IDENTITÉS TERRITORIALES ET CONFLITS
DANS LA PROVINCE DU SUD-KIVU, R. D. CONGO
Bosco Muchukiwa
Globethics.net – Focus n. 34 / Genève 2016 [1]
SOMMAIRE
1. INTRODUCTION
1.1. La province du Sud-Kivu
1.2. La distinction entre territoire identitaire et territoire étatique
2. LA MULTIPOLARITÉ ET L’ÉVOLUTION DES CONFLITS DANS LE TERRITOIRE D’UVIRA
2.1. Les conflits entre originaires dans le territoire d’Uvira
2.1.1. La multipolarité et l’évolution des conflits dans le territoire d’Uvira
2.1.2. Les facteurs d’escalade des conflits interethniques en territoire d’Uvira
2.1.3. La transformation des conflits dans le territoire d’Uvira
3. LA NOTION DE TERRITOIRE ET LA NAISSANCE DES CONFLITS IDENTITAIRES
3.1. Le conflit entre BABEMBE et BABUYU dans le territoire de FIZI
3.1.1. L’origine et l’évolution du conflit de territoire et des terres
3.1.2. Les facteurs d’escalade du conflit entre Babembe et Babuyu
3.1.3. La transformation du conflit entre Babembe et Babuyu
4. LE CONTRÔLE ADMINISTRATIF, SOURCE OU SOLUTION DES CONFLITS DANS LE TERRITOIRE DE KALEHE
4.1. Le conflit entre originaires et non originaires dans le territoire de Kalehe
4.1.1. L’origine et l’évolution du conflit de territoire et des terres
4.1.2. Les facteurs d’escalade des conflits interethniques en territoire de Kalehe
4.1.3 La transformation des conflits dans le territoire de Kalehe
5. CONCLUSION
5.1. L’existence de la dimension territoriale dans les conflits au Sud-Kivu
5.2. La militarisation des communautés
5.3. L’intégration mitigée des communautés par le territoire
5.4. La fragilité de l’État congolais
5.5. La réorganisation du territoire
5.6. Le modus operandi des identités territoriales
1. INTRODUCTION
1.1. La province du Sud-Kivu
La province du Sud Kivu est constituée de huit territoires administratifs (Fizi, Idjwi, Kabare, Kalehe, Mwenga, Shabunda, Uvira et Walungu), à leur tour subdivisés en 23 collectivités, 184 groupements et 6 cités. Ces 6 cités prévues par l’Ordonnance n° 87-238 du 29 juin 1987 ne sont pas effectives. L’Assemblée provinciale e avait retenu 3 seulement, à savoir les Cités d’Uvira, Kiliba et Sange. Le Bulletin de liaison de l’Observatoire Gouvernance et Paix (OGP) de février 2009 indique que la province du Sud Kivu compte 18 chefferies et 5 secteurs (Lulenge, Mutambala, Ngandja et Tanganyika dans le territoire de Fizi e Itombwe dans le territoire de Mwenga).
Avant la colonisation, les huit territoires administratifs n’existaient pas dans leur forme actuelle, mais toutes les tribus qui les habitent ont été organisées par l’administration coloniale.
Actuellement, elles revendiquent l’antériorité sur ces entités territoriales, le droit d’autochtonie et excluent les tribus qu’elles appellent allochtones ou non originaires. Ces revendications sont perceptibles au niveau des chefferies agrandies ou des secteurs, qui sont deux formes d’organisation de l’espace politique et de contrôle indirect des habitants.
Cela pose un problème majeur, celui de non reconnaissance de la souveraineté de l’État sur les territoires ethniques. Les tribus nient le transfert de leur légitimité à l’État congolais. Elles entrent en conflit avec ce dernier et participent à son autodestruction au même titre que les factions armées, de manière consciente ou non. Dans cet État, les identités territoriales sont conflictuelles et exclusives, les notions des originaires et non originaires s’y greffent et opèrent à tous les niveaux de l’organisation territoriale et administrative. Ce problème non localisé paraît difficile à résoudre par l’État congolais, car il se manifeste sous plusieurs formes, à savoir entre deux tribus autochtones qui ont été organisées et fixées par l’administration coloniale sur une même entité territoriale, entre deux tribus dont l’une se réclame d’originaire et l’autre est qualifiée d’étranger ou de non originaire, entre plusieurs tribus qui réclament le droit d’autochtonie et remettent en question celle des autres groupes ethniques territorialisés ou non. Ces différentes formes traduisent un échec d’intégration des tribus dans l’État congolais par le territoire national.
L’objectif de cette étude est de montrer que les conflits entre groupes ethniques naissent de la confusion entre le territoire ethnique et le territoire étatique, de la superposition de ce dernier sur le premier. Les cas étudiés ont été identifiés dans les territoires de Fizi, de Kalehe et d’Uvira, qui sont des foyers des conflits entre originaires, entre ces derniers et des non originaires. Dans ces territoires, les réclamations d’autonomie territoriale remettent en question l’organisation territoriale héritée de la colonisation.
1.2. La distinction entre territoire identitaire et territoire étatique
La notion de territoire est dans la plupart des situations confondue avec celle de foncier. Cette dernière a une acception limitée et sous-entend un bien fonds, une propriété des terres appartenant à un individu, les espaces de terres mises en valeur et destinées à la production agricole au sens large.
À la place, on préfère le concept de territoire qui explique mieux les conflits entre groupes ethniques. Les terres qu’ils se disputent sont localisées sur un territoire habité, délimité et dépendant d’un État ou d’une juridiction. C’est le territoire étatique ou national qui est administré par une autorité moderne et régi par une loi. Cette conception permet de lever la confusion entre le territoire étatique et le territoire ethnique. Ce dernier a existé avant la colonisation et n’était pas bien délimité et fixe. Dispersé géographiquement, le territoire ethnique était sous l’autorité d’un patriarche et constituait des espaces de solidarité maximale, d’échange, de mouvement et d’identité collective.
