SOMMAIRE
ÉDITORIAL: UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE SOUS TENSION ET DES ÉLECTIONS EN DANGER
1. LE PROCESSUS ÉLECTORAL
a. La Commission électorale
b. Les Missions d’Observation Électorale
c. L’incendie de l’entrepôt principal de la Commission électorale à Kinshasa
d. LAMUKA fait machine arrière et accepte l’usage de la machine à voter
2. LA CAMPAGNE ÉLECTORALE
a. Désistements et changements de position
b. Les incidents qui ont émaillé la campagne électorale de Martin Fayulu, candidat de Lamuka à la présidentielle
3. L’UE MAINTIENT SES SANCTIONS CONTRE 14 PERSONNALITÉS CONGOLAISES
ÉDITORIAL: UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE SOUS TENSION ET DES ÉLECTIONS EN DANGER
1. LE PROCESSUS ÉLECTORAL
a. La Commission électorale
Le 3 décembre, le président de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), Corneille Nangaa, a déclaré que les premières tendances après le vote du 23 décembre seront disponibles au soir de Noël. Il a ajouté que tout sera prêt le jour du scrutin et que tous les matériels seront déployés dans le délai. Nangaa a expliqué aussi que le vote se déroulera entre six heures et 17 heures, mais les électeurs qui seront encore dans la file pourront voter jusque tard. Il a réaffirmé la décision d’organiser les élections avec la machine à voter, mais le dépouillement des bulletins se fera manuellement. «Nous devrons transcrire les résultats comptés manuellement sur des procès verbaux. Ce sont ces résultats qui seront annoncés, pas ceux des machines», a t-il expliqué.[1]
Dans la même conférence de presse, le président de la CENI, Corneille Nangaa, a toutefois reconnu «un point critique»: les procès-verbaux et fiches de résultats vierges sont toujours en cours d’impression en Afrique du Sud. Il s’agit de 380 tonnes de matériel qu’il va falloir réceptionner et déployer avant le 23 décembre. Plusieurs observateurs se demandent encore où sont les listes des électeurs qui devraient être déjà affichées dans les centres de vote. En ce qui concerne le déploiement du matériel électoral, dont les machines à voter, plusieurs membres de la Société civile se sont dits incapables, faute d’accès, de vérifier les dires de la Céni, selon qui tous les matériels seront déployés dans le délai.
A propos de la durée du vote, source d’inquiétude car les Congolais ne sont pas familiers de la machine à voter, Corneille Naanga a répété que, selon ses expérimentations, il faudrait moins d’une minute à chaque électeur pour voter pour trois scrutins, ce qui est contesté dans plusieurs rapports.
Il a toutefois promis qu’au besoin les bureaux de vote prévus pour fonctionner entre 6h et 17h resteront ouverts au-delà au besoin. «Toute personne arrivée au bureau de vote avant 17 h sera autorisée à voter, même si cela devait dépasser minuit», a-t-il assuré. Toujours dans l’optique de vouloir rassurer, Corneille Naanga a répété que les machines ne serviront qu’à imprimer le bulletin le jour du vote et que le décompte des voix se fera sur la base du dépouillement de ces bulletins papier, et non des résultats de la machine à voter.[2]
b. Les Missions d’Observation Électorale
Le 10 décembre, la Communauté de Développement et de Coopération de l’Afrique australe (SADC) a lancé sa Mission d’Observation Électorale en RD Congo (MOE). Cette mission d’observation électorale sera conduite par un ancien juge zambien qui est en même temps le responsable de l’organe de la SADC chargé de la coopération politique, défense et sécurité. Cette MOE comprend 73 observateurs. Elle sera déployée dans 16 provinces sur les 26 que compte la RD Congo: Kinshasa, Equateur, Haut-Katanga, Haut-Lomami, Haut-Uele, Kasaï Central, Kasaï Oriental, Kongo Central, Kwilu, Sud-Kivu, Lomami, Maï-Ndombe, Lualaba, Nord-Ubangi, Tanganika et Tshopo.
Selon Jean-Pierre Kalamba, rapporteur de la CENI, d’autres observateurs sont également attendus à Kinshasa dans les prochains jours: «Il n’y aura pas seulement les Observateurs de la SADC mais aussi ceux de la CEAC (Communauté d’Afrique Centrale) et de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie)». Aucun observateur de l’Union européenne ne sera déployé, car le gouvernement n’y est pas favorable.[3]
Le 12 décembre, dans un rapport, la Synergie des missions citoyennes d’observation électorale (SYMOCEL) a affirmé que 43,48% des meetings de campagne observés ont connu la participation du personnel de l’Etat et que 23,91% de ces rassemblements électoraux organisés par certains candidats ou formations politiques, ont utilisé les ressources de l’Etat.
