SOMMAIRE
ÉDITORIAL: ASSEMBLÉE NATIONALE → APPROUVÉ LE PROJET DE RÉVISIONE DE LA LOI ÉLECTORALE
- LE PROJET DE RÉVISION DE LA LOI ÉLECTORALE
- LE PROJET DE LA LOI DES FINANCES POUR 2018
- DEUX RAPPORTS ET UN NOUVEAU MESSAGE DE LA CENCO
- LES DÉCLARATIONS DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
ÉDITORIAL: ASSEMBLÉE NATIONALE → APPROUVÉ LE PROJET DE RÉVISIONE DE LA LOI ÉLECTORALE
1. LE PROJET DE RÉVISION DE LA LOI ÉLECTORALE
Le 9 novembre, au cours d’une réunion du gouvernement, la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) a proposé l’instauration, dans le projet de révision de la loi électorale, d’un seuil d’éligibilité de 0,5 à 3% au niveau national. En clair, pour participer à la distribution des sièges, un parti doit atteindre de 0,5 à 3% des suffrages valables à l’échelon national. Pour une justice entre candidats et partis politiques, ce seuil serait pris en considération dans toutes les circonscriptions, même les uninominales. Selon les experts de la CENI, l’objectif du seuil au niveau national est d’encourager les partis à tendance nationale répandus sur l’étendue du territoire national ayant un discours unificateur national et non clanique.
Aux législatives provinciales, la CENI propose l’instauration d’un seuil d’éligibilité de 0,5 à 5 % au niveau de la province.
Pour la CENI, le seuil permettra de régler les problèmes de la sous représentation des grands partis et la surreprésentation des petits partis. La centrale électorale explique que, lors des précédentes élections, avec un système proportionnel sans seuil d’éligibilité, 92% des listes gagnantes n’ont pas atteint le quotient électoral (le numéro des électeurs enrôlés divisé par le numéro (500) des membres de l’Assemblée Nationale).
Pour lutter contre le phénomène de transhumance des acteurs politiques et le nombre important des candidatures fantaisistes, la CENI propose, dans le projet de révision de la loi électorale, l’obligation, pour le candidat indépendant, de démissionner de sa formation politique trois mois avant l’ouverture de l’inscription des candidatures.
La CENI propose également le renforcement des conditions d’éligibilité, afin d’éviter les candidatures multiples et les cas de non-conformité.[1]
En ce qui concerne le calcul du quotient électoral pour la répartition des sièges, la CENI dit avoir besoin prioritairement de l’ajustement des articles 115, 145, 146, 198 et 208 de la loi électorale qui lient la répartition des sièges à la densité de la population, c’est-à-dire implicitement aux résultats du recensement de la population, une opération qui n’a pas eu lieu. En l’absence d’un recensement rénové de la population, la CENI propose d’inscrire, dans la loi, le nombre d’électeurs enrôlés par circonscription comme base de calcul pour la répartition des sièges, à l’exception des circonscriptions ayant bénéficié d’un recensement récent.
La CENI a également suggéré des amendements sur le mode des scrutins, proposant notamment le vote par la machine à voter. Elle a également suggéré la réduction du nombre des partis politiques devant participer aux élections, c’est-à-dire que les partis devront se regrouper comme au Parlement. On s’inspirerait, par exemple, des 14 groupes parlementaires pour constituer des regroupements électoraux au lieu de tabler sur les plus de 600 partis politiques existants. Cette stratégie devrait permettre, selon la CENI, de réduire la taille du bulletin et celle de l’urne. Elle devra permettre aussi de réduire le coût du déploiement sur l’ensemble du territoire.[2]
La nouvelle loi électorale introduit également des cautions dégressives: plus on brigue de sièges moins la caution est élevée. Dans ce projet de loi, le paiement d’un cautionnement électoral par nombre de siège visé, grâce à un «un coefficient de réduction pour les circonscriptions comptant un plus grand nombre de sièges à pourvoir», voudrait en effet, «apporter plus d’équité lors du dépôt des candidatures». Il sera désormais exigé, si la réforme est adoptée, 800.000 francs congolais (environ 450 euros) pour un siège visé, 750.000 par siège pour deux sièges visés, 700.000 par siège pour trois sièges visés, 650.000 par siège pour quatre sièges visés, 600.000 par siège pour cinq sièges visés. Selon le calendrier électoral publié par la CENI le 5 novembre, cette loi devrait être adoptée par le Parlement au plus tard le 30 novembre pour être promulguée au plus tard le 15 décembre 2017.[3]
Le 14 novembre, le Gouvernement a adopté le projet de loi modifiant et complétant la loi sur l’organisation des élections. Ce projet de loi sera déposé incessamment au parlement pour être amendé et adopté.[4]
Le 23 novembre, Corneille Nangaa, président de la CENI, était à l’Hôtel du Fleuve pour une séance d’échanges avec les différents groupes parlementaires, au sujet du projet de révision de la loi électorale. Ces discussions devraient se poursuivre avec comme objectif de rencontrer et de discuter avec tous les 14 groupes parlementaires, tant de la majorité présidentielle que de l’Opposition politique.[5]
Selon des documents sonores d’une réunion du 24 novembre rendus publics par Jeune Afrique (JA), il apparaît que la révision de la loi électorale proposée n’est autre chose qu’une machination du parti au pouvoir, le PPRD, pour se maintenir après les élections et pouvoir régner sans aucun partage, même pas avec les autres entités qui composent sa propres famille politique.