Celle-ci a produit l’État identitaire. Le territoire ethnique ou identitaire renvoie à des espaces au sein desquels les populations sont majoritaires, aux berceaux de ces dernières ou à des espaces où un peuple est minoritaire et nourrit l’ambition d’être relié entre les différentes poches ethniques.
Cette distinction sommaire permet d’expliquer les conflits qui opposent les groupes ethniques et qui naissent de l’identification et de l’appartenance à un espace primaire ou national. Les conflits naissent donc de la confusion entre ces deux réalités ou du passage d’un territoire ethnique à un territoire étatique. Ce passage est qualifié de processus territorial.
2. LA MULTIPOLARITÉ ET L’ÉVOLUTION DES CONFLITS DANS LE TERRITOIRE D’UVIRA
2.1. Les conflits entre originaires dans le territoire d’UVIRA
Le territoire d’Uvira de 3.148 km² était habité en 2011 par une population chiffrée à 517.171 habitants. Ce territoire est constitué de trois chefferies, à savoir de Bafulero, Bavira et Plaine de la Ruzizi. Les appellations de ces entités correspondent aux identités des groupes ethniques qui ont été territorialisés par l’administration coloniale. L’actuelle chefferie Plaine de la Ruzizi était connue sous le nom de la chefferie de Barundi. Cette appellation a été abandonnée en 1974, pour éviter la confusion entre l’entité territoriale congolaise et le Burundi. Aussi, ce changement de nom visait à dissiper les préjugés sur les populations d’origine burundaise établies en R.D. Congo avant la pénétration coloniale et enfin de préserver leur nationalité congolaise.
Dans ce territoire vivent les Banyarwanda Tutsi. En 1933, l’administrateur René Loons les a identifiés sous l’appellation de Banyarwanda. En 1965, Jean Hiernaux les a appelés les Tutsi d’Itombwe. En 1972-1973, Tabazi Rugama a introduit l’appellation Banyamulenge. Pour avoir changé le nom pour devenir Banyamulenge et demandé la création du groupement de Bijombo et le territoire de Minembwe, les conflits interethniques ont éclaté avec leurs voisins.
2.1.1. La multipolarité et l’évolution des conflits dans le territoire d’Uvira
Les Bafuliiru, Bavira, Barundi et Banyamulenge sont des autochtones dans ce qui est devenu le territoire d’Uvira. Deux fractions de Banyarwanda vivaient dans cette entité créée par l’administration coloniale belge. La fraction de Livuze est retournée au Rwanda. Celle de Kaila errait dans les moyens et les hauts plateaux d’Uvira et de Fizi, pour échapper aux tributs des chefs locaux et surtout à l’impôt, au portage et aux recensements institués par l’administration coloniale. Pour ces différentes raisons à la base du nomadisme des Banyarwanda, la fraction de Kaila n’a pas été territorialisée par l’administration coloniale. Toutefois, la fraction de Kaila est ancienne en R.D. Congo et prit l’appellation des Banyamulenge en 1973.
Les Babembe, Bashi, Barega, etc. sont des non originaires dans le territoire d’UVIRA. Cependant, ils ont leurs propres territoires administratifs, mais sont venus s’installer dans le territoire d’Uvira pour la recherche du travail et de la sécurité. Ils y vivent en paix avec les originaires, parce qu’ils ne réclament ni la propriété du territoire d’Uvira, ni celle des trois chefferies existantes, ni encore la création de nouvelles entités administratives.
En territoire d’Uvira, il y a deux foyers de conflit de territoire.
Le premier foyer est celui de la chefferie Plaine de la Ruzizi. Le conflit a éclaté en 1928 entre Bafuliiru et Barundi, au sujet de l’existence de la chefferie agrandie de ces derniers. À cette date, le chef Muzima a revendiqué les limites entre la chefferie de Bafulero et celle de Barundi. Cette réclamation fut reprise en 1944 par le chef Matakambo, successeur de Muzima qui revendiqua la paternité de la chefferie agrandie de Barundi. Ces revendications furent contenues et étouffées par les administrateurs coloniaux qui considéraient inopportun de revoir les limites et de remettre en cause le processus d’homogénéisation des chefferies.
Le deuxième foyer de ce conflit de territoire multipolaire est celui des moyens et hauts plateaux d’Itombwe. Ce conflit oppose les Bavira et Bafuliiru contre les Banyamulenge, au sujet de la reconnaissance du groupement de Bijombo en 1979 et la création du territoire de Minembwe par le RCD le 9 septembre 1999. La reconnaissance du groupement de Bijombo a provoqué un conflit entre les Banyamulenge et les autres groupes ethniques autochtones. Malgré les protestations de ces derniers, l’État congolais a maintenu sa décision. Vingt ans après, la création du territoire de Minembwe par le RCD brouilla les relations sociales et amplifia les conflits entre les Banyamulenge et les autres communautés dans les territoires de Fizi, Mwenga, Uvira et Walungu, pour avoir amputé leurs chefferies agrandies. L’État congolais initia une commission chargée d’examiner les actes de création des entités territoriales pendant la guerre dans la province du Sud Kivu, mais s’empêcha de les officialiser en vue de remporter les élections de 2006.