L’article 41 de la loi électorale postule que «les biens, finances et personnel de l’Etat ne peuvent être utilisés à des fins de propagande par les candidats, les partis politiques ou les regroupements politiques».
Ladite étude porte sur l’observation des 15 premiers jours de la campagne électorale (du 22 novembre au 06 décembre 2018) et concerne 10 provinces pour lesquelles la Mission a reçu au total 46 rapports d’observation de campagne. Il s’agit des provinces de l’Equateur, du Haut-Katanga, du Kasaï, du Kasaï Oriental, du Kwango, du Maï-Ndombe, du Nord-Kivu, de la Tshopo, du Tanganyika et de la ville province de Kinshasa. De 46 meetings de campagne sur lesquels porte ce rapport, 12 ont été organisés par le Front Commun pour le Congo (FCC) et 34 par des candidats ou formations politiques de l’opposition.
La SYMOCEL a déployé 275 observateurs à long terme pour observer la campagne électorale qui a débuté le 22 novembre à minuit, et qui prendra fin le 21 décembre à minuit.[4]
c. L’incendie de l’entrepôt principal de la Commission électorale à Kinshasa
Pendant la nuit du 12 au 13 décembre, l’entrepôt principal de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), situé sur l’avenue Forces Armées (ex-Haut Commandement) a pris feu.
L’incendie aurait commencé à deux heures du matin. Selon les autorités, il serait d’origine criminelle. «Le feu a eu deux points de départ. Ce qui laisse à penser que la simultanéité a été voulue. Donc on pense à un incendie d’origine criminelle, mais on ne sait pas l’affirmer avec certitude en ce moment», a déclaré Henri Mova, vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. Toutefois, il a rassuré de la tenue des élections le 23 décembre.
En attendant les estimations définitives des dégâts causés par l’incendie, le président de la CENI, Corneille Nangaa, a affirmé que le feu a consumé le matériel électoral de dix-neuf sur vingt-quatre communes de Kinshasa. Ce matériel comprend:
près de 8.000 machines à voter sur 10.368,
3.774 isoloirs sur 8.887,
552 kits bureautiques sur 8.887,
17.901 encres indélébiles,
800 nouvelles motos et 15 véhicules et
près de 9.500 batteries externes.
Le président de la CENI assure tout de même que des «dispositions utiles» sont prises afin de garantir «la poursuite sans faille du processus électoral». Il a déclaré que le trou causé par cet incendie sera comblé par le surplus de machines.[5]
Un ancien tweet du 13 septembre 2018 et publié par Olivier Kamitatu, porte-parole de Moïse Katumbi et actuellement membre de Lamuka, a refait surface sur les réseaux sociaux et a suscité polémique. Le voici: «Le rejet de la machine à voter est total! Si Corneille Nangaa s’entête à imposer ses 100.000 machines à tricher, il devra déployer derrière chacune d’elles un policier, pour qu’elles ne soient pas cassées, détruites et brûlées! Les Congolais vont se charger de faire respecter la loi électorale».[6]
Dans un communiqué, le Front Commun pour le Congo (FCC) a accusé l’opposant Martin Fayulu, candidat de la coalition Lamuka, d’être lié à cette destruction. Il l’accuse de mettre en œuvre «une politique de la terre brulée et un projet bien planifié tendant à entraver le processus électoral».
Dans l’opposition, en revanche, on accuse le régime d’être responsable. L’ancien vice-président Jean-Pierre Bemba, membre de la coalition Lamuka a dit ne pas comprendre comment des bâtiments sécurisés par la police nationale et la Garde républicaine ont pu entièrement se consumer ou même être attaqués sans réaction. Il a demandé une enquête.
De son côté, le député Juvénal Munubo, membre de CACH, la coalition des opposants Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, a appelé à n’accepter aucun report des élections.
Félix Tshisekedi met aussi directement en cause le gouvernement et « l’autre opposition »: «Je condamne le gouvernement, je le rends responsable de ce qui est arrivé, parce que cela devait être l’un des endroits les mieux gardés en ce moment … Nous appelons aussi nos amis de l’autre opposition à arrêter avec leur langage ambigu à propos de l’usage de la machine à voter et à leurs déclarations malencontreuses, telles que « il faut casser les machines », » il faut demander les bulletins de vote papier ». Ça ne fait que donner, au régime en place, des occasions pour trouver des prétextes, afin de saboter le processus électoral en cours».
