NORD KIVU: UN PEUPLE OTAGE D’UNE GUERRE AUX CONNOTATIONS ÉCONOMIQUES
SOMMAIRE
1. INTRODUCTION
2. LES DÉCLARATIONS DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES ET DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DU NORD ET SUD KIVU
3. LES DÉCISIONS DU MINI-SOMMET DE L’EAC ET DU CONSEIL DE PAIX ET SÉCURITÉ DE L’UNION AFRICAINE À ADDIS-ABEBA (ÉTHIOPIE)
4. LE MOUVEMENT DU 23 MARS (M23): UNE GUERRE ÉCONOMIQUE ENTRE LA RDC ET LE RWANDA
a. RDC, Rwanda et Qatar: le triangle des Bermudes
b. La RDC essaie de mettre fin au commerce illégal de minerais avec le Rwanda
1. INTRODUCTION
Le Mouvement du 23 mars (M23) sème le chaos dans l’est de la République démocratique du Congo, mais ce qu’il cherche à obtenir est obscur. Depuis fin 2021, il s’est emparé de vastes pans de territoire du Nord-Kivu, provoquant le déplacement de centaines de milliers de personnes.
« Nous voulons un dialogue direct avec le gouvernement, il faut s’attaquer aux racines du conflit », déclare Lawrence Kanyuka, porte-parole politique du mouvement. Mais il ne précise pas les revendications du M23. « On ne peut pas mettre la charrue avant les boeufs », élude-t-il.
Mouvement majoritairement tutsi, en sommeil depuis 2013, le M23 a repris les armes il y a un peu plus d’un an, en reprochant à Kinshasa de ne pas avoir respecté des engagements sur la démobilisation et la réinsertion de ses combattants.
La RDC accuse son voisin le Rwanda de soutenir ces rebelles. « Le M23 n’est qu’un pion du Rwanda », affirme le général Sylvain Ekenge, porte-parole des forces armées de RDC (FARDC). Pour le Rwanda, estime-t-il, « c’est une question de survie économique ». En effet, l’Est congolais est riche en minerais tels que l’or, le coltan ou l’étain, alors que le Rwanda est un minuscule Etat enclavé doté de peu de ressources naturelles. D’après le général Ekenge, cela a pu contribuer à déclencher la crise.
En dépit des efforts internationaux pour désamorcer la crise, le M23 continue à avancer, en menaçant d’encercler la ville de Goma, capitale provinciale du Nord Kivu.
Ce qui a déclenché le conflit n’est pas clair, mais des experts pointent les tensions régionales récurrentes comme cause sous-jacente. L’Ouganda a lancé en novembre 2021 avec la RDC une opération militaire dans l’est congolais pour lutter contre un groupe armé d’origine ougandaise. Kampala a aussi entrepris d’améliorer les infrastructures routières dans la région, offrant une alternative potentielle aux voies d’approvisionnement passant par le Rwanda. C’est pour cela que le président rwandais Paul Kagame aurait dit: « ces routes ne fonctionneront pas ».
Onesphore Sematumba, expert de la RDC pour ICG (International Crisis Group), pense également que la rébellion du M23 trouve ses origines dans les craintes économiques du Rwanda. Mais, dit-il, la situation a évolué. En raison de la faiblesse de la réponse militaire congolaise, les rebelles du M3 envisagent peut-être maintenant d’aller plus loin que ce qu’ils imaginaient au départ.
