SOMMAIRE
ÉDITORIAL: CONFÉRENCE ÉPISCOPALE ET MAJORITÉ PRÉSIDENTIELLE → DEUX LECTURES DIFFÉRENTES D’UNE MÊME RÉALITÉ
- LE MESSAGE DES ÉVÊQUES: «LE PAYS VA TRÈS MAL. DÉBOUT CONGOLAIS!»
- La réaction du Bureau politique de la Majorité Présidentielle
- Les réactions de l’opposition
- DES SANCTIONS CONTRE 10 PERSONNALITÉS CONGOLAISES
- La réaction du Gouvernement congolais
- Le 29ème sommet de l’Union Africaine (UA)
ÉDITORIAL: CONFÉRENCE ÉPISCOPALE ET MAJORITÉ PRÉSIDENTIELLE → DEUX LECTURES DIFFÉRENTES D’UNE MÊME RÉALITÉ
1. LE MESSAGE DES ÉVÊQUES: «LE PAYS VA TRÈS MAL. DÉBOUT CONGOLAIS!»
Le 23 juin, dans leur message intitulé « Le Pays va très mal. Débout Congolais », les Evêques membres de la Conférence Episcopale Nationale du Congo (CENCO) se sont dits «profondément inquiets et préoccupés par la détérioration continue de la situation économique, sécuritaire et humanitaire ainsi que par l’impasse politique actuelle».
– À propos de la situation socio-économique, les Evêques affirment que «il y a peu, la RD Congo jouissait d’une relative stabilité économique. En ces jours, la santé économique de notre pays est critique; elle empire au jour le jour. Nous assistons au recul du taux de croissance, à la dépréciation de la monnaie nationale face aux devises étrangères à cause du flottement du taux de change. Le climat des affaires est plus que morose et décourage les investisseurs.
La corruption, l’évasion fiscale, le détournement de fonds publics ont atteint des proportions inquiétantes à tous les niveaux. Un groupe de compatriotes, abusant manifestement de leur pouvoir, s’octroient des avantages économiques faramineux au détriment du bien-être collectif.
Par conséquent, le pouvoir d’achat a sérieusement baissé, au point que les familles peinent à joindre les deux bouts. Pour la grande majorité de la population congolaise, les conditions de vie sont devenues plus que précaires. En témoignent la sous-alimentation, l’incapacité d’accéder aux soins de santé primaire et à la scolarité, l’accumulation des arriérés de salaires, l’explosion du chômage des jeunes. L’approvisionnement en eau et en électricité est devenu irrégulier dans les milieux urbains, tandis que les factures de consommation ne cessent d’augmenter. Tout cela favorise la grogne sociale, le banditisme et le recrutement de jeunes dans les innombrables milices».
– En ce qui concerne la situation sécuritaire et humanitaire, les Evêques déclarent que «l’insécurité quasi-généralisée à travers le territoire national influe directement sur la vie des personnes. Elle porte atteinte à la dignité humaine et au respect des droits humains. C’est le cas au Grand Kasaï où les affrontements entre les forces de l’ordre et les miliciens ont causé beaucoup de pertes en vies humaines. Après neuf mois de conflit, il nous a été signalé à ce jour plus ou moins 3.383 morts, 30 fosses communes, plus d’un million de déplacés internes et 30.000 réfugiés en Angola. Nous y déplorons des destructions méchantes : 60 paroisses profanées et fermées, 31 centres de santé catholiques saccagés, 141 écoles catholiques endommagées et fermées, 3.698 habitations privées détruites, 20 villages complètement détruits. En dépit des efforts déployés par le Gouvernement congolais pour mettre fin à cette tragédie, en collaboration avec la MONUSCO, la situation demeure incertaine.
Nous condamnons la violence d’où qu’elle vienne et réaffirmons le caractère sacré et inviolable de la vie humaine. C’est pourquoi nous demandons la mise sur pied d’une enquête sérieuse et objective pour établir les responsabilités sur les atrocités commises au Grand Kasaï.
Nous constatons aussi la présence massive, incontrôlée et permanente des groupes armés étrangers sur le territoire national semant désolation dans la population locale et constituant pour elle une véritable source d’inquiétude. Il s’agit notamment des rebelles de la LRA, de l’ADF NALU, des combattants sud-soudanais et tant d’autres.
