L’ATTENTE DE LA DÉSIGNATION DES NOUVEAX MEMBRES DE LA COMMISSION ÉLECTORALE ET LA DÉCEPTION DES RÉSULTATS DE L’ÉTAT DE SIÈGE EN ITURI ET AU NORD KIVU
SOMMAIRE
1. L’ÉTAT DE SIÈGE EN ITURI ET AU NORD KIVU
a. Encore très loin d’une évaluation globale
b. La quatrième prorogation
2. LA COMMISSION ÉLECTORALE NATIONALE INDÉPENDANTE (CENI)
a. La promulgation de la loi sur l’organisation et le fonctionnement de la CENI
b. Le calendrier prévu pour la désignation des nouveaux membres de la CENI
c. Un éventuel recensement: un alibi parfait pour un glissement des prochaines élections
3. UNE PROPOSITION DE LOI SUR LA « CONGOLITÉ » (NATIONALITÉ CONGOLAISE)
a. La proposition de loi initiée par Noël Tshiani et présentée par le député Nsingi Pululu
b. Questions sur la nationalité congolaise d’origine
1. L’ÉTAT DE SIÈGE EN ITURI ET AU NORD KIVU
a. Encore très loin d’une évaluation globale
Le 6 juillet, lors d’une rencontre avec le Premier ministre Sama Lukonde, le caucus des députés nationaux de l’Ituri a affirmé que le bilan de l’état de siège dans cette province est plutôt mitigé, 60 jours après sa proclamation par le Chef de l’Etat. Pour le député national Gratien de Saint Nicolas Iracan, dans 4 territoires sur les 5 qui composent la province de l’Ituri le nombre de morts et des déplacés s’élève de plus en plus. Gratien Iracan déplore aussi la faiblesse même de communication entre les autorités militaire et la population. Pour cet élu de l‘Ituri, «il y a un risque d’une déception généralisée au sein de la population et un chaos qui pointe à l’horizon, si le gouvernement ne multiplie pas ses efforts pour la réussite de cet état de siège. La population a tendance maintenant à soutenir leurs forces négatives qui sont en train de les protéger contre les forces étrangères. Et donc, ça risque de créer une opposition aux forces loyalistes et ça c’est très grave». Le caucus des élus de l’Ituri plaide pour la mise sur pied d’un comité mixte Parlement-Gouvernement, pour aider la population à collaborer avec l’armée, afin de rétablir la sécurité dans cette partie du pays.[1]
Le 7 juillet, la ministre de la justice, Rose Mutombo, a annoncé que, après deux mois de suspension suite à l’entrée en vigueur de l’état de siège, les juridictions de la justice civile en Ituri et au Nord-Kivu peuvent reprendre leurs activités en matières non répressives (civiles, commerciales, travail, administratives). Elle a ajouté que, conformément à l’Ordonnance du 3 mai 2021 portant mesures d’application de l’état de siège et à l’article 156 de la Constitution, seulement les matières répressives (pénales) relèvent de la compétence des juridictions militaires. Le dysfonctionnement de la justice civile suite à l’institution de l’Etat de siège avait entrainé plusieurs conséquences, dont l’augmentation de la population carcérales et l’accroissement de la justice populaire.[2]
Le 9 juillet, le porte-parole des opérations Sokola 1 Grand Nord, le lieutenant Anthony Mwalushayi, a déclaré que, depuis le début de l’état de siège dans le territoire de Beni il y a deux mois, l’armée a tué au moins 45 combattants des Forces Démocratiques Alliées (ADF), arrêté 92 collaborateurs de ces miliciens, récupéré 15 armes de types différents, dont des AK-47, RPJ7 et des bombes artisanales, saisi 14 véhicules et une dizaine de motos des collaborateurs des ADF. En dépit de ce bilan, les tueries des civils ne faiblissent pas dans la région, notamment dans le secteur de Ruwenzori.[3]
b. La quatrième prorogation
Le 9 juillet, le Gouvernement a adopté le projet de Loi portant autorisation de la prorogation de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu pour une période de 15 jours à partir du 20 juillet. Ce projet de loi avait été présenté par la ministre de la justice, Rose Mutombo.[4]
Le 17 juillet, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, le projet de loi portant prorogation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Sur les 339 députés qui ont pris par au vote, 337 ont voté « pour » et 2 se sont abstenus. Ce projet de loi a été présenté par la ministre de la Justice et Garde des sceaux, Rose Marie Mutombo, qui a motivé cette quatrième prorogation par l’impératif de consolider les résultats positifs déjà perceptibles, avec un nombre important de miliciens tués, d’armes récupérées, de localités passées sous le contrôle des FARDC ainsi que des cas de redditions. Le texte sera transmis au Sénat pour une seconde lecture.[5]