Pour le secrétaire général du PPRD, Henri Mova Sakanyi, le PPRD n’aurait d’autre choix que de voter en faveur de ce seuil de représentativité, d’autant plus que c’est, selon lui, «quelque chose qui nous permet d’être beaucoup plus à l’aise». Autrement dit, «il ne serait plus question de partager les responsabilités au sein du gouvernement et des entreprises publiques avec des alliés politiques, voire avec des opposants, et d’introduire [ainsi] des gens dans le gâteau, qui n’a pas grossi».
À propos des craintes de ces petits partis qui pourraient disparaître, le secrétaire général de la Majorité présidentielle et président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, aurait affirmé devant l’assistance que certaines formations politiques, appelées “mosaïques”, ne sont pas des vrais partis, mais ont juste été créés par stratégie politique. Il est allé plus loin et a cité le nom d’un parti où son épouse et ses collaborateurs sont des membres fondateurs: «Les partis mosaïques, ce ne sont pas des partis politiques. C’est des instruments de stratégie électorale. C’est des partis tiroirs, sans militant, sans drapeau et tout ça. Je prends l’exemple du PPT. Mon assistant Alex, il est membre fondateur du PPT (rires de l’assistance). L’épouse de Ramazani, mon épouse, mes collaborateurs, c’est eux les membres fondateurs».
De sa part, le Vice Premier Ministre et Ministre de l’Intérieur, Emmanuel Ramazani Shadary, s’est interrogé sur un ton peu rassurant: «Tout le monde est contre cette réforme. Ici aussi, au niveau de la Majorité Présidentielle (MP), il y a des contradictions. Est-ce que nous aurons 260 voix pour faire passer notre projet?». La réponse de l’assistance a été sans appel: “Non”.[6]
Le 27 novembre, l’Assemblée nationale a entamé l’examen du projet de modification de la loi électorale. Cet examen intervient deux jours seulement avant l’expiration du délai accordé par la CENI au Parlement pour voter cette loi. A l’issue du débat général autour de ce projet de loi et des réponses apportées par le vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, Emmanuel Ramazani Shadary, le texte a été déclaré recevable et envoyé à la commission Politique, Administrative et Juridique (PAJ) pour examen approfondi.[7]
Le 2 décembre, la plénière de l’Assemblée nationale a adopté le rapport de la commission Politique administrative et juridique (PAJ) sur l’examen approfondi de la loi électorale.
La commission PAJ a fixé le seuil de représentativité des partis et regroupements politiques aux élections à 1% pour les législatives, 3% pour les provinciales et 10% pour les municipales et locales, estimant que ceci baisserait le coût excessif des élections et serait une solution à la prolifération des partis politiques en RDC.
En ce qui concerne le cautionnement, les candidats députés nationaux seront tenus à payer l’équivalent en Franc Congolais de 1.000 dollars américains pour un siège lors du dépôt de leur candidature, contrairement à la loi en vigueur qui fixe une caution unique pour toute la liste pour les circonscription à plusieurs sièges et par candidat pour les circonscriptions à un seul siège.
Par ailleurs, la PAJ a retenu l’utilisation de la machine à voter tel que proposé par le gouvernement dans le projet de loi examiné par la plénière.
Cependant, lors du débat, les députés nationaux sont tous revenus sur les trois points essentiels de ce texte de loi, tel qu’enrichi par la PAJ à savoir: le cautionnement, le seuil de représentativité et la machine à voter.
Selon certains élus, la caution à payer ne correspond pas au contexte économique du pays, caractérisé par une crise financière accrue et qui ne permettrait pas à une bonne frange de la population de prendre part aux élections qui restent, néanmoins, ouvertes à tous les Congolais.
A en croire les députés, le cautionnement revêt un caractère discriminatoire par le fait qu’il favorise une classe, les opulents, au détriment d’une autre, les moins nantis, qui auront du mal à réunir cette somme, outre les frais de campagne.