« Au fur et à mesure qu’ils avancent et ne trouvent pas d’opposition efficace en face, ils vont pousser leurs propres limites », estime M. Sematumba. Pour lui, « c’est une logique opportuniste qui est en train de prendre forme ».[1]
2. LES DÉCLARATIONS DES ÉVÊQUES CATHOLIQUES ET DE LA SOCIÉTÉ CIVILE DU NORD ET SUD KIVU
Le 28 janvier, dans un message adressé aux chrétiens catholiques et aux hommes de bonne volonté, les Évêques de l’Assemblée Épiscopale Provinciale de Bukavu (ASSEPB) ont ainsi présenté la situation sécuritaire des leurs diocèses: 8 paroisses sur 33 du Diocèse de Goma sont occupées par les troupes du M23; dans le diocèse de Butembo-Beni, c’est tout le Semliki qui est occupé par les ADF Nalu d’origine ougandaise; tous les moyens et hauts plateaux du diocèse d’Uvira sont occupés par des milices recrutées sur base de critères identitaires; 4 paroisses sur 19 dans le diocèse de Kasongo, sont en proie des groupes armés mai-mai. Face à cette situation, la population se dit totalement déçue, car l’État n’est pas encore parvenu à mette fin à l’activité des groupes armés, à cause de l’inefficacité de l’armée, de la police et du processus de Désarmement, de Démobilisation et de Réinsertion (DDR).
En outre, au niveau de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), on a décidé le déploiements de troupes du Kenya, de l’Ouganda, du Burundi et même du Sud Soudan au Nord Kivu. Par conséquent, aujourd’hui, cette province se trouve sous une forme de tutelle de ces armées étrangères. N’est-ce pas là la consommation effective de la balkanisation de la RDC?
Comme si cela ne suffisait pas, au point de vue économique, la misère a partout élu domicile dans un pays potentiellement très riche et vendu à l’extérieur comme « pays solution » mais avec un peuple réellement misérable: les infrastructures routières sont délabrées, impraticables dans bien des cas; ce qui condamne les communautés locales à l’enclavement, à l’insécurité, à l’isolement et à la misère. Cette situation est aggravée par des taxes intempestives qui bloquent l’économie locale, de sorte que l’entreprenariat est continuellement affaibli; ce qui ne favorise ni le commerce intérieur ni la croissance nationale.
Nos populations sont victimes d’une justice qui n’est pas toujours rendue équitablement, à cause de la corruption. Dans les milieux périphériques, la tendance est alors de recourir à la justice populaire, tel que le lynchage ou la résurgence des groupes armés comme moyen ultime de se rendre justice collectivement en désespoir de cause.
Le 8 février, dans un mémorandum adressé au Président de la République, les Évêques membres du Comité Permanent de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) lui ont présenté leurs préoccupations sur la situation sécuritaire qui prévaut dans la partie Est de la RD Congo. Cette crise sécuritaire continue à se détériorer, avec pour conséquences: les massacres des civils, le déplacement massif des populations et la violation des droits humains.
Face à cette crise, plusieurs initiatives militaires et diplomatiques ont été prises: les prolongations de l’état de siège, la multiplication du nombre d’intervenants (FARDC, MONUSCO, les troupes de l’EAC, notamment du Kenya, Burundi, Ouganda, ainsi que les officiers du Rwanda), mais la paix est loin d’être rétablie. Par ailleurs, la présence à l’Est de notre pays de troupes et d’officiers encadreurs des pays cités comme agresseurs de la RD Congo suscite beaucoup d’interrogations.
Nous avons l’impression que la population congolaise est prise au piège entre guerres d’influence et la bataille pour le contrôle de ses ressources naturelles. Ces événements dramatiques ne participent-ils pas à la mise en œuvre du plan de balkanisation de notre pays?
Pour sa part, l’Eglise catholique est toujours disposée à accompagner le différentes initiatives de paix. Voici quelques propositions et actions à mener:
– Nous estimons que pour lutter contre les forces négatives qui sèment la désolation à l’Est du pays, il est nécessaire d’obtenir l’appui de leurs communautés de référence afin de les persuader de déposer les armes. L’Eglise catholique pourrait s’appuyer sur ses Commissions Justice et Paix pour impliquer ces communautés de référence.
– Face au danger de la balkanisation, la meilleure barrière est de consolider la cohésion nationale et de raviver l’esprit patriotique. Il est opportun de contrôler certains leaders d’opinion qui s’illustrent par leurs propos désobligeants et les acteurs politiques qui diffusent des discours d’incitation à la haine et à l’exclusion.
