10 ANS APRÈS LE RAPPORT MAPPING DE L’ONU SUR LES CRIMES COMMIS EN RDCONGO DE 1993 À 2003
SOMMAIRE
1. LE CHEMIN VERS LA PAIX: VÉRITÉ, JUSTICE ET RÉPARATIONS
2. DEUX URGENCES: UN TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LA RDCONGO ET DES CHAMBRES SPÉCIALISÉES MIXTES AU SEIN DU SYSTÈME JUDICIAIRE CONGOLAIS
1. LE CHEMIN VERS LA PAIX: VÉRITÉ, JUSTICE ET RÉPARATIONS
Le 1er octobre 2010, le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme publiait son rapport Mapping sur les crimes les plus graves commis en République démocratique du Congo (RDC) entre 1993 et 2003. Cette enquête sans précédent devait mettre un terme à plus d’une décennie d’impunité. Mais depuis, aucun de ces crimes n’a été jugé et ses recommandations restent lettre morte.
La découverte par la Mission de l’Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo de trois fosses communes dans le Nord-Kivu à la fin de 2005 avait contribué à prendre conscience du fait que les graves violations des droits de l’homme commises dans le passé demeuraient largement impunies et fort peu enquêtées. Suite à cette découverte et pendant presque une année, plus d’une vingtaine d’enquêteurs indépendants ont recensé, par ordre chronologique et par province, 617 « incidents » définis comme des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et de possibles crimes de génocide commis entre 1993 et 2003. Cette période couvre les deux guerres du Congo qui avaient impliqué jusqu’à neuf armées étrangères et dont est issu aujourd’hui encore l’essentiel de la classe politique congolaise.
Le rapport mapping est une compilation d’informations déjà existantes mais qui étaient jusque-là éparpillées. Plus de 1.500 documents relatifs à ces crimes sont consultés, ce qui prouve qu’ils étaient loin d’être méconnus. Parmi ces documents, il y avait le rapport de l’équipe d’enquête de Robert Gersony sur les massacres de hutus rwandais qui avait fini dans un tiroir. En moins d’un an, les enquêteurs onusiens parviennent également à interroger plus de 1.280 témoins de ces violences. «On ne prétendait pas faire une enquête judiciaire, mais on voulait mettre à la disposition de la justice congolaise et internationale tous les outils nécessaires pour poursuivre les auteurs de ces crimes … On avait même ajouté en annexe du rapport de précédents jugements et les textes de lois qui pouvaient être appliqués», se souvient un membre de l’équipe.
Un draft du rapport est d’abord divulgué à la presse en août 2010. Parmi les pays mis en cause, le Rwanda est sans doute le plus virulent dans sa réaction. Il menace de retirer ses 3.500 Casques bleus du Soudan, «si l’ONU publie son rapport outrancier et préjudiciable».
Si Kigali est vent debout contre la publication de ce rapport, c’est parce que ses auteurs posent ouvertement la question de « l’existence concomitante » aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité recensés en RDC « de certains actes qui pourraient être qualifiés de génocide ». «Les attaques apparemment systématiques et généralisées décrites dans le présent rapport», précisent-ils, «ont ciblé de très nombreux réfugiés hutus rwandais ainsi que des membres de la population civile hutue (congolaise) et causé leur mort». Entre 1996 et 1997, ces enquêteurs relèvent, parmi la centaine de massacres dénombrés, «plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide».
Après le génocide des Tutsis de 1994, deux millions de Hutus trouvent refuge au Congo, parmi lesquels figuraient des membres des anciennes Forces Armées Rwandaises et des milices Interahamwe, accusés d’y avoir participé. «C’était une véritable erreur de la part du HCR d’avoir laissé militariser des camps si proches de la frontière», explique l’un des membres de l’équipe du projet Mapping, en ajoutant toutefois: «Kigali a longtemps évoqué l’argument sécuritaire et assuré viser des éléments armés, mais au bout d’un moment, ça ne tenait plus debout. À Tingi Tingi, par exemple, tous les hommes avaient fui, laissant les blessés, les vieillards, les femmes et les enfants derrière, ils ont tous été massacrés». L’enquêteur se souvient avoir tenté de retracer «sur de vieilles cartes», des milliers de kilomètres depuis les Kivu jusqu’à Kisangani ou à Mbandaka. «Tout au long de la route, il y avait des massacres, petits ou grands. C’était une chasse à l’homme. Tous les Hutus qui n’étaient pas rentrés au Rwanda en 1996 étaient considérés comme des ennemis à abattre».