Nous continuons à signaler la présence des éleveurs Mbororo qui se sont installés dans les Provinces du Bas-Uélé, du Haut-Uélé et d’autres éleveurs « étranges » dans le Tanganyika, le Haut-Lomami, le Kwilu, le Kwango, la Mongala et l’Ituri. Ce phénomène n’augure-t-il pas la mise en œuvre du plan de balkanisation de la RD Congo?
Des évasions apparemment programmées des détenus des prisons de Makala et de Matete à Kinshasa, de Kasangulu, de Kalemie et de Béni demeurent pour nous un grand point d’interrogation».
– Sur la situation des droits humains, les Evêques relèvent que «les restrictions du droit à la liberté d’expression et l’interdiction des manifestations pacifiques sont croissantes. La répression des mouvements de contestation pacifique va parfois jusqu’à l’usage excessif de la force. Des défenseurs des droits humains, des acteurs politiques et sociaux dont les voix divergent de la pensée du pouvoir sont régulièrement menacés ou font l’objet d’arrestations arbitraires. Les responsables de ces violations ne sont pas poursuivis par la Justice, ni condamnés pour atteintes aux droits humains. Au lieu de la décrispation politique consacrée par l’Accord du 31 décembre 2016, nous assistons plutôt au durcissement du pouvoir».
– À la question « d’où vient la crise actuelle? », les Evêques répondent que «la situation misérable dans laquelle nous vivons aujourd’hui est une conséquence de la persistante crise socio-politique due principalement à la non-organisation des élections conformément à la Constitution de notre pays.
L’Accord politique global et inclusif du 31 décembre 2016 contient des pistes de solutions à la sortie pacifique de cette crise. Par manque de volonté politique, la mise en œuvre intégrale de cet Accord est insignifiante. Au mépris de la souffrance de la population, les acteurs politiques multiplient des stratégies pour le vider de son contenu, hypothéquant ainsi la tenue d’élections libres, démocratiques et apaisées.
L’Arrangement particulier qui devait être finalisé pour la mise en œuvre de cet Accord a été vidé de sa substance par les engagements particuliers non inclusifs. Il faut aussi noter que la loi relative au Conseil National du Suivi de l’Accord et du Processus Electoral (CNSA), organe fondamental dans la mise en œuvre de l’Accord, n’a pas été vraisemblablement inscrite à l’ordre du jour de la dernière session ordinaire du Parlement.
C’est pourquoi, nous exhortons toutes les parties prenantes à l’Accord à assumer pleinement leurs responsabilités de bonne foi et par amour pour la patrie. Des prétendues solutions mises en place ne contribuent pas à la cohésion nationale. Elles risquent plutôt de hâter l’implosion de notre cher pays».
– À la question de savoir comment peut-on sortir de la crise multiforme qui mine notre société et que doit-on faire, les Evêques répondent que «le pays va très mal. Mettons-nous debout, dressons nos fronts encore courbés et prenons le plus bel élan (…) pour bâtir un pays plus beau que celui d’aujourd’hui (cf. L’hymne national congolais). Il est impérieux de nous impliquer nous-mêmes, de prendre notre destin en main, sinon notre avenir sera hypothéqué pour longtemps.
Face au tableau sombre que présente aujourd’hui notre pays, la pire des choses est le découragement ! Nous vous le demandons instamment: il ne faut céder ni à la peur ni au fatalisme. Une minorité de concitoyens a décidé de prendre en otage la vie des millions de Congolais. C’est inacceptable ! Nous devons prendre en main notre destin commun.
Pour cela, nous encourageons la poursuite de l’éducation civique et électorale ainsi qu’un engagement actif et pacifique de tous, afin d’éradiquer les causes profondes de nos souffrances. En effet, en cette période préélectorale nous avons le devoir sacré de nous approprier les lois qui règlementent notre vivre ensemble, notamment l’Accord de la Saint-Sylvestre, l’unique feuille de route, solidement fondé sur la Constitution de la République, dont il faut exiger le respect et la mise en application intégrale par les signataires.
La sortie pacifique de la crise actuelle exige la tenue des élections présidentielle, législatives et provinciales avant décembre 2017, tel que le prévoit l’Accord politique du 31 décembre 2016. Aller aux élections suppose l’enrôlement qui s’effectue, malheureusement, avec une lenteur inquiétante. Bien préparer les élections, c’est aussi se faire identifier et enrôler pour que la Commission Electorale Indépendante (CENI) dispose d’un fichier électoral fiable pour convoquer les scrutins dans le délai convenu.
