Congo Actualité n. 401

LES MASSACRES DE BENI: VIOLENCE POLITIQUE, DISSIMULATION ET COOPTATION

Groupe d’Étude sur le Congo (GEC)
Rapport d’enquête n. 2 (2ème  Partie)
Septembre 2017[1]

SOMMAIRE

4. LES MASSACRES DE 2013: LES « PREMIERS MOTEURS »
a. Les antécédents des massacres: la mobilisation de l’ex-APC lors de la crise du M23 (2012-2013)
b. Les massacres de Watalinga et Ruwenzori
c. La collaboration de l’ex-APC avec les ADF
d. La collaboration entre l’ex-APC et certaines autorités locales
e. L’implication de Rwandophones
5. LES MASSACRES DE 2014-2016: LES « SECONDS MOTEURS »
a. Les deux vagues successives des violences: les plans des « premiers moteurs » et la réaction des « seconds moteurs »
b. Les implications et les motivations des ADF
c. Les implications et les motivations de l’ex-APC
d. Les deuxièmes moteurs: les FARDC ont coopté les groupes existants
e. Les preuves de l’implication des FARDC dans les massacres
f. Les causes de l’implication de Sukola I
g. La complicité entre certains officiers de Sukola I et les ADF

4. LES MASSACRES DE 2013: LES « PREMIERS MOTEURS »

Les massacres de Beni se sont appuyés sur des dynamiques déjà existantes:
– un réseau d’officiers de l’ex-APC cherchant à conserver leur influence sur le territoire,
– des chefs locaux déterminés à récupérer les terres et l’autorité qu’ils pensaient avoir perdues,
– un groupe d’ADF préoccupé pour sa survie.
Une première vague de massacres a commencé en 2013, avec une série de meurtres perpétrés près de la frontière avec l’Ouganda. Les recherches existantes retracent les grandes lignes de la mobilisation de l’ex-APC au cours de cette période 2012-2013, présentent les preuves de l’implication des ADF dans les meurtres de 2013 et révèlent les traces préliminaires des connexions de l’ex-APC avec les meurtres. Selon ces études, les attaques ont connu la participation de groupes mixtes composés des ADF, des ex-APC, de combattants rwandophones et de milices alliées soit avec l’ex-APC, soit avec les ADF.
Il n’est pas clair si la remobilisation de 2012-2013 incluait un plan de massacres. Toutefois, plusieurs de ceux qui ont avoué d’avoir participé aux massacres de 2013 et 2014 on affirmé qu’ils avaient été recrutés pendant cette période par l’ex-APC. Certains recruteurs et participants aux tueries successives ont suggéré que l’idée de massacres à grande échelle était née pendant cette période.
De nombreux participants aux tueries l’ont fait suite aux mobilisations passées, considérées comme une lutte incessante pour affirmer le pouvoir local contre des intérêts extérieurs. Un participant aux attaques a fourni la suivante explication: «L’objectif de ce réseau était de reconstituer l’ancien territoire du RCD / K-ML et de reprendre le contrôle sur les institutions financières de Beni». En réalité, il ne s’agissait pas d’objectifs nouveaux, car ils étaient les mêmes des mobilisations précédentes, y compris celle de 2010.

a. Les antécédents des massacres: la mobilisation de l’ex-APC lors de la crise du M23 (2012-2013)

En 2012, dans l’est de la RD Congo, plus précisément au nord de Goma, on a assisté à une vague de mobilisation armée provoquée par la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23). Cette rébellion avait l’intention de lancer des attaques simultanées dans tout l’est du pays. Les ex-APC étaient censés jouer un rôle clé dans les territoires de Beni et de Lubero, en appelant leurs anciens camarades d’armes à les rejoindre.
Bien qu’il ne soit pas clair qui était finalement responsable de la mobilisation de l’ex-APC, le Groupe d’experts des Nations Unies rapporte que Mbusa Nyamwisi y avait une responsabilité, au moins partielle. Mbusa Nyamwiisi a encouragé les officiers de l’ex-APC à quitter les FARDC.
Le major Hilaire Kombi a fait défection en juin 2012 pour rejoindre les Forces Œcuméniques pour la Libération du Congo (FOLC) de Kava wa Seli, ancien officier APC. Après avoir récupéré des dizaines d’armes dans la résidence de Mbusa Nyamwisi à Beni, Hilaire Kombi a rejoint Kava wa Seli dans la vallée de la Semliki. Mbusa Nyamwisi a appuyé Hilaire Kombi en lui fournissant des nouvelles recrues.
D’autres ont déserté l’armée nationale et rejoint les FOLC, toujours sur instruction de Mbusa Nyamwisi. Cette collaboration s’est poursuivie lorsque Hilaire Kombi a créé l’Union pour la Réhabilitation de la Démocratie au Congo (URDC) en octobre 2012, en remplacement des FOLC. David Lusenge et Charles Lwanga ont fait défection des FARDC et ont rejoint le groupe en novembre 2012, plaçant des troupes à Watalinga et à Ruwenzori. Un régiment entier des FARDC a fait défection en décembre 2012, sur instruction de son commandant ex-APC, pour travailler aux ordres de Lusenge.
Des officiers de l’ex-APC ont obtenu le soutien d’autres groupes armés.
Des officiers de l’ex-APC, dont Hilaire Kombi, étaient en contact régulier avec le chef du M23, le colonel Sultani Makenga. David Lusenge a également coordonné ses opérations avec Hilaire Kombi et, comme d’autres officiers de l’ex-APC, était en contact régulier avec les commandants du M23. Pendant ce temps, Mbusa Nyamwisi s’était rendu au Rwanda pour y rencontrer certaines personnalités, tandis qu’un autre officier de l’ex-APC y recrutait des troupes. Finalement, l’ex-APC a occupé des postes de haut rang dans le M23.
La rébellion du M23 avait des grandes ambitions et une portée régionale. Le Groupe d’experts des Nations Unies a rapporté que le général ougandais Saleh avait tenté, en vain, de créer un commandement unifié du M23 pour le territoire de Beni qui aurait rejoint Mbusa et Kakolele. L’association culturelle Kyaghanda-Yira aurait aidé les recrues à traverser la frontière, surtout à travers le poste de Kasese.
Impliqué dans ce nouveau mouvement, l’ex-APC a également tiré parti de ses liens avec les ADF, déjà existants dans le passé. La mission de maintien de la paix des Nations Unies (MONUSCO) a observé que l’URDC de Hilaire Kombi avait des liens avec les ADF dans tout Beni, y compris à Rwenzori et à Watalinga, La Monusco a remarqué la possibilité d’une formation militaire dispensée par les commandants militaires des ADF et de l’ex-APC aux FOLC, le groupe précurseur de l’URDC. Les services de renseignement des Nations Unies ont également constaté des liens entre des groupes ex-APC et les ADF, affirmant que, en 2013, «les ADF ont développé des liens avec Antipas Mbusa Nyamwisi et ont collaboré avec des groupes armés locaux, comme le groupe de Hilaire Kombi». Un combattant des ADF a déclaré aux services de renseignement militaire des Nations Unies que, tandis que les FARDC étaient occupées dans des opérations contre le M23, Hilaire Kombi aurait approché les ADF sur instructions de Mbusa Nyamwisi, afin de leur demander une collaboration pour prendre le contrôle sur Beni.
Un officier ougandais des ADF a déclaré que, à cette époque, Hilaire Kombi aurait collaboré avec le chef des ADF Jamil Mukulu, dans le but de créer une nouvelle rébellion.
C’est dans cette période que, peut-être, il faut chercher l’origine d’une collaboration entre les réseaux de l’ex-APC et des acteurs rwandophones. Le Groupe d’experts de l’ONU a constaté que, en mai 2013, le M23 avait envoyé des troupes au groupe de Hilaire Kombi, alors qu’un officier de l’ex-APC recrutait des troupes au Rwanda. En outre, deux autres ex-APC ont déclaré que, à cette époque, ils avaient aidé à transférer des rwandophones du Petit Nord du Nord Kivu à Ben, situé dans le Grand Nord du Nord Kivu.
Début 2013, on a assisté à la formation d’une vaste coalition de différents groupes armés. L’existence de relations entre ces différents groupes armés n’impliquait pas qu’ils poursuivissent les mêmes objectifs ou qu’ils coopérassent harmonieusement, mais plutôt que chaque partie considérasse la collaboration comme un moyen de renforcer sa propre influence. Une attaque de mai 2013 contre la base militaire de l’OZACAF, quelques semaines avant les premiers massacres à Kamango, illustre comment une coalition composée d’ex-APC, de combattants rwandophones, de milices locales et des ADF ont participé aux opérations (voir encadré ci-dessous).