Accusé par le Front Commun pour le Congo (FCC) d’être le commanditaire de l’incendie, le candidat de Lamuka, Martin Fayulu, a démenti et a explique qu’il s’agit d’une manoeuvre du pouvoir, pour justifier un énième report des élections et maintenir le président de la République en fonction au-delà de cette année. Depuis Goma (Nord-Kivu), Martin Fayulu, a appelé tous les Congolais à se présenter au bureau de vote le 23 décembre 2018 et à exiger le bulletin à papier. Il a déclaré qu’il ne s’agit pas d’un appel au boycott des élections, mais d’un appel à ne pas permettre des élections « chaotiques et truquées »: «Nous ne boycotterons jamais les élections, mais nous n’accepterons jamais une parodie d’élections. Il faut aller à voter et demander le bulletin papier, car c’est dans l’urne qu’on va mettre le bulletin papier».[7]
Le 16 décembre, à Beni (Nord Kivu), les Forces armées de la RDC et la Police ont repoussé, tôt le matin, une attaque menée contre l’entrepôt de la Commission électorale par des hommes armés, identifiés comme des miliciens Maï-Maï. Selon le chef d’Antenne de la CENI / Beni ville, tous les matériels, dont 2.000 machines à voter, sont intacts, les assaillants n’ayant pas réussi à pénétrer au sein du magasin. L’attaque est intervenue aux environs de 1h30, heure locale. Ce dépôt se trouve sur le boulevard Nyamwisi, en face de la résidence du chef de l’Etat, au centre-ville de Beni.[8]
Le 17 décembre, la Commission Électorale a confirmé la tenue des élections le 23 décembre, en dépit de l’incendie qui a ravagé son entrepôt sur l’avenue Forces Armées, dans la commune de la Gombe, à Kinshasa. Selon ses déclarations, au moins 60% du matériel du stock tampon initialement déployé en provinces a été déjà ramené à Kinshasa et l’opération est toujours en cours.[9]
d. LAMUKA fait machine arrière et accepte l’usage de la machine à voter
Le 16 décembre, lors d’un point de presse, Pierre Lumbi, directeur de la campagne de Martin Fayulu, a déclaré que la coalition « Lamuka » a accepté l’usage de la machine à voter pour les trois scrutins, tout en insistant sur le fait qu’elle ne serve que d’imprimante. «Conformément aux recommandations de la CENCO et aux récentes déclarations de la CENI, ces machines ne peuvent que servir seulement pour l’impression des bulletins de vote … Par conséquent, seuls les résultats issus du comptage manuel des bulletins déposés dans les urnes, en outre validés par les témoins des partis politiques et les observateurs indépendants des réseaux catholiques, protestants et de la société civile devront être pris en compte», a-t-il déclaré. Cette prise de position intervient pratiquement à une semaine de la tenue des élections. Pour Rappel, la coalition LAMUKA s’est toujours opposée à l’utilisation de la machine à voter, par ailleurs qualifiée comme « machine à tricher », et avait adopté la stratégie consistant à demander aux Congolais d’exiger les bulletins papier, pour voter le 23 décembre A travers cette déclaration, Lamuka vient de confirmer sa participation aux élections, le 23 décembre, avec la machine à voter.[10]
Le 17 décembre, dans un tweet, le directeur de cabinet adjoint de Félix Tshisekedi, Peter Kazadi, a demandé combien Fayulu et sa suite ont-ils touché pour faire marche en arrière et accepter la machine à voter. Au lendemain du retrait de leurs signatures de l’accord de Genève, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe avaient été accusés par certains membres de Lamuka d’avoir été corrompus par le pouvoir pour accepter la machine à voter.[11]
2. LA CAMPAGNE ÉLECTORALE
a. Désistements et changements de position
Le 24 novembre, dans une déclaration publiée le 1er décembre, Unis pour la République (UREP), plateforme regroupant 13 partis politiques et dirigée par l’ancien ministre Bofasa Djema, s’est désolidarisée avec Nouvel Élan d’Adolphe Muzito et a rejoint Cap pour le Changement, coalition politique et électorale UDPS-UNC qui porte la candidature de Félix Tshisekedi à la présidentielle.[12]
Le 30 novembre, Tryphon Kin Kiey Mulumba, ex ministre de Kabila, a retiré sa candidature à la présidentielle au profit de Félix Tshisekedi.[13]
Le 3 décembre, le sénateur Jean-Philibert Mabaya, autorité morale du regroupement politique Arc-en-ciel du Congo et candidat à la présidentielle du 23 décembre, s’est désisté au profit de Martin Fayulu.[14]
Le 10 décembre, au cours d’un meeting organisé à Kananga, chef-lieu du Kasaï Central, Delly Sesanga, secrétaire général de la plate forme Ensemble pour le changement de Moïse Katumbi et Claudel Lubaya, président de la plate forme Alliance des Mouvements du Kongo (AMK) et aussi membre de la plate forme Ensemble, ont appelé à voter pour Félix Tshisekedi à la présidentielle.
