Congo Actualité n. 375

«Au-delà de l’opacité à la base de la controverse sur l’absence de la vérité des urnes, le 24 janvier 2019 les Congolais ont au moins vécu l’expérience inédite de la passation du pouvoir entre un ancien et un nouveau président»

(Isidore Ndaywel, membre du Comité Laïc de Coordination / CLC, 29 janvier 2019)

SOMMAIRE

1. LE RECOURS DE MARTIN FAYULU AUPRÈS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE
a. La première séance de la Cour constitutionnelle
b. L’arrêté de la Cour Constitutionnelle
2. FÉLIX TSHISEKEDI PROCLAMÉ NOUVEAU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
a. L’arrêté de la Cour Constitutionnelle
b. Les messages de félicitations au nouveau Président élu
c. Félix Tshisekedi officiellement investi président de la République Démocratique du Congo
d. Les premières mesures sociales de Félix Tshisekedi

1. LE RECOURS DE MARTIN FAYULU AUPRÈS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

a. La première séance de la Cour constitutionnelle

Le 15 janvier, la Cour Constitutionnelle siégeant en matière de contentieux électoral a commencé à examiner la requête de la Dynamique de l’opposition en contestation des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018.
Dans leur requête, les avocats de la Dynamique de l’Opposition ont dit avoir des preuves qui montrent que le score qui a été attribué à leur candidat, Martin Fayulu, n’est pas conforme aux suffrages exprimés en sa faveur et ils ont demandé le recomptage des voix bureau de vote par bureau de vote, centre de vote par centre de vote et circonscription par circonscription. Ces avocats demandent également à la Cour d’entendre les observateurs de l’Eglise catholique, de l’Eglise protestante et de la SYMOCEL.
Les avocats de la Dynamique de l’Opposition ont accusé la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) d’avoir publié les résultats provisoires alors que la compilation des résultats continuait à travers le pays. «Les opérations de compilation continuait à se faire même après la publication des résultats provisoires par la CENI. La CENI a publié des résultats non consolidés », a expliqué devant la Cour Constitutionnelle, Maître Ekombe Mpetshi Toussaint, un des avocats de la Dynamique de l’Opposition, qui a demandé d’annuler ces résultats étant donné également que la CENI a publié ces résultats qui venaient de la voie électronique.
La CENI a modifié la circonscription électorale pour la présidentielle en excluant les électeurs de Beni, Butembo, Yumbi, en violation de l’article 100 de la loi électorale, a déclaré Maître Ekombe Mpetshi Toussaint, un des avocats de la Dynamique de l’Opposition. C’est le troisième moyen de défense de la partie défenderesse qui exige l’annulation des résultats de la présidentielle du 30 décembre 2018 jusqu’à l’organisation des élections à Yumbi, Beni et Butembo.
Pour les avocats de l’UDPS-Tshisekedi, la requête de la Dynamique de l’Opposition doit être rejetée pour défaut de qualité dans le chef de Martin Fayulu qui a désigné Maitre Ekombe comme mandataire. Pour Peter Kazadi, membre de l’UDPS, la Dynamique de l’Opposition doit elle-même apporter les preuves des allégations en lieu et place de s’appuyer sur les observateurs de la CENCO, de l’ECC et de la SYMOCEL.
Me Ronsard Malonda Ngimbi, le Secrétaire Exécutif National de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), a demandé à la haute cour de rejeter le recours de Martin Fayulu et de confirmer la victoire de Félix Tshisekedi à la présidentielle du 30 décembre. Les avocats de Fayulu avaient accusé la CENI d’avoir publié les résultats provisoires alors que la compilation des résultats continuait à travers le pays. Selon Ronsard Malonda, «la circonscription électorale pour la présidentielle étant le territoire national, il s’en suit que, en réalité, le centre local de compilation des résultats de la présidentielle c’est le siège du bureau de la plénière de la CENI. Les CLCR ne sont que des postes avancés de traitement pour faciliter la plénière de la CENI dans la réception, la centralisation et la vérification de conformité. Ils ne peuvent pas se substituer à la plénière de la CENI». Comparaissant comme expert, Ronsard Malonda a également rejeté la demande de passer par un recomptage manuel des voix: «La Cour ne peut pas refaire le travail de 72.000 bureaux de vote dans une période d’une semaine. La Cour est dans l’impossibilité technique de le faire». Il a également affirmé que les observateurs n’ont pas qualité de témoigner devant la Cour en matière de contentieux électoral: «Témoigner sur quoi? Les PV sont réservés essentiellement aux témoins des partis et regroupements politiques».
Pour le ministère public, les juges de la Cour de constitutionnelle doivent rejeter la requête de la Dynamique de l’opposition pour trois raisons.
Au cours de l’audience organisée dans le cadre du contentieux électoral, le procureur a repris l’argument des avocats de l’UDPS qui ont évoqué un «défaut de qualité dans le chef de Martin Fayulu qui a donné mandat aux avocats au nom de la dynamique pour l’unité d’actions de l’opposition». Pour lui, Fayulu comme coordonnateur, au regard des statuts de ce regroupement politique, n’a pas le droit d’ester en justice au nom dudit regroupement.
Le ministère public a également parlé d’obscurité de la requête de la Dynamique de l’Opposition étant donné que, pour lui, cette requête est incompréhensible dans la mesure où les avocats de Fayulu exigent en même temps l’annulation des résultats, la rectification des résultats en proclamant le candidat présenté par eux définitivement élu et la suspension de la proclamation définitive des résultats en attendant les élections à Yumbi, Beni-ville et Butembo-ville. Pour lui, «ces trois demandes sont totalement contradictoires, ce qui rend obscure la compréhension de la requête».
Le ministère public évoque également une « irrégularité tirée de la mauvaise direction de la requête »: «L’action de la Dynamique de l’opposition est dirigée contre la CENI pour avoir publié les résultats des élections sans attendre la fin de l’opération de compilation. En dirigeant son action contre la CENI, la Dynamique de l’Opposition considère la CENI comme partie au procès alors que la CENI est plutôt experte et non partie au procès. La CENI ne peut pas être partie au procès en contestation des résultats des élections».
Le ministère public a d’ores et déjà requis l’irrecevabilité de la requête de Martin Fayulu de «recomptage manuel» des voix de l’élection présidentielle du 30 décembre, car il n’a pas fourni à la haute juridiction des procès-verbaux (PV) et des fiches des résultats qu’il affirme détenir, afin de faciliter le travail des juges.
Concernant la demande de suspension de la proclamation des résultats définitifs en attendant l’organisation des élections à Beni, Butembo et Yumbi, le ministère rappelle «l’incompétence» de la Cour, notamment conformément à l’article 161.2 de la constitution et 74.1 de la loi électorale qui reconnaissent exclusivement à la CENI l’organisation des élections. Aussi, rappelle-t-il, la cour est saisie seulement pour «contentieux des résultats».
Le ministère public a donc demandé à la Cour constitutionnelle de déclarer la requête du candidat de Lamuka Martin Fayulu, « irrecevable et non-fondée », pour « défaut de qualité et faute de preuves ».[1]