– Il importe de mettre en place un cadre national large chargé d’évaluer les accords et les alliances qui pourraient affaiblir les efforts pour sauver la patrie, en vue d’arrêter de nouvelles stratégies.
– Il sied de garantir la protection des camps des déplacés et des humanitaires exposés aux attaques des groupes armés et de prêter une assistance durable aux déplacés et aux humanitaires travaillant dans les zones de conflit.
– Face au soupçon de corruption et de détournement des fonds alloués aux soldats, particulièrement ceux qui sont au front, nous proposons le renforcement du dispositif de suivi et de contrôle, ainsi que des poursuites judiciaires à l’égard de tout contrevenant.[2]
Le 17 février, lors du 36ème sommet des Chefs d’Etat et des Gouvernements des pays de l’Union Africaine, les membres de la Société Civile du Nord-Kivu et du Sud-Kivu ont saisi cette occasion pour adresser un mémorandum à tous les Chefs d’Etat et des Gouvernements présents à ce sommet, pour que soit définitivement prise une décision de cessation immédiate et sans hypocrisie des hostilités et de retrait inconditionnel des troupes de l’armée régulière du Rwanda du territoire de la R.D. Congo. C’est pour cela qu’ils ont voulu porter à la connaissance des Chefs d’Etat et des Gouvernements des pays de l’Union Africaine, ce qui suit:
1. La situation sécuritaire en RDC
– La situation sécuritaire en RDC est caractérisée principalement par la énième invasion de la RDC, laquelle se traduit par l’occupation des territoires de Rutshuru, une partie de Nyiragongo et de Masisi par les éléments de l’armée rwandaise sous couvert du M23.
– Outre l’agression rwandaise, les Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) font face à l’activisme des ADF/MTM et des groupes armés étrangers d’origine rwandaise et burundaise, auxquels s’ajoutent constamment les groupes armés locaux et quelques milices communautaires notamment en Ituri, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu.
– Malgré les conclaves de Nairobi du 23 avril et du 20 juin 2022 qui avaient recommandé un cessez-le-feu immédiat, malgré le mini-sommet de Luanda, tenu le 23 novembre 2022, appelant le M23 au retrait de toutes les positions occupées pour le Mont Sabinyo dans le territoire de Rutshuru, l’armée rwandaise a constamment violé ces accords.
– Comme il fallait s’y attendre, ces terroristes du M23, armés, soutenus et formés par l’armée rwandaise, ont refusé de se retirer à la date du 15 janvier 2023, tel qu’initialement attendu et convenu ; par contre, ils ont reçu des renforts de RDF pour conquérir massivement els localités de Kimbumba, Bwiza, Bamnu, Kishishe, Kiwanja, Kitshanga et Kirolirwe. Les attaques menées par cette coalition M23/RDF sont à la base du déplacement massif des populations à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, et de la détérioration de la situation humanitaire.
– Pour nous, les causes réelles des manœuvres du Rwanda sont les suivantes:
Causes économiques
– Accéder à nos ressources minières dans tous les territoires de l’Est du pays.
– Empêcher les visites touristiques dans le Parc national de Virunga et Kahuzi-Birega.
Causes démographiques
– Déverser le surplus de sa population dans les territoires de Rutshuru, Masisi et Lubero, ainsi que les réfugiés expulsés de l’Angleterre après un deal signé avec le gouvernement britannique.
– Retour et installation de 78.000 personnes prétendues « réfugiés congolais » vivant au Rwanda, alors que nous savons que l’effectif des compatriotes réfugiés au Rwanda ne dépasse pas les 10.000 personnes.
Causes sécuritaires
– Le Rwanda prétexte être en insécurité suite à la présence des résidents FDLR et ses variants qui traineraient encore dans notre pays, alors que depuis 1996 jusqu’en 2019, l’armée rwandaise a mené des opérations (conjointe avec l’armée congolaise et la MONUSCO) qui ont abouti à la décapitation du leadership de ce mouvement rebelle et au rapatriement d’un grand nombre de ce dit mouvement. Et donc, les FDLR ne constituent plus une menace pour le Rwanda, mais plutôt une insécurité socio-économique pour notre pays au profit du Rwanda.