Leur position est contraire à la ligne tracée par Moise Katumbi. Ce dernier soutient plutôt la candidature de Martin Fayulu, candidat de la coalition LAMUKA dont la plateforme Ensemble est membre. Sesanga et Lubaya sont, tous les deux, candidats députés nationaux. L’un à Luiza et l’autre à Kananga, fief naturel de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS).
Selon Delly Sesanga, «il faut aujourd’hui définitivement sortir de l’ambiguïté au regard de l’utilisation de la machine à voter. Félix Tshisekedi a assumé depuis longtemps l’idée de pouvoir aller aux élections avec ou sans machine à voter. Compte tenu des problèmes que nous rencontrons (insécurité, instabilité politique, mauvaise gestion économique), il faut éviter que la soif de changement démontrée par le peuple ne soit compromise par une décision qui reviendrait à un boycott des élections. Par conséquent, nous avons estimé bon soutenir la candidature de Félix Tshisekedi qui, dans le cas d’élections organisées avec la machine à voter, demande à la population de prendre ses responsabilités pour s’assurer que les résultats issus des urnes soient respectés par la Commission électorale».
Selon Claudel Lubaya, «il faut prendre la mesure de la gravité de la situation du pays et saisir l’opportunité, qui s’offre aujourd’hui à notre peuple, pour arriver à cette alternance tant souhaitée, en participant massivement aux élections du 23 décembre 2018. Le choix de Félix Tshisekedi est le choix de la raison qui répond de manière claire à la question de la participation ou non aux élections, compte tenu du fait accompli imposé par la Commission électorale à travers la machine à voter et un fichier électoral corrompu. C’est pour cela qu’on a levé l’option d’aller aux élections, coûte que coûte, tout en appelant à une surveillance citoyenne active, le jour du vote, pour protéger les résultats issus des urnes».[15]
Le 11 décembre, le président du parti politique « Ensemble Changeons le Congo » (ECCO), Adam Bombole, a invité la population à voter pour Félix Tshisekedi, candidat président de la République de la coalition Cap pour le Changement (CACH). Adam Bombole est membre de la plateforme Alternance pour la République (AR), qui soutenait Moïse Katumbi à la présidentielle prévue le 23 décembre.[16]
Le 11 décembre, un autre candidat à la présidentielle, Maurice Masheke, a annoncé son désistement en faveur de Martin Fayulu, candidat de la coalition Lamuka.[17]
b. Les incidents qui ont émaillé la campagne électorale de Martin Fayulu, candidat de Lamuka à la présidentielle
Le 29 novembre, le directeur de campagne électorale de la coalition Lamuka, Pierre Lumbi, a dénoncé des entraves à la campagne électorale de Martin Fayulu, candidat de la coalition à la présidentielle. Pierre Lumbi a accusé le gouvernement congolais de «retarder délibérément» les autorisations de survol et d’atterrissage des quatre avions que l’opposant souhaite faire venir d’Afrique du Sud pour battre campagne. C’est lundi que l’équipe de campagne de Martin Fayulu dit avoir déposé sa demande à l’aviation civile. Sans suite favorable pour le moment. Pierre Lumbi a dénoncé «des manœuvres dilatoires» de la part du gouvernement: «Il s’agit là d’une stratégie savamment montée pour entraver la campagne du candidat commun de l’opposition. Cette attitude du gouvernement est inadmissible». Ce qui «indigne» Pierre Lumbi, c’est une déclaration de José Makila, le ministre des Transports. Ce dernier a dit n’avoir reçu aucune demande d’atterrissage e de survol et a démenti toute ingérence politique, mais a assimilé la requête que Martin Fayulu a adressée à l’aviation civile à une demande d’importation d’avions en vue d’exploitation. Par conséquent, selon le ministre, des techniciens de l’aviation civile doivent se rendre en Afrique du Sud pour inspecter les avions et se rendre compte de leur bon fonctionnement avant toute autorisation. Toutefois, selon Pierre Lumbi, il ne s’agit pas d’une importation, ni d’un achat, mais d’une utilisation privée pendant le temps de la campagne électorale et les propos du ministre «cachent mal […] une instruction politique» donnée à l’aviation civile pour faire traîner les démarches en longueur.[18]
Le 3 décembre, deux avions destinés pour la campagne de Martin Fayulu sont arrivés à l’aéroport de N’djili, à Kinshasa, en provenance de l’Afrique du Sud.