Sur la requête de Martin Fayulu, qui conteste la victoire de Félix Tshisekedi, la Cour constitutionnelle a trois options. Tout d’abord ordonner un recomptage des voix, si elle estime que les preuves apportées par le parti de monsieur Fayulu sont fondées et de nature à modifier le résultat des élections. Autre possibilité : si le juge estime que les irrégularités ne sont pas de nature à changer l’ordre d’arrivée des candidats, il peut confirmer les résultats provisoires tels que proclamés par la Commission électorale. Enfin, dernière option: l’annulation partielle ou totale des scrutins, mais c’est un cas rare qui n’arrive que si la Cour estime qu’il y a eu tellement d’irrégularités et de fraudes qu’il faut réorganiser les élections.[2]

Le 17 janvier, lors de sa rencontre à Addis-Abeba (Ethiopie) sur le dossier de la RDC, l’Union Africaine (UA) a demandé à la Cour constitutionnelle la « suspension » de la proclamation des résultats électoraux définitifs. Plusieurs chefs d’Etats et de gouvernements africains ont conclu que «il y avait des doutes sérieux sur la conformité des résultats provisoires, tels qu’ils ont été proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI)». En outre, ces chefs d’Etat et de gouvernement ont convenu d’envoyer en urgence en RDC une délégation de haut-niveau comprenant le président de l’Union africaine (ndlr: actuellement le président rwandais Paul Kagame) ainsi que d’autres chefs d’Etat et de gouvernement, et le président de la Commission de l’Union africaine. Cette délégation devra entrer en contact avec toutes les parties prenantes congolaises, dans le but de trouver un consensus sur une issue à la crise post-électorale dans le pays.
La réunion a rassemblé Paul Kagame, président en exercice de l’UA, le président de la Commission Moussa Faki Mahamat, ainsi que plusieurs chefs d’Etat (Afrique du Sud, Zambie, Namibie, Ouganda, Rwanda, Congo, Guinée, Éthiopie et Tchad).
Ce dernier communiqué de l’UA montre un changement de ton par rapport à une précédente prise de position de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), qui s’était contentée d’appeler les acteurs politiques congolais à «obtenir des réponses à leurs doléances électorales dans le respect de la Constitution (congolaise) et des lois électorales concernées».[3]