2.1.2. Les facteurs d’escalade des conflits interethniques en territoire d’Uvira
Les conflits interethniques dans le territoire d’Uvira se radicalisent par la conjugaison de nombreux facteurs, entre autres la contestation de la nationalité des Barundi et des Banyamulenge, la revendication de créer de nouvelles entités administratives, l’instrumentalisation des communautés par l’élite politico-militaire, l’implication des chefs d’État des pays voisins, le changement de l’identité du groupe ethnique, la remise en question de l’existence du pouvoir coutumier, les assassinats des chefs coutumiers, l’opposition à la réhabilitation du mwami et de ses collaborateurs dans la chefferie Plaine de la Ruzizi et le refus aux Bafuliru de cultiver dans cette chefferie. Enfin, il y a la réclamation de transformer la chefferie Plaine de la Ruzizi en secteur, la tendance de vouloir intégrer les Barundi et Banyamulenge dans les entités existantes, les violences sexuelles commises par les miliciens, les exclusions ethniques, le militantisme des jeunes, l’alliance entre jeunes Barundi et Banyamulenge dits Banavyura, le vol de gros bétail, etc.
Malgré l’existence d’une loi sur la nationalité, les Bafuliiru et les Bavira continuent à nier la nationalité des Barundi et Banyamulenge. Ils disent que leur nationalité a été obtenue par procuration et n’a pas une base sociologique et territoriale. Pour ces raisons, ils les taxent d’étrangers, et soutiennent qu’ils n’ont ni droit au pouvoir coutumier, ni à la direction d’une chefferie. Les Bafuliiru ajoutent que la chefferie plaine de la Ruzizi fut leur territoire primaire. À ce titre, elle devrait être annexée à la leur ou être transformée en secteur. Ces allégations sont mal perçues par les Barundi et Banyamulenge et enveniment les rapports entre communautés. Ils disent qu’ils sont anciens en R.D. Congo et que leur nationalité n’est pas douteuse.
Les Barundi rejettent ces versions et précisent que leur territoire identitaire s’étendait, avant la pénétration coloniale, jusque dans l’actuel territoire de Fizi. Ils soutiennent qu’ils sont autochtones au même titre que tous les autres Congolais. À ce titre, ils ont droit à l’exercice du pouvoir coutumier et à la commande d’une chefferie agrandie. Ils sont conscients que la leur a été créée dans les mêmes conditions que celles existantes. C’est un droit acquis. Vouloir le remettre en cause ainsi que leur nationalité et leur pouvoir coutumier, c’est donner cours à la violence.
Les Banyamulenge abondent dans le même sens. Ils disent qu’ils sont autochtones au même titre que toutes les autres tribus du Sud Kivu. L’administration belge a été injuste en oubliant de les organiser en chefferie agrandie. La demande du groupement de Bijombo et du territoire de Minembwe propres à eux est légitime. À ce propos, l’élite Banyamulenge écrit que «cette demande des ressortissants de cette contrée à majorité Banyamulenge est un droit inaliénable à l’instar des autres communautés congolaises qui disposent de territoires. En outre, à travers le pays et en particulier au Sud-Kivu, tous les territoires n’ont pas été érigés en même temps, mais en tenant compte de l’évolution politique et sociale de la région; il s’agit d’un processus qui s’étale dans le temps. Certains territoires sont nés d’autres territoires, sans que cela ne soulève de tensions. Pourquoi ça serait le cas pour celui de Minembwe?». Cette position sur le processus territorial remet la pendule à l’heure. Selon les Banyamulenge, vouloir remettre en cause l’existence de ces deux entités, c’est en fait alimenter des conflits interethniques interminables.
2.1.3. La transformation des conflits dans le territoire d’Uvira
L’administration postcoloniale n’a pas trouvé une solution adéquate à la question de territoire et de conflit autour des chefferies agrandies et de pouvoir coutumier.
Au sujet de la contestation de l’existence de la chefferie Plaine de la Ruzizi, le 29 septembre 2012, l’État congolais a procédé à la signature d’un acte d’engagement entre notabilités. Cet acte prévoit sept mesures, dont le respect de l’autonomie de trois chefferies héritées de la colonisation, la promotion de la coexistence pacifique entre les communautés, la gestion du territoire d’Uvira sur base d’équilibre ethnique, etc. Malheureusement, cet acte n’a pas empêché les éléments d’autodéfense et de Mayi-Mayi de barricader la route nationale n° 5 Uvira – Bukavu, asphyxiant ainsi l’économie de la province.
Le 22 décembre 2012, le Chef de l’État a dépêché une délégation nationale sous la conduite de l’Honorable Norbert Basengezi Katintima pour identifier le nœud du problème. Elle a constaté que les troubles sont liés aux enjeux territoriaux et fonciers et a proposé dix-sept mesures pour ramener la paix sociale. Il s’agit entre autres de muer la cité d’Uvira en ville, de créer de nouvelles entités administratives, de maintenir les trois chefferies existantes, d’identifier et de regrouper les éléments May-May en local défense, en vue de leur intégration dans l’armée et la police, de poursuivre les enquêtes sur l’assassinat du mwami de la chefferie plaine de la Ruzizi, Ndabagoye II Nsabimana, d’interdire la stigmatisation des personnes en raison de leur appartenance ethnique ou de leur morphologie, de promouvoir en grade les originaires du territoire d’Uvira dans l’armée, la police et les services des renseignements, etc.
UN Habitat a apporté son appui et a identifié sept ONG pour organiser des réunions de sensibilisation des communautés vis-à-vis de la paix sociale. Ces ONG ont implanté des Cadres de Concertation Intercommunautaire (CCI), pour favoriser la médiation et la transformation des conflits.