Le député national Jackson Ausse a dénoncé les incohérences contenues dans le projet de loi portant prorogation de l’état de siège pour la 4ème fois en Ituri et au Nord Kivu. Dans son intervention lors du débat général, ce député de l’Ituri a dit attendre prochainement du gouvernement des précisions sur les noms et nombres des villages conquis par l’armée et des membres des groupes armés qui se sont rendus. Pour lui, les éléments présentés par le gouvernement pour solliciter la prorogation de l’état de siège ne cadre pas avec la réalité sur terrain ou des groupes armés sont encore très actifs.[6]
Lors du débat général sur le projet de loi portant prorogation de l’état de siège, le député national Jean-Baptiste Kasekwa a dit ne pas voir la nécessité de maintenir l’état de siège sur l’ensemble des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu. Il a d’abord appelé le gouvernement à la «sincérité» car, pour lui, les «avancées positives» sur le terrain des combats telles qu’évoquées par le gouvernement ne correspondent absolument pas à la situation sur le terrain qui se détériore davantage, malgré l’état de siège. À ce propos, Jean-Baptiste Kasekwa a dénoncé les tracasseries dans les perceptions des taxes, l’absence d’opérations militaires et l’élargissement du rayon d’action des égorgeurs. Il a aussi dénoncé le manque de collaboration entre les gouverneurs militaires et les députés nationaux et provinciaux qui, sur le terrain, détiennent aussi certaines informations pouvant faciliter la mise en œuvre de l’état de siège. Pour lui, il y a urgence qu’une commission d’évaluation soit mise en place. Il propose que cette commission ait comme mission d’examiner l’état de siège, avec la possibilité de le circonscrire seulement aux zones à problèmes, notamment les territoires de Beni et d’Irumu, et non à l’ensemble des deux provinces.[7]
En estimant que les résultats de l’état de siège ne sont pas encore visibles, le député Ayobangira Safari, élu de Masisi (Nord-Kivu), a affirmé que les députés nationaux risquent de ne plus autoriser prochainement une énième prorogation de l’état de siège, si une évaluation conséquente des résultats n’est pas faite: «Nous allons pratiquement au 3eme mois, avec une 4eme prorogation que nous venons d’accorder. Mais, nous ne voyons vraiment pas des résultats. Nous avons fait remarquer au gouvernement que nous ne pouvons plus procéder à d’autres prorogations, tant qu’une évaluation préalable n’est faite et que de signaux positifs nous indiquent que nous sommes sur la bonne voie».[8]
Le 19 juillet, le Sénat a adopté en seconde lecture le projet de loi portant prorogation de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu. Au cours de cette plénière, qui s’est tenue par visioconférence pour des raisons de la pandémie de la Covid-19, les sénateurs ont autorisé à l’unanimité (78/78) pour la 4ème fois consécutive l’état de siège pour 15 jours à dater de ce mardi 20 juillet 2021 à minuit. À rappeler que le Sénat est composé de 109 membres. Le texte sera transmis au Président de la République pour promulgation.[9]
Le 20 juillet, le Président de la République, Félix Tshisekedi, a promulgué la loi qui prolonge de 15 jours l’état de siège en vigueur depuis le 6 mai dernier en Ituri et au Nord-Kivu.[10]
Le 23 juillet, dans un document publié à Kinshasa, les députés provinciaux du Nord-Kivu ont saisi le président Tshisekedi pour lui dire leurs constats, leurs craintes ainsi que leurs considérations, par rapport à la gestion de l’état de siège dans leur province. Ils relèvent principalement les failles enregistrées jusque-là et ils épinglent aussi les limites de cette mesure, dont les résultats se font toujours attendre: «Depuis la proclamation de l’état de siège, nos yeux ont vu moins qu’ils croyaient voir par rapport aux attentes suscitées. L’état de siège a été proclamé sans qu’on ait préalablement voté une loi sur les modalités de son application. La proclamation de l’état de siège a été plus médiatique qu’opérationnelle. L’état de siège est prorogé, pas sur base de l’évolution des opérations mais selon le bon vouloir de ceux qui décident. Les opérations militaires annoncées dans le cadre de l’état de siège ne sont jamais lancées contre les groupes armés».