S’agissant du seuil de représentativité, certains députés proposent qu’il soit applicable au niveau des circonscriptions et non au niveau national comme préconisé par la PAJ, tandis que d’autres soutiennent d’élaguer carrément cette disposition.
Quant à la machine à voter, les représentants du peuple ont appelé la commission à maintenir le vote manuel utilisé par les deux précédentes élections (2006 et 2011) en RDC, soutenant que la machine à voter poserait le problème de son utilisation dans l’arrière-pays où la plupart des gens n’ont pas la maitrise des outils informatiques et électroniques. Ils ont évoqué aussi le problème d’électricité sur toute l’étendue de la République qui pourrait influer négativement sur les scrutins, avant de relever le problème que causerait la contradiction entre les résultats produits par la machine et le contage manuel.
La commission PAJ a été chargée de recevoir les amendements des députés en vue d’enrichir le projet de loi avant son adoption et son vote. Par ailleurs, le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, a annoncé l’ouverture, dimanche, des consultations au bureau de la chambre basse du Parlement avec les délégués des députés de l’opposition, de la Majorité présidentielle (MP) et des non inscrits, afin de recueillir leurs avis sur la loi électorale devant régir la tenue des élections en RDC.
La plénière du 2 décembre s’est déroulée en l’absence d’un bon nombre de députés nationaux de l’opposition qui ont décidé de sécher la séance consacrée au débat sur le projet de loi électorale sous examen, estimant qu’il était nécessaire d’en discuter d’abord avec le bureau avant le débat en plénière et en dénonçant le caractère anti-démocratique de ce projet de loi.
Les opposants ont accusé la Majorité présidentielle (MP) de «vouloir appliquer le plan de leur réunion tenue avec le président de la CENI à l’Hôtel du fleuve, le 25 novembre».
En réaction à l’attitude des opposants, les députés de la MP ont affirmé que l’opposition ne veut pas aller aux élections et qu’elle multiplie des astuces pour bloquer le vote de la loi électorale.[8]
Le 3 décembre, lors d’une matinée politique tenue au siège du parti Envol, l’Alternance pour la République (AR), plateforme membre du Rassemblement, a exprimé son opposition au projet de loi électorale en cours d’examen au parlement. Quatre raisons principales fondent la position de l’AR: le seuil de représentativité de 3%, la caution électorale, la machine à voter et l’autorisation préalable du gouverneur pendant la période électorale avant la tenue d’un meeting ou manifestation populaire.[9]
La nouvelle loi électorale, en examen à l’Assemblée nationale, va bouleverser le paysage politique de manière substantielle avec son innovation phare: le seuil de représentativité à 3% pour qu’un parti ou regroupement politique soit éligible à l’attribution des sièges, quel que soit le score de sa liste. Le seuil pourrait être abaissé à 2% ou 1%.
En tous les cas, c’est une hécatombe qui se prépare dans le microcosme politique rd-congolais.
Boudée même au sein de la majorité, où une fronde de «petits» partis couve, elle est rejetée catégoriquement par l’opposition qui y voit un recul démocratique.
Selon une étude de Delly Sessanga, en cas d’un seuil de représentativité de 3%, 6 partis seulement s’en sortiraient: 1. PPRD, 2. PPDD, 3.MSR, 4. PALU, 5. UDPS et 6. UNC.
En cas de seuil de 2%, seuls 11 partis y trouveraient leur compte. Outre les 6 premiers ci-dessus, il faut ajouter les 5 suivants: 1. AFDC, 2. MLC, 3. ECT, 4. ARC et 5. RRC.
Enfin si le seuil est abaissé à 1%, 10 nouveaux partis se grefferont aux 11 premiers. Il s’agit de: 1.PDC (Endundo), 2.UCP, 3. UFC (Kengo), 4. CCU (Mende), 5.UNAFEC (Kyungu), 6.UNADEF (Mwando), 7.MIP, 8. RCD/K-ML, 9 CPR, 10. CCU et 11. UDCO.
Ce qui fait un total de 21 partis.
Sur près de 700 partis politiques enregistrés en RDC, la nouvelle loi électorale en exclura l’écrasante majorité. A moins que les partis se regroupent.