Nous demandons aussi aux prêtres de chaque paroisse de nos diocèses, à partir du 30 juin, d’inviter le peuple de Dieu, ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté, à un moment de prière intense et de jeûne pour la Nation».[1]
a. La réaction du Bureau politique de la Majorité Présidentielle
Le 28 juin, réuni pour examiner le dernier message de la CENCO, le Bureau Politique de la Majorité Présidentielle (MP) et Alliés a rappelé que «les problèmes stigmatisés par les Evêques sont des problèmes réels auxquels sont confrontés les différents gouvernements depuis plusieurs décennies.
Toutefois, il a déploré le fait que le message de la CENCO n’ait pas suffisamment relevé les actions et démarches de tous ceux qui, de l’étranger, se sont inscrits dans une logique résolue de coalition et de soumission à des forces étrangères de prédation de nos terres et de nos ressources naturelles. Il a donc regretté que l’analyse économique de la CENCO n’ait pas intégré les facteurs objectifs liés à la conjoncture internationale et nationale.
Concernant le rythme de l’enrôlement et de la constitution du fichier électoral, le Bureau Politique se félicite des résultats atteints par la CENI à ce jour, à savoir 30 millions d’enrôlés sur les 41 millions attendus, dans un contexte difficile avec des ressources limitées.
À propos de l’organisation des élections, la MP rappelle qu’elle relève de la seule compétence constitutionnelle de la CENI. Et donc, la Majorité Présidentielle et Alliés se soumettra au calendrier électoral qui sera publié par cette institution.
A ce propos, le Bureau Politique tient à rappeler les dispositions pertinentes de l’Accord politique du 31 décembre 2016, spécialement en son chapitre IV, point 2 qui stipule que « les parties prenantes conviennent sur l’organisation des élections en une seule séquence présidentielle, législatives nationales et provinciales au plus tard en décembre 2017. Toutefois, le Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Electoral, le Gouvernement et la CENI peuvent unanimement apprécier le temps nécessaire pour le parachèvement desdites élections ».
S’agissant des causes de la crise actuelle, telles qu’évoquées dans le message de la CENCO, le Bureau Politique tient à rappeler à l’opinion les différents obstacles rencontrés sur le chemin de la mise en œuvre du processus de l’Accord politique de la saint Sylvestre. Il s’agit notamment:
– des profondes divisions au sein du Rassemblement ;
– des difficultés éprouvées par la CENCO pour concilier les vues de toutes les parties prenantes sur les deux dernières questions de divergence, à savoir la désignation du Premier ministre et celle du Président du Comité National de Suivi de l’Accord et du Processus électoral (CNSA);
– de l’intransigeance et du radicalisme d’une frange de l’opposition politique en dépit de l’orientation donnée par la CENCo sur la question des candidatures au poste de Premier ministre;
– de la politisation malsaine des questions funéraires dans la gestion des affaires de l’Etat;
– de graves suspicions de collusion (des Évêques) avec les personnes concernées par les dossiers relatifs aux mesures de décrispation politique, fondées sur des plaidoyers intempestifs en leur faveur;
– des divulgations d’informations au sujet de certaines questions hautement sensibles des négociations;
– de la mise à mal de la neutralité attendue des Evêques jouant le rôle de bons offices.