Après sa publication le 1er octobre 2010, le gouvernement rwandais a continué de contester les conclusions du rapport mapping et d’accuser victimes comme témoins d’être génocidaires ou négationnistes. Kigali dénonce à la fois un processus manipulé par certains acteurs dans le but de réécrire l’histoire et l’omission du contexte sécuritaire, celui de la militarisation des camps de réfugiés hutus installés sur le territoire congolais, mais tout proches de la frontière avec le Rwanda.
Pour le chef de l’Etat rwandais, le projet mapping n’était qu’une stratégie visant à cacher l’inaction et la responsabilité d’acteurs non africains dans le génocide des tutsis du Rwanda de 1994.
Depuis 2018, le docteur Denis Mukwege, gynécologue congolais qui « répare » des femmes violées depuis plus de quinze ans dans sa province natale du sud Kivu, met à profit sa notoriété de prix Nobel de la paix pour demander justice pour les crimes du rapport Mapping. Il a relancé l’idée de la mise en place d’un tribunal pénal international pour le Congo. Début septembre, il a obtenu du Parlement européen une motion de soutien pour sa proposition de tribunal pénal international pour le Congo. Pour Denis Mukwege, même si depuis dix ans les recommandations du rapport mapping n’ont jamais été appliquées, même s’il n’y a eu ni justice, ni réconciliation, il existe «un momentum» pour le rapport Mapping. La RDC a à sa tête un chef de l’État qui «a les mains propres par rapport à toutes ces graves violations des droits de l’homme» et qui «a demandé au gouvernement de travailler à la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle». Les deux décrets à l’étude sur la table de son gouvernement de coalition ne prévoient plus de volet judiciaire quand un an plus tôt, Felix Tshisekedi évoquait encore l’idée de créer d’un «tribunal spécial». En 2014, le gouvernement avait déposé un projet de loi plus ambitieux instituant des chambres spécialisées mixtes, composées de magistrats congolais et internationaux, et recommandés par le rapport Mapping. Le texte avait été rejeté au niveau du parlement.[1]
Il y a 10 ans, les Nations unies rendaient public le rapport du projet Mapping qui poursuivait trois objectifs tels que définis le 8 mai 2007 par le Secrétaire lors de son entérinement:
– dresser l’inventaire des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003 ;
– évaluer les moyens dont dispose le système national de justice pour donner suite aux violations des droits de l’homme qui seraient ainsi découvertes;
– élaborer, compte tenu des efforts déployés par les autorités de la RDC ainsi que du soutien de la communauté internationale, une série de formules envisageables pour aider le Gouvernement de la RDC à identifier les mécanismes appropriés de justice transitionnelle permettant de traiter les suites de ces violations en matière de vérité, de justice, de réparations et de réforme.
C’est dans ce contexte que l’équipe des officiers des droits de l’homme a parcouru l’ensemble du territoire de la RDC d’octobre 2008 à mai 2009, afin d’y recueillir des documents et témoignages permettant de répondre aux trois objectifs définis par le mandat. Finalement, en octobre 2010, le Rapport Mapping a été publié par les Nations Unies. En 2020, une décennie plus tard, aucune suite n’a été donnée à ce document qui avait suscité beaucoup d’espoirs et d’attentes pour les victimes congolaises. Les organisations de la société civile, ONGDH et des millions de Congolais l’avaient accueilli avec ferveur et salué sa publication. En quoi ce rapport est-il si important pour les Congolais?
* Un document qui marque un tournant historique.
Le Rapport Mapping apparaît comme un document particulièrement important pour quatre raisons.
– Primo, le Mapping est une initiative unique en son genre dans l’histoire postcoloniale du pays: le premier outil à couvrir à la fois une période assez longue (10 ans) et l’ensemble du territoire national à travers un travail minutieux de collecte des données auprès des témoins et observateurs suivant une méthodologie rigoureuse.