D’après des sources concordantes des membres du staff du candidat de la coalition « Lamuka », des techniciens de l’autorité de l’aviation civile avaient été dépêchés en Afrique du Sud, pour le contrôle de viabilité de ce deux aéronefs. Avec l’arrivée de ce deux avions, certifiés viables par l’Autorité de l’Aviation Civile (AAC), Martin Fayulu pourra démarrer sa campagne électorale dans le Congo profond.[19]
Le 5 décembre, à Béni (Nord Kivu), Martin Fayulu, candidat de la coalition Lamuka à la présidentielle, a appelé la population à rejeter la machine à voter qui, selon lui, est une machine à tricher: «La machine à tricher est contre la loi. Le 23 décembre, demandez les bulletins papiers. S’il n’y a pas de bulletins papiers, il n’y aura pas de vote».[20]
Le 7 décembre, à Uvira (Sud Kivu, Félix Tshisekedi, candidat de la coalition Cap pour le Changement, a affirmé que «ceux qui appellent à voter avec le stylo induisent la population en erreur, car ces votes seront déclarés nuls». Pour lutter contre la tricherie, il a insisté sur la surveillance électorale et il a invité les électeurs à ne quitter les bureaux de vote le 23 décembre, qu’après l’obtention de PV par les témoins des partis.[21]
Selon plusieurs observateurs, dès le début de sa campagne électorale, Martin Fayulu est parvenu à faire basculer la campagne électorale présidentielle à sa faveur. Car, ce «poids mouche» – c’est ainsi que l’a qualifié le ministre de la communication Lambert Mende – a su cristalliser la mobilisation populaire autour de lui. Porté en triomphe à Béni, Butembo, Bunia, Buta avant de drainer une véritable marée humaine à Kisangani, le fondateur de l’Écidé a jeté le trouble dans une campagne préalablement promise pour se jouer entre l’éléphantesque ticket Udps-UNC et le FCC.
En quittant l’accord de Genève, qui désignait début novembre Martin Fayulu unique candidat de l’opposition, Félix Tshisekedi (Udps) et Vital Kamerhe (UNC), sous la pression de leurs bases respectives, misaient justement sur le manque supposé d’assise populaire du député de Lukunga, pour décrédibiliser l’entente facilitée par la Fondation Kofi Annan. À la tête d’un petit parti, avec à peine trois sièges à l’assemblée nationale, Martin Fayulu réunissait en effet tout pour être le candidat dont l’opposition n’avait absolument pas besoin pour aller aux élections.
Mais c’était sans compter avec les poids lourds qui entourent le dossard numéro 4. Parmi eux, l’hyper populaire et ex gouverneur du Katanga Moïse Katumbi, l’ancien vice-président Jean Pierre Bemba, arrivé deuxième à la présidentielle de 2006, sans oublier le plébéien Mbusa Nyamwisi, toujours adulé dans le nord-est du pays, qui n’a ménagé aucun effort pour apporter son soutien à celui qu’il appelle, comme désormais tous les « Lamuka », le « soldat du peuple».
Dans ses conditions, le succès enregistré par Martin Fayulu tout au début de sa campagne électorale a bouleversé non seulement les calculs du FCC, la coalition actuellement au pouvoir, mais également ceux de l’autre poids lourd de l’opposition, Félix Tshisekedi. Avec Vital Kamerhe, leader incontesté de l’est du pays, à ses côtés, Félix Tshisekedi espérait sans doute bénéficier seul des masses populaires si cruciales de la partie orientale de la RDC. Mais elles lui ont été brutalement disputées par un « sans base », venu de l’autre rive du pays. À cela il faut ajouter que Martin Fayulu ne s’est pas encore rendu dans l’ex Katanga, acquis pour une bonne partie aux grandes figures de LAMUKA et qui ne s’est pas encore manifesté.