ENCADRÉ 1. Coalitions de groupes armés pour des attaques mixtes: le cas de la base militaire de l’OZACAF (mai 2013)
L’attaque à la base militaire de l’OZACAF est l’une des nombreuses attaques autour de Beni qui, le 15 mai 2013, a fait 28 morts. Bien que cette attaque ne soit pas directement liée aux massacres, toutefois elle démontre qu’un élément des massacres ultérieurs – la collaboration de plusieurs groupes armés dans les attaques – s’était déjà manifesté.
Reflétant la tendance de l’ex-APC à puiser dans les milices locales, cette attaque a vu l’URDC de Hilaire Kombi collaborer avec la milice Mayangose du chef Mbonguma Kitobi. Une branche de l’URDC de Hilaire Kombi était, en effet, basée à Mayangose et des membres de la milice Mayangose ont avoué être en contact direct avec Hilaire Kombi et Mbusa Nyamwisi.
Mbonguma Kitobi a aidé à mener l’attaque à l’OZACAF. L’opération a également impliqué d’autres partenaires de l’ex-APC, notamment des combattants rwandophones. L’attaque a eu lieu le même mois pendant lequel le M23 avait envoyé des troupes au groupe de Hilaire Kombi. Un commandant de la milice Mayangose participant à l’attaque de l’OZACAF a déclaré que Mbonguma avait divisé les assaillants en deux groupes pour l’opération et que l’un des deux comprenait des troupes rwandophones. Dans une déclaration, il a expliqué: «Le deuxième groupe était constitué de soldats tutsis. Étant donné que les Maï-Maï ne pouvaient pas s’entendre avec les soldats tutsis, c’est pourquoi ils ont été séparés». Bien que les commandants des milices locales aient collaboré avec des combattants tutsis, ils ont quand même mobilisé des recrues en leur disant que leur objectif était de combattre l’influence rwandaise.
Dans d’autres déclarations, Mbonguma et d’autres commandants de milice ont expliqué que, pour renforcer l’attaque de l’OZACAF, Hilaire Kombi avait amené des troupes de Mwalika, communément connue comme une base des ADF. Mwalika a des liens bien documentés avec des officiers de l’ex-APC. Hilaire Kombi et Kava wa Seli ont reconnu d’avoir gardé des troupes à cet endroit. Des combattants de l’ex-APC ont affirmé d’y avoir rencontré les ADF, tandis que la MONUSCO y a remarqué la présence simultanée, à ce temps-là, des ADF et des ex-APC.
L’attaque de l’OZACF démontre que les alliances entre différents groupes armés, caractéristiques des massacres de juillet et décembre 2013 et de 2014, avaient été déjà nouées.

b. Les massacres de Watalinga et Ruwenzori

Les premiers massacres ont éclaté le long de la frontière entre la RD Congo et l’Ouganda en juillet 2013, quelques semaines après l’attaque contre la base militaire de l’OZACAF. Les tueries de Kamango en juillet 2013 et celles perpétrées le long de la route Mwenda-Kikingi en décembre 2013 sont les premiers grands massacres perpétrés sur le territoire de Beni.
Kamango, chef-lieu  de la chefferie de Watalinga, a été attaqué le 11 juillet 2013, faisant douze morts. Les assaillants ont tué plusieurs autorités locales, dont Nelson Buliya, chef du groupement de Bawisa, et incendié les bureaux administratifs. L’attaque a obligé 66.000 civils environ à fuir vers l’Ouganda.
Le 14 juillet 2013, d’autres combattants ont attaqué Kikingi, au sud de Kamango, pillant ses pharmacies et magasins et contraignant la population locale à se déplacer.
Une autre série d’attaques a eu lieu entre le 11 et le 17 décembre 2013, dans le secteur de Ruwenzori, entre Mwenda et Kikingi, faisant une vingtaine de victimes. Un participant aux tueries de 2014 a décrit les attaques de décembre 2013 comme «le premier test des massacres».
Les recherches existantes attribuent ces attaques exclusivement aux ADF, qui auraient réagi face à une opération menée par les FARDC mi-2013, pour démanteler une voie d’approvisionnement des ADF qui passait par Kamango. Kamango était, en effet, un centre important qui reliait entre eux plusieurs camps ADF dans la région de Ruwenzori.
Cependant, des recherches postérieures dressent un tableau plus complexe qui démontre le rôle des ADF dans ces attaques, mais aussi l’implication d’autres groupes armés composés par des officiers de l’ex-APC, des milices locales et des combattants rwandophones.

c. La collaboration de l’ex-APC avec les ADF

Pour mener les attaques, des groupes armés affiliés à des officiers de l’ex-APC se sont accordés avec les ADF et d’autres partenaires locaux, ce qui démontre les liens de collaboration entre l’ex-APC et les ADF. Le frère aîné de Mbusa Nyamwisi, Edouard Batotsi Nyamwisi, s’était personnellement impliqué dans la mobilisation de 2012-2013, en utilisant sa propriété près de Mutwanga comme site de recrutement. Il était devenu un point focal dans la coordination de ce recrutement, notamment en gérant les relations entre les ex-APC et les ADF. En ce qui concerne l’ex-APC, Edouard Nyamwisi  a encouragé la mobilisation par des promesses de restitution des terres et des postes administratifs aux populations de Beni.
Des membres de l’association culturelle nande Kyaghanda-Yira ont également aidé pour le recrutement et les fournitures. Des combattants ont déclaré que les membres de Kyaghanda-Yira travaillaient main dans la main avec Edouard Nyamwisi pour le recrutement et les fournitures. L’officier supérieur des ADF Winny Bwanandeke a également parlé du rôle d’Edouard Nyamwisi et de Kyaghanda-Yira dans l’organisation de groupes armés mixtes ex-APC et ADF.