2. La présence des forces de l’EAC dans notre pays
Nous avons salué la décision prise par les pays membres de la communauté des Etats d’Afrique de l’Est (EAC) de déployer une force régionale avec un mandat offensif pour imposer la paix dans notre pays. Malheureusement la Société Civile du Nord-Kivu et du Sud-Kivu constate avec beaucoup de regret que le premier déploiement du contingent kényan a, de manière tacite, beaucoup favorisé l’occupation de territoires de la RDC par l’armée rwandaise sous couvert du M23.
A Kimbumba et Rumangabo, que le contingent kényan occupe présentement, l’armée rwandaise, est présente sous couvert du M23 et continue à y opérer sous l’œil impuissant de la Force de l’EAC.
3. C’est pourquoi, forts de ce qui précède, nous demandons de bien vouloir:
– Condamner et sanctionner sans équivoque l’invasion rwandaise de notre pays
– Faire pression au pouvoir de Kigali de retirer sans conditions et immédiatement ses troupes de notre pays, pour que nos compatriotes qui vivent dans des conditions inhumaines puissent regagner leurs domiciles.
– Exiger aussi un dialogue politique entre le gouvernement rwandais et les FDLR, entre le gouvernement ougandais et les ADF, ainsi qu’entre les RED TABARA et le gouvernement burundais, pour un paix durable dans la sous-région.
– Demander aux Chefs d’Etat de la Communauté de l’Afrique de l’Est d’exiger de la force régionale de rester offensive, telle que voulue par leur mandat initial, afin de mettre en confiance les populations victimes de l’inertie regrettable de la MONUSCO dans notre pays.
– Soutenir la République Démocratique du Congo dans son plaidoyer pour l’érection d’un Tribunal pénal international, afin que les auteurs des crimes (de guerre, de génocide et crimes contre l’humanité) répondent de leurs actes.
3. LES DÉCISIONS DU MINI-SOMMET DE L’EAC ET DU CONSEIL DE PAIX ET SÉCURITÉ DE L’UNION AFRICAINE À ADDIS-ABEBA (ÉTHIOPIE)
Le 17 février, les chefs d’Etats de plusieurs pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), dont Félix Tshisekedi (RDC), William Ruto (Kenya), Joâo Lourenço (Angola), Paul Kagame (Rwanda), Evariste Ndayishimiye (Burundi) et Samia Suluhu Hassan (Tanzanie), ont pris part à un mini-sommet intervenu 24 heures avant l’ouverture solennelle de la 36ème Assemblée Générale de l’Union Africaine, qui s’est déroulée à Addis-Abeba, capitale Éthiopienne. Après avoir constaté la dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire dans l’Est de la RDC, suite au refus du M23 de se retirer des territoires congolais qu’il occupe illégalement, ils ont de nouveau appelé à un retrait immédiat et obligatoire, avant le 30 mars, de tous les groupes armés, dont le M23. actifs dans l’est de la RDC et ils ont recommandé le rapatriement, en RDC, des réfugiés congolais se trouvant au Rwanda et en Ouganda, ainsi que la réinstallation immédiate des personnes déplacées internes. Ils ont par ailleurs plaidé pour l’accélération de la mise en œuvre du programme PDDRCS et la promotion du dialogue politique et diplomatique pour une solution durable à cette crise. Les chefs d’états ont mandaté la République d’Angola en collaboration avec le facilitateur désigné de l’EAC, Uhuru Kenyata, de contacter le commandement du M23, afin de lui transmettre les décisions de ce mini-sommet d’Addis-Abeba.[3]
Le 17 février, toujours à Addis-Abeba (Éthiopie) et à la veille de la 36ème Assemblée Générale de l’Union Africaine, le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union Africaine (UA) a demandé le cantonnement et le désarmement du M23 sous le contrôle des autorités de la RDC et la supervision de la Force régionale de l’EAC et du Mécanisme de vérification ad hoc, avec la collaboration de la Mission de stabilisation de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUSCO). Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a réitéré ses appels à la coopération, à la coordination et à la complémentarité des efforts entre la MONUSCO, les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et la Force régionale de l’EAC. L’UA exige que tous les groupes armés, en particulier le M23, ainsi que les ADF et les FDLR, cessent immédiatement les hostilités et se retirent sans condition de l’Est de la RDC.[4]
4. LE MOUVEMENT DU 23 MARS (M23): UNE GUERRE ÉCONOMIQUE ENTRE LA RDC ET LE RWANDA
a. RDC, Rwanda et Qatar: le triangle des Bermudes
Il y a quelques années le Qatar avait financé de 60% des capitaux dans le lancement de la compagnie aérienne Rwandair qui se veut en fait une filiale de Qatar Airways. Il avait également décidé de financer la construction d’une usine de raffinage d’or à Kigali, quitte à se faire rembourser en nature, via l’or pillé sur le territoire congolais.
