Congo Actualité n. 406

SOMMAIRE

1. L’AFFAIRE DES « MAISONS PREFABRIQUÉES » DANS LE CADRE DU PROGRAMME DES 100 PREMIERS JOURS DU PRÉSIDENT TSHISEKEDI
2. L’INSTRUCTION DU PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS DE LA COUR D’APPEL DE KINSHASA-MATETE
3. LES NON DITS POLITIQUES DU PROCÈS KAMERHE

1. L’AFFAIRE DES « MAISONS PREFABRIQUÉES » DANS LE CADRE DU PROGRAMME DES 100 PREMIERS JOURS DU PRÉSIDENT TSHISEKEDI

Déjà en juillet 2019, la Société Civile s’était inquiétée de marchés attribués de gré à gré pour des dizaines de millions de dollars dans le cadre d’un programme d’urgence, les sauts-de-mouton n’en constituant qu’une partie. Au cœur des craintes, on trouve notamment la construction de 4.500 maisons préfabriquées dans cinq provinces du pays, vendues par la société turque Karmod.
Avec le programme des 100 jours, l’homme d’affaires d’origine libanaise Jammal Samih a en effet obtenu deux contrats pour un montant de plus de 114 millions de dollars pour deux de ses sociétés, Samibo et Husmal. Ce qui interpelle la société civile, c’est que non seulement ces contrats sont trop importants pour être signés de gré à gré, mais aussi qu’ils sont attribués à deux sociétés récentes créées par le même gérant.
Pour les ONG congolaises, l’attribution de ces marchés est même illégale au regard du manuel de procédures de passation de marché. Mais pour le comité de suivi du programme d’urgence mis en place par la présidence, ce qui compte, c’est le résultat.
Si les deux sociétés sont récentes – Samibo a été créée le 8 août 2018 et Husmal le 25 avril 2019, Jammal Samih serait un entrepreneur expérimenté qui a participé en son temps à la réhabilitation de la radio et télévision nationale. Sur les deux contrats, l’un aurait été hérité de l’époque de Joseph Kabila. Pour le deuxième signé en juin 2019, la présidence dit ne pas avoir eu le choix, Husmal étant devenu le représentant exclusif en RDC de ces maisons préfabriquées.[1]

Le procès sur «l’affaire des maisons préfabriquées» a débuté le 11 mai 2020. Les avocats de Vital Kamerhe ont bien reçu une citation à comparaître. Selon ce document, il y aura trois co-accusés dans ce procès. On y retrouve bien sûr Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président, mais aussi Samih Jammal, l’administrateur général des sociétés Samibo Congo Sarl et Husmal Sarl. C’est cette dernière société qui représente le fabricant turc Karmod en RDC. Elle devait livrer 4.500 maisons destinées à des logements sociaux dans cinq provinces. 3.000 devaient servir à améliorer les conditions de logement des policiers et des militaires dans la capitale.
Samih Jammal est accusé, avec le directeur de cabinet du président, d’avoir détourné plus de 50 millions, sur quelque 60 millions de dollars décaissés entre mars et août 2019 pour ces deux projets du «programme des 100 jours». Le troisième co-accusé, Jeannot Muhima, est chargé de l’import-export à la présidence.
Outre le détournement des 50 millions destinés à ce programme, la justice reproche à Vital Kamerhe d’avoir indirectement bénéficié, par l’intermédiaire de sa belle-fille, Soroya Mpiana, d’une importante concession sur une parcelle appartenant à Samih Jammal.
Pour les avocats du directeur de cabinet, il n’y a aucune preuve qui sous-tend ces accusations. Vital Kamerhe n’a jamais décaissé lui-même un sou des caisses du trésor public, expliquent-ils, en ajoutant que le directeur de cabinet n’a même jamais entendu parler de la parcelle mentionnée.[2]