ENCADRÉ 2. Opérations mixtes ADF-ex-APC
Recruteur n. 1:
«C’est Edouard Nyamwisi qui m’a demandé de faire ce travail de recruteur. C’est un travail que je faisait avec les Ougandais … ils nous demandaient de chercher des jeunes hommes. Nous les recrutions et nous les envoyions à Edouard Nyamwisi et lui les envoyait dans la forêt. Nous étions payés environ 50 $. Les ADF venaient la nuit et je les voyais face à face. De nombreuses boutiques de la région travaillaient pour les ADF. Les ADF venaient ici pour s’approvisionner.
Notre objectif était que Mzee [Mbusa Nyamwisi] prenne le pouvoir et devienne le président. D’autres ex-APC, comme Birotsho, l’auraient appuyé, et les chefs coutumiers aussi … Kyaghanda-Yira aurait sensibilisé les recrues à Butembo et à Beni. Nous nous sommes coordonnés par téléphone: Kyaghanda-Yira nous envoyait des combattants et nous allions les chercher. Ils seraient passés par Bulongo et ils seraient entrés dans la forêt autour de Kikura.
Nous agissions selon la condition fixée par les ADF: nous devions garder nos opérations sécrètes. Les ADF ne permettent pas de dire à autrui si vous les rencontrez ou si vous travaillez pour elles. Nous savons qu’elles sont nos alliés, mais ce qui se dit entre nous doit rester un secret … Un autre recruteur a commencé à divulguer ce que nous faisions, alors les ADF l’ont puni».
Combattant n. 1, recruté en 2012 par des affiliés du RCD / K-ML, actif pendant Sukola I:
«J’ai été recruté par un cadre politique du RCD / K-ML qui m’a appelé au téléphone et m’a emmené à Kasindi … Il m’a offert 100 $ … Je n’avais pas de visa pour traverser la frontière, mais j’ai reçu un formulaire d’autorisation d’un douanier et un autre d’un membre du RCD / K-ML.
J’ai rencontré d’autres combattants dans les ADF. C’est une organisation islamiste. Notre chef était Hood Lukwago, qui travaillait avec Jamil Mukulu … c’était un groupe mixte avec les ADF … nous avons traversé la frontière de Kasese à Bundibugyo. Entrés au Congo, nous sommes allés autour de Kamango, près de Biangolo.
C’est le cadre politique du RCD / K-ML qui m’a recruté … mais ce sont les Ougandais qui nous ont donné une formation. Nous étions sous les ADF. Nous étions sûrs que nous allions conquérir Beni et prendre le contrôle de la région …
Dans le camp, je suis resté chrétien, mais environ 80% des gens étaient musulmans. Il y avait beaucoup de gens dans le groupe mais, avec l’opération Sukola I, nous sommes restés à moins de 80. Nous sommes restés deux semaines sans rien manger. Si vous essayez de vous échapper, ils vous tuent. Si tu voulais fuir, tu étais éliminé. Les troupes de rang inférieur étaient gardées dans un endroit séparé des chefs. Les dirigeants avaient leur propre espace».
Combattant n. 2, participant aux massacres de 2013, à Mwenda-Kikingi et à Kamango:
«Les gens qui travaillaient avec Kyaghanda-Yira m’ont envoyé dans la forêt. Ils recrutaient des jeunes en leur promettant 100 $. Ils disaient aux recrues d’aller chez Edouard Batotsi [Nyamwisi]. C’était en 2013 … il y avait 17 personnes. Nous sommes allés à une réunion nocturne chez Edouard Batotsi qui nous a dit: « dans peu de temps, nous reprendrons notre pays. N’ayez pas peur, le pays s’améliorera, nous deviendrons les leaders qui dirigeront le pays ». Nous avons dépassé Mutwanga, le long de la route de Kikingi, et nous sommes entrés dans le parc national. Un chef des ADF nous a reçus. Nous y avons passé deux mois en formation. C’était un grand camp divisé en plusieurs sections. Les Congolais étaient soumis aux Ougandais, les Ougandais avaient tout le pouvoir. Feza était là … Les recrues ont appris à utiliser des fusils .. Dans le camp, les recrues congolaises avaient leur propre place, dans un camp avec des officiers congolais, mais les troupes congolaises ne pouvaient pas s’approcher des officiers ougandais … Il y avait beaucoup d’ex-APC …
Nous avions un chef dont le nom était Musa [Baluku]. Le chef de file était un officier ougandais qui s’appelait Feza. Nous sommes restés ensemble dans la forêt, mais nous avions notre propre espace, tandis que les ADF avaient leur propre endroit, et nous ne pouvions pas y aller. Mais lors des opérations, nous nous sommes unis, les Congolais et les Ougandais. Dans le camp, il y avait des Congolais, des Ougandais, des Rwandais et des Somaliens».
Combattant n. 3, lui aussi participant aux tueries de 2013:
«Je suis allé dans la brousse … après être arrivés à Mutwanga, on entre dans le parc et on continue jusqu’à la rivière du Semliki. À mon arrivée, j’ai vu de nombreux officiers, congolais et ougandais. (Question: Comment saviez-vous qu’il s’agissait d’Ougandais?) J’ai vécu dans la forêt pendant plusieurs années et je les ai connus là-bas, nous avons travaillé ensemble. J’ai vu aussi des officiers congolais avec qui j’avais travaillé dans l’APC … Les dirigeants étaient des Ougandais. Les Congolais pouvaient être des commandants, mais ils ne pouvaient pas occuper des postes supérieurs à ceux des Ougandais …  Là, dans le camp, on ne peut pas parler ouvertement. Certaines personnes ont essayé de s’échapper, mais si les patrouilles vous attrapent, vous êtes tué. Les Ougandais n’ont aucune pitié … Dans le camp, les Congolais peuvent continuer à être chrétiens, mais presque tout le monde est musulman.
Les gens de la ville, comme des membres de Kyaghanda-Yira, sont venues nous aider. Beaucoup de fournitures provenaient d’Edouard Batotsi Nyamwisi … Kakolele aussi nous envoyait des renforts dans la brousse. Il recrutait en secret. Il nous apportait des fusils et des munitions. Ils nous disaient que nous serions devenus des dirigeants: certains d’entre nous seraient devenus des généraux, d’autres des ministres. On nous disait que «Mzee» serait devenu président. Lors des attaques, nous étions masqués… Beaucoup sont morts. Lorsque nous nous sommes battus contre les FARDC, beaucoup d’entre nous ont été tués».

Trois combattants impliqués dans le groupe mixte ADF / ex-APC ont également raconté d’avoir participé à des tueries. Un combattant de l’ex-APC a ainsi décrit la réalisation des attaques contre Mwenda et Kamango en 2013: «Les ordres venaient des Ougandais. Les officiers ougandais ont dit aux officiers congolais de mener des opérations. Ils leur ont dit d’aller dans la zone où les recrues congolaises logeaient et d’en prendre quelques-unes. Ils nous ont dit que nous partions en mission. Nous sommes arrivés à Mwenda … et les chefs nous ont donné l’ordre de tuer … C’était ma première fois. J’ai vu comment quelqu’un pouvait être abattu comme une chèvre. Quand j’ai vu ça, j’ai commencé à trembler. Nous avons terminé l’opération et nous sommes rentrés au camp. Les membres des ADF gardent un silence total. Ils ne veulent pas que des groupes différents se rencontrent entre eux. Ils participent aux opérations, mais ils ne veulent pas être reconnus … Pour cela, lorsque nous partions pour les attaques, nous endossions des masques».