– Secundo, ce document revêt un caractère exceptionnel grâce à son auteur: il est produit par une autorité indépendante, constituée des Nations Unies, qui a établi les faits, leurs auteurs (dont la liste nominative demeure malheureusement encore secrète), les circonstances de temps et de lieu de leurs commissions.
– Tertio, ce rapport est une reconnaissance internationale du martyre des Congolais et de l’aspiration des Congolais à la paix, à la vérité, à la justice, à la réparation et à la mémoire des victimes, à la dignité humaine, etc.
– Quarto enfin, cet outil incarne, pour les Congolais, l’espoir de voir des poursuites engagées contre les auteurs présumés des crimes pour rompre le cycle de l’impunité qui s’est profondément ancré dans le pays. Malheureusement, 10 ans après, le constat est amer et implacable: rien n’a vraiment changé en matière des droits humains. Les mêmes crimes se poursuivent allégrement sans désemparer, les victimes sont livrées à elles-mêmes sans aucune réparation ni justice, ni même la simple vérité. Pourquoi 10 ans de silence après ce rapport?
* Un rapport qui dérange et inquiète certains Pays voisins.
Pour comprendre une décennie entière de mutisme et d’inaction, il importe de prendre en compte cinq éléments qui soulignent que ce document dérange de nombreux protagonistes, tout en en laissant d’autres indifférents.
– En premier lieu, l’Etat congolais n’a jamais fait de ce rapport son cheval de bataille. Et pour cause, l’Etat congolais est fragile et défaillant, sa justice est inapte à poursuivre les auteurs des crimes. Et puis, nombre d’auteurs présumés de ces crimes occupent des postes importants dans les plus hautes sphères de l’Etat (armée, police, services secrets, gouvernement, assemblée, sénat, etc.). Il est improbable qu’ils puissent être poursuivis, au regard de leur capacité de nuisance et d’influence dans le pays. Ils ont réussi à étouffer ainsi les grandes voix qui tentent de s’exprimer sur les crimes.
– En second lieu, le Rapport Mapping a longtemps souffert du manque d’une voix pour le porter. Il a fallu que le Prix Nobel de la paix 2018, Dr Denis Mukwege, appelle, dans une allocution solennelle lors de la remise de la noble distinction, à mettre en œuvre les recommandations du Mapping. Le 10 décembre 2018, à la tribune depuis Oslo, le Dr Denis Mukwege appelait le monde à sortir le Rapport Mapping des tiroirs poussiéreux de New York. Avec le Prix Nobel, il y a un basculement qui s’opère, un mouvement de solidarité nationale et internationale pour obtenir la justice et la réparation pour les victimes, ainsi que la poursuite contre les bourreaux.
– En troisième lieu, vient le manque de financement international et probablement de volonté politique. En effet, pour appliquer les recommandations du Mapping, notamment celles concernant la justice transitionnelle, il faut mobiliser des fonds. Et les principaux bailleurs des fonds ne se bousculent pas. Ils sont aux abonnés absents. C’est d’ailleurs pourquoi le texte initial a été édulcoré pour supprimer le crime de génocide congolais, de manière à ne pas avoir l’obligation d’agir et d’intervenir pour stopper le génocide. Cette attitude a trouvé un écho favorable auprès des pourfendeurs du Rapport Mapping et de la justice internationale.
– En quatrième lieu, il y a l’action de puissants lobbies travaillant à congeler, voire à fossiliser le Rapport Mapping. Ces lobbies sont mus, pour certains par de gros intérêts économiques et financiers derrière les pillages et trafics des ressources naturelles ayant accompagné ou motivé les crimes décriés; pour d’autres, ils sont tétanisés par un sentiment de culpabilité par rapport à un des principaux suspects ou accusés, le Rwanda, où les Nations Unies n’avaient pas pu empêcher l’horreur suprême. Le gouvernement du pays des milles collines semble se servir à son avantage de l’impuissance de la communauté internationale à empêcher et à arrêter le génocide pour neutraliser tous ceux qui osent parler. C’est comme s’il avait acquis, d’une certaine façon, le droit de vie et de mort sur les populations de la région. Même si tel était le cas, pourquoi les Congolais devraient-ils payer pour des crimes qu’ils n’ont jamais commis, ni de loin ni de près. A moins de leur appliquer la fable de La Fontaine, «le loup et l’agneau».