S’agissant des voies de sortie de la crise telles que présentées dans le message de la CENCO, le Bureau Politique de la MP et Alliés
– affirme que, en tant qu’Eglise au milieu du village, la CENCO devrait éviter tout discours direct ou indirect incitant à la violence et à la désobéissance civile et plaider pour les vertus du dialogue, de la réconciliation, de la concorde et non pas pour la violence;
– recommande au Gouvernement de la République de prendre des mesures urgentes pour soulager la situation sociale des populations congolaises malgré les défis économiques de l’heure, de poursuivre la mise à disposition des moyens nécessaires à la CENI pour la réussite du processus électoral en cours, d’accélérer la pacification du Grand Kasaï pour permettre à la CENI de poursuivre les opérations d’enrôlement;
– Exhorte la CENI à mener à bonne fin le processus d’enrôlement, qui constitue une étape cruciale pour l’adoption d’un calendrier électoral réaliste et crédible;
– appelle la CENCO à jouer adéquatement son rôle spirituel par la diffusion des messages de paix à l’endroit de la population et l’exhorte à rester dans la logique qui a prévalu lorsque les Evêques, au cours de la remise de leur rapport final au Président Joseph Kabila Kabange, ont vivement recommandé à celui-ci d’agir conformément à ses prérogatives de garant de la Nation pour sauver le processus en cours et la démocratie dans notre pays;
– demande à la population congolaise de garder toute sa confiance aux institutions de la République et de ne pas céder aux manipulations des politiciens, déclarés ou non, qui l’incitent à la violence».[2]
b. Les réactions de l’opposition
Le 27 juin, dans un communiqué de presse, le Rassemblement de l’Opposition / aile Félix Tshisekedi et Pierre Lumbi a appelé à l’unité de toutes les forces politiques de l’opposition, afin de faire bloc contre le pouvoir en place. Selon ce communiqué signé par Pierre Lumbi, président du Conseil des sages du Rassemblement, «à l’instar de la Cenco, le Conseil des sages du Rassemblement réitère ses appels incessants à la nécessaire unité des forces politiques et sociales acquises au changement afin de faire échec, par des actions communes et conformément aux dispositions pertinentes de l’article 64 de la Constitution, au coup de force constitutionnel d’une minorité des Congolais qui, abusant de l’exercice du reste illégitime du pouvoir d’état, ont pris en otage la vie de toute une nation et ont privatisé les institutions de la République dans le seul but de satisfaire leurs intérêts égoïstes … Le Conseil des sages du Rassemblement demande au peuple de se tenir prêt et debout pour barrer la route à la dictature et obtenir l’application intégrale et de bonne foi de l’accord politique global et inclusif du 31 décembre 2016, la tenue des élections présidentielle, législatives et provinciales, libres et transparentes, d’ici au 31 décembre 2017, comme convenu dans l’accord, enfin l’alternance politique».[3]
Le 29 juin, au cours d’un point de presse organisé à Limete (Kinshasa), le secrétaire général de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), Jean-Marc Kabund, a mis à la charge du président Joseph Kabila le tableau sombre de la situation globale en RDC. Jean Marc Kabund a parlé notamment de la détérioration du tissu économique congolais, des foyers de tension à travers le pays, de la crise politique. Kabund a considéré le Chef de l’Etat comme “l’obstacle numéro 1” du développement du pays.
Jean-Marc Kabund a déclaré que «la situation politique de notre pays reste tendue à la suite de la non tenue de l’élection présidentielle en décembre 2016. Voulue et entretenue par Mr Kabila, cette situation de crise a cependant un effet néfaste sur l’ensemble de la vie nationale, notamment aux plans politique, sécuritaire, social, économique, du droit et de libertés, et du processus électoral etc». Il a appelé le peuple à se mettre débout, suivant l’appel de la CENCO, afin de prendre son destin en main: «Face à ce tableau sombre, Joseph Kabila s’étant disqualifié de ses fonctions de président de la république, chef de l’Etat et garant de la nation et en se révélant ainsi comme l’obstacle numéro un à la stabilité politique, à toute évolution socio économique et démocratique dans notre pays, l’UDPS appelle le peuple congolais à ne plus reconnaître Joseph Kabila comme Président de la République, à se mobiliser comme un seul homme et à se tenir prêt pour les actions qui seront décrétées à l’issu des travaux du conclave du Rassemblement pour que, s’il n’y avait pas d’élections avant le 31 décembre 2017, Joseph Kabila quitte le pouvoir avant cette date».[4]
Le 30 juin, au cours d’un point de presse à Kinshasa, le Coordonnateur du mouvement citoyen Congo Remontada, Herman Nzeza, a exigé la tenue des élections avant le 31 décembre 2017.