La nouvelle loi électorale est donc qualifiée par D. Sesanga de discriminatoire et d’anti-démocratique. Le député national a appelé, dimanche 3 novembre au cours d’une matinée politique au siège de son parti, la population à empêcher l’adoption de cette loi à travers les actions prévues par le Rassemblement, notamment les marches et les villes-mortes.[10]
Le 3 décembre, le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, a amorcé les consultations avec les députés nationaux pour dégager un consensus autour du projet de loi électorale sous examen à la chambre basse. Ce texte divise les élus nationaux. Ceux de la Majorité y sont favorables alors ceux de l’opposition le boudent. Ces derniers dénoncent entre autres «le caractère anti-démocratique de ce projet de loi». Le consensus autour du projet de loi électorale n’a pas été trouvé. En dépit des discussions engagées tout l’après-midi, les divergences ont persisté sur trois points: le seuil électoral, la caution et la machine à voter. L’opposition parlementaire reste intransigeante quant au seuil électoral: il doit être élagué du projet de loi sous examen. Par contre, la majorité présidentielle a accepté que le seuil passe de 3% à 1%. Concernant la machine à voter, l’opposition estime qu’elle doit faire objet d’un consensus.[11]
Le 4 décembre, les députés de l’opposition ont quitté la salle du congrès du Palais du peuple où s’examine le projet de révision de la loi électorale. À la sortie de la plénière, Baudouin Mayo Mambeke a affirmé: «Nous ne voulons pas être complice de l’assassinat de la démocratie dans notre pays. A chaque période électorale, le pouvoir s’organise pour modifier les lois relatives aux élections (…). La MP viole la constitution pour se constituer une nouvelle majorité à la prochaine assemblée nationale. Qu’ils fassent leur loi sans nous, qu’ils assument sans nous».
Le député Henri Thomas Lokondo, membre de la majorité présidentielle, a essayé sans succès d’empêcher l’introduction du seuil de représentativité. Pour lui, le seuil proposé est inconstitutionnel, étant donné qu’il défavorise les candidats indépendants aux prochaines législatives. Il a proposé une motion incidentielle qui a été rejetée après vote.[12]
Le 4 décembre, l’Assemblée nationale a adopté le projet de révision de la loi électorale. 287 députés sur 500 (que compte la chambre basse du parlement) ont participé au vote: 284 ont voté oui, 2 se sont abstenus et 1 a voté non. Le projet ainsi adopté sera envoyé au sénat.[13]
2. LE PROJET DE LA LOI DES FINANCES POUR 2018
Le 14 novembre, le Gouvernement a adopté le projet de loi des finances pour l’année 2018.
Le budget prévu est de 10,3 billions de francs pour 2018. Cela équivaut à environ 6,5 milliards de dollars (1$ = 1,578 Fc) o à environs 5 milliards de dollars (1$ = 1.934 FC), en baisse d’environ 10,5% par rapport à 2017.
Le budget suppose une croissance du PIB de 4,4% l’année prochaine, contre 3,2% cette année. L’inflation devrait ralentir à 28,5%, contre un taux révisé de 40% cette année.
Les recettes internes accusent un taux d’accroissement de 4,5% par rapport à 2017, contre une régression des recettes extérieures de l’ordre de 41,5%.
Pour rappel, le taux de change moyen FC/USD est fixé à 1.813,4 FC contre un taux actualisé de 1.458,7 FC en 2017; un taux de change fin période FC/USD de 1.934, FC contre 1.701,8 FC.
Parmi les priorités retenues dans cette loi des finances 2018, il est notamment signalé l’organisation des élections, l’arrêt de la dégradation de la situation économique du pays, l’amélioration des conditions de vie de la population ainsi que la restauration de la sécurité des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire national.
Dans le volet dépenses, le gouvernement a consacré 977,5 milliards de Fc pour les opérations électorales, dont 840 milliards de Fc en faveur de la CENI, au profit de laquelle il faut ajouter l’appui logistique de la MONUSCO, qui est estimé à 72,5 milliards, soit un total de 912,5 milliards de Fc (498 millions Usd au taux budgétaire moyen de 1.813,4 FC/USD). Ce montant devra servir pour organiser trois scrutins directs en une seule séquence (élections présidentielle, législatives nationales et provinciales) en 2018 ainsi que les scrutins indirects des sénateurs et des Gouverneurs de provinces en 2019.
À noter que, pour l’année budgétaire de 2017, le Gouvernement avait destiné à la CENI une enveloppe de 1.202,9 milliards de Fc. Contrairement à 2017, les fonds consacrés aux élections ont donc subi une baisse d’environ 19% en 2018.