– En dernier lieu, on retrouve la résistance de certains pays accusés dans le rapport (Rwanda, Ouganda, Burundi, etc.) et de certains individus soupçonnés d’avoir perpétré ces crimes et assumant des hautes responsabilités politiques et/ou sécuritaires dans les Etats de la région. Ils ont réussi à garder sous le sceau du secret la liste des auteurs présumés des crimes. Et pourtant on sait que des officiers rwandais ont même commandé des forces congolaises, régulières ou rebelles, dont les exactions sont bien connues. Depuis quand protège-t-on les criminels au détriment des victimes? C’est une situation inimaginable et ubuesque où l’on protège les bourreaux au lieu de protéger les victimes et les témoins.
* Pas de deuil sans vérité ni justice et réparation.
Tant que la justice ne sera pas rendue pour les nombreux crimes graves perpétrés en RDC, les massacres du passé continueront à résonner fortement dans la mémoire des victimes et à alimenter le sentiment de vengeance. Les cris des victimes ne se transformeront en hymne du souvenir qu’à condition de débuter le travail de justice.
Quatre facteurs se conjuguent aujourd’hui pour donner une résonance sans cesse renouvelée aux crimes commis.
– D’abord, les victimes n’ont jamais obtenu ni vérité ni justice ni même réparation. L’impunité s’est installée et faisant loi au Congo.
– Ensuite, les crimes se multiplient et s’étendent, même dans des zones autrefois épargnées à cause de cette impunité garantie aux auteurs présumés. Chaque nouveau crime commis ravive le souvenir des crimes passés et c’est comme si on remuait à chaque fois un couteau dans une plaie.
– Et puis, les Nations Unies ont cédé à la pression de certains Etats, en gardant secrète la liste des auteurs présumés des crimes les plus graves commis en RDC. La liste des auteurs des crimes répertoriés dans le Mapping demeure secrète et confidentielle jusqu’à présent. C’est impensable et intolérable.
– Enfin, il n’y a pas de deuil sans vérité, pas de vérité sans mémoire, pas de mémoire sans reconnaissance, pas de reconnaissance sans justice, pas de justice sans réparation, pas de paix sans réconciliation, pas de réconciliation sans réparation.
* La justice transitionnelle, une finalité du Mapping?
Cela fait bientôt 10 ans déjà que le rapport Mapping moisit dans les tiroirs onusiens. C’est inadmissible car les victimes sont abandonnés sans justice ni réparation. Dès lors, il n’y a pas d’espoir de réconciliation ni de paix durable, surtout quand on sait que les auteurs présumés des crimes documentés dans Mapping par les Nations Unies sont libres et ne sont nullement inquiétés. Pire, ils occupent des plus hauts postes de responsabilité en RDC et dans les pays voisins.
Ils n’hésitent pas à menacer de mort tout homme de paix qui ose élever la voix pour exiger la justice et la réparation pour les victimes qui ont trop attendu. Le Mapping est appelé à déboucher sur un Tribunal Pénal International pour la RDCongo ou des chambres spécialisées mixtes (avec des magistrats congolais et étrangers) au sein du système judiciaire congolais. Ces institutions, aussi efficaces qu’elles soient, ne devraient pas être considérées comme une fin en soi. Elles sont plutôt une voie vers la vérité (judiciaire), la justice, la réparation, le deuil et le début d’une vraie réconciliation. Elles doivent surtout être pensées comme un outil pour assurer la fin du règne de l’impunité.
En définitive, il me semble que tout le monde a intérêt à ce que la justice soit rendue, même pour ceux qui sont accusés dans le rapport. Rendre justice permet de clore le chapitre des crimes impunis et de passer au suivant. Tant que la justice ne sera pas rendue, nul ne sera en paix, il n’y aura pas de réconciliation. Le cycle de vengeance ne s’arrêtera pas, car les victimes ou leurs proches à qui l’on refuse la justice aujourd’hui continueront à ruminer leur revanche, à cultiver la haine, pire à la transmettre de génération en génération. Dans ces conditions, il n’y aura pas de paix durable. Donc, pas de reconstruction durable non plus.