En soutenant la déclaration des évêques catholiques, Herman Nzeza a dénoncé les manœuvres du pouvoir qui consistent à retarder la mise en place du Conseil National de Suivi de l’Accord et du Processus Électoral (CNSA), pour enfin l’installer vers la fin de l’année et obtenir une autre transition. «Nous exigeons la tenue des élections avant décembre 2017. S’il n’y a pas élections, l’actuel chef de l’État perdra sa légitimité obtenue grâce à l’Accord du 31 décembre 2016 et nous nous opposerons à tout autre dialogue», a-t-il déclaré, en ajoutant: «Nous connaissons leur stratégie. Ils veulent installer le CNSA vers décembre, pour que celui-ci, avec la CENI et le gouvernement décident d’une autre transition».[5]
2. DES SANCTIONS CONTRE 10 PERSONNALITÉS CONGOLAISES
Le 29 mai, le Conseil des Ministres des Affaires Etrangères de l’Union Européenne a adopté des sanctions (interdiction d’entrée sur le territoire de l’Union européenne et gel de leurs avoirs) contre 9 personnalités congolaises ayant planifié, dirigé ou commis des actes constituant de graves atteintes ou violations des droits de l’homme en RDC. Il s’agit de:
Evariste Boshab. En sa qualité de vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité de décembre 2014 à décembre 2016, Evariste Boshab était officiellement responsable des services de police et de sécurité ainsi que de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux. À ce titre, il s’est rendu responsable de l’arrestation de militants et de membres de l’opposition, ainsi que d’un recours disproportionné à la force, notamment entre septembre 2016 et décembre 2016, en réponse à des manifestations organisées à Kinshasa, pendant lesquelles de nombreux civils ont été tués ou blessés par les services de sécurité.
Ramazani Shadari. Dans ses fonctions de vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité depuis le 20 décembre 2016, Ramazani Shadari est officiellement responsable des services de police et de sécurité ainsi que de la coordination du travail des gouverneurs provinciaux. À ce titre, il est responsable de la récente arrestation d’activistes et de membres de l’opposition, ainsi que de l’usage disproportionné de la force depuis sa nomination, tel que les mesures de répression violente prises contre des membres du mouvement Bundu Dia Kongo (BDK) au Kongo Central, la répression à Kinshasa en janvier et février 2017 et le recours disproportionné à la force et à la répression violente dans les provinces du Kasaï.
Lambert Mende. En tant que ministre des Communications et des Médias depuis 2008, Lambert Mende est responsable de la politique répressive menée envers les médias en RDC, politique qui viole le droit à la liberté d’expression et d’information et compromet une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en RDC. En violation de l’accord politique conclu le 31 décembre 2016 entre la Majorité présidentielle et les partis d’opposition, en mai 2017, la diffusion d’un certain nombre de médias n’avait toujours pas repris.
Alex Kande Mupompa. En tant que gouverneur du Kasaï Central, Alex Kande Mupompa est responsable du recours disproportionné à la force, de la répression violente et des exécutions extrajudiciaires, qui sont le fait des forces de sécurité et de la PNC au Kasaï Central depuis 2016, y compris les assassinats illégaux présumés de miliciens Kamuina Nsapu et de civils à Mwanza Lomba, Kasaï Central, en février 2017.
Jean-Claude Kazembe Musonda. En tant que gouverneur du Haut-Katanga jusqu’en avril 2017, Jean-Claude Kazembe Musonda a été responsable du recours disproportionné à la force et de la répression violente qu’ont exercé les forces de sécurité et la PNC dans le Haut Katanga, notamment entre le 15 et le 31 décembre 2016, période pendant laquelle 12 civils ont été tués et 64 blessés en raison d’un usage de la force létale par les forces de sécurité, notamment des agents de la PNC, en réponse à des protestations à Lubumbashi.
Muhindo Akili Mundos, commandant de la 31ème brigade des FARDC. Muhindo Akili Mundos était le commandant des FARDC, dans le cadre de l’opération Sukola I, responsable d’opérations militaires contre les Forces démocratiques alliées (ADF) d’août 2014 à juin 2015. Il a recruté et équipé d’anciens combattants d’un groupe armé local pour participer à des exécutions extrajudiciaires et à des massacres à partir d’octobre 2014.
Général Éric Ruhorimbere. En tant que commandant adjoint de la 21ème région militaire (Mbuji-Mayi) depuis le 18 septembre 2014, Éric Ruhorimbere s’est rendu responsable du recours disproportionné à la force et des exécutions extrajudiciaires perpétrées par les FARDC, notamment contre les milices Kamwina Nsapu, ainsi que des femmes et des enfants.
Kalev Mutondo. Depuis longtemps directeur de l’Agence nationale du renseignement (ANR), Kalev Mutondo est impliqué dans l’arrestation arbitraire et la détention de membres de l’opposition, de militants de la société civile et d’autres personnes, ainsi que dans les mauvais traitements qui leur ont été infligés, et en porte la responsabilité. Par conséquent, il a porté atteinte à l’État de droit, fait obstacle à une solution consensuelle et pacifique en vue de la tenue d’élections en RDC, et planifié ou dirigé des actes qui constituent de graves violations des droits de l’homme en RDC.
