Congo Actualité n. 387

CONTRE LES GROUPES ARMÉS DANS L’EST DE LA RD CONGO

SOMMAIRE

1. VERS DES OPERATIONS MILITAIRES CONJOINTES AVEC DES TROUPES RWANDAISES, OUGANDAISES ET BURUNDAISES?
2. RAPPROCHEMENT MILITAIRE RDC, RWANDA, BURUNDI ET OUGANDA: UNE ALLIANCE QUI EFFRAIE

1. VERS DES OPERATIONS MILITAIRES CONJOINTES AVEC DES TROUPES RWANDAISES, OUGANDAISES ET BURUNDAISES?

Le 15 octobre, les ministres des Affaires Etrangères des Pays membres  de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) se sont retrouvés à Brazzaville pour échanger sur la question de l’insécurité dans la région des Grands Lacs. Les dirigeants des États de la sous-région se sont dits déterminés à trouver une solution au problème de l’insécurité qui empêche le développement de leurs pays respectifs.
Cette réunion s’est achevée sur une note d’espoir, a déclaré Jean-Claude Gakosso. Le ministre des Affaires étrangères du Congo-Brazzaville qui accueillait ses collègues de la sous-région, a mis l’accent sur les efforts du président Félix Tshisekedi pour imposer la paix en RDC: «Il a été en Ouganda et au Rwanda; donc il y a un nouvel état d’esprit dans la sous-région qu’il faut consolider». Selon lui, Félix Tshisekedi a ainsi fait preuve de «sa volonté de dialoguer avec tous les voisins de l’Est, puisque c’est de là que viennent la plupart des problèmes en RDC».
De son côté, Guillaume Manjolo, le ministre d’Etat à la Coopération de la République Démocratique du Congo, a parlé de l’implication des pays dont sont originaires les groupes armés étrangers en RDC: « On a tenté de responsabiliser les pays d’où sont originaires ces groupes armés étrangers et, pour ce qui concerne ceux de la RDC, il y a un travail fait au niveau des forces armées congolaises».[1]

Un certain document signé par le chef d’état-major congolais, le général Célestin Mbala, laisse entrevoir l’organisation d’une future riposte contre les groupes étrangers et congolais et le lancement d’opérations conjointes avec les Pays voisins de l’Est.
Le document a été largement diffusé sur les réseaux sociaux. Bien qu’il soit difficile d’établir son authenticité, il semble toutefois qu’il n’a pas été démenti, ni par les autorités politiques congolaises, ni par les autorités militaires. Selon des sources proches de l’état-major de l’armée congolaise, « ce n’est qu’un document de travail ».
Le plan opérationnel est accompagné d’une lettre adressée au chef d’état-major du Burundi. Le général Célestin Mbala invite son homologue à une réunion qui doit se tenir les 24 et 25 octobre à Goma. Une première réunion s’était tenue les 13 et 14 septembre derniers. Les états-majors de la RDC, du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda avaient convenu de travailler ensemble pour l’éradication des groupes armés, étrangers comme congolais.
Ce document présente la composition du futur état-major intégré. Les armées burundaise, rwandaise et ougandaise pourraient y avoir des délégués; l’Africom et la Monusco, qui ont déjà des observateurs dans les réunions de Goma, également.
Les cibles de ce futur état-major intégré se trouvent aussi bien au Nord qu’au Sud-Kivu. Il s’agit des groupes armés étrangers, ADF, FDLR, Red Tabara, ou congolais comme les Nyatura et le NDC Renové. L’Ouganda, le Rwanda et le Burundi pourraient aussi fournir des forces spéciales. Une nouvelle qui provoque déjà un émoi dans l’est du pays, tant ces armées ont occupé les deux Kivus ou sont régulièrement accusées d’y mener des incursions.
Ce document précise aussi qu’Africom et la Monusco pourraient apporter leur soutien à ces opérations. Une source onusienne précise que, du côté de la Monusco, cela pourrait s’avérer difficile. Un diplomate occidental explique que certains pays posent leurs conditions.[2]

Le 16 octobre, la porte-parole de la Mission onusienne pour la stabilité au Congo (Monusco), Florence Marchal, a déclaré que la Monusco n’envisageait aucun soutien à une éventuelle coalition des armées régionales. Ce, en réaction à l’éventualité d’une constitution d’une force interarmée impliquant notamment le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda et la RDC: «Notre mandat ne nous le permet pas, c’est un mandat avec la priorité des protections des populations civiles qui passent par un soutien aux FARDC. Ce qui exclut un soutien en une coalition régionale. Notre plus grande préoccupation, c’est de protéger les populations civiles, si il faut le faire pour une coalition régionale, ça ne dépendra pas de nous, c’est le conseil de sécurité qui doit nous mandater à ce sujet».[3]