Toujours au sujet de la prorogation de l’état de siège, les députés rappellent que, «lorsqu’une mesure dite exceptionnelle dure longtemps, elle cesse d’être exceptionnelle, elle se normalise, on s’y habitue, elle dévie ses objectifs et suscité d’autres ambitions que d’aucuns peuvent imaginer».
Enfin, les signataires du document préconisent que l’état de siège soit circonscrit seulement dans la région de Beni où l’autorité de l’Etat est sérieusement menacée; de doter l’armée d’une logistique conséquente et des moyens importants à la hauteur des actions à mener; de rendre opérationnel le programme de désarmement; d’identifier et punir sévèrement les officiers militaires impliqués dans la mafia et la magouille.[11]
2. LA COMMISSION ÉLECTORALE NATIONALE INDÉPENDANTE (CENI)
a. La promulgation de la loi sur l’organisation et le fonctionnement de la CENI
Le 29 juin, au cours d’une réunion de la conférence des présidents tenue sous la direction de Christophe Mboso N’kodia, président de la chambre basse du parlement, il a été décidé qu’un calendrier relatif à la désignation des animateurs de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) sera connu après la promulgation de la loi portant organisation et fonctionnement de la CENI par le chef de l’État Félix Tshisekedi.[12]
Le 3 juillet, le Président de la République Félix Tshisekedi a promulgué la loi portant organisation et fonctionnement de la commission électorale nationale indépendante (CENI). Cette nouvelle loi avait été adoptée le 4 juin à l’Assemblée nationale et le 11 juin dernier au Sénat, en seconde lecture avant que la Cour Constitutionnelle la déclare conforme à la constitution le 1er juillet. En vertu de la nouvelle loi, le nombre de membres de la Céni est passé de treize à quinze, dont cinq désignés par la société civile, six par la majorité et quatre par l’opposition.[13]
Le 8 juillet, dans une déclaration, le mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA) a affirmé que, «contrairement aux engagements pris en faveur d’un processus électoral inclusif, transparent, indépendant et consensuel, nous avons assisté à l’adoption et à la promulgation d’une loi sur la CENI qui consacre la politisation de cette institution d’appui à la démocratie d’une part et qui tue son principe fondateur de l’indépendance d’autre part. Cette loi qui n’a pas tenu des comptes des contributions de la société civile et des engagements du Chef de l’Etat plante le décor d’une institution politisée et dominée par la majorité, germe des conflits à venir». Pour ce mouvement citoyen, «l’heure est grave et s’il n’y a pas des réactions, les mêmes causes produisant les mêmes effets, notre beau pays risque de rebasculer dans des crises politico-sociales majeures comme par le passé».[14]
De sa part, le député national André Mbata a affirmé que la commission électorale nationale indépendante (CENI) est une institution qui a des origines politiques. Il a précisé que dans aucun pays du monde les élections sont organisées par la société civile, ce qui veut dire que le processus électoral est quelque part toujours politisé. Il a estimé que, comme dans toutes les autres démocraties au monde, la majorité a toujours une supériorité lors des différents partages des responsabilités. Selon lui, l’indépendance de la CENI n’est pas dans le nombre, mais dans la qualité des gens. Il a tenu à rassurer que la société civile elle occupe une place importante dans la composition de la nouvelle CENI, car son président. issu de la société civile, est celui qui signe tout et qui en est le représentant légal.[15]
b. Le calendrier prévu pour la désignation des nouveaux membres de la CENI
Le 13 juillet, le bureau de l’Assemblée nationale a communiqué le calendrier de désignation des membres de la commission électorale nationale indépendante (CENI).
Voici les activités qui vont se dérouler:
– Désignation de 5 membres par la société civile: 2 membres des confessions religieuses, dont le président de la Commission et un membre de la plénière, 2 membres par les organisations spécialisées en matière électorale membres de la plénière et un membre par les organisations féminines de défense des droits des femmes membre de la plénière;
– Désignation de 4 membres par l’opposition dont le 2e Vice-président et le questeur,
– Désignation de 6 membres par la majorité dont le premier vice-président, le rapporteur, le rapporteur adjoint, et le questeur adjoint.
Voici le calendrier des différentes activités:
– Mercredi 28 juillet 2021: Dépôt des PV de désignation et des dossiers complets des candidats par composante auprès du bureau de l’assemblée nationale;
– Jeudi 29 juillet 2021: Mise en place de la commission paritaire majorité – Opposition chargée de l’examen des dossiers individuels des candidats désignés au regard des critères et conditions prescrits par les articles 10, 12 et 24 bis de la loi organique sur la commission électorale nationale indépendante.