La rupture de relations entre Kigali et Kinshasa, conjuguée au gel des accords économiques entre ces deux voisins, met tout sens dessus dessous. Elle se révèle au final contre-productive soit pour Rwandair, privé du vaste marché aéroportuaire congolais, soit pour l’usine de raffinage d’or, privée de matières premières.
À ces facteurs, il faut ajouter l’important accord dénommé G2G signé le 29 mars 2021 entre le gouvernement congolais et celui du Qatar, en vue de couper l’herbe sous le pied de Kigali.
Cet accord consiste justement en l’intégration de la compagnie Qatar Airways dans un projet de partenariat Qatar-RDC portant sur l’accompagnement de l’État congolais, à travers le partenariat avec la Régie des voies aériennes (RVA) pour la modernisation, la construction et le financement de trois aéroports phares, qui sont celui de N’Djili à Kinshasa, Luano à Lubumbashi et Ndolo (Kinshasa) pour l’aviation d’affaires.
Le Rwanda et la RDC sont ainsi entrés dans une guerre économique qui ne dit pas son nom, mais dont les répercussions iront jusqu’à secouer les intérêts de tous les partenaires internationaux, à qui le Rwanda a promis monts et merveilles à propos des minerais appartenant à un pays tiers.
Entre le Qatar, le Rwanda et la RDC s’est donc dessiné un triangle des Bermudes, une zone à haute tension diplomatique et militaire, où des économies dites faussement émergentes risquent de disparaître. Dans quel sens?
L’objectif principal de la RDC devrait être celui de gagner la guerre économique contre le Rwanda, non pas par la force des canons, mais par une campagne agressive de sensibilisation de l’opinion publique et par l’asphyxie économique des canaux illicites et illégaux d’enrichissement rwandais.
Si la RDC réussissait à rester ferme sur ses positions de refus de dialoguer avec le Rwanda, tant que ce dernier maintiendra ses forces militaires sur le territoire congolais et, surtout, si la RDC réussissait à convaincre les partenaires internationaux de la non nécessité de passer par Kigali pour commercer les matières premières du Congo, elle pourrait ainsi étrangler le Rwanda, en empêchant son porte-feuille de se gonfler.