3. LA NOTION DE TERRITOIRE ET LA NAISSANCE DES CONFLITS IDENTITAIRES
3.1. Le conflit entre BABEMBE et BABUYU dans le territoire de FIZI
Les Babembe et les Babuyu sont deux des tribus autochtones qui vivent dans le territoire de Fizi de 15.864km². Ce territoire est également habité par les Babwari, Bagoma, Basanze, Banya-Mulenge et Bazoba. D’après quelques personnes interrogées, les Babembe et les Babuyu sont culturellement différents par leurs langues, traditions et modes de vie.
L’ancêtre commun de Babembe est M’Mbondo. Organisés en six grands clans , ils font l’agriculture dans la plaine de Mutambala, la chasse dans la forêt d’Itombwe et la pêche sur le lac Tanganyika. En revanche, les Babuyu sont des voisins des Babembe et auraient des parentés avec les Baluba du Katanga. Ils se seraient installés dans la plaine de la Lwama vers le 17ème siècle. Organisés en huit grands clans, les Babuyu pratiquent la pêche dans la rivière Lwama et la chasse dans la vallée de cette rivière. Avant la colonisation belge, Les Babembe et les Babuyu constituaient des chefferies mobiles, ils vivaient en harmonie et échangeaient les produits de cueillette et les femmes.
3.1.1. L’origine et l’évolution du conflit de territoire et des terres
Á la colonisation, les Babembe et les Babuyu ont été regroupés dans le territoire de Fizi. Ce dernier a été subdivisé par l’administration coloniale en cinq secteurs, à savoir: Itombwe, Lulenge, Mu- Tambala, Ngandja et Tanganyika.
En 1997, le conflit entre Babembe et Babuyu, deux tribus autochtones a éclaté dans le secteur de Lulenge. Ce conflit est né au sujet de droit de propriété de cette entité territoriale et administrative. Le secteur de Lulenge est constitué de cinq groupements, à savoir: Basimimbi, Basimunyaka Sud, Basikasingo, Basombo et Obekulu. Majoritaires dans le groupement de Basikasingo, les Babuyu considèrent être les premiers occupants de la plaine de Lwama dans le secteur de Lulenge. Ils affirment que c’est leur entité primaire, c’est-à-dire ethnique où ils ont vécu avant la pénétration coloniale. Une autre partie importante de Babuyu vit dans le territoire de Kabambare en province du Maniema, et à Nyunzu, Manono et Kabalo dans la province du Katanga. Ils y sont connus sous l’identité de Baholoholo.
Dans ces deux provinces, les Babuyu seraient en paix avec les ethnies voisines.
Mais, les Babuyu vivant dans le secteur de Lulenge, en territoire de Fizi au Sud Kivu, sont en conflit avec les Babembe, pour avoir forgé le projet de rattacher ce secteur à la province du Maniema comme leur territoire ethnique, c’est-à-dire leur propriété privée. Les Babuyu considèrent les Babembe des groupements de Basimimbi, Basombo et Obekulu comme des étrangers qui doivent leur payer des tributs sur les terres qu’ils occupent dans ces entités, à titre de reconnaissance de l’autorité de leurs chefs coutumiers. Ils soutiennent que les Babembe ont été déportés et installés par l’administration coloniale dans les années 1950 pour cultiver le coton dans la plaine de Lwama. Ces confusions sur le statut du secteur comme entité moderne et la notion d’étranger dans son territoire natif attisent les conflits entre les Babembe et les Babuyu.
En période post coloniale, les Babembe sont devenus nombreux et instruits. Ils occuperaient les trois quart des postes stratégiques dans l’administration, l’économie de palmeraie, la gestion des centres de santé, des écoles primaires et secondaires dans le secteur de Lulenge. Ils s’opposent à ce que les Babuyu déplacent les limites des entités héritées de la colonisation et soutiennent qu’ils sont autochtones au même titre qu’eux. Les Babembe refusent d’être dirigés par les Babuyu considérés minoritaires et peu instruits et avancent qu’ils ont le droit de s’établir dans tous les secteurs du territoire de Fizi. Ils ajoutent que c’est leur entité qu’ils ont héritée de la colonisation belge. Pour ces différentes raisons, les Babembe usurpent le pouvoir traditionnel des Babuyu et remettent en cause le principe de rotation de pouvoir institué par l’administration coloniale belge. Ces attitudes et polémiques verbales ont alimenté les affrontements de 1997 à Bibwe, Kilembwe, Kimanu Ii, Kolo Maindombe, Kukwe, Penemende, Sakya, etc.
Ces affrontements ont été amplifiés par les confusions entre le territoire ethnique et le territoire étatique, par les antécédents historiques, l’implication de quelques politiciens Babembe et caciques du MPR; d’où l’extension du conflit et la formation de part et d’autre des milices Mayi-Mayi pour les Babembe et les miliciens Audacieux pour les Babuyu.
3.1.2. Les facteurs d’escalade du conflit entre Babembe et Babuyu
Les personnes interrogées en 2009 et 2010 avancent trois grands facteurs qui ont alimenté le conflit entre Babembe et Babuyu, à savoir la guerre de l’AFDL, le contrôle de l’économie par les Babembe et la revendication d’autonomie territoriale par les Babuyu.
Après la guerre de l’AFDL, quelques familles de Babuyu qui avaient fui dans le territoire de Kambabare au Maniema ont trouvé à leur retour que les Babembe ont occupé leurs terres et villages. Ils ont refusé de les céder aux retournés Babuyu propriétaires; d’où des polémiques de nature: originaires et non originaires.
Ces polémiques sont accentuées par la pression démographique des Babembe qui représentent les trois quart de la population du secteur de Lulenge. Les Babuyu sont un peuple matriarcat. Les jeunes garçons attendent la mort de leur oncle pour hériter de ses épouses généralement vieilles, de son pouvoir coutumier et magico-religieux, et de ses palmeraies pour l’extraction du vin de palme.