Ce projet de loi sera déposé incessamment au parlement pour être amendé et adopté.[14]
Le 15 novembre, le Projet de loi des Finances pour l’exercice 2018 a été déposé à l’Assemblée nationale. Or, la Constitution et la loi des finances exigent que ce texte arrive au Parlement au plus tard le 15 septembre, pour permettre aux deux chambres du Parlement, l’Assemblée nationale et le Sénat, de s’y pencher pendant au moins deux mois.[15]
Le 27 novembre, l’Assemblée nationale a jugé recevable le projet de loi des finances 2018, qui est donc envoyé à la Commission économique et finances qui a quatre jours pour l’examiner.[16]
3. DEUX RAPPORTS ET UN NOUVEAU MESSAGE DE LA CENCO
Le 20 novembre, la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) a présenté un rapport sur l’avancement du processus d’enrôlement des électeurs. A ce jour, plus de 44 millions d’électeurs sont enregistrés. Reste à finaliser l’opération dans le Kasaï, le Kasaï-Central, et deux territoires voisins. Le calendrier électoral prévoit la fin de l’opération pour le 31 janvier 2018. Une opération d’autant plus importante que la nouvelle loi électorale qui doit être adoptée sous peu prévoit que désormais le partage des sièges aux législatives se fasse sur la base de ce fichier et non plus en fonction du nombre d’habitants. Le rapport de la CENCO couvre la période allant du 28 aout au 12 novembre 2017. Il est le fruit d’une mission menée par la Commission Justice et Paix Congo qui a déployé 320 observateurs sur toute l’étendue nationale.
Le tableau dressé par la Cenco n’est pas alarmant. Globalement, les agents de la Céni chargés de l’enrôlement ont été bien formés, le matériel correctement déployé. La Cenco a toutefois relevé certaines faiblesses qui l’inquiètent.
La CENCO a d’abord critiqué la durée des opérations d’enrôlement des électeurs: «depuis le 31 juillet 2016 (date de début de l’inscription des électeurs) jusqu’au 23 décembre 2018 (date de l’organisation des scrutins, selon le calendrier électoral du 05 novembre 2017), l’on va compter deux ans et demi. Ceci étant, le fichier électoral en construction comptera aussi des décédés en son sein; les noms des personnes ayant changé d’adresses ne figureront pas sur les listes électorales des bureaux de vote de leurs nouvelles localisations; les personnes qui vont recouvrer leurs droits civils et politiques avant le jour du scrutin n’y figureront pas».
Sur le fichier, les observateurs de la CENCO déplorent le monnayage de l’inscription des électeurs par certains policiers et agents de la CENI, s’inquiètent de la présence de doublons dans les listes électorales, sans pour autant pouvoir dire dans quelles proportions, et relèvent des cas d’électeurs autorisés à s’inscrire sans document d’identité valable, parfois même des mineurs et des membres de l’armée et de la police. «Si les mineurs et les membres de l’armée et de la police non éligibles à la révision du fichier électoral ne sont pas radiés, la répartition des sièges sera basée sur ces irrégularités et par conséquent, elle ne sera pas honnête», prévient le secrétaire général de la CENCO, l’Abbé Donatien Nshole.
La CENCO recommande à la CENI de mettre en place un mécanisme de collaboration avec le Gouvernement, afin de procéder au croisement entre la liste électorale et les fichiers d’identification biométrique des éléments de la Police et des FARDC, afin que ces derniers y soient détectés et radiés. «Cependant, les personnes inscrites sur la liste électorale qui se sont fait enrôler au sein de la PNC et des FARDC ou celles qui s’y feront enrôlées avant le jour des scrutins figureront bien sur la liste électorale; de même que celles qui auront perdu leur droit de vote pour incapacité mentale définitive ou suite à une décision judiciaire irrévocable», explique la CENCO.
Pour le président de la CENI, Corneille Nangaa, ce rapport est «prématuré.» «La qualité du fichier électoral s’apprécie à la fin des tâches prévues pour sa constitution. L’appréciation qui est faite à ce jour est prématurée», a rétorqué Corneille Nangaa.[17]
Le 20 novembre, dans un rapport sur les violations des droits de l’homme rendu public à Kinshasa, la CENCO a révélé que au moins 56 personnes ont été tuées lors des manifestations publiques de ces cinq derniers mois.
D’après ce document réalisé par la Commission «Justice et paix», une structure technique de la CENCO, et qui porte sur le monitoring des manifestations et réunions publiques en RDC, cinquante-trois des victimes de ces manifestations ont été tuées par les forces de l’ordre (cinquante-deux par balles e une par gaz lacrymogène) et trois policiers ont été tués par les manifestants.
A cela s’ajoutent au moins 105 blessés (dont 87 par balles), environ 355 cas d’arrestations de manifestants par la police, les forces armées et les services spécialisés de l’État, aussi l’incendie de deux bureaux et quatre jeeps de la police, et d’un magasin par les manifestants.
La conclusion de la Cenco est sans ambiguïté: 98, 67% des cas de violations des droits de l’homme recensés pendant des manifestations résultent d’un usage disproportionné de la force par la police et les services de sécurité. Contre 1,33% liés à actes de vandalisme commis par les manifestants, incendies de postes de police, par exemple.