Les étapes du Grand Equateur et du Bandundu vont aussi montrer l’ampleur du soutien de Jean-Pierre Bemba et d’Adolphe Muzito à Martin Fayulu. Il reste encore les matches décisifs de Kinshasa, du Centre (dévoué à l’UDPS) et de l’Ouest du pays, où les voix seront âprement disputées.[22]
Le 9 décembre, Martin Fayulu, candidat de la coalition Lamuka, était attendu à Kindu (Maniema). Les partisans de la coalition Lamuka se sont mobilisés pour accueillir leur candidat. Ils étaient à 500 mètres de l’entrée de l’aéroport. Au même temps, des dizaines de partisans du Front Commun pour le Congo (FCC), coalition de la majorité actuellement au pouvoir et qui soutient la candidature de Emmanuel Ramazani Shadary, originaire de la province du Maniema, se sont mobilisés contre l’arrivée de Martin Fayulu. Arborés de t-shirts à l’effigie de Ramazani Shadary, ou encore de drapeaux à l’effigie de Joseph Kabila, les militants du FCC se sont rangés à l’entrée principale de l’aéroport, en brandissant des banderoles sur lesquelles l’on pouvait lire « Fayulu dégage ». Une jeep avec quelques policiers à bord, faisait la ronde pour éviter tout débordement.
Entretemps, des militants arborant des t-shirts du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le parti du président Joseph Kabila, sont entrés dans le bar de l’aéroport et ont agressé une dizaine de cadres de la coalition Lamuka qui attendaient l’arrivée de Martin Fayulu, les obligeant à quitter les installations aéroportuaires pour trouver refuge dans les installations de la Monusco, situées à l’aéroport.
Suite à ces incidents, la police a dispersé les partisans de Fayulu, estimés à un millier ainsi que les dizaines de militants du FCC et la zone aéroportuaire a été dégagée.
Les affrontements entre les militants du PPRD et ceux de Lamuka se sont poursuivis au centre-ville de Kindu. Plusieurs blessés et des dégâts matériels ont été enregistrés de part et d’autre.
Suite à cette situation, Pierre Lumbi, directeur de campagne, a annoncé que, décollé de Buta (Bas-Uele), l’avion transportant Martin Fayulu a donc atterri à Kisangani (Tshopo), en attendant de repartir à Kindu le lendemain matin, en soulignant que: «le gouvernement essaie de mettre des entraves, pour que le président Fayulu ne puisse pas se déplacer à travers le pays. Les premières de ces entraves [ont] été de nous refuser l’autorisation des trois avions. Maintenant, ce qui se passe actuellement à Kindu est extrêmes grave».
La coalition Lamuka a accusé le gouverneur intérimaire du Maniema, Jérôme Bikenge, d’instrumentaliser la police et les jeunes du PPRD pour empêcher ses militants d’accueillir Martin Fayulu. Le même candidat de Lamuka a accusé l’armée et la police de prêter main forte aux jeunes du PPRD.[23]
Le 10 décembre, Martin Fayulu, qui a passé la nuit à Kisangani, a fait savoir que son avion n’a toujours pas eu l’autorisation de décoller vers Kindu, chef-lieu du Maniema et qu’il se rendra à Bukavu (Sud-Kivu), ayant renvoyé à plus tard le programme de Kindu.
Pendant que Martin Fayulu se trouvait à Bukavu (Sud Kivu) et tout juste à la veille de son arrivée à Lubumbashi (Haut Katanga), les partis du Front Commun pour le Congo (FCC) qui soutiennent le candidat Emmanuel Ramazani Shadary ont organisé à Lubumbashi une longue caravane motorisée ayant le stade de la Victoire comme point de chute. Mais lors du passage du cortège à Apollo, dans la commune Kenya, des jeunes de l’opposition ont cassé les pare-brises de certains véhicules par des jets de pierres. Au stade, le gouverneur et coordonnateur du FCC dans le Haut-Katanga, Pande Kapopo, a invité l’assistance à voter massivement pour le candidat Emmanuel Ramazani Shadary.[24]
Le 11 décembre, à Lubumbashi, en début d’après-midi, quand la tension du jour précédent n’avait pas encore baissé et les militants de la coalition Lamuka s’apprêtaient à accueillir le candidat président Martin Fayulu à l’aéroport international de la Luano, quelques altercations entre les militants et les forces de l’ordre à l’aéroport ont progressivement fait monter la tension. La police souhaitait « encadrer » ces militants, mais ces derniers se sont opposés à cette initiative, estimant qu’ils ne s’étaient pas rendus à l’aéroport pour causer des troubles, mais seulement pour accueillir Martin Fayulu.
L’arrivée de ce dernier avait été annoncée vers 15h00. Certains sympathisants, actifs, étaient déjà arrivés à l’aéroport depuis dix heures. La décision de la police de repousser la foule jusqu’à 300 mètres de l’aéroport a créé un échauffement des esprits, les militants scandant « Kabila Wawawé » (Kabila au revoir) sur le boulevard M’siri.