Dans la plupart des cas, ces palmeraies sont devenus des propriétés des Babembe qui les exploitent, ils en tirent des profits et ne paient pas des tributs aux Babuyu, ce qui provoque des conflits fonciers. Ensuite, certains dignitaires ont acquis par leur influence dans l’administration des concessions dans le secteur de Lulenge. Cet autre élément contribue aussi à attiser les conflits fonciers dans cette entité, car les Babuyu perçoivent cette acquisition des terres comme une extension de la domination des Babembe sur eux.
Enfin, ces différents facteurs d’étouffement poussent les Babuyu à réclamer leur annexion au secteur des Babuyu Kabeya, dans le territoire de Kambabare au Maniema. Ce projet d’annexion contribue à la radicalisation du discours dichotomique: originaires et non originaires. Il est source des conflits de territoire entre Babembe et Babuyu, deux tribus autochtones en territoire de Fizi.
3.1.3. La transformation du conflit entre Babembe et Babuyu
Le conflit entre Babuyu et Babembe est né avec l’organisation des secteurs et leurs subdivisions et le déplacement de Babembe d’Itombwe pour travailler dans le paysannat cotonnier dans la plaine de la Lwama. Ce conflit a été transformé de plusieurs façons depuis la colonisation jusqu’à ce jour.
L’administration coloniale belge a maintenu le paiement de tributs et a institué le système de partage de pouvoir entre ces deux tribus.
À la période post coloniale, ce système a été remis en question par les Babembe des groupements de Basimimbi, Basombo et Obekulu. Ils ont refusé d’être dirigés par un chef de groupe ethnique minoritaire et de rattacher le groupement de Basikasingo au secteur de Babuyu dans le territoire de Kabambare au Maniema. Pour calmer les tensions, on a organisé une série de dialogues entre les deux communautés, mais sans succès.
Enfin, les leaders locaux et les jeunes ont organisé les marchés communs et le sport pour la paix en vue de faciliter le rapprochement des tribus, de susciter la cohabitation pacifique et le dialogue. Le résultat a été mitigé.
Malgré l’accalmie relative, les populations continuent à sentir le spectre des affrontements interethniques, parce que les stratégies de leur transformation ont présenté des lacunes notoires. En substance, ces différentes stratégies ont négligé la dimension de désarmement des milices locales, la fixation des limites de groupements et le renforcement de l’autorité de l’État congolais, pour dénouer définitivement les conflits de territoire et des terres.
4. LE CONTRÔLE ADMINISTRATIF, SOURCE OU SOLUTION DES CONFLITS DANS LE TERRITOIRE DE KALEHE
4.1. Le conflit entre originaires et non originaires dans le territoire de Kalehe
Les conflits sont essentiellement de territoire et, dans la plupart des cas, sont nés avec les subdivisions des entités territoriales et administratives. Souvent on met en relief les dimensions d’aménagement des champs et des pâturages et la pression démographique liée à la déportation d’une main d’œuvre, mais le fond est et reste cependant territorial.
Les conflits dans le territoire de Kalehe ont un fil rouge: la possession et le contrôle administratif.
Avant la colonisation belge, ce territoire de 5.126 km² n’a pas existé avec une superficie nettement établie et des subdivisions administratives bien fixées, notamment les chefferies, les groupements et les postes d’encadrement administratif. Les subdivisions des agglomérations ont été faites par l’administration coloniale. Actuellement, le processus est inachevé, d’où la nécessité de créer des communes rurales.
Le recensement administratif de 2007 a chiffré la population du territoire de Kalehe à 462.465 habitants. Ce chiffre inclut les populations Bahavu, Batembo, Barongeronge, Batwa, Bahutu et Batutsi. Ces deux derniers groupes ethniques (Bahutu et Batutsi) se seraient installés après le bornage des subdivisions territoriales et la fixation des autres ethnies qui réclament le droit d’autochtonie, d’où le conflit de territoire et des terres.
4.1.1. L’origine et l’évolution du conflit de territoire et des terres
Dans le territoire de Kalehe, les conflits de territoire et des terres opposent des groupes ethniques bien connus, les Bahavu et les Batembo. Ce territoire est constitué de deux chefferies agrandies par l’administration coloniale, à savoir de Buhavu et Buloho. La chefferie de Buhavu formée de sept groupements (Buzi, Kalima, Kalonge, Mbinga Nord, Mbinga Sud, Mubuku et Ziralo) est officiellement reconnue et attribuée aux Bahavu. Sur les sept groupements, ils occupent trois, à savoir: Buzi, Mbinga Nord et Mbinga Sud. Les Bahavu sont à égalité avec les Batembo qui occupent trois autres groupements, dont Kalima, Mubuku et Ziralo. Le groupement de Kalonge est occupé par les Barongeronge.
À la période postcoloniale, ces derniers ont été détachés du territoire de Kabare, pour être annexés à celui de Kalehe. Arborant tous les symboles du pouvoir traditionnel, le chef Kalonge réclame l’autonomie et l’érection de son groupement en chefferie de Kalonge. La demande d’autonomie est source de tensions avec les Bahavu, qui perdraient une partie de territoire, des contribuables et les marchés.