d. La collaboration entre l’ex-APC et certaines autorités locales

Les recherches effectuées ont permis d’identifier certains de ceux qui ont contribué à organiser les tueries de 2013.
Un groupe tournait autour de Bwambale Kakolele et comprenait des officiers de l’ex-APC, dont David Lusenge, Charles Lwanga, Sibenda Kambale et Adrian Loni. Ils étaient des officiers de l’ex-APC intégrés dans l’armée nationale, même si David Lusenge et Charles Lwanga avaient déserté fin 2012. Début 2013, Kakolele et Lusenge ont collaboré avec Adrian Loni, pour chercher des nouvelles recrues ougandaises à Kampala.
Des commandants de l’ex-APC avaient installé leurs bases dans la chefferie de Watalinga (notamment à Ndama) et dans les secteurs de Rwenzori. Le chef de la chefferie de Watalinga était Saambili Bamukoka,  collaborateur connu des ADF, tandis que le sous-chef de la localité de Ndama était Muganda.
Lusenge avait acheté un champ à Ndama qui, ensuite, était devenu une cache d’armes et un camp militaire qui hébergeait des troupes congolaises et ougandaises.
Un rapport de la MONUSCO a permis de relier ce groupe de l’ex-ACP aux tueries de juillet 2013 à Kamango. Ce rapport de l’ONU a décrit une réunion qui avait eu lieu la veille de l’attaque à Kamango, au cours de laquelle le sous-chef Muganda avait averti Saambili Bamukoka à propos de la présence de «rebelles armés inconnus jusque-là dans la région». Les participants à cette réunion ont précisé que Muganda avait prévenu Saambili sur les activités de David Lusenge et d’Adrian Loni et que Saambili n’avait pas pris en considération ces informations. C’est pour cela que Saambili Bamukoka fut accusé d’être impliqué dans ce massacre de Kamango.
Un observateur local a noté que, lors des tueries de juillet 2013 à Kamango, les assaillants avaient attaqué à partir juste des bases situées près de Kikingi et de Ndama (où il y avait des combattants aux ordres d’officiers et de collaborateurs de l’ex-APC, dont Hilaire Kombi, Lusenge, Lwanga et Adrian). Une autre source a déclaré qu’il avait déposé des troupes à Ndama au nom de l’ex-APC et qu’elles avaient ensuite participé aux tueries.
Le Groupe d’experts de l’Onu a noté que ces meurtres avaient dévoilé un réseau plus large de relations entre les chefs locaux et les ADF. Ces personnes avaient déjà collaboré auparavant. Lwanga et Adrian avaient déjà contribué à organiser certains enlèvements très médiatisés de l’époque, qui étaient généralement attribués aux ADF.
Un commandant d’une milice affiliée à l’ex-ACP a révélé que certains enlèvements, dont celui des trois prêtres de Mbau fin 2012, étaient effectués en coordination avec les ADF. C’est le groupe lié à Adrian et à des partenaires locaux qui a donné l’ordre de «enlever ces trois prêtres et de les vendre successivement à Feza (commandant militaire des ADF), pour faire croire que c’étaient les ADF qui les avaient kidnappés». D’autres groupes ex-APC, dont celui de Hilaire Kombi, ont également contribué à la réalisation de nombreux enlèvements.
Les tueries de décembre 2013 révèlent aussi des connexions entre l’ex-APC et les ADF. Deux collaborateurs de Kakolele ont reconnu d’avoir participé à ces tueries. Deux combattants basés dans le camp mixte ex-APC/ADF près de Semliki ont déclaré avoir participé aux attaques le long de la route Mwenda-Kikingi. Un combattant des ADF a également parlé de la présence des troupes que Kakolele avait amenées dans ce camp conjoint. Un participant recruté par Kakolele pour les tueries de 2014 a décrit les tueries de décembre 2013 comme «le premier test des massacres» et a raconté avoir été payé après l’attaque de décembre. Des commandants de l’ex-APC ont expliqué les massacres comme «un moyen pour se tailler un espace, en vue d’obtenir des postes de responsabilité dans la politique, l’administration, l’armée et l’économie locale».
Tout comme les tueries de juillet, celles de décembre 2013 aussi ont été perpétrées en collaboration avec les ADF, qui avaient leurs propres raisons pour y participer. En effet, elles savaient déjà que l’armée congolaise était en train de préparer une offensive contre elles en 2014 et avaient commencé à s’y préparer.

e. L’implication de Rwandophones

Au cours de cette période, on a constaté un afflux de combattants rwandophones dans les groupes armés de Beni, ce qui a intensifié la collaboration entre ces rwandophones et les réseaux de l’ex-APC de Beni lors des massacres. Alors que de nombreux témoignages ont signalé la présence de rwandophones au cours des attaques, toutefois il n’est pas clair s’il s’agissait de troupes tutsies liées au M23 ou de migrants hutus qui, à la recherche de terres, ont été manipulés pour participer aux massacres. Selon le Groupe d’experts des Nations Unies, certains combattants du M23 ont été envoyés dans le Grand Nord pour rejoindre la milice d’Hilaire Kombi. Comme le note le Groupe, en mai 2013, «le M23 avait envoyé des troupes et des armes à Hilaire [Kombi] pour tenter d’établir une présence du M23 dans les territoires de Beni et de Lubero».
Un commandant de milice et un combattant des ADF ont déclaré que, à cette époque, Kakolele et d’autres officiers de l’ex-APC, dont Lusenge, avaient amené des rwandophones à Watalinga, ajoutant que Kakolele aurait également installé des rwandophones à Beni plus tôt, après avoir quitté le CNDP en 2008.

5. LES MASSACRES DE 2014-2016: LES « SECONDS MOTEURS »

En octobre 2014, à Beni et ses alentours on a assisté à une longue séries de massacres qui ont provoqué la mort de plus de 800 personnes, dont des femmes et des enfants. La séquence des événements est relativement claire. Après avoir vaincu le M23, l’armée congolaise (FARDC) s’est tournée vers le nord et, en janvier 2014, elle a lancé l’opération Sukola I contre les ADF, en collaboration avec la mission de maintien de la paix des Nations Unies. Le premier commandant de ces opérations, le colonel Mamadou Ndala, a été tué dans une  embuscade lui tendue les premiers jours de l’opération. Cet assassinat a été attribué aux ADF en collaboration avec Birotsho, un officier de l’armée nationale issu de l’ex-APC.
Sous le commandement de son successeur, le général Lucien Bahuma, l’opération Sukola I avait connu un premier succès, car on avait démantelé les camps des ADF, on avait repris le territoire et on avait enregistré des défections massives au sein des ADF. Des centaines de soldats des FARDC et de combattants des ADF seraient morts au cours de ces combats. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres complets, les estimations suggèrent que, sous le commandement de Bahuma, les ADF sont passées de 1.200 unités dans le seul camp de Madina à presque 150 unités au total.
Après la chute de leur camp principal de Madina, en avril 2014, les ADF se sont fragmentées en plusieurs groupes plus petits et mobiles. De nombreux officiers supérieurs des ADF avaient disparu dans les jours précédant l’attaque de Madina, ce qui suggère une fuite de renseignements à leur faveur ou une complicité entre les ADF et certains membres des FARDC.
Le commandant des ADF, Jamil Mukulu, a fui le pays et a été arrêté en Tanzanie un an plus tard. Pourtant, la leadership des ADF est resté presque intacte. Musa Baluku a pris le commandement du groupe principal, tandis que le commandant des opérations, Feza, dirigeait une autre branche dans le groupement de Bambuba-Kisiki. Les ADF se sont scindées en petits groupes et ont commencé une série d’opérations du type « frappes et fuis » contre les FARDC.
Le 31 août 2014, le général Bahuma est décédé dans des circonstances mystérieuses, après une réunion à Kasese, en Ouganda. Le général de brigade Muhindo Akili Mundos a pris le relais et les opérations contre les ADF ont connu un certain ralentissement. Peu de temps après, en octobre 2014, les massacres de civils ont recommencé. Les violences ont commencé par des attaques à petite échelle, tuant deux à trois personnes. Dans l’attaque de Oicha, le 9 octobre 2014, on a remarqué une augmentation significative de la violence, car on avait tué au moins dix personnes. La violence s’est intensifiée encore plus lors des tueries de Ngadi et de Kadohu, à la périphérie de la ville de Beni et, surtout,  lors du massacre de Vemba, dans lequel environ 80 à 200 personnes ont été tuées. Les attaques se sont poursuivies tout au long de 2015 et 2016, bien que le nombre de personnes tuées ait diminué de manière significative au cours du deuxième semestre de 2015.
Comme pour les massacres de 2013, cette nouvelle vague de violences a connu la participation simultanée de plusieurs groupes armés, notamment les ADF, les ex-APC et les milices locales.
En outre, cette nouvelle phase des massacres a connu l’implication des FARDC elles mêmes, car certains officiers de l’opération Sukola I ont eux-mêmes participé à l’organisation des massacres, en faisant recours à des groupes armés préexistants.
Qu’est-ce qui explique ce chevauchement des organisateurs? D’après les éléments de preuve, un ensemble de «premiers moteurs» liés à l’ex-APC et aux ADF était initialement responsable de la planification des tueries. Ayant l’armée nationale découvert ces plans préexistants, elle a adopté une stratégie pour les contraster. Certains officiers de Sukola I ont collaboré avec des milices liées aux ex-APC et aux ADF, camouflant ainsi leur participation et attribuant la responsabilité des massacres aux « ADF ». L’objectif aurait pu être celui d’infiltrer ces groupes armés pour les neutraliser à partir de leur intérieur, en arrêtant et en traduisant en justice leurs chefs. Mais, suite à la prédominance d’intérêts politiques et économiques, cette stratégie d’infiltration n’a fait que intensifier les tueries.