Deux documents révélés par RFI, TV5 Monde et le Financial Times ont corroboré ce que les observateurs disaient jusque-là tout bas: le score réel de Martin Fayulu approcherait les 60 % des voix – et non 35 % comme annoncé par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).
Le premier fichier aurait été directement extrait des serveurs de la Ceni par un «lanceur d’alerte», puis transmis à la presse par des proches de Fayulu. Le document Excel est une compilation des résultats, bureau de vote par bureau de vote, portant sur 86 % du scrutin. Il confère à Fayulu 59,42 % des voix, contre 18,97 % pour Félix Tshisekedi (soit deux fois moins que son score officiel) et 18,54 % pour Emmanuel Ramazani Shadary, le candidat du pouvoir.
La seconde fuite est venue de l’Eglise catholique. La Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) avait déployé 40.000 observateurs sur le terrain le 30 décembre, jour du vote. La synthèse des résultats qu’elle a pu faire remonter concerne, dans ce document, 43 % des suffrages. Et les scores calculés sont corrélés avec ceux du premier fichier: Fayulu obtiendrait 62,11 % des voix, Tshisekedi 16.93 %, Shadary 16,88 %.[4]

Le 17 janvier, la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) a transmis un premier rapport détaillé de sa mission d’observation à la Commission électorale.
Tableau à l’appui, circonscription par circonscription, sur les 26 provinces, la Cenco publie le comptage parallèle des voix qu’elle a effectué pour la présidentielle. D’abord sur un échantillon de 10,72 % des bureaux de vote, puis sur 42,92 % des suffrages exprimés. Enfin, dernier niveau de vérification, les résultats sur 71,53 % des votes. A chaque fois, c’est le même candidat qui arrive en tête: Martin Fayulu, avec 62% des voix sur l’échantillon le plus large, puis Félix Tshisekedi deuxième et Emannuel Ramazani Shadary troisème avec, sur ce même échantillon, respectivement 16,88% et 16,93% des voix. Un écart de voix très important sépare donc le premier du deuxième, trop important pour être rattrapable même en incluant les près de 29% de votants restants dont les voix n’ont pas été décomptées par la Cenco. Les résultats compilés par la Cenco ne correspondent donc pas du tout à ceux qui ont été annoncés par Commission électorale nationale indépendante (Céni). Par conséquent, une nouvelle fois, les évêques demandent donc à la Commission électorale de publier les PV bureau de vote par bureau de vote.[5]

Le 18 janvier, dans un communiqué, l’Union Européenne (UE) a dit apporter son appui à la démarche de l’Union africaine (UA), qui a appelé à la suspension de la proclamation de résultats définitifs des élections en RDC, à la suite de doutes sérieux qui pèsent sur la conformité des résultats provisoires proclamés: «L’Union européenne s’associe à l’Union africaine pour inviter tous les acteurs congolais à travailler constructivement avec cette délégation, pour trouver une issue postélectorale respectant le vote du peuple congolais et réussir l’objectif historique de la première alternance démocratique dans le pays».[6]

b. L’arrêté de la Cour Constitutionnelle

Le 19 janvier, lors d’une audience nocturne, la Cour Constitutionnelle a rejeté le recours déposé par Martin Fayulu. Selon la Dynamique de l’opposition, la CENI a violé la constitution, en excluant les circonscriptions de Beni et Butembo (Nord Kivu) et de Yumbi (Maï-Ndombe), représentant 1.359.000 électeurs. Elle avait demandé à la CENI d’y organiser les élections dans les deux semaines suivant le prononcé et de surseoir à la publication des résultats, en attendant les résultats des circonscriptions exclues.
Le juge Noël Kilomb a rappelé que la Dynamique de l’opposition, plateforme de Martin Fayulu demandait l’annulation des résultats provisoires, le recomptage manuel des voix, la consultation des données des observateurs électoraux de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de la Synergie des missions d’observation citoyenne des élections (SYMOCEL) et la proclamation de l’élection du candidat Martin Fayulu à la Présidence de la République.
Les juges de la Cour constitutionnelle ont jugé comme non-fondés tous les arguments de l’opposant. A savoir que la compilation des résultats n’aurait pas été terminée et que la Ceni n’aurait pas transmis à la Cour tous les procès-verbaux signés au niveau des centres locaux de compilation des résultats. Là-dessus, comme pour toutes les autres demandes, la Cour constitutionnelle a assuré que la commission électorale lui avait fourni, via le dispositif Vsat, tous les documents nécessaires, dont les procès-verbaux de résultats à tous les niveaux, y compris les plis, bulletins et PV de tous les bureaux de vote. Il faut rappelé que, jusqu’à ce jour, la Céni n’a jamais publié de tels résultats détaillés, au grand dam de l’opposition et des missions d’observation électorale, et même si la publication des résultats est prévue par la loi électorale.
La Cour a considéré la demande de correction des résultats demandée par la Dynamique de l’opposition et Martin Fayulu comme recevable mais « non-fondée faute de preuves« . Les juges ont estimé que la demande de recomptage des voix est exceptionnelle et, dans ce cas, « absurde« , puisque les élections se sont déroulées de façon normale et régulière.
La requête relative à l’annulation du vote de la présidentielle suite à l’exclusion de Beni et Butembo est considérée comme «recevable mais non fondée», car il s’agit d’un « cas de force majeur », du fait de la résurgence du virus Ebola. Pour la Cour constitutionnelle, la demande d’audition des missions d’observation électorale est sans objet.[7]