Gédéon Kyungu Mutanga. Lorsqu’il était à la tête des milices Bakata Katanga, entre 2011 et 2016, Gédéon Kyungu Mutanga a contribué à de graves violations des droits de l’homme et à des crimes de guerre tels que des exécutions de civils et des attaques contre eux, notamment dans les zones rurales de la région du Katanga. Gédéon Kyungu Mutanga dirige actuellement un groupe armé impliqué dans des atteintes aux droits de l’homme dans la province du Kasaï et soutenant des forces gouvernementales responsables de violations des droits de l’homme.[6]
Le 1er juin, dans un communiqué, les Etats-Unis ont placé sur leur liste noire financière le général François Olenga, chargé de la garde rapprochée du président Joseph Kabila, pour « ses entraves au processus démocratique dans le pays ». A la tête de la maison militaire du Président, qui supervise notamment la Garde républicaine, le général François Olenga est accusé par Washington d’avoir sapé le processus démocratique dans le pays, plongé dans la crise depuis le maintien au pouvoir de M. Kabila après l’expiration de son mandat en décembre. Selon le communiqué, sous son contrôle, la Garde républicaine aurait harcelé des opposants politiques, procédé à des arrestations et exécutions arbitraires et entravé l’action des observateurs de l’ONU. Aux termes de ces sanctions, les avoirs du général Olenga aux Etats-Unis sont gelés et il ne pourra pas nouer de relations d’affaires avec des entités ou individus américains.[7]
Le 2 juin, au lendemain de l’annonce du gel de ses avoirs par les autorités américaines, le général François Olenga, chef de la Maison militaire du chef de l’Etat congolais a déclaré: «Je suis un officier nationaliste et révolutionnaire. Aucune sanction ne me fera trembler. Ca fait plus de trente ans que je n’ai jamais été aux Etats-Unis, donc je ne me sens pas concerné par leurs décisions».
L’officier militaire a ensuite expliqué que son institution, la Maison militaire, ne travaille pas en collaboration avec la Garde républicaine, comme le laisse entendre le communiqué annonçant les sanctions prises contre lui. «La Maison militaire a plutôt de relations de collaboration avec le Premier ministre, le ministre de la Défense, celui de l’Intérieur, le chef d’Etat-major général et le chef de la police nationale. Comment est-ce que le chef d’Etat-major général et le chef de la police ne sont pas sanctionnés et que la Maison militaire qui a des relations de collaboration avec eux, soit sanctionné», s’interroge le général François Olenga. Il s’étonne également qu’il soit accusé d’avoir sapé le processus démocratique congolais alors que la gestion des manifestations publiques n’entre pas dans ses attributions. Concernant son complexe touristique «Safari Beach» également visé par les sanctions américaines, le général Olenga affirme que c’est un endroit qui accueille les représentants tant de la Majorité que de l’Opposition.[8]
a. La réaction du Gouvernement congolais
Prenant acte des sanctions (gel des avoirs et restriction des visas) décidés par l’Union européenne et les USA contre certains cadres congolais et en dénonçant le caractère arbitraire de ces sanctions ciblées, le gouvernement avait promis de riposter au nom du principe de la réciprocité.
Le gouvernement a, pour ce faire, confié le travail d’identification des personnalités occidentales à sanctionner et le type de sanction à prendre à un groupe informel de travail dénommé Groupe de soutien au Gouvernement de la RDC. Ce groupe a remis ses conclusions au gouvernement depuis le 10 juin.
Voici les personnalités ciblées et les sanctions envisagées. Elles sont 10 au total, dont 7 belges, 1 italienne et 2 américaines. Il s’agit de:
- Didier Reynders, Vice-premier ministre belge des affaires étrangères.
Sanctions: interdiction de visa et gel des avoirs.
Grief: concepteur du Rassemblement créé à Genval et architecte principal de l’ingérence étrangère en RDC.
- Bart Ouvry, Ambassadeur de l’UE en RDC.
Sanctions: persona non grata et expulsion.
Grief: promoteur des listes des sanctions et mobilisateur des Chefs des Missions diplomatiques de Kinshasa contre le gouvernement.
- Bertrand de Combrugge, Ambassadeur de la Belgique en RDC.
Sanction: isolement diplomatique.
Grief: instigateur des sanctions.
- Kon Vervaeke, Ambassadeur de l’UE en Afrique.