2. RAPPROCHEMENT MILITAIRE RDC, RWANDA, BURUNDI ET OUGANDA: UNE ALLIANCE QUI EFFRAIE

Pour venir à bout de différents groupes armés qui écument sa partie Est, la RDC a décidé de se rapprocher des armées de l’Ouganda, du Rwanda et du Burundi. C’est le plus officiellement du monde que les armées de ces trois pays pourraient traverser prochainement les frontières de la RDC, pour prêter main forte aux Forces armées de la RDC. Compte tenu du passé mouvementé de ce coin de la République, l’initiative fait peur, le scepticisme gagne du terrain.
Au commencement de la déstabilisation de la partie Est de la RDC était l’afflux massif des réfugiés hutus rwandais fuyant l’avancée de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) après le génocide et tout ce qui s’en est suivi en 1994.
Cette année-là, des civils et militaires, évoluant autrefois sous l’armée de feu le président Habyarimana, ont traversé la frontière de la RDC. Certains réfugiés rwandais, hantés par le spectre de la vengeance envers le nouveau pouvoir en place à Kigali, se sont regroupés en forces de défense, sous la dénomination de FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda).
Vue de Kigali, la réorganisation des réfugiés rwandais en bandes armées de l’autre côté de la frontière était perçue d’un mauvais œil. En 1996, une coalition militaire présentée sous forme d’une rébellion congolaise, l’Alliance des forces démocratiques de libération (AFDL), est créée avec la bénédiction du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi. Moins d’une année plus tard, soit en mai 1997, les troupes de l’AFDL réalisent leur entrée triomphale à Kinshasa.
Depuis cette traversée de l’armée rwandaise, la partie Est de la RDC est plongée dans une spirale infernale de violence et d’insécurité. Depuis 1996, plusieurs rébellions créées et appuyées par le régime rwandais (AFDL, RCD, CNDP, M23) se sont multipliées dans l’Est de la RD Congo, sans compter les groupes Maï-Maï dits d’autodéfense, qui forment un vrai cocktail Molotov. Il ne faut pas non plus oublier les rebelles rwandais des FDLR qui restent toujours actifs dans les coins isolés de l’Est.
Il faut rappeler qu’une opération armée conjointe rwando-congolaise au Nord-Kivu contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) s’était déroulée entre le 20 janvier et le 27 février 2009. Cette opération secrète du nom de code « Umoja Wetu » (notre unité) avait été négociée par le président congolais Joseph Kabila et son homologue rwandais, Paul Kagame à partir de l’Ouganda.
Dans cette occasion, plusieurs milliers de soldats rwandais firent leur entrée dans l’est de la RD Congo, mais on ignore encore combien d’entre eux étaient effectivement rentrés dans leur pays à la fin de l’opération. Selon plusieurs observateurs, ceux qui étaient rentrés au Rwanda étaient certainement moins que ceux qui étaient entrés auparavant en RD Congo.
Alors président de l’Assemblée Nationale et actuellement directeur du cabinet du Président de la République, Vital Kamerhe exprima publiquement son opposition et critiqua le fait qu’une entrée au Congo de l’ex-armée ennemie n’ait pas été discutée au Parlement. A l’instigation de l’entourage de Joseph Kabila, le 26 mars 2009, Vital Kamerhe fut obligé à démissionner.
Dans sa détermination à ramener la paix dans l’Est, l’actuel président de la République Félix Tshisekedi entend impliquer toute la sous-région, notamment les pays tels que le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi.
Mais, dans l’opinion, la stratégie choisie par le chef de l’Etat passe difficilement, compte tenu du passé troublé qu’a connu la RDC par le fait de la forte mainmise du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi dans la situation d’instabilité permanente de l’Est. Le peuple congolais n’est pas non plus prêt à oublier les millions de ses compatriotes tués de manière souvent atroce depuis le déclenchement de la guerre, dite de libération menée par les troupes de l’AFDL, avec le soutien logistique du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi.
Curieusement, c’est auprès de ces mêmes bourreaux que s’est tourné le chef de l’Etat pour panser les plaies qu’ils ont créées il y a plus de 20 ans. A l’instar du président de l’Asadho, Jean-Claude Katende, l’opinion se pose bien des questions: «Est-ce que le gouvernement congolais a tenu compte du passé de ces troupes rwandaises, burundaises et ougandaises en République démocratique du Congo? Est-ce que le gouvernement congolais a tenu compte de l’opinion des Congolais, particulièrement ceux de l’Est, sur le retour des troupes des pays voisins qui ont causé des morts et pillé les ressources naturelles de la RD Congo pendant plusieurs années? Est-ce que l’Assemblée nationale et le Sénat sont-ils informés de l’accord sur la mise en place de la coalition avec les Etats voisins dont les armées viendront aider le Congo à mettre fin aux groupes armés?».
Tout compte fait, cette décision de faire appel aux troupes rwandaises, ougandaises et burundaises pour neutraliser les groupes armés dans l’Est, ferait douter, mieux, ferait peur. Le président de l’Asadho justifie cette peur de la plus belle des manières. Il écrit à ce propos que «le retour des troupes, en République démocratique du Congo, des pays qui ont toujours l’ambition d’avoir la mainmise sur les ressources naturelles de notre pays n’est pas une bonne chose». Kinshasa ferait mieux de reconsidérer sa position. Avant qu’il ne soit trop tard.[4]

[1] Cf RFI, 16.10.’19
[2] Cf RFI, 15.10.’19
[3] Cf Ivan kasongo – Actualité.cd, 16.10.’19
[4] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 17.10.’19