Dans un communiqué, Martin Fayulu a déclaré: «La cour constitutionnelle vient à confirmer une fois de plus qu’elle est au service d’un individu et d’un régime dictatorial qui ne respecte ni les lois de la république, ni les règles les plus élémentaires de la démocratie et de la morale. Elle vient de défier le peuple congolais, l’Union Africaine et l’ensemble de la communauté internationale. En effet, il n’est un secret pour personne que vous m’avez élu président de la république avec plus de 60% des voix. La CENI et la Cour constitutionnelle ont ainsi falsifié la vérité des urnes pour servir une cause injuste. Ce n’est qu’un coup d’état constitutionnel, car ils portent à la magistrature suprême un non élu. Je me considère désormais comme le seul président légitime de la République démocratique du Congo. Dès lors, je demande au peuple congolais de ne pas reconnaître tout individu qui se prévaudrait illégitimement de cette qualité, ni obéir aux ordres qui émaneraient de lui. Je demande par ailleurs à l’ensemble de la communauté internationale de ne pas reconnaître un pouvoir qui n’a ni légitimité, ni qualité légale pour représenter le peuple congolais. D’ores et déjà, je lance un appel pressant à notre peuple pour qu’il se prenne en charge en organisant des manifestations pacifiques sur toute l’étendue du territoire national, en vue de défendre sa souveraineté».[8]

Malgré ces déclarations, le soulèvement populaire que Martin Fayulu appelle de ses vœux semble improbable. D’abord parce que Joseph Kabila, après dix-sept ans à la tête de l’Etat, va quitter la présidence: la revendication première des Congolais, obtenue après deux années de haute lutte (le mandat de Kabila a pris fin en décembre 2016), est satisfaite. Le dauphin désigné du président sortant, Emmanuel Shadary, a été écrasé dans les urnes et personne ne conteste cette défaite. Félix Tshisekedi, malgré ses arrangements supposés avec le clan Kabila, reste identifié comme une figure de l’opposition, surtout pour le nom qu’il porte. Son père, Etienne Tshisekedi, décédé il y a deux ans, avait fondé le parti UDPS en 1982 et était considéré comme  le vrai opposant historique de la vie politique congolaise. Après l’élection de 2011, le vieil opposant s’était d’ailleurs lui aussi autoproclamé «président élu», contestant la victoire de Joseph Kabila…
A la différence de Tshisekedi, Fayulu ne dispose pas d’un parti de masse mobilisable sur demande. Sa force résidait dans sa campagne radicale contre le pouvoir en place et, surtout, dans le soutien de ses parrains Moïse Katumbi, richissime homme d’affaires et ex-gouverneur du Katanga et Jean-Pierre Bemba, ancien vice président de la République lors de la transition de 2001 à 2006. En rupture de ban avec le régime Kabiliste depuis 2015, Moïse Katumbi est accusé par la Justice d’attentat à la sécurité de l’Etat pour recrutement de mercenaires e de spoliation illégale d’immeuble. Jean-Pierre Bemba est le candidat « malheureux » des élections présidentielles de 2006, car il les aurait remportées face au candidat Joseph Kabila, pourtant « proclamé » Président de la République par la Commission électorale. Depuis Bruxelles, les deux hommes ont activé sans relâche leurs réseaux pour porter la candidature de Martin Fayulu.
Mais ces derniers jours, ils sont restés silencieux. Selon des membres de l’entourage de Félix Tshisekedi, des discussions «via des personnes interposées» sont en cours entre les deux camps (Lamuka et Cach). Or si Fayulu perd l’appui de ses puissants alliés, il se retrouvera très isolé sur la scène politique congolaise. D’autant plus que son petit parti, l’Ecide, pèsera très peu dans la future Assemblée nationale. Le score (environ 90 députés sur 500) de la coalition Lamuka, qui a appuyé sa candidature à la présidentielle, est surtout dû à l’élection de personnalités appartenant à des mouvements partenaires (Ensemble pour le changement de Katumbi, le Mouvement de libération du Congo de Bemba, etc.). Resteront-ils unis dans l’opposition? En RDC, les majorités sont mouvantes et beaucoup de gens peuvent traverser la rivière.[9]