Le directeur de cabinet du président Tshisekedi, Vital Kamerhe, devra donc comparaître le 11 mai 2020,  pour la première fois, devant le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe. Il est accusé d’avoir bénéficié, avec ses proches, du détournement de plus de 50 millions de dollars, sur deux projets de livraison et d’installation de maisons préfabriquées voulues par le chef de l’État congolais, dans le cadre de son programme d’urgence.
Suite à un contrat signé en 2018 avec le ministre du Développement rural Justin Bitakwira, l’entrepreneur libanais Samih Jammal, 83 ans, devait délivrer  900 maisons préfabriquées construites par la société turque Karmod et destinées à neuf des vingt-six provinces du pays. À cause des élections de 2018, ce marché de près de 27 millions de dollars qu’il avait obtenu de gré à gré avait été gelé.
Vital Kamerhe est le principal allié de Félix Tshisekedi depuis novembre 2018. Ensemble, ils ont fondé la coalition Cap pour le Changement (Cach) et ils ont officiellement remporté la présidentielle. L’un devient chef de l’État, l’autre, son directeur de cabinet.
C’est ainsi que Justin Bitakwira, membre du FCC, ancien président du groupe parlementaire de Vital Kamerhe et ministre sortant du Développement rural, se retrouve contraint de devoir travailler avec son ancien patron, après l’avoir quitté au profit de Joseph Kabila. «Quand les amis sont arrivés, avec ce nouveau souffle, c’était merveilleux», assure-t-il. Mais M. Bitakwira se dit écarté dès le départ: «Au lieu de nous considérer comme des alliés, ils nous ont traité comme des bons à rien et des corrompus. Eux pensaient pouvoir tout changer en quelques mois».
Quand Félix Tshisekedi est donné vainqueur de la présidentielle en janvier 2019, Samih Jammal y voit une opportunité de faire à nouveau des affaires juteuses. «En janvier, quand le nouveau président est arrivé, les fils de Samih Jammal se sont dit que c’était le moment d’obtenir le paiement du contrat de 2018 et ils ont été mis en relation avec le neveu de Vital Kamerhe par un ami», explique un proche de la famille. L’entourage du directeur de cabinet du président dément.
Des contrats sans «soubassement juridique»
C’est bien la signature de Justin Bitakwira, ancien ministre et proche de Joseph Kabila, qui se trouve au bas de la plupart des actes administratifs relatifs au marché signé avec Samibo Congo SARL, l’une des sociétés de Samih Jammal. En avril 2019, il accepte notamment de parapher un avenant au premier contrat avec le vieil homme d’affaires libanais. Il accroît la commande, réduit le nombre de provinces concernées et double le montant dû à la société. Il s’agit cette fois de construire 1.500 logements sociaux (900 initiaux et 600 supplémentaires) dans cinq provinces, pour un montant de 57,5 millions de dollars. «C’est mon secrétaire général qui avait été désigné comme le point focal de la présidence, il me transmettait les instructions», se justifie encore M. Bitakwira. Lui-même assure n’avoir jamais été invité à la présidence: «Quand le procureur m’a dit que Vital Kamerhe m’avait cité dix fois dans son audition comme le responsable de tout ça, j’étais sidéré».
Deux mois après sa signature de l’avenant, le 18 juin 2019, la Direction Générale de Contrôle des Marchés Publics (DGCMP) rejette le bien-fondé des modifications opérées sur ce marché. Selon la DGCMP, «ledit avenant modifie sensiblement le contrat de base jusqu’à modifier l’économie même du marché». En outre, elle note que «le devis de l’entrepreneur fait défaut dans le dossier». Comme Justin Bitakwira, documents à l’appui, le directeur général de la DGCMP aurait lui aussi témoigné devant le magistrat en charge de l’enquête de l’irrégularité du marché.
«On a créé une confusion terrible entre le projet des 900 maisons de Bitakwira et le projet des 1.500 maisons du programme des 100 jours, mais il n’y a pas de soubassement juridique», précise une source judiciaire.
Plus de 30 millions de dollars retirés en liquide