Aussi, l’autonomie est réclamée par les Batembo, qui nourrissent le projet de reconstituer leur unité culturelle à partir de 1945, sur une base géographique plus ou moins vaste et susceptible de permettre le contrôle des ressources et leur développement. Ils sont dispersés dans la province du Sud Kivu et localisés dans la chefferie de Buloho, dans les trois groupements précités en chefferie de Buhavu, dans le groupement de Kalonge, dans la chefferie de Nindja en territoire de Kabare, à Luyuyu dans le territoire de Shabunda. Dans la province du Nord Kivu, les Batembo vivent à Ufamandu et Katoyi dans la chefferie de Bahunde en territoire de Masisi et dans le groupement de Walowa Loanda en chefferie de Wanyanga dans le territoire de Walikale.
Le conflit de territoire entre Batembo et Bahavu est devenu ouvert en septembre 1999, quand le mouvement politico-militaire connu sous le nom de Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) occupait l’Est du pays.
Pendant la rébellion contre le gouvernement central de Kinshasa, le RCD a érigé à titre provisoire Bunyakiri en territoire par un arrêté départemental. L’existence définitive de ce territoire a été confirmée par un arrêté départemental du 22 juillet 2002. Ses subdivisions internes et ses limites avec les territoires voisins ont été fixées respectivement par les arrêtés du 7 août 2001 et du 28 septembre 2002 . Ces modifications faisaient perdre aux Bahavu une zone importante d’influence, des sites miniers, des marchés et des forêts pour l’exploitation du bois, ce qui accentue les conflits interethniques entre groupes autochtones.
Enfin, les conflits interethniques sur fond territorial opposent le groupe de Banyarwanda (Batutsi et Bahutu) contre les Bahavu et Batembo dans les moyens et hauts plateaux en territoire de Kalehe. Ces conflits ont commencé sur fond de contestation de la nationalité des Bahutu et Batutsi, considérés comme des étrangers installés dans cette partie du territoire favorable à l’agriculture et à l’élevage de gros bétail. À la nationalité, il s’est mêlé la question foncière.
Ces deux facteurs font que les Batembo et les Bahavu nient le droit de nationalité et de contrôle des terres aux Banyarwanda, car ils les considèrent non originaires. Ils situent leur présence au Congo en 1959, jetant dans les oubliettes l’existence des chefferies traditionnelles des Bahutu et la Mission d’Immigration des Banyarwanda organisée par l’administration coloniale au Gishali et Jomba en 1936 au Nord Kivu.
Les Banyarwanda rejettent ces allégations et disent qu’ils ont rompu les liens d’attache avec le Rwanda et sont congolais, leur nationalité est reconnue et couverte par la constitution de février 2006. Pour ces différentes raisons, ils exigent la révision des limites des entités héritées de la colonisation, pour les constituer également en chefferie agrandie et leur reconnaître l’exercice du pouvoir coutumier au même titre que les autres groupes ethniques établis au Congo. Ces revendications ont poussé le RCD à instituer les hauts plateaux de BUZI en chefferie et à confier sa direction aux Banyarwanda. Par cet acte, le RCD a envenimé les relations entre les groupes ethniques.
4.1.2. Les facteurs d’escalade des conflits interethniques en territoire de Kalehe
Lorsque les facteurs ci-dessus sont conjugués et instrumentalisés par une élite politico-militaire en quête de pouvoir, cela accentue les conflits interethniques.
Par exemple, le RCD avait découpé quatre groupements de la chefferie de Buhavu pour les annexer au territoire de Bunyakiri. Ce découpage a exacerbé le conflit entre Bahavu et Batembo. En perdant les groupements de Buzi et Ziralo, le Buhavu a été confronté au problème de survie. La remise en question des limites héritées de la colonisation a alimenté les conflits autour de cinq collines dont Lumbishi, Luzirandaka, Ngadju, Numbi et Shandje. Ces collines sont des sites miniers et symboliques que les Bahavu et les Batembo refusent de les perdre au profit des Banyarwanda pour avoir été leur domaine de chasse et d’organisation de rituel traditionnel. En revanche, ces derniers soutiennent détenir des titres fonciers à ce propos, y avoir longtemps habité et payé des redevances aux chefs locaux.
Ces incohérences de l’administration et le pluralisme juridique contribuent à brouiller les relations sociales. Avoir des concessions pour les exploitations agro-pastorales et minières pousse les hommes d’affaires congolais et étrangers à insécuriser les paysans qui craignent de perdre de vastes étendues de terres fertiles pour l’agriculture et l’élevage.
Pour se défendre et protéger leurs territoires et terres, les communautés ont produit les Mayi-Mayi qui s’affrontent, pillent, contrôlent les groupements et commettent des actes de violences sur les filles et les femmes. La milice Batiri des Batembo et la milice Bakobwa des Banyarwanda sont les illustrations de l’existence d’une administration parallèle qui effritent l’autorité de l’État congolais, alimentent les exclusions sociales et renforcent les appartenances aux niches tribales au lieu de favoriser la cohabitation pacifique.
4.1.3. La transformation des conflits dans le territoire de Kalehe
Les conflits dans le territoire de Kalehe sont liés à l’organisation de l’espace.
L’administration coloniale belge a utilisé la contrainte pour fixer les groupes ethniques au sol et les a forcés à cohabiter dans la même entité. Le processus de leur sédentarisation a poussé l’administrateur colonial à adopter une politique de contrôle et de suivi des déplacements des populations, d’où la formation des tribunaux de frontière, qui statuaient sur les conflits fonciers et les litiges liés à l’émigration interterritoriale, etc.
Avec la décolonisation, ce dispositif a été abandonné, laissant libre cours aux revendications des territoires primaires qui ont été constitués en chefferies agrandies, au sein du territoire de Kalehe.
En 1996, le recrutement des Batiri par l’AFDL en compensation d’un territoire de Bunyakiri en cas de victoire sur le régime de Mobutu était une promesse politique. Elle n’a pas été tenue, mais le commandant de Batiri fut promu général dans l’armée congolaise.