– Du vendredi 30 juillet 2021 au mardi 03 août 2021: Examen des dossiers par la commission paritaire;
– Mercredi 04 août 2021: Dépôt du rapport de la commission paritaire au bureau de l’assemblée nationale;
– Vendredi 06 août 2021: Examen et adoption en plénière des conclusions de la commission paritaire et adoption de la résolution portant entérinement des 15 membres de la commission électorale nationale indépendante;
– Du lundi 09 août 2021 au vendredi 13 août 2021: Substitution éventuelle par les composantes des membres non entérinés par l’assemblée plénière avec les dossiers complets, dans ce cas les dossiers transmis suivant la même procédure;
– Mardi 17 août 2021: transmission de la résolution d’enterinement au Président de la République pour investiture des membres de la commission électorale nationale indépendante.[16]
c. Un éventuel recensement: un alibi parfait pour un glissement des prochaines élections
Le 5 juillet, le Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde a convoqué différents ministres pour relancer l’organisation du recensement. Une commission interministérielle a été mise en place pour élaborer une feuille de route à soumettre au chef du gouvernement dans dix jours. Le dernier recensement date de 1984.
L’opposition voit dans l’organisation de cette couteuse opération une manœuvre pour retarder la tenue des scrutins. L’ancien Premier ministre Adolphe Muzito, actuellement coordonnateur de la plateforme d’opposition Lamuka, est sceptique: «Ils veulent utiliser le recensement comme alibi pour faire le glissement. Nous sommes pour le recensement, mais la question est de savoir en combien de temps et avec quels moyens budgétaires. Il est impossible aujourd’hui en termes de temps et de moyens d’organiser le recensement en respectant les délais constitutionnels. La tentative pour le Premier ministre de vouloir préalablement organiser le recensement avant les élections, ça signifie une manœuvre pour renvoyer les élections à plus tard».[17]
Le député Jean-Jacques Mamba, membre du G13, a affirmé que le retard pris dans l’organisation du recensement général risque de provoquer un glissement du calendrier électoral. Il a rappelé que «c’était au cours d’une réunion avec la direction de l’Office national d’identification de la population (Onip), en juillet 2020, que le G13 avait obtenu de cet office les garanties techniques dans l’organisation du recensement. Conditionné par un budget de 300 millions de dollars, un chronogramme indiquait qu’il était possible d’organiser un recensement qui aurait commencé précisément au troisième trimestre de l’année 2020 et qui aurait pris fin au plus tard en octobre 2022». Selon Jacques Mamba, «à ce jour, aucune activité importante de ce calendrier n’a été lancée, faute de moyens. Si on considère qu’on a un retard d’une année sur le dit chronogramme, il est certain que faire du recensement une condition à l’organisation du scrutin pose la question du respect des délais constitutionnels».[18]
3. UNE PROPOSITION DE LOI SUR LA « CONGOLITÉ » (NATIONALITÉ CONGOLAISE)
a. La proposition de loi initiée par Noël Tshiani et présentée par le député Nsingi Pululu
Le 8 juillet, le député national Nsingi Pululu a déposé au bureau du président de l’assemblée nationale, Christophe Mboso N’Kodia, la proposition de loi sur la congolité initiée par Noël Tshiani, ancien candidat à la présidentielle de décembre 2018.
Selon Nsingi Pululu, «cette loi est la réponse pour ceux qui se posaient la question sur la double nationalité, car elle consacre l’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine. On peut avoir dix nationalités, mais on ne perde pas la nationalité congolaise. La nationalité congolaise est irrévocable: tu es né congolais, tu grandis congolais, tu mourras congolais, on va t’enterrer congolais. Nous donnons la possibilité à tous Congolais de partout de jouir de tous les droits des Congolais».