Les Etats voisins accusés d’avoir commis des violations graves des droits humains en terre congolaise ont la responsabilité de rendre justice aux victimes congolaises, en réparant les crimes commis. Tel est le passage obligé pour une réconciliation entre les nations et entre les peuples. Même ceux qui sont accusés devraient chercher à laver leur honneur, en collaborant pour que la justice fasse la lumière sur les rôles et les responsabilités des uns et des autres.
Les bourreaux ne pourront jamais dormir en paix tant qu’il n’y aura pas de justice, surtout que ces forfaits, en tant que crimes internationaux (crimes de génocide, contre l’humanité, de guerre, etc.), sont des crimes imprescriptibles. Autant faire face à la justice une bonne fois pour toutes et s’assurer de son sort, plutôt que de vivre dans la peur d’être rattrapés par la justice un jour. Sauf à expédier tous les Congolais simultanément ad patres, les bourreaux ne finiront pas d’entendre parler d’eux.[2]
L’identité des auteurs présumés des exactions documentées dans le Rapport Mapping – environ 200 personnes, dont plusieurs dizaines de responsables militaires et politiques de premier plan – n’apparaît pas dans le rapport public, mais figure dans une base de données confidentielle à la disposition du HCDH.
Lorsque, en mars 2016, le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, dépose une lettre signée par près de 200 organisations non gouvernementales (ONG) au HCDH, réclamant la publication de la base de données qui identifie les principaux responsables des crimes décrits dans le Rapport Mapping, le Haut-Commissariat lui répond que «la divulgation publique de ces informations pourrait mettre en danger les victimes et les témoins desdites violations». On peut toutefois se demander si la présence des responsables présumés de ces crimes dans les plus hautes instances dirigeantes de la RDC et des pays voisins ne met pas davantage en danger la population dans le pays.
Aujourd’hui, il est temps que les responsables politiques et militaires des crimes les plus graves commis en RDC entre 1993 et 2003 répondent de leurs actes devant la justice et que les victimes obtiennent enfin réparation. L’avènement d’une justice réparatrice est essentiel pour construire la paix dans le pays. Divulguer publiquement leurs noms, inscrits dans la base de données du HCDH, pourrait contribuer à les écarter du pouvoir, à les amener devant la justice et à libérer la parole des victimes et des témoins qui ne seraient plus contraints de vivre dans la peur des représailles de leurs bourreaux. Le Rapport Mapping ne doit plus être un sujet tabou.[3]
2. DEUX URGENCES: UN TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LA RDCONGO ET DES CHAMBRES SPÉCIALISÉES MIXTES AU SEIN DU SYSTÈME JUDICIAIRE CONGOLAIS
Dans un communiqué conjoint, Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International (AI) ont affirmé que «les autorités congolaises et les Nations unies n’ont pas assez fait pour amener les auteurs de violations des droits humains à répondre de leurs actes ni pour rendre justice aux victimes, une décennie après le rapport majeur du Projet Mapping portant sur la République démocratique du Congo, publié en octobre 2010».
D’après HRW et AI, «le rapport du Projet Mapping décrit de graves violations du droit international des droits humains et du droit international humanitaire. Il conclut que la majorité de ces faits constituent des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. En référence à une série d’événements survenus entre 1996 et 1997, le rapport soulève la question de savoir si certains crimes commis par l’armée rwandaise et son allié congolais, le groupe rebelle de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre, contre des refugies hutus rwandais et des citoyens hutus congolais pourraient être qualifiés de « crimes de génocide ». Le rapport précise qu’il appartiendrait à un tribunal compétent de rendre une telle décision».
Deprose Muchena, directeur du programme Afrique de l’Est et Afrique australe à Amnesty International, a déclaré que «l’incapacité d’identifier et de mettre en place des mécanismes adéquats pour rendre justice et accorder réparation a laissé des milliers de victimes et leurs familles impuissantes. Par conséquent, l’impunité généralisée continue de régner en RD Congo et dans la sous-région, contribuant ainsi à la récurrence des tueries et d’autres crimes graves».