Entre le 18 mars et le 21 mai 2019, 57,5 millions de dollars vont être décaissés en neuf versements par la Banque Centrale du Congo, via un compte du Trésor public logé dans une banque commerciale Rawbank, sur celui de Samibo Congo Sarl. C’est l’intégralité de la somme due à cette société de Samih Jammal, sans qu’aucune maison préfabriquée ne soit même livrée au Congo. Sur le montant total décaissé, «le parquet congolais n’a pu tracer que un peu plus de huit millions de dollars de virements bancaires pour payer la commande», assure toujours cette source judiciaire. «Soit cet argent a été détourné, soit Karmod accepte des paiements partant du Congo, en cash ou par d’autres voies, mais ce sont des voies qui seraient illégales». Selon cette source judiciaire et un proche de Samih Jammal, au moins 35 millions de dollars ont été retirés en plusieurs fois et en liquide par l’homme d’affaires libanais ou ses mandataires. Or en République démocratique du Congo, les retraits en cash sont limités à 10.000 dollars.
Fait aggravant pour le patron de Samibo Congo SARL, leurs conseils n’auraient [pas] été en mesure de présenter plus qu’une licence d’importation pour ces commandes d’un montant de 12 millions de dollars. «Mon client, c’est un commerçant, il a des comptes partout et certaines commandes ont pu se passer hors circuit bancaire», s’insurge Me Tshitsha Bolokombe, avocat de M. Jammal et de ses sociétés.
En outre, avant même que cette première commande ne soit honorée, Samih Jammal se voit attribuer un deuxième marché juteux, toujours en 2019. Il obtient de gré à gré une nouvelle commande de 57,5 millions de dollars. La présidence lui demande cette fois de livrer 3.000 maisons à destination des policiers et des militaires de la capitale. «En cours d’exécution, il y a eu une nouvelle commande du chef de l’État, parce qu’il était content du travail abattu», explique encore l’avocat de Samih Jammal.
La défense de Vital Kamerhe
Aucun contrat ne sera établi avec Husmal SARL, une société créée par l’homme d’affaires libanais le 25 avril 2019, une vingtaine de jours à peine avant l’émission d’une facture pour ce marché.
Dans une lettre adressée depuis sa cellule au parquet le 13 avril 2020, Vital Kamerhe se justifie, en évoquant « l’absence d’une cellule de passation de marché à la présidence de la République » et un « gouvernement démissionnaire ». Depuis le 20 mai 2019, le Premier ministre Bruno Tshibala, ancien proche de Félix Tshisekedi rallié à Joseph Kabila, a accepté de lui remettre sa démission. En ce qui concerne le premier contrat avec avenant, Vital Kamerhe assure avoir tout fait dans les règles et fournit quelques 33 documents à l’appui. «Sur un total de 1.500 maisons préfabriquées commandées, 1.200 sont déjà livrées, soit 80%, par la société Samibo et 300 déjà fabriquées n’attendent que leur chargement et expédition vers le port de Matadi», assure le directeur de cabinet de la présidence. Si les marchandises n’arrivent pas, selon Vital Kamerhe, c’est parce que la plupart des containers seraient encore bloqués dans les ports de Lobito et Dar es Salaam et ce, «en raison du manque de paiement des frais dus par le gouvernement», frais administratifs et de transport jusqu’aux cinq provinces concernées par ce programme de logements sociaux.
Sur le deuxième marché de 3.000 maisons, M. Kamerhe est tout aussi catégorique.  Sur les 57,5 millions de dollars annoncés, seuls 2.137.500 de $ ont été effectivement décaissés, soit 3,75% du montant total. En échange de quoi, l’autre société du vieil homme d’affaires libanais, Husmal aurait malgré tout livré 31 containers au port de Matadi sur cette commande.
Toutefois, une source judiciaire assure que «le parquet à tous les relevés et tous les virements sur les comptes de Samih Jammal, Vital Kamerhe et ses proches. Si je vous dis qu’ils ont détourné de l’argent, c’est qu’ils ont détourné de l’argent». Selon la justice congolaise, la belle-fille du directeur de cabinet du président, Soraya Mpiana, a bénéficié d’un terrain de 5.000 mètres carrés sur une concession appartenant à M. Jammal, ce que les avocats de Vital Kamerhe et de l’homme d’affaires libanais démentent. Un certificat d’enregistrement de propriété au nom de Soraya Mpiana du 8 juin 2019 figure pourtant dans le dossier de l’accusation.
Des contrats surfacturés?
Les premières maisons destinées à devenir des logements sociaux ne sont livrées qu’en août 2019 et c’est le camp Tshatshi, l’un des plus célèbres camps militaires de la capitale, qui en bénéficie. Le comité de suivi du programme des 100 jours mis en place par une ordonnance présidentielle deux mois plus tôt s’en félicite sur les réseaux sociaux.
Pourtant, la commande est bien loin de correspondre aux factures présentées. La société Samibo Congo SARL devait délivrer des «maisons villas deux chambres» au prix unitaire de 35.000 dollars et des «maisons préfabriquées villas duplex» de 45.000 dollars.