En 1997 et en 1998, l’AFDL créa deux commissions de pacification, mais les résultats furent très mitigés, par manque d’adhésion populaire, suite à la peur d’hypothéquer le pays par les nouveaux dirigeants.
C’est sur ce fond de crise politique qu’est né le RCD. En disgrâce avec le pouvoir central et pour avoir une plus grande audience dans la partie sous son contrôle, le RCD démembra les entités existantes et créa le territoire de Bunyakiri. Au lieu d’apaiser les conflits interethniques, le RCD les amplifia. Par exemple, le conflit de limites territoriales entre le groupement de Buzi, dans le territoire de Kalehe et celui de Ziralo, dans le territoire de Bunyakiri nouvellement créé opposa les Bahavu et les Batembo.
Ces oppositions demeurent entre les groupes ethniques bénéficiaires, qui continuent à croire en l’existence des territoires créés au Sud Kivu pendant la guerre, et les groupes ethniques dépossédés, qui considèrent que les actes pris par le RCD sont juridiquement caducs, c’est-à-dire nuls et sans objets. Ces oppositions existent dans les esprits des gens et sont alimentées par la présence des groupes armés, congolais et étrangers.
C’est dans ce contexte que des organisations nationales et internationales participent au processus de pacification des relations sociales et de construction de la paix. Plusieurs organisations et églises
font l’éducation à la paix sociale, l’éducation civique et politique et implantent des Cadres de Dialogue et de Médiation (CDM) ou Comité de Médiation des Conflits (CMC), dont l’objectif principal est de prévenir les conflits, de les transformer et de consolider la cohésion sociale.
Certaines organisations appliquent des stratégies de médiation foncière, d’éducation de la population sur les droits fonciers et de formation de leaders locaux sur la gestion des conflits fonciers. Il faut observer que, souvent, les conflits fonciers sont rallumés par la pression démographique, le mouvement forcé des populations, l’insécurité en divers endroits, le dysfonctionnement de l’administration foncière et judiciaire, l’extension des aires protégées, l’histoire de peuplement de la province et la fragilité de l’État congolais.
5. CONCLUSION
Ces différents exemples permettent de comprendre cinq réalités, autour desquelles peuvent s’organiser des actions pour restaurer la paix sociale au Sud-Kivu.
5.1. L’existence de la dimension territoriale dans les conflits au Sud-Kivu
La plupart des stratégies évacuent la dimension territoriale de la conflictualité entre les communautés au Sud Kivu et l’émergence d’une pluralité d’acteurs liée à la fragilité de l’État congolais rend difficile tout effort de résolution des conflits. Les conflits de territoire sont essentiellement politiques et mobilisent les jeunes, les communautés, les notabilités et les milices.
Les notions d’originaires et de non originaires sont des expressions d’une conflictualité identitaire qui voile la dimension territoriale. Elle est à la fois une réalité sociologique et politique. Elle est sociologique, parce qu’elle est le reflet de l’identité culturelle et le support des représentations des ethnies, qu’elles soient établies avant ou après, sur l’espace délimité par l’État. Le rapport à l’espace et à autrui est déterminé par l’appartenance à l’ethnie et par les liens d’affinité.
Dès la colonisation, il est supposé que le territoire identitaire est dilué dans le territoire étatique, une réalité politique comme espace de pouvoir souverain. C’est pourquoi le territoire est devenu source de conflits violents entre ethnies. Les ressorts de la violence trouvent une explication dans les limites du processus territorial et dans la fragilité de l’État postcolonial. Par conséquent, la tâche de ce dernier est d’organiser une éducation pour développer une culture du territoire et une conscience nationale.
5.2. La militarisation des communautés
Les lacunes décrites dans cette étude ont favorisé l’émergence des milices (May-May, Audacieux, Ngomino, Twirwanire, Batiri, Bakobwa, etc.) qui sont de véritables machines de destruction de la vie et des actions du développement. Cette logique est encouragée par les différentes ethnies et leurs enfants qui contribuent de manière consciente ou inconsciente à affaiblir l’État congolais et à alimenter l’instabilité politique par des revendications des territoires ethniques et de l’autochtonie. Ces revendications attisent les tensions sociales et alimentent les divisions: originaires et non originaires. Ces divisions ébranlent la cohésion sociale. Le travail de l’État congolais consiste à démilitariser les communautés et à initier des actions susceptibles de renforcer l’unité et la paix sociales.
5.3. L’intégration mitigée des communautés par le territoire
L’intégration par le territoire est une réussite partielle pour les Babuyu, Barongeronge et Batembo. Ils se sentent en insécurité par rapport aux groupes majoritaires qui leur imposent une sorte de domination politique, économique et culturelle; d’où les revendications d’autonomie territoriale. La solution consistera à activer des mécanismes de répartition de pouvoir, de partage de diverses ressources et de promotion de l’identité culturelle de chaque ethnie.
L’intégration par le territoire est une réussite totale pour les Babembe, Bafuliiru, Bahavu et Bavira. La lutte contre la pauvreté rurale est indiquée pour les occuper
Pour les Barundi de la plaine de la Ruzizi, leur intégration par le territoire n’est pas irrésoluble. Leur entité est légalement délimitée et encadrée. Le rôle de l’État consiste à faire cesser les ambitions hégémonistes et les contestations de leurs voisins au sujet de l’existence de pouvoir coutumier et de la chefferie agrandie de Barundi.