L’initiateur de cette proposition de loi, Noël Tshiani, a apporté quelques précisions sur sa démarche: «La proposition de loi que nous avons faite aujourd’hui consiste à verrouiller l’accès aux fonctions de souveraineté nationale: la présidence de la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale, les ministères régaliens, c’est-à-dire le primature, la Défense, la sécurité, les affaires étrangères, l’intérieur, les finances, le haut commandement militaire et de la police, les hauts magistrats, l’administrateur général de la DGM, de l’ANR, etc. Donc toutes ces fonctions de souveraineté doivent être réservées aux congolais nés de père et de mère congolais, pour éviter l’infiltration au sommet de l’Etat». Par conséquent, la proposition de loi en question exclue de toutes ces fonctions dites régaliennes tous les Congolais qui ont un parent étranger et tous ceux qui légalement ont acquis la nationalité congolaise. Selon Nsingi Pululu, 260 députés nationaux ont déjà apporté leur soutien à cette proposition de loi.[19]
Le 8 juillet, le secrétaire permanent adjoint du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), Ferdinand Kambere, a déclaré que cette loi vise précisément à écarter certains prétendants candidats à l’élection présidentielle de 2023.[20]
Le 9 juillet, dans un communiqué de presse, la Direction politique de Ensemble pour la République, le parti politique de Moïse Katumbi, né de père grec et de mère congolaise et candidat potentiel aux prochaines élections présidentielles de 2023, a affirmé que «cette proposition de loi, rétrograde et inenvisageable partout ailleurs dans le monde démocratique au 21è siècle, est totalement irresponsable. Elle met à mal l’unité et la cohésion nationales, en créant différentes catégories de citoyens au sein d’une même Nation. Demain en RDC, pourraient donc coexister des Congolais de première et de seconde catégorie. Ce serait le cas en particulier pour des enfants issus de couple dont l’un des parents est de nationalité étrangère et/ou né au sein de la diaspora et détenteurs d’une double nationalité».
Par conséquent, cette formation politique s’oppose à cette proposition de loi et prévient que toute éventuelle inscription de ce texte au calendrier des travaux de l’Assemblée nationale consacrera la rupture au sein de l’Union sacrée: «Ensemble pour la République s’oppose catégoriquement à cette proposition de loi qui voudrait légaliser une forme de ségrégationnisme identique à celle pratiquée sous les régimes Nazi et de l’apartheid au 20è siècle. Toute éventuelle inscription au calendrier des travaux de l’Assemblée nationale de ce texte consacrera la rupture définitive et irréversible au sein de l’Union sacrée entre les tenants de l’instrumentalisation de la nationalité et du repli identitaire aux fins de conservation du pouvoir et les véritables républicains qui aspirent à donner au peuple congolais la possibilité de désigner librement ses dirigeants parmi leurs compatriotes à la faveur d’élections crédibles, apaisées et inclusives. Il appartient aux congolais et à eux seuls, non à une poignée de politiciens jouant aux apprentis sorciers, de choisir librement celles et ceux qui auront la charge de conduire la Nation».[21]
Le 10 juillet, l’archevêque de Kinshasa, le Cardinal Fridolin Ambongo Besungu, a condamné la proposition de loi relative à la nationalité congolaise conçue par Noël Tshiani et déposée à l’Assemblée nationale par le député Pitshou Nsingi Pululu: «C’est pour moi l’occasion, au nom de l’Episcopat et du peuple congolais, de stigmatiser le dangereux projet de loi sur la «congolité» qui ne promeut point la cohésion nationale tant souhaitée. Ce projet de loi, au lieu d’unir le peuple de Dieu dans une seule famille, elle apparait comme un instrument de l’exclusion et de la division».[22]
Le 10 juillet, dans un communiqué, le Front Commun pour le Congo (FCC) a affirmé son opposition à la proposition de loi sur la nationalité congolaise: «le FCC s’oppose à cette proposition de loi qui est à la fois anticonstitutionnelle, inopportune, discriminatoire et conflictogène. En effet, la constitution de notre pays détermine clairement et sans ambiguïté les conditions d’éligibilité et d’accessibilité aux différentes fonctions au sein des institutions de la République. Par ailleurs, la même constitution protège tous les congolais de façon égalitaire dans la jouissance de leurs droits … Le FCC s’oppose à cette proposition de loi parce qu’elle met à mal l’unité du pays, la paix et la cohésion nationale chèrement acquise et risque d’hypothéquer les acquis démocratiques ainsi que les processus électoral».[23]
Le 13 juillet, abordant le sujet lié à la proposition de loi sur la nationalité déposée à l’Assemblée nationale par Nsingi Pululu, Christophe Mboso a fait savoir que l’Assemblée nationale se posera la question sur l’utilité et l’opportunité de cette loi le moment venu: «ce sera dans le cadre du débat démocratique et républicain qui caractérise notre Chambre, que les élus s’interrogeront sur l’opportunité et le bien fondé d’une telle initiative. C’est dire que l’Assemblée nationale, en tant que Chambre législative et de représentation nationale, dans le respect de la procédure législative, se posera la question le moment venu sur l’utilité, l’opportunité et le bien fondé de cette initiative».