Pendant que le cortège de Martin Fayuly pénétrait dans le centre-ville de Lubumbashi, précisément à la poste, il était salué chaleureusement par la foule, via de cris de joie et des chants provocateurs contre le régime en place. Peu de temps après le passage du cortège, la police a dispersé la foule et procédé à des arrestations que certains ont qualifié d' »arbitraires ». Par ailleurs, d’autres affrontements entre les forces de l’ordre et les militants ont été signalés au centre-ville.
La cité des jeunes, lieu choisi pour le meeting, a été malheureusement saccagée par des personnes non identifiées. Mais la population de cette juridiction a accusé certains éléments de la police d’en être les auteurs. La police a également interdit l’accès à la cité des jeunes, mais les militants de Lamuka ont néanmoins tenté d’y accéder. Pour disperser la foule, les forces de l’ordre ont utilisé des gaz lacrymogènes et tiré des coups de feu durant à peu près 5 minutes. Finalement, obligé par la police à se diriger ver la résidence de Gabriel Kiungu wa Kumwanza, coordinateur de Lamuka pour le Grand Katanga, Martin Fayulu n’aura pas pu tenir son meeting prévu dans la ville de Lubumbashi.
Selon l’association Congolaise pour l’accès à la Justice (ACAJ), deux partisans de la coalition Lamuka ont été tués, 43 autres blessés, dont 15 par « balles réelles » et 27 arrêtés. Plusieurs témoignages recueillis par cette ONG congolaise établissent que certaines autorités politico-administratives de la province du Haut-Katanga ont « instrumentalisé un groupe de jeunes pour entraver la tenue de la réunion publique de M. Martin Fayulu« . Le général Paulin Kyungu, chef de la police dans la province du Haut-Katanga, n’a pas confirmé la mort des deux civils. Selon lui, il y a eu seulement 13 blessés: 11 policiers et deux civils.[25]
Le 12 décembre, le candidat Martin Fayulu a quitté Lubumbashi pour Kalemie (Tanganyika).
Les militaires ont dispersé les militants de Lamuka, mobilisés sur le boulevard Kisebwe, à Kalemie, pour accueillir Martin Fayulu. D’autres militants se sont dirigés vers l’aéroport à partir du Beach Masalala mais, au niveau du pont Kitoko, ils ont trouvé des barricades levées par la police pour les empêcher à se rendre à l’aéroport.
Parallèlement à l’arrivée de Fayulu, « Les amis de Shadary » ont organisé une marche de l’hôpital Undugu en direction du centre-ville où ils prévoient un meeting à la tribune officielle.
Après son arrivée a Kalemie, vers 10h30, le cortège de Martin Fayulu roulait en direction du stade Benda, quand il a été attaqué par des jeunes qui portraient des t-shirts à l’effigie du PPRD. Malgré tout, Fayulu a pu rejoindre le stade et tenir son meeting. Ensuite, il s’est dirigé vers l’aéroport pour se rendre à Kolwezi (Lualaba), mais son véhicule a été de nouveau agressés par d’autres jeunes du PPRD. Arrivé à l’aéroport, il a accusé le vice-gouverneur du Tanganyika, Ali bin Omari Sumukindi, d’avoir monté une « milice armée » pour attaquer son cortège et a parlé de trois morts. Enfin, l’avion de Fayulu a été interdit de voler vers Kolwezi (Lualaba) et autorisé d’atterrir à Goma (Nord Kivu).[26]
Le 13 décembre, dans un point de presse tenu à Goma, Martin Fayulu a affirmé qu’il va poursuivre sa campagne électorale malgré le blocage du pouvoir. Après avoir été empêchée d’aller à Kolwezi, la délégation de Lamuka devrait quitter Goma pour poursuivre la campagne dans l’Équateur, fief de Jean-Pierre Bemba Gombo.[27]