2. FÉLIX TSHISEKEDI PROCLAMÉ NOUVEAU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

a. L’arrêté de la Cour Constitutionnelle

Le 19 janvier, dans une deuxième audience, la Cour constitutionnelle a statué sur les résultats définitifs de la présidentielle du 30 décembre et a confirmé la victoire de Félix Tshisekedi.
Selon les résultats publiés par la CENI et confirmés par la Cour Constitutionnelle, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo l’a emporté avec 7.051.013, soit 38,57%. Il est suivi de Martin Fayulu Madidi avec 6.366.732, soit 34,83%, et d’Emmanuel Ramazani Shadary avec 4.357.359, soit 23,84%. «La Cour proclame élu à la majorité simple président de la République démocratique du Congo Félix Tshilombo Tshisekedi », a déclaré le président de l’institution, Benoît Lwamba Bindu.
Cette décision est définitive, irrévocable, opposable à tous et sans appel.
Cette proclamation des résultats peut être vue comme un pied de nez fait à l’Union africaine, au moment où plusieurs chefs d’Etat devraient arriver à Kinshasa le lundi 21 janvier, pour réclamer des décisions conformes à la vérité des urnes et des négociations entre les acteurs politiques. « Qu’ils viennent, ils arriveront juste à temps pour l’investiture », se gaussait samedi un membre de la coalition au pouvoir. De sa part, Lambert Mendé, porte-parole du gouvernement congolais, avait déjà rappelé l’indépendance de la Cour constitutionnelle dont le devoir est de proclamer les résultats dans les délais légaux. Il a néanmoins assuré qu’un bon accueil serait fait à la délégation de l’Union africaine lundi, dont les marges de manœuvre sont désormais sérieusement limitées.[10]

b. Les messages de félicitations au nouveau Président élu

Le 20 janvier, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a félicité le Président élu, Félix-Antoine Tshisekedi : «La SADC appelle toutes les parties prenantes à soutenir le président élu et son gouvernement dans le maintien de l’unité, de la paix et de la stabilité … La SADC espère un transfert pacifique du pouvoir au président élu». La SADC félicite aussi les habitants de la RDC, les dirigeants politiques et toutes les parties prenantes du pays d’avoir conduit les élections de manière pacifique, en dépit des problèmes de sécurité et de logistique. Elle appelle tous les Congolais à accepter les résultats définitifs proclamés par la Cour Constitutionnelle, à consolider la démocratie et à maintenir un environnement pacifique et stable après les élections historiques. La SADC réitère la nécessité de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC et s’engage à soutenir le gouvernement de la RDC conformément au traité sur la SADC et au protocole de la SADC sur la coopération en matière de politique, de défense et de sécurité.[11]

Le 20 janvier, le Président sud-africain Cyril Ramaphosa a félicité M. Felix Tshisekedi Tshilombo, proclamé Président élu de la République démocratique du Congo (RDC). Le président Ramaphosa a appelé toutes les parties à respecter la décision de la Cour constitutionnelle et à s’engager à poursuivre sur la voie de la consolidation de la démocratie, de la stabilité politique, de la sécurité et de la paix. Le Président Ramaphosa a réitéré la nécessité de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC, conformément à la Charte des Nations Unies, à l’Acte constitutif de l’UA et au Traité de la SADC. Bien avant lui, les présidents de la Namibie, Dr Hage G. Geingob; du Burundi, Pierre Nkuruziza; de la Tanzanie, John Pombe Joseph Magufuli; du Kenya, Uhuru Kenyatta, avaient également félicité Tshisekedi.[12]