Thomas Fessy, chercheur principal sur la RD Congo à Human Rights Watch, a déclaré que «le rapport du Projet Mapping nous rappelle avec force les crimes commis en RD Congo, l’absence choquante de justice et les conséquences de l’impunité».
Outre le fait de mettre au jour de graves violations et abus, «les enquêteurs ont évalué la capacité du système judiciaire congolais à traiter de manière adéquate les crimes documentés et ont proposé des réformes et des mécanismes judiciaires alternatifs qui permettraient aux victimes d’obtenir justice et réparation. Cependant, aucune des recommandations contenues dans le rapport n’a été appliquée et la plupart des crimes documentés demeurent impunis».
Selon les deux organisations, «le président Félix Tshisekedi devrait faire de la lutte contre l’impunité une priorité de son administration et prendre des mesures significatives pour amener les personnes responsables de violations des droits humains – par le passé comme de nos jours – à rendre des comptes».
HRW et AI ont affirmé que «dix ans plus tard, les autorités congolaises et leurs partenaires internationaux devraient prendre de véritables mesures pour renforcer le système judiciaire national et mettre en place un mécanisme internationalisé garantissant que justice soit rendue de manière crédible et indépendante pour les crimes faits passés et présents».[4]
Les organisations de la société civile du Sud Kivu ainsi que les habitants de la ville de Bukavu (Sud-Kivu) appellent le Président de la République Félix Tshisekedi à s’investir personnellement pour l’application des recommandations du rapport Mapping. Dans un mémorandum adressé au Président de la République mais qui a été remis au gouverneur du Sud-Kivu, la société civile du Sud Kivu a notamment insisté sur la publication des annexes de ce rapport qui contiennent les noms des présumés auteurs des graves violations des droits de l’homme. En outre, au vu de la dimension régionale des conflits, elles lui demandent de s’impliquer encore plus pour la création d’un tribunal pénal international pour le Congo et pour l’institution de chambres spécialisées mixtes (avec des magistrats congolais et internationaux) au sein des juridictions nationales internes. Enfin, elles lui demandent d’amener d’autres institutions de la République à s’investir pour la création d’un fonds pour les victimes de ces différents crimes et massacres.[5]
Rostin Manketa, directeur exécutif de la Voix des Sans Voix (VSV), organisation de défense des droits de l’homme, a affirmé que, «à l’occasion du 10ème anniversaire de la publication du rapport Mapping, le constat sur terrain est que c’est une grande déception, car rien n’a évolué depuis la publication de ce rapport, l’impunité demeure et les auteurs de tous ces crimes qui ont été perpétrés en RDC continuent à jouir de l’impunité. On ne peut pas bâtir un Etat de droit sur le fond de l’impunité, il faut que les victimes de tous ces crimes puissent bénéficier de réparation, et pour qu’il y ait réparation, il faut à tout prix que la justice leur soit rendue. S’il faut passer par les mécanismes de justice transitionnelle, qui veut que la vérité soit connue sur ce qui s’est passé, et après que cette vérité soit connue, que les auteurs des crimes les reconnaissent, et qu’il y ait des réparations en faveur de toutes les victimes. C’est de cette manière là qu’on peut réconcilier tout un peuple. Sans la reconnaissance des crimes et sans réparations, c’est l’impunité qui va demeurer en RDC».[6]
Pour Jean-Claude Katende, coordonnateur de l’Association Africaine des Droits de l’Homme (ASADHO), les autorités de la RDC doivent prendre position publiquement sur le Rapport Mapping: «Il faut d’abord noter que pendant 10 ans, il y a eu une faiblesse des autorités de la RDC à l’égard du Rwanda et que les recommandations de ce rapport n’ont pas été prises en compte. Aujourd’hui nous avons des nouvelles autorités et nous pensons que leur implication au niveau national et international pour qu’un tribunal international sur la situation en RDC soit mis en place pourrait permettre à ce que, enfin, les recommandations du rapport soient mises en œuvre. Nous estimons que l’implication des autorités congolaises ne doit pas être timide, nous avons besoin des prises des positions publiques du président de la République, du premier ministre et des ministres intéressés par ce dossier, pour que les Congolais eux-mêmes et la communauté internationale soient mobilisés derrière la mise en œuvre de ces recommandations. L’implication de tout le monde est importante pour que les recommandations de ce rapport soient mises en œuvre».[7]