a. Les deux vagues successives des violences: les plans des « premiers moteurs » et la réaction des « seconds moteurs »

Les préparatifs de la vague d’attaques de 2014 relevaient des différentes luttes parallèles pour le contrôle politique dans la région. Avec ces luttes en toile de fond, la meilleure interprétation des massacres est que, ayant les forces gouvernementales découvert des plans préexistants de tueries envisagées par les ex-APC et les ADF, elles y ont réagi en adoptant une stratégie de cooptation de ces groupes armés, ce qui a provoqué la poursuite des massacres. Pour ces officiers de l’armée congolaise, contrôler les groupes armés dans la région était plus important – et peut-être plus réalisable – que mettre fin aux violences.

b. Les implications et les motivations des ADF

Il n’y a guère de doute sur l’implication des ADF dans les différents massacres. Parmi les commandants des ADF impliqués dans les attaques, plusieurs témoignages ont cité Baluku, Feza et Braida.
Les ADF avait leurs propres raisons pour participer aux tueries. Les attaques menées sous les ordres  du général Bahuma contre les ADF lors de l’opération Sukola I avaient provoqué des conséquences désastreuses sur le groupe. Entre janvier et avril 2014, les FARDC avaient pu démanteler de nombreux camps des ADF et couper leurs chaînes d’approvisionnent en armes et vivres. Des centaines d’ADF – en particulier leurs dépendants – étaient morts de faim dans le parc national des Virunga, tandis que des centaines d’autres avaient été tués au cours des combats. On estime que seul un petit noyau d’environ 150 à 250 membres des ADF, dont plusieurs chefs, avait survécu dans la forêt. Les ADF s’étaient donc réorganisées pour faire face à l’opération Sukola I.
Les ADF avaient déjà exercé des représailles contre les civils qui avaient fourni des renseignements aux FARDC lors des campagnes militaires précédentes, telles que l’opération Ruwenzori de 2010.
À la lumière de ce qui précède, les massacres peuvent être considérés comme une stratégie des ADF pour alléger la pression de l’armée régulière sur leurs camps. Pour obliger l’armée à s’éloigner de leurs positions placées dans l’est du territoire de Beni, les ADF ont organisé des massacres dans l’ouest du territoire de Beni, près de la route nationale N 4.
Cependant, il est certain que les ADF n’étaient pas les seules responsables des massacres. La pression sur les ADF avait déjà diminué d’intensité après la mort de Bahuma en août 2014. On ne sait donc pas comprendre pourquoi les ADF auraient lancé une nouvelle série de massacres en octobre, juste quand les attaques contre elles étaient amplement diminuées.
En réalité, les ADF auraient opéré en complicité avec des officiers de Sukola I qui ont appuyé certains groupes armés déjà impliqués dans les massacres. Si les ADF avaient organisé les massacres elles seules pour alléger la pression des FARDC sur leurs camps, il serait incompréhensible que les ADF aient repris les tueries à un moment où elles auraient eu des contact avec certains commandants des FARDC. Tout cela semble confirmer que les massacres n’étaient pas l’œuvre des seules ADF.
Les ADF ont participé à de nombreuses attaques et massacres, mais souvent à côté d’autres  partenaires locaux, dont les milices locales (Vuba et Mayangose), les ex-APC (beaucoup d’entre eux intégrés dans la milice e Mayangose), des combattants rwandophones et certains officiers de l’opération militaire Sukola I.
La participation de différents groupes armés dans l’exécution des massacres révèle l’existence de liens opportunistes dictés par des intérêts politiques, économique et militaires, multiples mais convergents. Dans ce contexte, les ADF ont pu interagir avec plusieurs parties, souvent en conflit entre elles, pour en tirer des bénéfices et assurer leur survie, surtout après leur fragmentation en petits groupes.

c. Les implications et les motivations de l’ex-APC

Des membres de l’ex-APC ont contribué à déclencher la vague des violences de 2014, en collaboration avec des partenaires issus des ADF et des milices locales. Les groupes formés lors de la remobilisation de l’ex-APC en 2012 et 2013 ont continué leurs activités, ont participé à certaines des attaques les plus violentes de 2014 et à certains massacres successifs.
Les massacres perpétrés autour de Beni ont été considérés, par leurs protagonistes, dans le cadre d’une lutte pour le contrôle politique sur cette partie de territoire, considérée comme le bastion de l’opposition politique active dans le Grand Nord du Nord Kivu.
Lorsque l’ex-APC s’est remobilisé lors de la rébellion du M23, Kinshasa a d’abord essayé de désamorcer cette menace, en envoyant l’ancien chef de la commission électorale, l’abbé Apollinaire Malu Malu, originaire de Butembo, lui confiant la mission d’intégrer les différents groupes armés dans l’armée nationale. Malu Malu y avait partiellement réussi: en 2013, il avait négocié la réintégration de certains commandants, tels que Hilaire Kombi et David Lusenge, dans l’armée congolaise.
Au début de l’opération Sukola I, l’ex-APC aussi avait subi des pressions de la part de l’armée et il dût adapter sa stratégie. Alors que des officiers influents de l’ex-APC avaient été arrêtés ou cooptés et emmenés à Kinshasa (Hilaire Kombi, Kava wa Seli, David Lusenge), les réseaux de l’ex-APC ont adopté une nouvelle stratégie, celle des massacres de grande envergure. Un officier de l’ex-APC chargé du recrutement a déclaré: «Puisque Malu Malu venait de jouer sa carte, en amenant Hilaire [Kombi] à Kinshasa, nous avons dû former un nouveau groupe capable de déstabiliser les non-originaires de Beni-Lubero».
Les groupes affiliés à l’ex-APC voulaient, à l’origine, effectuer des tueries à petite échelle, dans le but de garder une base armée pour faire pression sur Kinshasa et de se tailler une zone plus vaste pour y installer une rébellion plus efficace. Le ciblage des civils avait deux objectifs: le déplacement rapide de la population civile, afin de disposer d’une zone opérative plus vaste, et remettre en question la légitimité du président Joseph Kabila dans la région.
Un officier de l’ex-APC a ainsi expliqué la logique des violences de 2014: «Notre intention était celle de semer la terreur comme aux temps du FLC, lorsque Mbusa Nyamwisi avait décidé de chasser Bemba de Beni. À cette époque-là, chaque soir il y avait au moins un assassinat dans la ville de Butembo. C’est la méthode que nous avions utilisée pour chasser de Beni-Lubero les administrateurs «bakuyakuya» [non originaires du lieu]. Par cette même méthode, nous aurions pu déstabiliser Kabila depuis Beni. C’est cette stratégie qui a été appliquée dans ce qu’on appelle « les massacres de Beni »».
Un autre officier de l’ex-APC a également confirmé cette stratégie, expliquant: «Nous voulions affaiblir Kabila de la même manière que nous l’avions fait avec Bemba pendant l’époque du FLC: nous voulions décharger sur Kabila la responsabilité des massacres de Beni, comme nous avions déchargé sur Bemba la responsabilité de nos assassinats à Butembo en 2001». Une stratégie similaire avait été également utilisée en 2010, lorsque Edouard Nyamwisi et le RCD / K-ML voulaient créer une nouvelle guerre, tout en cachant leur propre nom et convainquant les gens que c’était le gouvernement qui tuait.
Les recherches effectuées n’ont trouvé aucune preuve directe du rôle personnel de Mbusa Nyamwisi dans les tueries. Néanmoins, les participants aux violences ont affirmé qu’ils pensaient qu’ils étaient en train d’opérer dans le cadre d’un programme plus vaste de l’ex-APC, qui leur avait promis l’accès aux terres et à des postes administratifs, si l’on parvenait à rétablir l’influence politique de Mbusa Nyamwisi sur le territoire du Grand Nord du Nord Kivu.