Le fabricant turc, Karmod, indique lui sur son site que des maisons similaires à celles installées au camp Tshatshi, font respectivement 51 m² avec une chambre et 91 m² avec deux chambres et un étage. Ce sont parmi les moins chères de son catalogue. Elles ne coûtent que 5.500 et 13.000 dollars en Turquie, toutes taxes comprises. À cela s’ajoute le prix du transport, 5.000 dollars par maison et par container pour les transporter jusqu’à Matadi. C’est ce qui figure sur deux devis détaillés fournis au parquet congolais par la défense de Samih Jammal. Le représentant Karmod en RDC y ajoute des frais d’installation qui multiplient par sept le prix du modèle à une chambre et par trois celui de la villa à deux étages. Samibo Congo SARL facture tout, y compris la pose des portes intérieures comme extérieures à 10 dollars pièce.
Dans sa correspondance datée du 13 avril 2020, Vital Kamerhe tente de justifier ces prix: «Samibo Congo SARL devait prendre en charge le coût d’achat, l’acheminement jusqu’aux ports d’arrivée, la construction de tous les socles ou fondations sur tous les sites pour poser les maisons, les salaires des ingénieurs turcs qui doivent élever les maisons, la main d’œuvre locale qui assiste les ingénieurs turcs et autres charges diverses». Étrangement, son entreprise sœur Husmal SARL n’applique pas les mêmes tarifs et facture ces maisons entre 16.000 et 19.000 dollars toutes charges comprises. C’est ce qui explique que cette deuxième commande s’élève elle aussi à 57,5 millions de dollars, mais pour deux fois plus de maisons.
Aucun contrôle effectif sur les dépenses publiques
Le 7 février 2020, le Président de la République Félix Tshisekedi annonce en Conseil des ministres son intention de lancer un audit sur les chantiers en cours dans le cadre du Programme es 100 jours. L’audit se mue en procédure judiciaire sur proposition du vice-Premier ministre en charge de la justice et garde des Sceaux, un proche de Joseph Kabila.
«Je reconnais qu’il y a une grande faiblesse dans le contrôle», admet Nicolas Kazadi, ex-coordonnateur du comité de suivi du programme des 100 jours et toujours ambassadeur itinérant de Félix Tshisekedi. «C’est vrai que les ministres du Budget et des finances de l’époque, ainsi que le gouverneur de la Banque centrale auraient des comptes à rendre … Le parquet a réuni les informations, mais il ne peut pas arrêter un ministre, ils sont justiciables devant la Cour de cassation», reconnaît une source judiciaire.
Comment peut-on décaisser 60 millions de dollars des comptes du Trésor public, sans contrat, ni devis en bonne et due forme et retirer ces fonds, pour l’essentiel en liquide? L’affaire ne surprend pas Valery Madianga, membre de l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP): «Ce n’est pas un fait nouveau dans notre pays. Les autorités ont toujours été habituées à faire des décaissements de fonds sans contrat et sans appel d’offres, des retraits en liquide de plusieurs dizaines de millions».
Pour l’ODEP, le fait nouveau, c’est que la justice et la presse puissent obtenir les preuves de ces irrégularités. Avec le président Tshisekedi, certes les faits se sont répétés, mais un procès va s’ouvrir.
Droits de réponse
Les proches de Vital Kamerhe rejettent l’idée qu’il s’agit là d’un début de lutte contre la corruption et dénoncent une justice aux ordres, enclenchée contre un futur rival aux élections de 2023. «Si c’était autre chose qu’un procès politique, on verrait Yav, Kangudia, Mutombo, Kazadi et même Félix Tshisekedi sur le banc des accusés. Ils sont tous responsables de cette gestion. Vital Kamerhe n’a jamais lui-même décaissé un sou, il n’en a pas compétence», pointe l’un d’eux.
Pour la défense de M. Kamerhe, la chaîne de la dépense publique a été rigoureusement respectée. Elle insiste par ailleurs sur le fait que, pour ce qui est de la conception et de la mise en œuvre de ce projet et notamment la régularisation de la procédure de passation de marché, tout à été entièrement géré par le ministre du Développement rural. Toujours selon la défense de Vital Kamerhe, les services de l’État habilités, et notamment la Direction Générale de Contrôle des Marchés Publics, avaient été consultés et informés en amont par la Présidence que les travaux allaient commencer et que cette régularisation pourrait intervenir plus tard.[3]