D’après Christophe Mboso, comme toutes les autres lois, il y a des étapes à franchir avant son inscription au calendrier d’une session parlementaire: «nul n’est censé ignorer qu’une proposition de loi est astreinte à parcourir, pour son adoption, plusieurs étapes. En vertu de notre règlement intérieur, lorsqu’elle est déposée, elle est transmise au Bureau d’études pour ses observations.
Ce dernier peut la rejeter parce qu’elle est en contradiction avec les principes fondamentaux de la Constitution, ou la renvoyer à son auteur pour prendre en compte les observations formulées. Elle sera ensuite renvoyée au Gouvernement pour ses avis, favorables ou défavorables, avant d’être inscrite à l’agenda des travaux de l’Assemblée nationale».
Il a également précisé que son inscription à l’ordre du jour d’une quelconque séance plénière fait l’objet de délibération à la Conférence des Présidents constituée du président du bureau, des présidents des groupes parlementaires et de ceux des Commissions permanentes.[24]
Le 14 juillet, au cours d’une conférence de presse à Kinshasa, le député Jean-Claude Kibala a déclaré que cette loi viole les articles 13 et 220 de la constitution. L’article 13 de la constitution stipule ce qui suit: «Aucun Congolais ne peut, en matière d’éducation et d’accès aux fonctions publiques ni en aucune autre matière, faire l’objet d’une mesure discriminatoire, qu’elle résulte de la loi ou d’un acte de l’exécutif, en raison de sa religion, de son origine familiale, de sa condition sociale, de sa résidence, de ses opinions ou de ses convictions politiques, de son appartenance à une race, à une ethnie, à une tribu, à une minorité culturelle ou linguistique». L’article 220 indique que «Est formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne».[25]
Les députés nationaux membres d’Ensemble pour la République ont demandé au bureau de l’Assemblée nationale de s’abstenir d’inscrire cette proposition de loi dans le calendrier des travaux parlementaires, car «elle viole intentionnellement la constitution, notamment les articles 10 et 72».
L’article 10 stipule que «La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre. La nationalité congolaise est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle. Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance». Selon l’article 72, «Nul ne peut être candidat à l’élection du Président de la République s’il ne remplit les conditions ci-après: 1. posséder la nationalité congolaise d’origine; 2. être âgé de 30 ans au moins; 3. jouir de la plénitude de ses droits civils et politiques; 4. ne pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévus par la loi électorale».[26]
b. Questions sur la nationalité congolaise d’origine
a. Introduction.
À propos de la nationalité, l’article 10 la Constitution stiple que «la nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre. La nationalité congolaise est soit d’origine, soit d’acquisition individuelle. Est Congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo
(présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance. Une loi organique détermine les conditions de reconnaissance, d’acquisition, de perte et de recouvrement de la nationalité congolaise».
b. Exposé général sur la nationalité congolaise d’origine.
La nationalité congolaise d’origine est également appelée nationalité congolaise d’attribution. Conformément à la loi, la nationalité congolaise d’origine est attribuée à un individu selon l’un des modes d’attribution prévus par le législateur. De ce fait, il existe des congolais d’origine par appartenance, par filiation et par présomption de la loi.
1°. La nationalité Congolaise d’origine par appartenance.
Aux termes de l’article 6 de la loi N°04/024 du 12 novembre 2004: «est congolais d’origine, toute personne appartenant aux groupes ethniques et nationalités dont les personnes et le territoire constituent ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance».
Cette disposition attribue la nationalité congolaise d’origine, sans exception aucune, aux membres des communautés de ce qu’était devenu le Congo en 1960. Il s’agit d’une nationalité attribuée de manière collective et indifférenciée aux membres de ces communautés sur la base du double critère de sang et du sol, à savoir : avoir été descendant de (….) et être membre de la communauté faisant partie des autres communautés vivant sur le sol du Congo en cette période déterminée.
2°. La Nationalité Congolaise d’origine par filiation.
L’article 7 de la loi la loi N°04/024 du 12 novembre 2004 prévoit qu’ «Est congolais dès la naissance, l’enfant dont l’un des parents – le père ou la mère- est congolais.