Le 20 janvier, la Commission de l’Union Africaine (UA) «a pris note de la proclamation, par la Cour constitutionnelle, des résultats définitifs des élections présidentielle, législatives nationales et provinciales du 30 décembre 2018» et ha décidé de reporter sine die (annuler) sa visite prévue le lundi 21 janvier à Kinshasa, car elle « n’avait plus véritablement de sujet, l’Union africaine ayant été mise devant le fait accompli». Selon Jeune Afrique, les chefs d’Etat de l’Union africaine comptaient laisser à Joseph Kabila le choix entre un recomptage des voix et une nouvelle élection à laquelle pouvaient participer Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, deux options qui n’auraient pas plu à Kabila. La délégation devait être conduite par le président en exercice de l’UA, le Rwandais Paul Kagame, et le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat.[13]

Le 21 janvier, le ministère français des Affaires étrangères a pris note de la proclamation des résultats faite par la Cour constitutionnelle et de la victoire de M. Félix Tshisekedi à l’élection présidentielle: «Cette élection a permis aux Congolais d’exprimer avec force et dans le calme leur désir d’alternance. Nous formons le vœu que le nouveau Président sache y répondre et l’appelons à poursuivre le dialogue avec l’ensemble des acteurs du pays pour y parvenir». La France sera représentée à la cérémonie d’investiture par son ambassadeur en RD Congo.
Les ministères des Affaires étrangères de la Chine et de la Russie, ainsi que le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, président de la République arabe d’Égypte et Filipe Nyusi, président du Mozambique ont félicité Félix Tshisekedi pour sa victoire à l’élection présidentielle.[14]

Le 22 janvier, après une réunion des ministres des Affaires Étrangères, la responsable de la politique étrangère de l’Union Européenne (UE), Federica Mogherini, a déclaré que «l’UE a pris note des résultats des élections tels que proclamés par la Cour constitutionnelle. Les Congolais ont exprimé leur volonté de changement. L’UE est un partenaire important pour la RD Congo et elle continuera à l’être». La proclamation officielle par la Cour constitutionnelle à Kinshasa et la reconnaissance de ce résultat par des poids lourds de la scène diplomatique africaine, comme l’Afrique du Sud, voilà les deux éléments qui ont changé la donne. Certains accuseront les Européens de rétropédalage, mais la crainte d’être accusé d’ingérence dans les affaires intérieures du Congo semble dorénavant dominer.
La proclamation de Félix Tshisekedi à la présidence de la République démocratique du Congo a créé un état de fait qui a poussé les Européens à se démarquer de leur déclaration de la semaine dernière. Quant à leurs doutes ou à leurs demandes de publication de résultats plus cohérents avec les attentes, les ministres des Affaires Étrangères de l’UE se sont bornés à regretter un manque de transparence dans le processus. Dans l’ensemble, pour les Européens, l’heure est plutôt à la formulation d’un espoir de consensus national en République démocratique du Congo. Dans leur déclaration commune, les participants à cette réunion commune de l’Union européenne et de l’Union africaine insistent sur les défis à relever pour le nouveau président congolais en termes de société, de gouvernance, de sécurité et d’économie: «La tâche qui attend le nouveau président contient des défis majeurs, dans plusieurs secteurs, sur les plans sécuritaire, social, économique et de gouvernance. Tout cela nécessite que le président soit unificateur et qu’il engage un dialogue à l’intérieur du pays comme à l’étranger».[15]

Le 23 janvier, le président angolais João Manuel Gonçalves Lourenço a adressé un message de félicitation à Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo : «Je suis convaincu que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour promouvoir l’inclusion de toutes les forces de la nation congolaise et pour garantir la stabilité nécessaire pour jeter les fondements sur lesquels les Congolais espèrent : une démocratie complète. Respect des différences et respect strict des droits de l’homme».
Le président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, a lui aussi adressé ses félicitations à Félix Tshisekedi, en tant que nouveau président de la RD Congo.
Enfin, les États-Unis aussi ont pris acte de la publication des résultats définitifs de la présidentielle par la Cour constitutionnelle congolaise. Le porte-parole adjoint du département d’Etat américain, Robert Palladino, a déclaré que «les États-Unis saluent le peuple de la RD Congo pour son insistance sur un transfert de pouvoir pacifique et démocratique. Les États-Unis reconnaissent également l’engagement du président sortant, Joseph Kabila, à devenir le premier président de l’histoire de la RD Congo à céder le pouvoir de manière pacifique dans le cadre d’un processus électoral». Il a ajouté que «les États-Unis se sont engagés à travailler avec le nouveau gouvernement de la RD Congo. Ils encouragent le gouvernement à mettre en place une large représentation des acteurs politiques congolais et à prendre en considération les informations faisant état d’irrégularités électorales».[16]

c. Félix Tshisekedi officiellement investi président de la République Démocratique du Congo