2. L’INSTRUCTION DU PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS DE LA COUR D’APPEL DE KINSHASA-MATETE

Le 8 avril 2020, Vital Kamerhe, directeur de cabinet de Félix Tshisekedi, s’est rendu au parquet général près de la cour d’appel de Kinshasa – Matete, pour y être entendu sur la gestion des fonds alloués au programme d’urgence du Président de la République.
Il s’agit d’un programme qui concerne divers secteurs, dont l’accès à l’électricité et à l’eau potable, les infrastructures sanitaires et scolaires ainsi que les routes. À Kinshasa, par exemple, on a lancé des chantiers des sauts-de-mouton, censés lutter contre les embouteillages et fluidifier la circulation.
Un budget de 497 millions de dollars est annoncé. Mais le problème est que le dernier gouvernement de Joseph Kabila est déclaré démissionnaire et donc tout est géré provisoirement à partir de la présidence de la République. Quelques mois plus tard, les premiers soupçons de corruption tombent. Ils concernent d’abord l’opacité de la procédure de passation des marchés, dont un nombre important s’était déroulé de gré à gré. Jour après jour, les chantiers piétinent et les accusations de détournements de fonds se multiplient.
Du côté du parquet, tout comme dans les rangs du camp de son allié, Félix Tshisekedi, on affirme que, si Vital Kamerhe a été auditionné, c’est parce qu’il est «non seulement l’ordonnateur des dépenses de la présidence, mais aussi parce que, jusqu’en septembre 2019, c’est lui qui contrôlait d’une main de fer les finances de ce programme».
Quelques minutes avant 19h, heure locale, il a été transféré par la police à la prison de Makala.
En attendant la conclusion des enquêtes, l’inquiétude a gagné les rangs de son parti, l’UNC, qui dénonce une campagne de diabolisation et d’«acharnement» contre son leader, censé être le dauphin de Félix Tshisekedi pour la présidentielle de 2023, selon un accord conclu entre le camp de Tshisekedi et celui de Kamerhe, en novembre 2018 à Nairobi, avant la présidentielle du 30 décembre 2018.[4]

La justice soupçonne l’existence d’un système de «rétrocommissions». Dans la livraison des logements sociaux préfabriqués, par exemple, Vital Kamerhe est soupçonné d’avoir surfacturé. Sous Joseph Kabila, le prix de 900 logements était de quelque 26 millions de dollars (29.000 $ par unité). Sous la houlette du directeur de cabinet, l’administration Tshisekedi avait décidé de commander  600 logements supplémentaires pour un montant d’environ 57 millions (38.000 $ par unité),  à la même société Samibo Congo Sarl du Libanais Jammal Samih. Cet entrepreneur n’aurait pas su justifier l’utilisation de près de la moitié des sommes versées par l’État sur son compte à la RawBank.  Cette somme avait pourtant été retirée par le Libanais, son paiement  ayant été validé par la direction de la banque qui aurait assuré avoir reçu le feu vert de Vital Kamerhe.[5]