d. Les deuxièmes moteurs: les FARDC ont coopté les groupes existants

Depuis les premiers jours des massacres, on a remarqué l’existence d’un nouveau groupe d’organisateurs des massacres. Ce nouveau groupe de participants aux violences, ou «seconds moteurs» des tueries, était lié à certains officiers de l’opération Sukola I, sans toutefois remplacer les «premiers moteurs», qui étaient également restés actifs. Certains officiers de l’opération Sukola I ont participé à l’organisation des massacres, s’appuyant sur les premiers moteurs ou en collaboration avec eux, infiltrant ainsi des groupes armés déjà préexistants.

e. Les preuves de l’implication des FARDC dans les massacres

Il existe un grand nombre de preuves sur l’inaction et la complicité des FARDC. Après avoir pris ses fonctions de commandant de Sukola I, en août 2014, le général Mundos n’a pas pris les mesures suffisantes pour protéger les populations civiles.
Des témoins des massacres avaient informé les FARDC des attaques mais souvent, comme l’a noté le Groupe d’experts des Nations Unies, «la réponse des FARDC était toujours la même: c’était trop dangereux, c’était la nuit, il faisait sombre, les soldats étaient mal équipés ou n’étaient pas suffisants et ne pouvaient pas intervenir». Une enquête parlementaire a conclu que, lorsque des civils alertaient les forces de l’ordre à propos d’attaques imminents ou en cours, souvent les FARDC et la police nationale n’intervenaient pas pour les stopper ou ils arrivaient en retard. Certaines de ces attaques ont eu lieu à moins d’un kilomètre de distance des bases des FARDC ou de la Police.
Certains commandants des FARDC ont activement empêché leurs soldats d’intervenir pour éviter les tueries. L’enquête parlementaire a révélé qu’en octobre 2014, un commandant des FARDC avait donné à ses soldats l’instruction de ne pas intervenir pour empêcher les attaques, et avait même retiré les munitions des soldats qui avaient tenté de le faire.
Dans un autre cas documenté par le Groupe d’experts des Nations Unies, après un massacre, un officier des FARDC a reçu l’ordre de ne pas poursuivre les auteurs. Lorsque, contre l’ordre reçue, il a arrêté des assaillants, ces derniers n’ont pas été traduits devant la justice militaire. D’autres participants aux massacres ont déclaré que, après leur arrestation, les officiers des FARDC avaient organisé leur libération. Un commandant issu de l’ex-APC travaillant dans les services du renseignement militaire pour Sukola I, a contribué à remettre en liberté plusieurs collaborateurs connus des milices ADF et Vuba. Des soldats et officiers des FARDC arrêtés pour ces tueries ont également été libérés.
Il existe de nombreuses preuves d’une complicité directe des FARDC. Certains officiers des FARDC ont appuyé des groupes armés qui ont commis des tueries. Selon plusieurs témoignages, le général Mundos a soutenu et, dans certains cas, organisé des tueries. Dans son rapport de 2016, le Groupe d’experts des Nations Unies a confirmé de manière indépendante l’implication de Mundos dans les massacres. Selon ce Groupe d’experts, l’implication de Mundos dans les massacres comprenait la fourniture d’armes, de munitions et d’uniformes militaires aux auteurs des massacres. Des témoins ont déclaré avoir reçu de l’argent de Mundos pour commettre des massacres. D’autres sources ont déclaré que Mundos avait recruté des miliciens congolais et des individus ayant des liens avec les ADF pour s’en servir comme éclaireurs.
Selon plusieurs sources, pour faciliter les tueries, le général Mundos a collaboré avec d’autres officiers de Sukola I, particulièrement avec des officiers issus de l’ex-APC, dont le commandant adjoint de Sukola I, le colonel Dieudonné Muhima. Un officier du renseignement militaire a révélé ce qui suit: «Quand nous alertions Muhima de la présence d’un groupe suspect dans un village ou dans un autre, il donnait des informations différentes aux éléments des [FARDC] en patrouille. Et le lendemain, nous apprenions que, dans la localité indiquée par nos sources d’information, il y avait eu un massacre». La source a dit avoir soupçonné que ces tueries pouvaient avoir été planifiées lors de réunions à huis clos entre Mundos et Muhima.
D’autres officiers des FARDC membres du 808ème régiment de Sukola I, dont le colonel Murenzi, issu de l’ex-CNDP, ont également travaillé pour faciliter l’organisation de certains massacres. Un officier des FARDC a déclaré que, lors de plusieurs attaques, Murenzi avait ordonné à ses troupes de « ne pas sortir, de ne pas patrouiller le camp et de rester en attente ».
Les soldats des FARDC membres de la 31ème brigade, également appelée Hiboux et sous les ordres de Mundos, ont souvent facilité les tueries, se déplaçant vers les zones des attaques pour aider les combattants des milices à commettre les tueries. Un participant à certains massacres a décrit l’action de son groupe sous la supervision d’officiers de Sukola I: «Lorsque nous partions pour tuer, des soldats de la 31ème brigade arrivaient aussi … À chaque massacre, la 31ème brigade entourait la zone, pour que personne ne puisse fuir…Nous n’utilisions pas seulement des armes à feu, mais aussi des machettes et des haches. Les soldats s’approchaient de nous et ligotaient les gens, puis nous le tuions. … Pendant les massacres, quelqu’un d’entre les militaire qui avait un téléphone, restait en contact avec quelqu’un de l’extérieur, parlant en lingala … Fini le travail, Mundos ou son assistant, le colonel Muhima, venait pour vérifier le massacre».
Un autre participant aux tueries, se présentant comme ADF, a raconté un schéma similaire de collaboration avec les membres de Sukola I: «Lorsque on organise un massacre, il faut une coordination … Voici comment ça se passe: d’abord nous entrons dans le village, nous brûlons les maisons et nous tuons les gens … quand le « travail » est terminé, on tire beaucoup de balles : il s’agit d’un avertissement dirigé à l’armée … Alors le commandement des FARDC donne l’ordre d’intervenir, [mais] quand ils arrivent, il ne font que tirer des balles en l’aire».
Comme indiqué par ces témoignages, les officiers de Sukola I ont rarement opéré seuls. Les officiers des FARDC ont facilité des massacres en faisant appel à des réseaux armés préexistants: ils ont opéré à côté de commandants de l’ex-APC, ils ont fait appel à des milices locales de Boikene et de Bambuba-Kisiki, dans certains cas ils étaient coordonnés avec les ADF et, enfin, ils ont facilité l’entrée de rwandophones dans ces groupes.