Le 14 décembre, Martin Fayulu est arrivé à Mbandaka (Equateur) ce vendredi en provenance de Goma (Nord-Kivu). A sa descente d’avion, il a été accueilli par une marée humaine qui l’accompagne jusqu’au Stade Bakusu où il tiendra son meeting.[28]
Le 14 décembre, Martin Fayulu et son équipe ont porté plainte contre Henri Mova Sakanyi, Vice-premier ministre et Ministre Congolais de l’intérieur et de sécurité pour terrorisme, assassinat, tentative d’assassinat, coups et blessures prémédités et entraves à la campagne électorale. Devant la Cour de Cassation et l’Auditorat général des FARDC, ils poursuivent également pour le même motif les dirigeants de la Police Nationale Congolaise (PNC) à Maniema, au Haut-Katanga et au Tanganyika.[29]
3. L’UE MAINTIENT SES SANCTIONS CONTRE 14 PERSONNALITÉS CONGOLAISES
Le 10 décembre, l’Union Européenne (UE) a annoncé la prolongation pour un an, jusqu’en décembre 2019, de ses sanctions visant 14 hauts responsables du régime du président Joseph Kabila. Parmi eux, il y a aussi le candidat de la coalition au pouvoir à l’élection présidentielle, Emmanuel Ramazani Shadary. Ces sanctions avaient été adoptées le 12 décembre 2016 et le 26 mai 2017, pour «entraves au processus électoral et violations des droits de l’homme». Elles consistent en un gel d’avoirs et une interdiction de visa pour l’UE. Les personnalités congolaises concernées par ces sanctions sont:
Gabriel Amisi Kumba, Eric Ruhorimbere e Ilunga Kampete (Forces Armées de la RDCongo / FARDC),
Ferdinand Ilunga Luyoyo, Célestin Kanyama et John Numbi (Police Nationale Congolaise / PNC),
Kalev Mutond et Roger Kibelisa (Agenzia Nazionale di Intellegence / ANR),
Delphin Kaimbi (DEMIAP),
Evariste Boshab (ancien ministre de l’Intérieur et de la sécurité),
Alex Kande Mupompa (ancien gouverneur du Kasai central),
Jean-Claude Kazembe Musonda (ancien gouverneur du Haut-Katanga),
Lambert Mende (Ministre de la communication et des Médias),
Ramazani Shadary (ancien ministre de l’Intérieur et actuellement candidat du FCC à l’élection présidentielle).
L’UE a de nouveau demandé aux autorités et institutions congolaises «la tenue d’élections crédibles et ouvertes à tous» et s’est dite prête à réexaminer et adapter ces sanctions après les élections.[30]
[1] Cf Actualité.cd, 07.12.’18
[2] Cf RFI, 08.12.’18
[3] Cf 7sur7.cd, 10.12.’18
[4] Cf Actualité.cd, 12.12.’18
[5] Cf Rachel Kitsita – Actualité.cd, 13.12.’18; Radio Okapi, 13.12.’18
[6] Cf Jephté Kitsita – 7sur7.cd, 13.12.’18
[7] Cf RFI, 13.12.’18; AFRICA243 – via mediacongo.net, 14.12.’18
[8] Cf Radio Okapi, 16.12.’18
[9] Cf Actualité.cd, 17.12.’18
[10] Cf Actualité.cd, 16.12.’18
[11] Cf Jeff Kaleb Hobiang – 7sur7.cd, 16.12.’18
[12] Cf Jeff Kaleb Hobiang – 7sur7.cd, 01.12.’18
[13] Cf 7sur7.cd, 01.12.’18
[14] Cf Rachel Kitsita – Actualité.cd, 03.12.’18
[15] Cf Actualité.cd, 10.12.’18 ; Stanis Bujakera Tshiamala – Actualité.cd, 10.12.’18
[16] Cf Auguy Mudiayi – Actualité.cd, 11.12.’18
[17] Cf Actualité.cd, 12.12.’18
[18] Cf RFI, 30.11.’18
[19] Cf Espérant Keke – Cas.info.ca, 03.12.’18
[20] Cf Chris Elongo – Cas-info.ca, 05.12.’18
[21] Cf Jeff Kaleb Hobiang – 7sur7.cd, 07.12.’18
[22] Cf Cas-info.ca, 10.12.’18
[23] Cf Chadrac Londe – Actualité.cd, 09.12.’18; Radio Okapi, 09.12.’18
[24] Cf Alexandre Mulongo Finkelstein – mediacongo.net, 11.12.’18
[25] Cf Alexandre Mulongo Finkelstein – mediacongo.net, 11.12.’18; Christine Tshibuyi – Actualité.cd, 11.12.’18
[26] Cf Cf Moma Fataki – Actualité.cd, 12.12.’18; Fonseca Mansianga – Actualité.cd, 12.12.’18
[27] Cf Valéry Mukosasenge – 7sur7.cd, 14.12.’18
[28] Cf Actualité.cd, 14.12.’18
[29] Cf Actualité.cd, 15.12.’18
[30] Cf AFP – Radio Okapi, 10.12.’18