731, retiré par l’Arrêté Ministériel n00222/CAB/MINES/01/2023 du 14 juin 2023 et remis dans le domaine de l’Etat, pour stopper une exploitation minière artisanale illicite des populations locales de Rubaya et ses environs.
Selon ce même communiqué, le M23 a intensifié l’exploitation minière, y compris par les femmes enceintes et les enfants, dans les sites miniers de Rubaya. Entre temps, le Rwanda a opté pour une stratégie de diversion, consistant à surseoir temporairement à l’exportation des produits miniers, de peur d’enregistrer une hausse des statistiques d’exportation à la suite de l’occupation de Rubaya.
La ministre congolaise des mines, Antoinette Nsamba Kalambay, a déclaré: «Les minerais exploités sont donc entreposés dans des dépôts au Rwanda pour leur exportation ultérieure. Nonobstant cette manœuvre de diversion, il appert que les minerais de la filière des 3T exportés par le Rwanda proviennent de la fraude, de la contrebande, de l’exploitation illicite et des crimes perpétrées dans la partie Est de la République agressée par le Rwanda et le M23. Une fois au Rwanda, ces minerais sont tagués et vendus normalement à l’international comme si dans ces pays, il existait des blanchisseries des minerais de sang». C’et pour cela que la ministre congolaise des mines a dit espérer un engagement ferme de tous les acteurs, y compris les consommateurs finaux des produits miniers, en faveur d’un approvisionnement en substances minérales sain et responsable.[10]
[1] Cf Agence Ecofin – 08.04.’24 https://www.agenceecofin.com/mines/0804-117688-en-2023-le-rwanda-s-est-classe-premier-exportateur-mondial-de-coltan-pour-la-5e-fois-en-10-ans
[2] Cf Lepoint.cd, 08.04.’24 https://lepoint.cd/rwanda-et-rdc-une-rivalite-economique-autour-du-coltan-mise-en-lumiere/
Mines.cd, 09.04.’24 https://mines.cd/monde-avec-du-coltan-pille-en-rdc-en-10-ans-le-rwanda-classe-premier-exportateur-pour-la-5e-fois/
[3] Cf Théodore Tchpa – invest-time.com, 24.10.’23 https://invest-time.com/2023/10/24/minerais-critiques-la-rdc-abrite-60-a-80-des-reserves-mondiales-de-coltan-mais-peine-a-en-tirer-le-meilleur-profit/
[4] Cf Actualité.cd, 10.02.’23 https://actualite.cd/2023/02/10/rdc-les-aires-protegees-dans-lexportation-illegale-du-coltan-or-et-cassiterite-dans-lest
[5] Cf Nadia Bouchenni – tv5monde.com, 25.02.’24 https://information.tv5monde.com/afrique/guerre-lest-de-la-rd-congo-les-minerais-sont-le-moteur-de-cette-crise-2711568
[6] Cf Reagan Ndota – Afriquactu / MCP, via mediacongo.net, 01.03.’24 https://www.mediacongo.net/article-actualite-134176_accord_minier_ue_rwanda_on_ne_peut_plus_changer_le_choix_qui_a_ete_fait_belgique.html
[7] Cf Radio Okapi, 09.04.’24
[8] Cf Azarias Mokonzi – Politico.cd, 10.05.’24
[9] Cf Jonathan Kombi – Actualité.cd, 13.05.’24
[10] Cf 7sur7.cd, 14.05.’24 https://7sur7.cd/index.php/2024/05/14/rubaya-la-rdc-accuse-le-rwanda-dentreposer-les-minerais-pilles-pour-une-exportation