Ce rapport relève également que les manifestations et réunions publiques organisées par les partis politiques de la Majorité présidentielle (MP) ainsi que celles organisées par les partis politiques de l’opposition parties prenantes au gouvernement se sont déroulées en toute quiétude.
Par contre, souligne le document de la CENCO, les manifestations publiques organisées par les partis politiques de l’opposition, des organisations de la société civile (OSC) ainsi que des mouvements citoyens ont été étouffées.
La Cenco déplore enfin «l’ambiguïté» autour des conditions d’organisation des manifestations. Une nouvelle loi sur le sujet a bien été votée en 2015, mais elle n’a toujours pas été promulguée. Laquelle des deux lois appliquer? C’est le flou. Les évêques regrettent enfin que si peu d’investigations sont menées sur les violences enregistrées pendant les manifestations, qu’il s’agisse de violations des droits de l’homme ou de trouble à l’ordre public.
Le rapport recommande notamment aux autorités congolaises d’observer le régime d’information relatif à la liberté des manifestations publiques consacrées par la constitution de la RDC et exhorte les organisateurs des manifestions publiques à veiller au respect des règles relatives à la liberté des manifestations publiques.
«La police est choquée par ces accusations», a réagi le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, qui reproche à la Cenco de ne pas avoir donné le nom et les identités des victimes recensées, contrairement «à ce que font les professionnels de la défense des droits de l’homme». «Sans avoir de détails ni l’identité des présumées victimes, je ne vois pas quelles suites donner ni sur la base de quoi nous pouvons enquêter», a poursuivi Lambert Mende.[18]
Le 27 novembre, les évêques catholiques de la CENCO ont publié un communiqué intitulé « Le peuple congolais crie sa souffrance, allons vite aux élections », dont voici quelques extraits:
- LA SITUATION DRAMATIQUE DE NOTRE PAYS
«1. Cinq mois après notre message intitulé « Le Pays va très mal. Debout, Congolais! Décembre 2017 approche » dans lequel nous avions stigmatisé la violation de l’Accord politique global et inclusif du Centre Interdiocésain de Kinshasa et ses conséquences, nous constatons qu’il n’y a pas d’avancée significative. L’imbroglio politique et la souffrance de la population qui en résulte dépassent le seuil du tolérable. Nous sommes profondément déçus de nous retrouver dans le même contexte de tensions qu’à la fin de l’année 2016. Le Peuple ne tolérera pas que cela se répète en 2018.
- Étant donné que les élections n’ont pas été organisées dans le délai constitutionnel, un compromis a été laborieusement trouvé par l’Accord de la Saint-Sylvestre 2016 pour une sortie pacifique de la crise. Cet Accord prévoyait, entre autres:
– La nomination du Premier Ministre présenté par le Rassemblement (III.3.3.);
– La désignation des membres du Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA) (VI.2.2.);
– La redynamisation de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) (IV.5.a);
– Les mesures de décrispation (VI);
– La tenue des élections au plus tard en décembre 2017 (IV.2.).
- Malheureusement la mise en œuvre de cet Accord a subi des graves entorses, surtout aux points évoqués ci-dessus. Cet art d’embrouiller les choses a sensiblement entamé la confiance et a donné lieu au scepticisme. C’est dans ce contexte de méfiance généralisée que la CENI a publié, le 5 novembre 2017, le calendrier électoral.
- L’URGENCE D’ALLER AUX ELECTIONS
- Eu égard à ce qui précède, afin d’éviter des manœuvres dilatoires et passer de prorogation en prorogation, il y a urgence d’aller aux élections. Il est indispensable, sur fond d’une sincère volonté politique, de rassurer le Peuple congolais et tous les partenaires internationaux, en donnant des garanties pour la tenue effective des élections.
- A cet effet, sans céder à la résignation, nous recommandons:
A nous tous Congolais:
– Prenons conscience que nous, Peuple congolais, sommes le souverain primaire et qu’il n’y aura pas de changement sans l’implication de chacun de nous;
– Prenons connaissance du calendrier électoral;
– Demeurons vigilants et assurons le suivi des garanties et des dates péremptoires du calendrier pour les faire respecter;
– Participons activement au processus électoral;
– En cas de besoin, manifestons notre désapprobation de manière pacifique, en rejetant tout recours à la violence, conformément à la Constitution.
- A Vous, Excellence Monsieur le Président de la République:
Considérant votre charge de garant de la Constitution et du bon fonctionnement des institutions de la République, nous vous exhortons à rassurer l’opinion par une déclaration publique que vous ne serez pas candidat à votre propre succession. Nous sommes convaincus que cela contribuerait à l’apaisement des tensions politiques. Aussi est-il nécessaire que vous vous impliquiez à fond dans la poursuite et le parachèvement de la mise en œuvre des mesures de décrispation politique prévues dans l’Accord.