Sanction: interdiction de visa et gel des avoirs.
Grief: plaque tournante dans la prise des sanctions.
- Maria Arena, Députée européenne et membre du Groupe Socialiste.
Sanction: interdiction de visa et gel des avoirs.
Griefs: figure de proue de l’anti Kabilisme et première à avoir préconiser les sanctions ciblées.
- Ida Saywer, Directrice Afrique Centrale de Human Right Watch.
Sanctions: interdiction de visa et gel des avoirs.
Griefs: principale source documentaire pour les mesures restrictives, lobbyiste contre la RDC et auteur des rapports basés sur des rumeurs.
- Cécile Kyenge, Députée européenne.
Sanctions: interdiction de visa et gel des avoirs.
Grief: cerveau moteur de la campagne contre la RDC à l’UE.
- Sasha Levnev, Directeur associé de l’Ong Enough Project.
Sanctions: interdiction de visa et gel des avoirs.
Grief: ex militant contre les minerais de sang a basculé dans la politique congolaise.
- Karl Vanlouwe, membre de la NVA flamande.
Sanctions: interdiction de visa et gel des avoirs
Grief: signé fréquemment des tribunes appelant aux sanctions ciblées et à la fin du régime Kabila.
- Peter Luyckx, Député fédéral de la NVA Flamande.
Sanctions: interdiction de visa et gel des avoirs.
Grief: il est à la pointe des questions orales sur la RDC au parlement belge et initiateur de la motion de révision de la coopération RDC-Belgique.
Pour les sanctions ciblées individuelles, le Groupe de soutien préconise donc 4 types de sanction: déclaration de persona non grata, interdiction de séjour en RDC, interdiction de délivrance des visas permanents et gel des avoirs.
À côté de ses sanctions ciblées, le gouvernement, via le Groupe de soutien, envisage aussi des sanctions économiques qui frapperaient des unités économiques appartenant à des pays qui «s’ingèrent de manière notoire» dans les affaires internes de la RDC. Selon le même document, la fermeture de certaines entreprises et représentations consulaires n’est pas exclue,.
L’étape finale serait la rupture pure et simple de certains partenariats ou coopération officiels.
Toutes ces propositions ont été transmises au gouvernement. Celui-ci doit en discuter et lever une option. Ensuite, il devra se concerter avec l’Assemblée nationale pour avoir son quitus. Ce n’est qu’alors qu’elles entreront en vigueur. Mais avant tout, certains députés avaient demandé que le gouvernement via son conseil des ministres proteste formellement d’abord contre les sanctions ciblées de l’UE et des USA avant d’entreprendre une quelconque démarche vindicative.[9]
b. Le 29ème sommet de l’Union Africaine (UA)
Le 4 juillet, à l’occasion de la clôture des travaux du 29ème Sommet de l’Union Africaine (UA), organisé du 03 au 04 juillet en cours à Addis-Abeba en Ethiopie, le Président en exercice de cette organisation panafricaine, le Guinéen Alpha Condé a déclaré que l’UA refuse toute ingérence étrangère dans les affaires relevant strictement de la politique intérieure des pays africains.
«C’est inacceptable que les responsables d’un pays membre de l’ONU et de l’UA soient sanctionnés par des individus européens soi-disant lobbyistes. L’Union africaine dénonce avec la dernière énergie les sanctions unilatérales injustes imposées aux États et aux citoyens des États membres de l’UA», a tranché l’Union Africaine. Par ailleurs, les chefs d’Etats africains réunis à Addis-Abeba ont insisté sur le principe sacrosaint d’égalité entre les Etats, fondement des Relations internationales. «Nous rappelons la nécessité de respecter le principe de non-ingérence dans les affaires internes des États, conformément à la charte des Nations Unies et à l’Acte constitutif de l’Union Africaine», ont encore dit déclaré les membres du Comité exécutif de l’Union africaine.
«Nous n’allons plus accepter qu’on nous donne des ordres. Les Etats africains sont devenus majeurs et capables de trouver de solutions à leurs problèmes», a souligné Alpha Condé, dans son discours de clôture des travaux. A l’entame de son mandat à la tête de l’UA en avril 2017, Alpha Condé avait déjà clairement annoncé que l’Afrique entendait développer des relations d’égal à égal avec ses partenaires bi ou multilatéraux.