Devant l’intransigeance de Kinshasa, l’économie rwandaise, qui est alimentée à 60% par les pillages des ressources minières au Congo, à 30% par des aides internationales et à 10% par l’agriculture, principalement le café et le thé (dont une partie provenait aussi du Congo de manière clandestine) connaîtra inexorablement un déclin accéléré, entraînant par voie de conséquences l’affaiblissement interne du régime FPR de Kagame, qui a pris la triste habitude de fonctionner, deux décennies durant, sur la rente d’une économie de guerre et de pillages. Alors l’on serait à un pas d’une nouvelle ère politique et sécuritaire dans la région des Grands Lacs.[5]
b. La RDC essaie de mettre fin au commerce illégal de minerais avec le Rwanda
Le 10 décembre 2022, la RDC et les Émirats arabes unis ont signé un contrat de partenariat qui a abouti à la création de deux entreprises: Primera Gold DRC pour le secteur de l’or artisanal et Primera Metals DRC pour le secteur artisanal des 3T (Étain, Tungstène, Tantale). La délégation congolaise était conduite par le premier Ministre du gouvernement congolais, tandis que celle émiratie était dirigée par le chargé d’affaires de ce pays en RDC, qui est en même temps co-fondateur et CEO de Primera Group Limited. L’objectif de la création de ces deux joint-ventures est celui de lutter contre la fraude, la contrebande et l’exploitation illicite dans le secteur artisanal de l’or et des 3T. Primera Gold DRC va mettre en place une chaine de traçabilité de l’or artisanal acceptable à tous les niveaux. En effet, selon la Primature, «il est inacceptable que la RDC ne puisse exporter officiellement que 3 kg par an, alors que 15 à 20 tonnes d’or d’exploitation artisanale sont exportées frauduleusement». De son côté, Primera Metals DRC prendra en charge la traçabilité des minerais des 3T , pour aboutir à une chaine de valeur ajoutée par la transformation locale.[6]
Le 13 janvier 2023, à Kinshasa, le Président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi, a assisté à la première expédition symbolique (28 kgs) d’or « certifié » par la République Démocratique du Congo vers les Emirats Arabes Unis, par le biais de sa nouvelle société de droit congolais, Primera Gold RDC s.a., récemment créée lors de l’accord du 10 décembre dernier. Il s’agit d’une quantité infime face aux objectifs annoncés. Dans trois mois, les deux pays espèrent transférer 1 tonne d’or par mois, puis d’arriver à terme à un total de 15 tonnes par an, ce qui représentera plus d’un milliard de dollars qui passera par le circuit bancaire.
Selon une dépêche de la Cellule de communication de la Présidence, cette expédition est le fruit du partenariat entre les deux États, décidés à établir une coopération « gagnant-gagnant » dans divers domaines, dont le secteur minier. Ce nouveau système d’exploitation de l’or permet de renforcer le partenariat économique direct entre les deux parties et lutter contre l’influence des groupes armés qui sèment la violence et la désolation dans cette partie de la RDC depuis des décennies et éviter « l’or sale, l’or du sang », en le remplaçant par « l’or certifié et équitable ». Pour être exporté et accéder au marché international, ce premier lot a été constitué en suivant un circuit reliant les exploitants miniers artisanaux réunis en coopératives viables, aux négociants et aux acheteurs agréés ainsi que les centres spécialisés d’achat et d’exploitation installés à Bukavu (Sud-Kivu). Primera Gold veut voir tous les négociants être bancarisés et toutes les transactions se faire à travers les circuits bancaires, l’enjeu majeur étant celui d’assurer la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement.
L’accord signé a aussi l’avantage de garantir des bonnes conditions de travail et de vie aux creuseurs artisanaux vivant dans l’Est de la République démocratique du Congo, plus précisément ceux du Sud-Kivu (environs 30.000) réunis en coopérative. Ceux-ci pourront dès lors avoir directement accès au partenaire, sans intermédiaire, devenant ainsi partie prenante au processus.
Toujours selon la note de la Cellule de la Communication de la Présidence, «Primera Gold garantira un salaire décent et régulier aux creuseurs et va leur garantir une gamme d’assurance ainsi que l’accès aux soins de santé et à l’éducation pour leurs enfants. Cela, conformément aux exigences qu’imposent les règles du commerce équitable fondé sur le principe « gagnant-gagnant » (Win-win)».
Ce partenariat représente surtout un signal pour le Rwanda, pays voisin de la RDC. Lors de la cérémonie, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a souligné que le même accord avait été discuté avec les pays frontaliers, dont le Rwanda, mais sans succès. Le Rwanda est notamment accusé par Kinshasa de se procurer de l’or à travers le trafic illégal, notamment en soutenant la rébellion du M23 et en pillant les ressources minières de l’Est du pays. Le gouvernement rwandais a démenti ces accusations.