- A vous, nos Elus, membres du Parlement, nous vous demandons de:
– Adopter avec diligence les lois justes qui garantissent la tenue des élections;
– Assurer le contrôle de l’exécution du budget concernant les élections;
– Rejeter, selon l’esprit de l’Accord de la Saint-Sylvestre, toute initiative de révision et de changement de Constitution pendant la période préélectorale et électorale.
- A vous, membres du Gouvernement, nous vous recommandons de:
– Veiller au respect des libertés de manifestation et d’expression telles que prévues dans la Constitution;
– Publier, de préférence avant la fin de l’année 2017, le plan de décaissement des fonds destinés à la CENI en toute transparence;
– Poursuivre, à votre niveau, la mise en œuvre et le parachèvement des mesures de décrispation du climat politique;
– Veiller à la sécurisation du processus électoral.
- A vous, membres de la CENI, nous réitérons notre demande de:
– Rassurer la population de votre indépendance et de votre neutralité;
– Collaborer efficacement et dans la transparence avec le groupe des experts.
- A vous, dirigeants des Partis politiques, nous vous demandons de:
– Proposer des projets de société pertinents en faveur du bien-être du Peuple Congolais, au lieu de vous contenter de faire des cadeaux ponctuels qui frisent la corruption;
– Assurer l’éducation civique et électoral des membres de vos partis politiques respectifs ainsi que de la population;
– Ne pas chercher le maintien ou l’accès au pouvoir par des coups de force qui risqueraient de plonger le pays dans le chaos;
– Eviter l’inconstance et les divisions intestines et travailler plutôt dans la légalité et l’unité pour l’intérêt de la population;
– Organiser, en cas de besoin, des manifestations sans violence, conformément aux dispositions de la Constitution.
- A nous tous, chers frères et sœurs, membres la Société Civile:
– Gardons notre identité d’organisation apolitique, sans nous laisser inféoder à un quelconque regroupement politique;
– Veillons à assurer le suivi permanent de la réalisation des activités prévues dans le calendrier électoral et interpeller chaque institution de la République suivant ses responsabilités.
- A vous nos partenaires, membres de la Communauté Internationale, nous vous exhortons à:
– Accompagner le Peuple congolais à faire respecter la mise en œuvre du calendrier électoral selon son chronogramme;
– Faciliter la tenue des élections en 2018 par un appui financier et logistique nécessaire à l’accomplissement des opérations préélectorales et électorales.
CONCLUSION
- En guise de conclusion, la CENCO tient à rappeler à tous les acteurs politiques et au Peuple congolais tout entier que l’Accord de la Saint-Sylvestre n’est pas mort. Il est et demeure l’unique feuille de route consensuelle pour sortir de cette crise politique qui n’a que trop duré.
- En même temps qu’elle réaffirme son attachement à cet Accord qu’elle a elle-même parrainé, la CENCO exprime sa ferme volonté d’accompagner le Peuple congolais vers les élections justes, libres et transparentes qui permettront à notre pays de se choisir de nouveaux dirigeants.[19]
4. LES DÉCLARATIONS DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE
Le 22 novembre, à Addis-Abeba (Ethiopie), les participants à la réunion des garants de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région des Grands Lacs ont demandé au gouvernement congolais de fournir les ressources financières et logistiques nécessaires pour permettre à la CENI de respecter le calendrier électoral.
Dans un communiqué officiel, ils demandent également aux autorités congolaises de respecter la liberté de réunion pacifique ainsi que l’accès équitable aux médias publics. Ils souhaitent aussi que le gouvernement de la RDC applique pleinement et efficacement les mesures de renforcement de la confiance prévues dans l’Accord du 31 décembre 2016.
Le Représentant spécial du Secrétaire général, Maman Sidikou, a également participé à cette réunion qui fait suite à la publication du calendrier électoral par la CENI.
L’Accord-cadre a été signé le 24 février 2013 à Addis-Abeba, en Ethiopie, par 11 pays africains, ainsi que les quatre institutions garantes (Nations Unies, UA, CIRGL et SADC), pour mettre fin au cycle de conflit dans l’Est de la RDC. Les 11 pays signataires sont: l’Angola, le Burundi, la République Centrafricaine, la République démocratique du Congo, la République du Congo, le Rwanda, l’Afrique du Sud, le Soudan du Sud, la Tanzanie, l’Ouganda et la Zambie. Le Kenya et le Soudan ont également adhéré à l’accord le 31 janvier 2014, devenant ainsi les 12ème et 13ème pays signataires de l’Accord-cadre.[20]
Le 28 novembre, dans une déclaration à la presse, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU ont affirmé qu’ils ont pris note de la publication par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) du calendrier électoral pour les élections présidentielle, législatives et provinciales. Ils ont rappelé que le Conseil de sécurité, avec l’Union africaine, avait demandé à plusieurs reprises la publication en temps voulu d’un calendrier électoral crédible et consensuel, conformément à l’Accord politique du 31 décembre 2016.