f. Les causes de l’implication de Sukola I

Pourquoi les FARDC auraient-elles participé à l’organisation de certaines attaques?
Des éléments des FARDC ont souvent soutenu des groupes armés ailleurs au Congo et se sont rendus coupables de pillages, de viols et d’extorsions, mais l’organisation, de manière proactive, de massacres de populations civiles va au-delà de la plupart des abus commis par les FARDC dans l’histoire récente. Il est toujours difficile d’en déterminer les motivations, car cela nécessite d’obtenir des informations sur les intentions des acteurs.
Sur la base de certaines informations, les forces gouvernementales avaient découvert des plans préexistants de tueries et y ont réagi en infiltrant ou cooptant les groupes armés impliqués dans ces tueries, afin de maintenir un certain contrôle sur eux. Pour ces officiers, le contrôle sur les groupes armés dans la région était plus important, et peut-être plus réalisable, que de mettre fin aux violences. L’attitude initiale du général Mundos à l’égard de ces réseaux qui avaient commis les tueries de 2013 était probablement celle de les considérer comme des groupes qu’il fallait infiltrer pour pouvoir les contrôler. Toutefois, c’est cette stratégie qui a permis la poursuite des massacres.
L’implication des FARDC dans les meurtres semble avoir commencé ainsi: pour garder l’influence politique du régime d’alors dans la région, les officiers de Sukola I ont adopté une stratégie de compétition armée, en tissant des alliances avec certains groupes armés contre les autres considérés comme adversaires, ce qui a multiplié les tueries.
Trois officiers issus de l’ex-APC ont déclaré que l’armée nationale avait pu connaître les plans des tueries prévus par certains membres de l’ex-APC, car l’ex-APC avait été «trahi» et «infiltré» par les réseaux de Sukola I liés à Mundos.
Un membre des services de sécurité a expliqué ce qui s’est peut-être passé et a pointé du doigt le colonel Muhima, un officier issu de l’ex-APC qui était commandant adjoint de Sukola I: «Le colonel issu de l’ex-APC Muhima a révélé le projet à Mundos qui, à son tour, a proposé au chef de l’Etat d’appliquer la même stratégie, pour bloquer la route aux hommes de Mbusa Nyamwisi commandés par John Tshibangu. Le colonel Muhima, qui connaissait tout le plan, l’ a appliqué en collaboration avec Mundos, en utilisant la même équipe qui avait été déjà été recrutée par l’ex-APC pour effectuer les massacres qui auraient dû conduire à la chute de Beni».
Une autre source des FARDC au sein de l’opération Sukola I a affirmé que le lieutenant-colonel issu de l’ex-APC Charles Lwanga avait trahi ses collègues  conspirateurs: «David Lusenge avait demandé à Charles Lwanga d’appuyer les éléments de John Tshibangu pour une nouvelle rébellion contre Kabila … Lwanga, qui connaissait le plan de John Tshibangu, a informé le général Mundos, en lui fournissant tous les détails du plan».
Ces révélations sont très utiles pour expliquer les différents moments des tueries. Les premières attaques coïncident avec les tueries à petite échelle que l’ex-APC s’était fixées comme son objectif. Par exemple, des affiliés de l’ex-APC ont reconnu leur responsabilité dans les attaques de Mukoko (2 octobre 2014), Kokola (2 octobre 2014) et Mayi Moya (6 octobre 2014), quand on tuait deux ou trois personnes dans chaque attaque. Pourtant, un auteur de ces attaques a expliqué que l’attaque successive à Oicha, où des assaillants avaient tué dix personnes, avait surpris leur groupe, car elle avait été commise par un autre groupe.
Un officier des FARDC a rappelé une réunion qui avait été organisée le 7 octobre 2014, au cours de laquelle Mundos et d’autres officiers, «avaient décidé d’utiliser le même mode opératoire de l’ennemi, afin de bloquer son avancée».
Un soldat des FARDC a décrit les tueries du 9 octobre 2014 à Oicha comme la première attaque à laquelle les FARDC ont participé: «Après le massacre de Oicha, le 9 octobre 2014, mon chef direct, le colonel X, s’est exclamé: « Voilà, les hommes de Mundos ont commencé à tuer des civils »».
Un autre participant aux massacres a déclaré que Mundos et Muhima ont appuyé son groupe lors de l’attaque à Apetina Sana qui a eu lieu au cours de la même semaine.
Un autre membre des FARDC a confirmé la tenue de la réunion du 7 octobre et la stratégie adoptée, affirmant que «lorsque le commandant de l’opération Sukola I a découvert le mode opératoire de l’ennemi … pour bloquer cette nouvelle rébellion en gestation, il a opté pour le même mode opératoire, afin de semer la confusion».
Un recruteur pour les tueries, travaillant aux ordres de Mundos, a présenté une séquence similaire des événements: «Nous avons dû organiser quelque chose pour tuer beaucoup de personnes dans une seule attaque, parce que les gens de Mbusa Nyamwisi étaient en train de  préparer une nouvelle rébellion dans la brousse. Nous avons donc organisé un groupe de tueurs pour inculper Mbusa Nyamwisi».
Les nominations au sein de Sukola I à cette époque confirment l’explication selon laquelle Mundos a cherché d’infiltrer ou de coopter des plans préexistants de tueries.
En premier lieu, le colonel Muhima (ex-APC) a été promu commandant adjoint de Sukola I après la mort de Bahuma.
En deuxième lieu, Adrian Loni (alias «Muhumuza» ou «Yesse») et le colonel Muhindo Charles Lwanga, qui avaient été intimement impliqués dans des groupes armés affiliés à l’ex-APC à Beni en 2012-2013, ont été intégrés dans l’opération Sukola I, mais ils ont continué à travailler avec ces groupes, en particulier avec la milice Mayangose, pour soutenir les massacres, faisant appel à leurs anciens collaborateurs.
Adrian Loni (alias «Muhumuza» ou «Yesse) est une figure mystérieuse et controversée. Il a facilité le recrutement pour Kakolele et Lusenge en 2013, tout en trafiquant des armes avec les deux à Mayangose et à Watalinga. Lusenge a décrit Adrian comme membre de l’armée ougandaise, ce qui correspond à ses activités là-bas. Indépendamment de son affiliation principale, Adrian avait longtemps travaillé aux côtés d’officiers de l’ex-APC et avait une connaissance approfondie des groupes armés de Beni, en tant que «confident» des commandants de l’ex-APC et il avait apparemment collaboré avec eux à tisser des liens avec les ADF. Le Groupe des experts de l’Onu a constaté que «Muhumuza avait également demandé à un cadre des ADF en 2013 de se joindre à un nouveau groupe armé qui serait dénommé également « ADF »».
Quelques semaines avant les massacres, Adrian avait été nommé lieutenant-colonel de la 31ème  brigade sous le commandement du général Mundos. En août 2014, Adrian s’était rendu à la MONUSCO, se présentant comme recruteur régional des ADF. Dans ses déclarations à la Monusco, il avait fait des affirmations farfelues au sujet des relations des ADF avec Al-Qaïda, en ajoutant qu’il avait échappé à la détention à Kampala en mai 2013 et qu’il était rentré chez les ADF. Mais plusieurs commandants de milice ont déclaré qu’il collaborait avec Kakolele pour constituer des groupes armés, notamment grâce à la collaboration avec les Maï-Maï Mayangose.
Le moment de la nomination d’Adrian au sein de Sukola I, début octobre 2014, était un moment politiquement instable à Beni, car le procès pour l’assassinat du premier commandant de Sukola I, le colonel Mamadou Ndala, était en cours. À partir de son poste au sein de Sukola I, Adrian a soutenu les tentatives de Kinshasa d’infiltrer certains groupes affiliés à l’ex-APC, avec lesquels il avait auparavant collaboré. Le procès de Mamadou a constitué une étape importante. Adrian est devenu le témoin principal qui a accusé Samuel Birotsho, un officier de l’ex-APC et son ancien collaborateur, d’avoir collaboré avec les ADF pour assassiner Mamadou Ndala.
Un membre des services de sécurité a expliqué que les connaissances d’Adrian sur les relations entre les ADF et l’ex-APC ont été très utiles pour Kinshasa, ce qui a facilité sa nomination au sein de Sukola I: «Lorsque le procureur militaire [Ntumba] a eu des indications selon lesquelles Birotsho était impliqué dans l’assassinat du colonel Mamadou Ndala, il a cherché quelqu’un qui avait une connaissance approfondie des relations entre Birotsho et les ADF. C’est ainsi qu’il est tombé sur Adrian Loni. Le colonel Ntumba a utilisé Adrian afin d’avoir tous les éléments possibles sur les relations entre les ADF et certains militaires de l’ex-APC. C’est ainsi qu’il [Adrian] a témoigné contre Birotsho dans le procès Mamadou».
Le témoignage d’Adrian n’était pas une fiction. En tant qu’officier du renseignement des FARDC avec une base permanente à Beni, Birotsho avait été, en effet, en contact avec les ADF et d’autres associés de l’ex-APC, comme Edouard Nyamwisi et Mbonguma. Certains combattants ont même qualifié Birotsho de «chef des faux ADF». Le témoignage d’Adrian était une trahison personnelle vis-à-vis de Birotsho, avec qui il avait coordonné les opérations de différents groupes armés. Après avoir rejoint l’opération Sukola I, Adrian a participé à l’organisation de certains massacres. Il a collaboré avec les Maï-Maï Mayangose, avec lesquels il avait une relation de longue date, pour organiser des tueries dans la périphérie de la ville de Beni. Il a collaboré avec Mundos etNtumba pour recruter plusieurs groupes chargés de l’exécution des massacres.
Le colonel Muhindo Charles Lwanga, officier issu de l’ex-APC, a été nommé S3 de Sukola I sous le commandement de Mundos. De ce poste, Lwanga était chargé de nommer les commandants de la 31ème brigade de Mundos. Lwanga avait auparavant travaillé avec Mundos à Goma, alors qu’il était membre de l’équipe de sécurité du gouverneur du Nord-Kivu, ainsi qu’à Dungu. Ancien capitaine de l’APC, Lwanga avait participé à la remobilisation de l’ex-APC en 2012-2013, aux côtés de David Lusenge et Hilaire Kombi de Watalinga. Avec Adrian et des commandants de milices locales, Lwanga a été impliqué dans des enlèvements très médiatisés, dont celui des trois prêtres catholiques de Mbau.
L’infiltration croisée des réseaux de l’ex-APC par Sukola I peut être lue dans le contexte d’une lutte préexistante pour garder et consolider l’influence du régime dans la région et le contrôle sur l’ensemble des coalitions qui s’étaient formées  autour des ADF.