Le coordonnateur du Comité Laïc de Coordination (CLC) aussi, le professeur Isidore Ndaywel, soutient la création d’un tribunal international pour réprimer les crimes graves commis en RDC, et répertoriés dans le Rapport Mapping. Mais en attendant, M. Ndaywel propose que des juridictions compétentes puissent procéder à des “condamnations formelles” : «Il faut que le gouvernement Congolais mobilise ses partenaires internationaux pour la création d’un tribunal pénal international pour la RD Congo. En attendant, il devrait créé des tribunaux mixtes pour entamer le travail judiciaire. Il faut des condamnations formelles, de la part des juridictions compétentes, pour exiger des réparations à hauteur des condamnations».[8]
Pour Georges Kapiamba, président de l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ), il faut que les autorités congolaises relancent le projet de loi portant création des chambres spécialisées mixtes (avec des magistrats congolais et internationaux) dans les cours et tribunaux congolais. Dans ce cadre, la coopération de la justice congolaise avec les Nations-Unies et d’autres Etats, faciliterait l’exécution des mandats d’arrêt internationaux qui seraient émis par lesdites Chambres.[9]
A l’occasion du 10ème anniversaire du rapport Mapping, la Nouvelle Société civile Congolaise (NSCC), par son coordonnateur Jonas Tshombela, appelle le président de la République, Félix Tshisekedi à s’impliquer pour réclamer la mise en place d’un tribunal spécial pour la RDC afin de juger les auteurs des crimes graves commis au pays entre 1993 et 2003: «La Siéra-Léone à eu 200.000 morts, ils ont eu un tribunal pénal international, la Yougoslavie a eu 400.000 morts, ils ont eu le tribunal pénal international, le Rwanda a eu 800.000 morts, ils ont eu un tribunal pénal international; au Liban, le premier ministre est mort, ils ont un tribunal international. Pour la RDC, plus de 6 millions de congolais sont morts, sans que la justice ne puisse s’y pencher, c’est injuste. Nous appelons alors le Président de la République, Félix Tshisekedi, à se mobiliser pour réclamer le tribunal spécial pour la RDC, pour que l’impunité cesse dans notre pays».[10]
Des centaines d’organisations de la société civile, dont Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT-France), Amnesty International Belgique Francophone, Debout Congolais pour un Congo Nouveau (DCCN), la Fédération Internationale des ligues pour les droits humains et la Prunelle RDC ont mis sur pied un site internet dénommé «Le mémorial virtuel des massacres en RD Congo». Selon ces organisations de défense des droits humains, ce projet a pour objectif de commémorer la mémoire des personnes mortes pendant et à cause des conflits armés en République Démocratique du Congo depuis 1997. Accessible au www.memorialrdcongo.org , ce site web va également permettre à toute personne de connaitre les crimes impunis commis, notamment les massacres documentés par le rapport Mapping.[11]
[1] Cf Sonia Rolley – RFI, 30.09.’20 https://www.rfi.fr/fr/afrique/20200930-rdc-dix-ans-apr%C3%A8s-publication-lautopsie-rapport-mapping
[2] Cf Alphonse Maindo – Afrikarabia.com, 30.09.’20
[3] Cf Clément Boursin – Le Monde.fr, 29.09.’20
[4] Cf Hrw.org, 01.10.’20
[5] Cf Justin Mwamba – Actualité.cd, 01.10.’20
[6] Cf Thérèse Ntumba – Actualité.cd, 01.10.’20
[7] Cf Thérèse Ntumba – Actualité.cd, 01.10.’20
[8] Cf Ivan Kasongo – Actualité.cd, 01.10.’20
[9] Cf Thérèse Ntumba – Actualité.cd, 01.10.’20
[10] Cf Thérèse Ntumba – Actualité.cd, 01.10.’20
[11] Cf Déogratias Cubaka – 7sur7.cd, 30.09.’20