La Filiation de l’enfant n’a d’effet sur la nationalité de celui-ci si elle est établie durant sa minorité conformément à la législation congolaise ».
On note que la nationalité congolaise est attribuée à un enfant dont les parents ou l’un d’entre eux a la nationalité congolaise. Il n’est pas obligatoire que les parents de celui-ci ou l’un d’entre eux ait (aient) la nationalité congolaise d’origine. La loi limite l’attribution de la nationalité congolaise à tout enfant né des parents congolais sans faire une distinction sur le type de nationalité que détiendraient les parents ou l’un des parents de l’enfant; autrement dit, sans distinguer si le parent de l’enfant a la nationalité congolaise d’origine ou d’acquisition. Cet aspect s’explique par le fait que celui qui a la nationalité congolaise, même d’acquisition, n’a qu’une seule nationalité, c’est-à-dire la nationalité congolaise, laquelle ne peut être détenue concurremment avec une autre nationalité. Par conséquent, un enfant né d’un parent ayant acquis la nationalité congolaise sera d’office un congolais d’origine.
D’ailleurs, l’article 25 de la loi relative à la nationalité constitue le début de cette réflexion, lorsqu’il prévoit que l’enfant âgé de moins de 18 ans, dont l’un des parents acquiert la nationalité congolaise, devient congolais de plein droit[5]. Cette disposition confère la nationalité congolaise à l’enfant, sans préciser s’il aura la nationalité congolaise d’origine ou d’acquisition. En vertu de cette disposition, les enfants issus d’un couple, dont un membre a acquis la nationalité congolaise, sont réputés titulaires de la nationalité congolaise d’origine.
En fin, pour qu’un individu ait la nationalité congolaise d’attribution ou d’origine, sa filiation doit être établie pendant qu’il est mineur. Cette exigence est due au fait qu’à sa majorité d’âge, généralement l’individu peut déjà détenir une autre nationalité que celle congolaise et parfois il peut être un apatride, c’est-à-dire, un individu sans nationalité. Dans ce cas, lorsqu’il a déjà une autre nationalité ou il est un apatride malgré que ses parents soient congolais, il devra suivre la procédure de recouvrement de la nationalité congolaise, évidement s’il veut devenir congolais. La conséquence est telle qu’il aura la nationalité congolaise d’acquisition et non la nationalité congolaise d’attribution.
3°. Congolais d’origine par présomption de la loi.
De manière simple, l’article 8 de la loi relative à la nationalité congolaise précitée renseigne que, «Est congolais par présomption de la loi, l’enfant nouveau-né trouvé en République Démocratique du Congo dont les parents sont inconnus. Toutefois, il sera réputé n’avoir jamais été congolais si, au cours de sa minorité, sa filiation est établie à l’égard d’un étranger et s’il a, conformément à la loi nationale de son parent, la nationalité de celui-ci».
Et l’article 9 de poursuivre : « Est congolais par présomption de la loi: l’Enfant né en République Démocratique du Congo des parents ayant le statut d’apatride;
l’enfant né en République Démocratique du Congo des parents étrangers dont la nationalité ne se transmet pas à l’enfant du fait de la législation de l’Etat d’origine qui ne reconnaît que le jus soli ou ne reconnaît pas d’effet sur la nationalité à la filiation naturelle.
L’article 8 attribue la nationalité congolaise aux enfants mineurs nouveau-nés trouvés en RDC lorsque ceux-ci n’ont pas des parents connus.
Par ailleurs, les deux points de l’article 9 attribuent, dans un cas, la nationalité congolaise aux enfants des apatrides et, dans un autre cas, aux enfants nés en RDC des parents ressortissant d’un Etat qui exige que l’enfant soit né sur le sol de l’Etat en question pour obtenir la nationalité de ses parents ou de l’un d’entre eux.
c. Constitutionalité des lois particulières limitant l’accès à des hautes fonctions publiques aux détenteurs de la nationalité Congolaise d’origine.
Seuls les congolais d’origine, sans aucune catégorisation particulière, ont droit d’accès aux postes de responsabilité de haut rang en République Démocratique du Congo. Cette précision part de l’article 72 point 1 de la Constitution qui prévoit: «Nul ne peut être candidat à l’élection du président de la République s’il ne remplit pas les conditions ci-après: 1. Posséder la nationalité congolaise d’origine, …».
Aucun texte juridique qui organise la nationalité congolaise ne restreint l’accès à des hautes fonctions publiques aux détenteurs de la nationalité congolaise d’origine.