5.4. La fragilité de l’État congolais
La résurgence des conflits de territoire est une résultante de la fragilité de l’État congolais. À ce propos, l’élite des Banyamulenge note dans un document que « l’État est entièrement responsable de la dégradation de la situation sur ces conflits naissants pour n’y avoir pas apporté des solutions appropriées en temps utiles ». Les Banyamulenge des hauts plateaux d’Uvira et les Banyarwanda des plateaux de Kalehe n’ont pas eu de territoires administratifs. La création des communes rurales qui seront des espaces où les identités des uns et des autres peuvent coexister et se promouvoir sans heurts est indiquée.
5.5. La réorganisation du territoire
L’État congolais devrait s’investir dans l’élaboration de cartes des groupements, chefferies et territoires pour prévenir les conflits des limites. Une commission instituée par le pouvoir organisateur du territoire aurait comme tâches d’établir les cartes des entités, des coordonnées géographiques, de trancher les conflits des limites et de proposer des éventuels nouveaux découpages. Les membres de cette commission devraient maîtriser l’histoire du peuplement de la province, l’histoire de l’organisation territoriale et administrative et connaître les différents textes juridiques y ayant trait.
5.6. Le modus operandi des identités territoriales
Les territoires disputés par les Babembe, Babuyu, Bafulero, Bahavu, Bahutu, Barongeronge, Barundi, Banyamulenge, Batembo, Batutsi, Bavira, … relèvent de la souveraineté de l’État congolais et constituent le territoire national.
Soumis à la puissance publique, il ne sont pas à confondre avec les territoires ethniques ou primaires. Ces derniers ont existé avant la colonisation de l’Afrique par les Européens. Dès la colonisation, les différents territoires ethniques qui ont contribué à former le territoire national sont censés ne plus exister sur le plan légal par le processus de territorialisation et d’administration moderne.
Cependant, les cas analysés montrent qu’ils continuent à exister sur le plan anthropologique et sociologique. Les groupes ethniques, territorialisés ou non à l’époque coloniale, continuent à se définir par rapport à l’espace identitaire, à s’affirmer et à réclamer les appartenances aux territoires ethniques. Ces appartenances, affirmations et revendications des territoires primaires ou culturels constituent les identités territoriales qui sont à la base des conflits entre les groupes ethniques au Sud-Kivu.
Elles opèrent selon quatre modalités stratégiques, à savoir: la négation et l’exclusion du groupe ethnique voisin, la justification de l’existence antérieure à l’espace par un discours de légitimation, la pratique d’autodéfense du territoire étatique par la formation des milices, la transmission aux générations futures par la socialisation,.
Premièrement, les identités territoriales opèrent sur base du principe de négation et d’exclusion du groupe ethnique voisin. Les groupes ethniques en conflit se définissent et s’identifient à un espace bien délimité par la puissance publique, ils le privatisent et s’en approprient dans le contexte de fragilité de l’État congolais pour nier l’occupation et l’existence antérieures de la partie adverse sur l’espace avant la colonisation belge. La négation et l’exclusion provoquent des conflits de territoire.
Deuxièmement, les identités territoriales s’expriment en termes de légitimation. Chaque groupe ethnique cherche à justifier son existence antérieure à la colonisation belge sur l’espace disputé. Le discours de légitimation qu’il tient nie l’histoire de la réorganisation territoriale et administrative que le territoire primaire a subie au fil des années. Ce discours magnifie les qualités du territoire ethnique et lui attribue les propriétés d’un espace d’existence propre. C’est de cette façon que le discours d’exclusion devient une source des conflits de territoire, en distinguant les originaires et les non originaires, les autochtones et les allochtones. Ces catégories conceptuelles voilent les enjeux de nationalité et d’organisation politique à base coutumière (pouvoir coutumier).
Troisièmement, les identités territoriales se fondent sur le besoin de sécurité en situation de crise de l’État congolais. Les groupes ethniques développent la pratique d’autodéfense du territoire étatique par la formation des milices pour assurer leur sécurité et garantir la paix à leur communauté en lieu et place de la puissance publique. Cette pratique accroît les tensions entre les ethnies voisines au lieu d’assurer la paix sociale. Les milices accroissent l’insécurité, développent des administrations parallèles et vivent aux dépens des populations locales; d’où des exactions et violations massives des droits humains. L’existence des milices en province du Sud-Kivu sont les manifestations de la privatisation et de l’ethnicité du territoire étatique.
Quatrièmement et enfin, les identités territoriales se transmettent d’une génération à une autre par la socialisation, le discours de légitimation et les mémoires des événements malheureux. Les identités territoriales agissent et se répercutent selon le principe de contagion. La plupart des conflits ont éclaté à l’époque coloniale avec la fixation des ethnies et la subdivision des cadres administratifs. Nés avec le processus de territorialisation, ces conflits mêlent les questions de nationalité et de pouvoir coutumier, pour avoir traversé les époques et affecté les générations présentes.
Les conflits de territoire entre les Bafulero et les Barundi datent de 1928, entre les Bahavu et les Batembo ont éclaté en 1945, entre les Babembe et les Babuyu sont de 1950, etc. La particularité de ces conflits est d’avoir des ramifications dans le temps présent et d’impliquer une pluralité d’acteurs: civils, miliciens, militaires, officiels, jeunes et populations locales. Celles-ci recourent aux quatre modalités stratégiques décrites ci-dessus, séparément ou en bloc, selon le contexte pour radicaliser les conflits de territoire.
En définitive, les ethnies dans ces différents territoires se disputent le territoire qui relève de la souveraineté de l’État congolais. Elles entrent en conflit pour les enjeux géopolitiques dont l’autonomie, le territoire, les ressources, le pouvoir qui sont autant des facteurs qui motivent la revendication du remembrement ou du démembrement: deux modalités reconnues uniquement à l’État congolais par la constitution de février 2006.
[1] Cf Texte complet>