Le 24 janvier, Félix Tshisekedi a été officiellement investi président de la République Démocratique du Congo. C’est la première passation de pouvoir légale et pacifique de l’histoire du pays. Le nouveau président a assuré vouloir «défendre la Constitution» et travailler à la construction d’un «Congo réconcilié». Après sa prestation de serment: «Je jure solennellement devant Dieu et la nation d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République», le président sortant Joseph Kabila lui a remis le drapeau et le texte de la Constitution de la République Démocratique du Congo. Joseph Kabila et Félix Tshisekedi se sont ensuite donné une longue accolade, avant de se serrer la main. Le président sortant a ensuite quitté l’estrade, pour rejoindre la tribune, encadré par sa garde rapprochée.
Félix Tshisekedi a ensuite pris la parole. «C’est un jour historique (…). Nous ne célébrons pas la victoire d’un camp contre un autre, nous honorons un Congo réconcilié», a déclaré le président de la RDC, promettant de construire «un pays qui ne sera pas un Congo de la division, de la haine ou du tribalisme». Félix Tshisekedi a également tenu à saluer les deux candidats arrivés derrière lui selon les résultats proclamés par la Ceni et validés par la Cour constitutionnelle: Martin Fayulu, « notre frère« , qu’il a qualifié de « soldat du peuple« , ainsi qu’Emmanuel Ramazani Shadary.
Félix Tshisekedi n’a pas oublié Vital Kamerhe, qui «a mis les intérêts du peuple congolais au-dessus de ses ambitions personnelles», pour former avec lui le ticket gagnant de cette élection présidentielle. Il a rendu hommage à son père, Étienne Tshisekedi, «un combattant, un homme d’exception dont le sort personnel est lié à l’histoire de notre pays». Il a également salué en Joseph Kabila, «l’un des acteurs de la matérialisation de l’alternance démocratique».
S’il a salué le fait que l’élection avait été organisée «pour la première fois sur fonds propres et sans intervention extérieure», il a également souligné que «notre dispositif électoral mérite des ajustements». Autre point abordé, et non des moindres: Félix Tshisekedi s’est engagé à «recenser tous les prisonniers politiques (…) en vue de leur prochaine libération».
Le nouveau chef de l’Etat congolais a promis de centrer son action sur la lutte contre la corruption, la pacification de tout le territoire national, la lutte contre la pauvreté et la consolidation d’un état de droit. Il a aussi promis de lutter contre l’impunité et la mauvaise gouvernance, de promouvoir l’accessibilité des citoyens à tous les services de l’Etat, de restaurer une justice efficace pour lutter contre la corruption et l’évasion fiscale et d’améliorer le respect des droits de l’homme.[17]

Le 25 janvier, dans une ordonnance présidentielle, le nouveau Président de la République, Félix Tshisekedi, a désigné Vital Kamerhe comme son directeur de cabinet. Désiré-Cashmir Kolongele Eberande a été nommé directeur de cabinet adjoint en charge des questions juridiques, politiques et administratives. Vital Kamerhe a effectué la remise et reprise avec l’ancien directeur de cabinet de Joseph Kabila, président sortant, Néhémie Mwilanya.[18]

Le 25 janvier, au Palais de la Nation à Kinshasa, le Président sortant de la RDC, Joseph Kabila, a procédé à la remise et reprise avec le nouveau Président Félix-Antoine Tshisekedi, pour lui céder le bureau présidentiel. Vital Kamerhe, ancien directeur de campagne de Félix Tshisekedi, et Néhémie Mwilanya, directeur de cabinet de Joseph Kabila, ont participé à cet entretien qui a duré presque trois heures. Félix Tshisekedi a ensuite accompagné son prédécesseur jusqu’à la sortie. Après les dernières accolades entre les deux, Joseph Kabila est parti à bord de son pick-up. Une scène encore jamais vécue dans l’histoire de la République Démocratique du Congo.[19]