Ils ont souligné «l’importance cruciale de veiller à ce que les élections ne soient pas reportées une nouvelle fois» et ils ont donc appelé les autorités congolaises à faire en sorte que les élections soient organisées effectivement le 23 décembre 2018.
Le Conseil de sécurité estime qu’un «cycle électoral pacifique et crédible» est crucial pour la paix et une stabilité durables en RDC. Il a appelé les autorités congolaises et toutes les institutions concernées à prendre sans tarder toutes les mesures nécessaires pour que le nouveau calendrier soit scrupuleusement respecté, y compris la publication d’un budget crédible pour les élections.
Les membres du Conseil ont également souligné la nécessité de tout faire pour que les élections prévues soient organisées dans «les conditions requises de transparence, de crédibilité et d’inclusivité, et conduisent à un transfert pacifique du pouvoir».
Le Conseil de sécurité a réaffirmé qu’une mise en œuvre efficace et rapide de l’Accord du 31 décembre 2016 est essentielle pour un processus électoral crédible, la paix et la stabilité de la RDC, ainsi que pour soutenir la légitimité des institutions de transition.
Les membres du Conseil ont rappelé l’importance de prendre des mesures urgentes pour restaurer la confiance entre les acteurs impliqués et désamorcer les tensions politiques. Ils ont noté en particulier la nécessité de progresser immédiatement dans la libération des prisonniers politiques et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Les membres du Conseil de sécurité se sont félicités de l’offre faite par l’Union africaine, l’Organisation internationale de la Francophonie, la Communauté de développement de l’Afrique australe et l’Union européenne de mettre en place une équipe internationale d’experts en appui de la CENI pour la préparation des élections.
Le Conseil de sécurité a également réitéré son appel à tous les Congolais pour qu’ils œuvrent à la préservation des acquis encore fragiles sur la voie de la paix et de la stabilité. Il a aussi appelé tous les partis politiques, leurs partisans et les autres acteurs politiques à rester calmes et à s’abstenir de toute forme de violence.[21]
[1] Cf Actualité.cd, 13.11.’17
[2] Cf Actualité.cd, 10.11.’17
[3] Cf Trésor Kibangula – Jeune Afrique, 24.11.’17
[4] Cf Radio Okapi, 15.11.’17; Politico.cd, 15.11.’17; Le Potentiel – Kinshasa, 16.11.’17
[5] Cf Cf Actualité.cd, 23.11.’17
[6] Cf Jeune Afrique, 25.11.’17 http://www.jeuneafrique.com/496609/politique/exclusif-reforme-electorale-en-rdc-un-enregistrement-sonore-revele-la-strategie-du-parti-de-kabila/; Actualité.cd, 25.11.’17; RFI, 27.11.’17
mediacongo.net, 27.11.’17 http://www.mediacongo.net/article-actualite-32848.html
Hubert Leclercq – La Libre / Afrique, 26.11.’17
[7] Cf Radio Okapi, 28.11.’17
[8] Cf Radio Okapi, 03.12.’17; ACP – Mediacongo.net, 02.12.’17
[9] Cf Rachel Kitsita – Actualité.cd, 03.12.’17
[10] Cf Israël Mutala – 7sur7.cd, 03.12.’17
[11] Cf Radio Okapi, 03.12.’17
[12] Cf Actualité.cd, 04.12.’17
[13] Cf Actualité.cd, 04.12.’17
[14] Cf Radio Okapi, 15.11.’17; Politico.cd, 15.11.’17; Le Potentiel – Kinshasa, 16.11.’17
[15] Cf Actualité.cd, 15.11.’17
[16] Cf Radio Okapi, 27.11.’17
[17] Cf Radio Okapi, 21.11.’17 ; RFI, 21.11.’17; Actualité.cd, 21.11.’17
[18] Cf Radio Okapi, 21.11.’17 ; RFI, 21.11.’17; Actualité.cd, 20.11.’17
[19] Cf https://pretredanslarue.blogspot.it/2017/11/le-peuple-congolais-crie-sa-souffrance.html
[20] Cf Actualité.cd, 22.11.’17
[21] Cf Radio Okapi, 29.11.’17