La main qui donne étant toujours au-dessus de celle qui reçoit, une question s’impose. Celle de savoir comment concilier le refus de l’ingérence étrangère dans les affaires internes des Africains, et la main tendue de ces derniers vers les mêmes puissances occidentales. A priori, cette problématique a été l’épine dorsale du 29ème sommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba. Il a été question, pour les Chefs d’Etats africains, de réfléchir effectivement sur les mécanismes d’autofinancement pour assurer davantage d’autonomie ou d’indépendance à l’organisation panafricaine.
Depuis un certain temps, Kinshasa aussi n’a de cesse de dénoncer ce qu’il considère comme une ingérence étrangère dans ses affaires. Alors que 2017 constitue une année clé pour la consolidation de la démocratie en RD Congo, certaines capitales occidentales continuent à adopter un ton plus virulent que l’Opposition. D’autres sont devenues plus extrémistes que les Congolais eux-mêmes. En toile de fond: la non-tenue des élections en décembre dernier et l’organisation de nouveaux scrutins dans les délais prévus dans l’Accord de la saint sylvestre. Soit au plus tard à la fin de l’année en cours. D’autres prennent pour prétexte la situation sécuritaire qui a prévalu depuis quelques mois dans la province du Kasaï, pour davantage justifier leur immixtion dans les affaires intérieures de la RDCongo. Voilà qu’Addis-Abeba vient, une fois de plus, réconforter la position des autorités congolaises, vis-à-vis de leurs partenaires extérieurs. La position de l’Union africaine prise à Addis-Abeba, corrobore celle du même bloc sur la situation en RD Congo, exprimée lors des travaux de la 35ème session du Conseil des Droits de l’homme de l’ONU. Au cours de ces assises organisées du 06 au 23 juin dernier à Genève, les Africains avaient fait chorus pour opposer une souveraine résistance à l’idée du camp des Occidentaux qui soutenaient une Commission d’enquête internationale dans la province du Kasaï, pilotée par des experts étrangers.[10]
Le 29ème sommet de l’UA s’est conclu par une résolution contre les sanctions unilatérales et injustes, sous-entendu les sanctions individuelles que les Etats-Unis et l’Union européenne ont infligé à une vingtaine de personnalités de la RDCongo. Le ministre des Affaires étrangères de la RDCongo, Léonard She Okitundu, explique: «Nous avions soulevé cette question ici auprès de l’Union africaine e, contre toute attente, notre demande a été accueillie favorablement et la conférence a condamné ouvertement cette pratique des sanctions et a demandé aux organisations régionales qui les prennent de les retirer», en ajoutant que «ce sont des sanctions qui sont prises de manière tout à fait arbitraire, qui ne sont fondées sur aucune réalité juridique. Nous ne nions pas qu’il y ait eu des problèmes, particulièrement au Kasaï. Personne ne le nie. Mais de là à établir des responsabilités sans donner la possibilité aux personnes visées de pouvoir s’expliquer, de pouvoir se défendre, là il y a un problème par rapport à certaines valeurs cardinales en matière de respect de l’Etat de droit et de la démocratie».[11]
[1] Cf Texte complet: http://www.congosynthese.com/news_reader.aspx?Id=21117
[2] Cf texte complet: http://lemaximum.cd/message-des-eveques-catholiques-replique-musclee-de-la-majorite/
[3] Cf Stanys Bujakera – Actualité.cd, 28.06.’17
[4] Cf Stanys Bujakera – Actualité.cd, 30.06.’17
[5] Cf Jeff Kaleb Hobiang – 7sur7.cd, 30.06.’17
[6] Cf Franck Ngonga – Actualité.cd, 29.05.’17 https://actualite.cd/2017/05/29/sanctions-ue-voici-ce-quon-reproche-aux-8-officiels-congolais-et-gedeon-kyungu/
[7] Cf AFP – Radio Okapi, 01.06.’17
[8] Cf Radio Okapi, 02.06.’17
[9] Cf Zabulon Kafubu – 7sur7.cd, 14.06.’17 http://7sur7.cd/new/2017/06/exclusif-riposte-rdc-sanction-ueusa-didier-reynders-ida-sawyer-cecile-kyenge-koern-vervaeke-etc-ciblees-par-le-gouvernement-liste-complete-sanctions-envisagees-et-griefs-ci-dessous/
[10] Cf Grevisse Kabrel – Forum des As – Kinshasa, 05.07.’17
[11] Cf RFI, 05.07.’17