Le 13 avril, les avocats de Vital Kamerhe avaient transmis au procureur 26 documents relatifs à cette affaire, ainsi qu’une note d’explication signée par Vital Kamerhe lui-même.
Premier argument de Vital Kamerhe: ce n’est pas lui qui a passé le premier contrat d’achat de maisons préfabriquées signé avec Samibo. C’est l’ancien ministre du Développement rural et depuis 2018. En l’inscrivant dans le programme des 100 jours, il n’a qu’agi suivant le «principe de continuité de l’État».
Deuxième argument du directeur de cabinet: le gouvernement a effectué huit paiements entre mars et mai 2019, soit 57 millions de dollars, le montant total du contrat. Toujours selon lui, Samibo a déjà livré 80% de la commande… Mais pour les provinces du Kasaï central et du Sud-Kivu, le gouvernement n’aurait pas payé l’acheminement. Résultat: 600 maisons seraient bloquées aux ports de Lobito et de Dar es-Salaam.
Pour ce qui est des 3.000 maisons commandées à la société Husmal, qui a le même propriétaire, Vital Kamerhe reconnait avoir été à la manœuvre: c’est lui-même qui a demandé l’autorisation de passer ce marché de gré à gré. Le directeur de cabinet ne parle plus cette fois de continuité de l’État, d’un «gouvernement démissionnaire» et d’une «délégation de pouvoir». Pas de contrat présenté, mais un peu plus de deux millions dollars ont été décaissés en août 2019 et 37 containeurs auraient été livrés, selon lui, à Matadi.[6]

Le 25 avril, le procureur général près de la cour d’appel de Kinshasa-Matete a clos son instruction sur le volet des maisons préfabriquées et a transmis le dossier au tribunal de grande instance de la Gombe. Dans le cadre de l’enquête sur le programme des 100 jours, le procureur a estimé qu’il existait des indices sérieux de culpabilité contre Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président Tshisekedi, et Jammal Samih, patron des sociétés Samibo et Husmal, chargé de livrer 4.500 maisons préfabriquées. Ils sont suspectés d’avoir surfacturé et détourné une partie des fonds.[7]

3. LES NON DITS POLITIQUES DU PROCÈS KAMERHE

C’est un tsunami politique qui vient de s’abattre sur la petite arène politique congolaise. Le très puissant directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe, a été interpellé et placé en détention provisoire, après avoir été entendu, pendant plus de cinq heures, par le parquet national de Kinshasa, à propos de la passation de marchés publics et les décaissements de fonds alloués aux travaux d’urgence des 100 jours initiés par le président Tshisekedi. La tristement célèbre prison centrale de Makala n’avait pas hébergé de prisonnier aussi prestigieux depuis l’ère coloniale.
Ce coup de tonnerre judiciaire aura également de lourdes retombées politiques
Vital Kamerhe reste un allié politique de taille pour Félix Tshisekedi. Lors des élections générales de 2018, Tshisekedi et Kamerhe avait formé un ticket pour la présidentielle. A Nairobi, les deux hommes avaient signé un accord politique, qui avait vu Vital Kamerhe se désister en faveur de Tshisekedi. Un accord qui prévoyait que lors de la prochaine présidentielle de 2023, Tshisekedi devait soutenir Kamerhe. Après les élections, le patron de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) a été nommé directeur du cabinet de la présidence.
Mais l’arrivée de cet «intrus» dans le premier cercle de Félix Tshisekedi a été mal vécu par les caciques de l’UDPS, qui se voyaient ainsi ravir un poste stratégique et une connexion directe avec le nouveau chef de l’Etat. Vital Kamerhe a concentré beaucoup de jalousies au sein des «faucons» de l’UDPS.
Du côté de l’UNC, si on affirme que la détention provisoire de Vital Kamerhe ne vaut pas inculpation, et encore moins condamnation, on y voit tout de même une instrumentalisation politique de la justice. Car si certains collaborateurs de Félix Tshisekedi n’ont jamais goûté la présence de Vital Kamerhe à la présidence, certains kabilistes ne sont pas mécontents de la mésaventure judiciaire qui arrive à leur ancien allié, souvent qualifié de «traître» dans les rangs pro-Kabila. En tout cas, la détention de Vital Kamerhe rebat les cartes de la majorité présidentielle et de l’alliance UDPS-UNC au sein de la coalition CACH. A l’UDPS, cela fait plusieurs mois que certains membres demandent la rupture de l’accord de Nairobi avec l’UNC. Car en ligne de mire pour l’UDPS, il y a la présidentielle de 2023. L’arrestation de Vital Kamerhe et sa possible inculpation pourrait l’empêcher de présenter sa candidature et laisserait la voie libre à Félix Tshisekedi pour solliciter un second mandat.
Dans ce grand chambardement, Félix Tshisekedi se retrouve dans une position bien inconfortable. «L’affaire Kamerhe» le fragile autant qu’elle peut le renforcer.
La mise en détention provisoire de l’un des collaborateurs-clé du chef de l’Etat le fragilise. Félix Tshisekedi lui-même pourrait être inquiété par de possibles détournements d’argent au sein de sa propre présidence. Le président se retrouve également privé du chef de file de son principal allié politique, l’UNC. Dans son bras de fer permanent avec le FCC de Joseph Kabila, le poids politique de l’UNC au parlement pourrait lui faire défaut.
En interne, la mise en retrait du directeur de cabinet devrait contenter les membres les plus radicaux de l’UDPS. Tshisekedi pourrait ainsi renouer avec la base de son parti. Au yeux des Congolais, le nouveau président pourrait également en tirer quelques bénéfices. Enfin, l’absence forcée de Vital Kamerhe serait l’occasion pour Félix Tshisekedi de se choisir un membre de l’UNC (ou de l’UDPS) pour remplacer Vital Kamerhe à la tête du cabinet présidentiel.[8]