Il faut rappeler que, en 2022, dans la province du Sud-Kivu, où il y avait 9 comptoirs officiellement opérationnels et une dizaine opérant en clandestinité, à peine 34 kg d’or avaient été déclarés, ce qui représentait une quantité de 2,83 kg par mois, équivalent à 0,14 kg par mois pour chaque comptoir installé au Sud-Kivu. Toutefois, étant donné que la performance fixée par le ministère des mines était de 10 kg par mois pour chaque comptoir, la quantité d’or annuellement exporté depuis cette province aurait dû atteindre les 2.280 kg. L’on peut donc déduire que plus de 20 tonnes d’or issu de l’exploitation artisanale sont exportées frauduleusement à partir des frontières de la province du Sud-Kivu. Ce qui représente plus de 100 millions USD mensuellement brassés en dehors du circuit bancaire.[7]
Le 18 janvier, le gouvernement de la République démocratique du Congo a publié les noms des sociétés qu’il a sélectionnées, à l’issue d’un appel d’offres, pour exploiter trois blocs gaziers du lac Kivu, dans l’est du pays. Il s’agit de Symbion Power & Red (pour le bloc dit Makelele), Winds Exploration and Production LLC (pour le bloc de Idjwi) et Alfajiri Energy Corporation (pour le bloc de Lwandjofu). Les deux premières sociétés ont leur siège aux États-Unis, la 3e au Canada.
En donnant deux blocs gaziers à deux sociétés américaines, le gouvernement congolais compte renverser l’alliance traditionnelle Rwanda – USA au profit de la RDC.
Un appel d’offres pour ces trois blocs de gaz méthane et 27 blocs pétroliers avait été lancé fin juillet 2022. Le dépôt des candidatures pour les blocs pétroliers doit se poursuivre jusque fin janvier 2023.
Ces 30 blocs sont repartis dans trois principaux bassins sédimentaires de la RDC, à savoir: le Bassin côtier, le bassin de la cuvette centrale, et les bassins de la branche ouest du Rift Est-Africain.
Selon le ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu, la RDC deviendra ainsi productrice de gaz d’ici 2024 et l’apport du secteur des hydrocarbures au budget de l’Etat, actuellement estimé à 6%, pourrait atteindre 40% dès le début de l’exploitation effective de ces 30 blocs.[8]
Le 21 février, dans un tweet, le ministre congolais des Finances, Nicolas Kazadi, a annoncé que, en 45 jours avec Primera Gold DRC, la RDCongo a exporté 207 Kg d’or, une première, étant donné qu’en 2021, le pays n’avait exporté que 23 kg et 34 kg en 2022, pourtant en partenariat avec une société rwandaise de droit privé, connue sous le nom de Dither SA.[9]
[1] Cf AFP – Actualité.cd, 14.02.’23
[2] Cf Okapinews.net, 17.02.’23 https://okapinews.net/politique/rdc-la-cenco-propose-a-felix-tshisekedi-levaluation-des-accords-et-alliances-signes/
[3] Cf Carmel Ndeo – Politico.cd, 17.02.’23; AFP – Actualité.cd, 18.02.’23; Radio Okapi, 19.02.’23
[4] Cf Radio Okapi, 18.02.’23
[5] Cf https://www.facebook.com/NzingaGermain/posts/pfbid0JGmcMoAmiaPu1myh2r16mMq1MLG7acuXuGa5obMfLzBvBeoMeC7gPCdS84XXdnyBl
[6] Cf Radio Okapi, 13.12.’22
[7] Cf Radio Okapi, 14.01.’23; Information.tv5monde.com, 13.01.’23; Actualité.cd, 18.01.’23
[8] Cf Radio Okapi, 17.01.’23 ; AFP – Lalibre.be/Afrique, 19.01.’23
[9] Cf Carmel Ndeo – Politico.cd, 22.02.’23