Parallèlement, aucun texte juridique ne catégorise les bénéficiaires de la nationalité congolaise d’origine. Un individu a la nationalité congolaise d’origine dès qu’il remplit les conditions prévues par la loi organique N°04/024 du 12 novembre 2021. Lorsqu’il remplit ces conditions, il a le titre qui lui permet d’accéder à toutes les hautes fonctions de la République et plus particulièrement, la fonction de président de la République.
Par contre, la loi relative à la nationalité congolaise donne, à son article 25 alinéa 2, la possibilité à une loi particulière d’exclure de certaines fonctions publiques les bénéficiaires de la nationalité congolaises d’acquisition et l’exclusion prévue par cette loi respecte la constitution.
Toutefois, les articles 102 et 106 de la constitution laissent la possibilité, même à ceux qui ont acquis la nationalité congolaise (Nationalité Congolaise d’origine ou nationalité congolaise d’acquisition) d’être élu comme député national ou sénateur.
Par sa formule faite aux articles 102 et 106: «nul ne peut être candidat aux élections législatives s’il ne remplit pas les conditions ci-après: 1. être congolais, …», le constituant donne la possibilité à tout congolais, c’est-à-dire à toute personne disposant de la nationalité congolaise d’origine ou de la nationalité congolaise acquise d’être élue comme député national ou sénateur.
De ce qui précède, on a une seule conclusion selon laquelle, l’accès aux hautes fonctions de la république n’est admis qu’aux personnes reconnues comme titulaire de la nationalité congolaise d’origine, sans une particulière distinction subjective parmi ces personnes (congolais d’origine). Et ce pouvoir est tiré de l’article 72 point 1 de la Constitution.
Toute loi particulière, catégorisant les détenteurs de la nationalité congolaise d’origine et excluant certaine catégorie d’entre eux ne sera pas conforme à la Constitution. Elle violerait l’esprit de l’article 72 point 1 de la constitution de la République Démocratique du Congo qui n’a fait aucune distinction ou catégorisation.
La Constitution est un texte détenant une valeur juridique supérieure aux autres textes, et particulièrement aux lois… Une loi, a fortiori un règlement spécial, qui serait contraire aux dispositions constitutionnelles sera déclarée inconstitutionnelle et par conséquent privée de tout effet. Ceci équivaudrait à dire qu’une loi particulière touchant la question de la nationalité congolaise qui entrerait en contradiction avec la constitution de la République sera anticonstitutionnelle.[27]
[1] Cf Radio Okapi, 07.07.’21
[2] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 08.07.’21
[3] Cf Yassin Kombi – Actualité.cd, 10.07.’21; Radio Okapi, 10.07.’21
[4] Cf Merveil Molo – 7sur7.cd, 10.07’21
[5] Cf Radio Okapi, 17.07.’21; Roberto Tshahe – 7sur7.cd, 16.07.’21
[6] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 19.07.’21
[7] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 19.07.’21
[8] Cf Radio Okapi, 20.07.’21
[9] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 19.07.’21
[10] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 20.07.’21
[11] Cf Isaac Kisatiro – 7sur7.cd, 23.07.’21
[12] Cf Roberto Tshahe – 7sur7.cd, 30.06.’21
[13] Cf Radio Okapi, 07.07.’21
[14] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 09.07.’21
[15] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 27.06.’21
[16] Cf Berith Yakitenge – Actualité.cd, 13.07.’21
[17] Cf Pascal Mulegwa – RFI, 06.07.’21
[18] Cf Sonia Rolley – RFI, 14.07.’21
[19] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 08.07.’21; Berith Yakitenge – Actualité.cd, 08.07.’21; Moise Dianyishayi – Actualité.cd, 08.07.’21
[20] Cf Roberto Tshahe – Actualité.cd, 08.07.’21
[21] Cf Prince Mayiro – 7sur7.cd, 09.07’21; Radio Okapi, 09.07.’21
[22] Cf Radio Okapi, 10.07.’21
[23] Cf Ivan Kasongo – Actualité.cd, 11.07.’21
[24] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 13.07.’21
[25] Cf Radio Okapi, 14.07.’21
[26] Cf Clément Muamba – Actualité.cd, 14.07.’21
[27] Cf Maître Jacques B. Hangi (Avocat au Barreau du Nord-Kivu) – https://actualite.cd/index.php/2021/07/12/rdc-questions-sur-la-nationalite-congolaise-dorigine-par-maitre-jacques-b-hangi