Au coeur du procès Kamerhe, le volet politique jouera un rôle primordial. Car ce grand déballage devant une justice, qui jusque-là a fermé les yeux sur les détournements d’argent, n’a pu se faire que dans un contexte politique bien particulier : celui d’alliances contre-nature. Le climat de méfiance-défiance entre l’UDPS de Félix Tshisekedi et l’UNC de Vital Kamerhe, puis entre l’alliance CACH de Tshisekedi et le FCC de Kabila, a créé un climat délétère propice aux coups bas et aux dénonciations. La boîte de Pandore a été ouverte et personne ne sait vraiment comment la refermer… sans prendre de coups.
Alors que les alliances UDPS-UNC et CACH-FCC battent de l’aile, au milieu c’est bien le président Félix Tshisekedi qui se retrouve fragilisé. Privé de Vital Kamerhe, le président congolais doit trouver un nouvel allié pour peser dans son bras de fer permanent avec Joseph Kabila. A l’UDPS, les déboires de Vital Kamerhe, perçu comme un intrus et un gêneur, ont plutôt été accueillis avec soulagement, trop content de s’être débarrassé d’un concurrent pour leur poulain à la présidentielle de 2023. Mais ce calcul à court terme pousse un peu plus l’actuel chef de l’Etat dans les bras de Joseph Kabila, qui regarde l’affaire Kamerhe en comptant les points. Mais les kabilistes devraient tout de même se méfier du procès Kamerhe.
Le procès du directeur de cabinet pourrait être l’occasion d’un grand déballage qui éclabousserait l’entourage de Félix Tshisekedi, mais aussi certains proches de Joseph Kabila.[9]

[1] Cf RFI, 18.07.’19
[2] Cf RFI, 29.04.’20
[3] Cf Sonia Rolley – RFI, 30.04.’20  http://www.rfi.fr/fr/afrique/20200430-rdc-vital-kamerhe-et-les-50-millions-dollars-samibo
[4] Cf Pascal Mulegwa – RFI, 08.04.’20; Patient Ligodi – RFI, 09.04.’20
[5] Cf RFI, 09.04.’20
[6] Cf Sonia Rolley – RFI, 25.04.’20
[7] Cf Sonia Rolley – RFI, 25.04.’20
[8] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia.com, 09.04.’20
[9] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia.com, 10.05.’20