g. La complicité entre certains officiers de Sukola I et les ADF

Après que Mundos ait pris le commandement de l’opération Sukola I, les opérations militaires contre les ADF ont connu un ralentissement.
Bien que cela puisse être dû, en partie, à la nature plus décentralisée des ADF après la chute de Médine, plusieurs officiers des FARDC et des responsables des Nations Unies ont confirmé des informations selon lesquelles le commandement des FARDC a montré beaucoup moins de détermination à poursuivre les ADF. À ce propos, plusieurs militaires ont affirmé qu’ils avaient lutté durement contre les ADF sous le général Bahuma, mais beaucoup moins sous Mundos. Un autre membre des FARDC a déclaré que, lorsque Mundos prit le relais, il avait demandé aux soldats de Sukola I d’abandonner les bases des ADF récupérées dans la forêt et de se rapprocher des villes. D’autres officiers de Sukola I, dont le colonel Muhima, ont fait le trafique du bois dans des zones connues pour être sous le contrôle des ADF.
Plus troublant, quatre éléments des ADF ont décrit comment certains officiers de Sukola I collaboraient directement avec les ADF et ils ont cité des réunions entre des officiers de la 31ème brigade issus de l’ex CNDP et / ou de l’ex-APC avec des commandants des ADF, pour coordonner les opérations.
Un imam des ADF qui a participé à une de ces réunions a déclaré qu’un membre de la 31ème brigade était allé rencontrer les ADF dans leurs camps. Toujours selon cette source, certains éléments congolais des ADF ont été intégrés dans la 31ème brigade. Comme il a affirmé, «les combattants pouvaient être de n’importe où, – de Butembo, de Kisangani, de Beni – mais il était important qu’ils soient congolais». Un officier du renseignement militaire a déclaré que Mundos avait nommé un collaborateur connu des ADF à un poste du bureau de renseignement T2.
Des personnes nommées au sein de Sukola I ont également indiqué que certains officiers des FARDC avaient établi des liens directs avec les ADF. En 2016, le Groupe d’experts des Nations Unies a découvert le numéro de téléphone du colonel Lwanga, S3 de Sukola I au début des tueries, sur une carte SIM récupérée auprès d’un combattant connu des ADF. Un autre collaborateur des ADF a déclaré que Mundos avait rencontré clandestinement des combattants Vuba et Bapakombe qui avaient des liens avec Feza, officier des ADF.
Deux éléments des ADF ont affirmé d’avoir travaillé avec des membres de la 31ème brigade pour organiser des fausses embuscades, afin de dissimuler des échanges de fournitures.
D’autres sources directes vont plus loin, déclarant au Groupe d’experts des Nations Unies que des officiers de Sukola I, dont Mundos, avaient activement travaillé avec les ADF pour organiser certains massacres. Un membre de la 31ème brigade a déclaré que des officiers travaillant sous Mundos avaient organisé des massacres et utilisé des collaborateurs des ADF comme éclaireurs.
Le Groupe d’experts des Nations Unies a constaté que Mundos s’était approché de certains combattants dans un camp des ADF près de Mwalika et les avait recrutés pour participer aux tueries. Deux auteurs de massacres ont expliqué que Mundos avait aidé à faciliter l’approvisionnement de certains groupes qui avaient commis des tueries.
Une source des services du renseignement militaire a déclaré que «les complices des ADF qui massacrent la population se trouvent dans les rangs des FARDC, en particulier parmi les ex-APC et les ex-CNDP». Plusieurs auteurs des massacres ont déclaré que les ADF opéraient en complicité avec les FARDC. Un élément maï-maï, qui a participé à des massacres avec les ADF, a affirmé: «lors de nos attaques, nous avons reçu le soutien des FARDC, surtout pour nos déplacements pendant les massacres».
Il est important de souligner que ce sont seulement certains réseaux parallèles au sein de Sukola I – pas nécessairement contrôlés par Kinshasa – qui ont collaboré avec les ADF dans les tueries. En effet, de nombreux militaires des FARDC ont loyalement participé à la bataille contre les ADF, comme en témoigne le nombre élevé des soldats FARDC et des membres des ADF qui ont péri pendant l’opération Sukola I.

[1] Cf http://congoresearchgroup.org/new-crg-investigative-report-mass-killings-in-beni-territory/?lang=fr