Où logera le nouveau président de la République Félix Tshisekedi? La question se pose, au lendemain de son investiture comme nouveau président de la République. Le palais historique destiné aux chefs d’Etats à Kinshasa est inhabitable et le président sortant, Joseph Kabila, ne quitte pas sa villa. En attendant une solution plus pérenne, Félix Tshisekedi loge donc à la cité de l’Union africaine.
Joseph Kabila a rendu les clés du palais de la Nation, où se trouvent les bureaux de la présidence, mais pas celles de sa villa présidentielle, située à Gombe, en centre-ville. «Il ne s’agit pas de la résidence officielle du chef de l’Etat congolais», explique l’un des conseillers de Joseph Kabila. Ladite résidence officielle – historiquement – est, elle, située sur le Mont Ngaliema mais n’est plus habitable. Elle a été pillée à la fin de l’ère Mobutu et reste abandonnée depuis.
A son arrivée Laurent-Désiré Kabila avait préféré s’installer dans une autre villa, le palais de marbre. C’est là qu’il fut assassiné. Conséquence: par «superstition» dit-on, son fils Joseph Kabila a refusé de s’y installer et a opté pour une villa baptisée GLM, du nom de Litho Moboti, l’oncle du président Mobutu. Ce dernier l’avait attribuée à son neveu au moment de la zaïrisation. L’entourage du président sortant assure que, depuis, Joseph Kabila en est devenu propriétaire. «Aucune raison donc de déménager», explique encore un de ses conseillers. Quant à la résidence officielle historique, il est prévue qu’elle soit rénovée, mais ce sera long et coûteux.
Résultat: Après une première nuit à l’hôtel Kempinksi le soir de son investiture, le nouveau président Félix Tshisekedi s’est donc provisoirement installé à la cité de l’Union africaine dans la même enceinte que ce palais présidentiel. Un complexe, construit en 1967 pour héberger les chefs d’Etat africains invités au 4ème sommet de l’organisation. «C’est modeste, mais c’est transitoire», assure son porte-parole, Vidiye Tshimanga, laissant donc entendre qu’un déménagement est prévu, tout en laissant planer le mystère sur le futur lieu de résidence du nouveau président.[20]

d. Les premières mesures sociales de Félix Tshisekedi

À peine proclamé cinquième président de la RDC, Félix Tshisekedi est confronté à une grogne sociale à laquelle il essaie de répondre avec Vital Kamerhe, son ancien colistier qui est actuellement son directeur cabinet. L’enjeu pour Tshisekedi est non seulement d’agir rapidement, mais aussi de marquer les esprits avec des décisions qui rencontrent directement les besoins de la population.
Dimanche 27 janvier, soit trois jours après sa prestation de serment, les étudiants de l’université de Lubumbashi sont dans la rue. Ils manifestent contre la coupure de l’eau et de l’électricité ainsi que le réajustement des frais académiques. Ils font face à la police. Bilan officiel : trois morts. Le soir, Vital Kamerhe, directeur de cabinet de Tshisekedi, annonce que le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire sera entendu sur ces évènements et que la mesure sur le réajustement des frais académiques a été également suspendue.
Mardi 29 janvier, le transport en commun est paralysé à Kinshasa, la capitale, les employés de la Société de transports du Congo (Transco) entre en grève pour réclamer des arriérés de salaire. A la mi-journée, Vital Kamerhe rencontre la direction générale de cette société en présence des ministres des Finances et du Budget ainsi que de la délégation syndicale de l’entreprise.
Le service de communication de la présidence annonce que Félix Tshisekedi a instruit la chaine des dépenses publiques pour que soient libérés en procédure d’urgence les arriérés ainsi que tous les avantages revendiqués. Dans la foulée, les bus de Transco devraient reprendre le trafic dès ce mercredi.[21]

[1] Cf Actualité.cd, 15.01.’19
[2] Cf RFI, 18.01.’19
[3] Cf AFP – Radio Okapi, 18.01.’19
[4] Libération / via mediacongo.net, 22.01.’19
[5] Cf RFI, 18.01.’19
[6] Cf Radio Okapi, 18.01.’19
[7] Cf RFI, 20.01.’19; Radio Okapi, 19.01.’19; Actualité.cd, 19.01.’19
[8] Cf RFI, 20.01.’19
[9] Cf Libération / via mediacongo.net, 22.01.’19
[10] Cf RFI, 20.01.’19; Radio Okapi, 19.01.’19; Actualité.cd, 19.01.’19
[11] Cf Radio Okapi, 20.01.’19
[12] Cf Radio Okapi, 20.01.’19
[13] Cf RFI, 20.01.’19
[14] F Radio Okapi, 21.01.’19;  Jeff Kaleb Hobiang – 7sur7.cd, 21 et 22.01.’19; Actualité.cd, 22.01.’19
[15] Cf Radio Okapi, 22.01.’19
[16] Cf Actualité.cd, 23.01.’19; Radio Okapi, 23.01.’19
[17] Cf Pascal Mulegwa et Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 24.01.’19; Radio Okapi, 24.01.’19
[18] Cf Radio Okapi, 27.01.’19
[19] Cf Radio Okapi, 25.01.’19
[20] Cf Florence Morice – RFI, 27.01.’19
[21] Cf RFI, 30.01.’19