SOMMAIRE
ÉDITORIAL: GOUVERNEMENT NOUVEAU → TOUT DE SUITE AUX ÉLECTIONS
- LA FORMATION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT
- La composition
- Les réactions
- L’investiture du Gouvernement Tshibala par l’Assemblée Nationale
- Les grands axes du programme de gouvernement de Bruno Tshibala
- LA MENACE D’UN RÉFÉRENDUM POUR CHANGER LA COSTITUTION ET RESTER AU POUVOIR
ÉDITORIAL: GOUVERNEMENT NOUVEAU → TOUT DE SUITE AUX ÉLECTIONS
1. LA FORMATION DU NOUVEAU GOUVERNEMENT
a. La composition
Depuis la nomination, le 7 avril – il y a donc environ un mois – de Bruno Tshibala au poste du Premier ministre, la RDC est toujours dans l’attente de la publication d’un nouveau gouvernement. D’après plusieurs sources, le blocage serait dû au rejet, par le chef de l’Etat, de certains noms figurant sur la mouture proposée par M. Tshibala. Selon les mêmes sources, Bruno Tshibala a donc proposé une liste des membres de son gouvernement au président Joseph Kabila, mais ce dernier aurait rejeté certaines candidatures des cadres du Rassemblement de l’opposition Aile Olenghankoy, dont est issu le nouveau Premier ministre. D’autre part, certaines personnalités de la Société civile et du Rassemblement dirigé par le Tandem Felix Tshisekedi et Pierre Lumbi ont décliné l’offre de M. Tshibala.[1]
D’après une source proche de la Primature, la présence des chefs des partis politiques, particulièrement de la Majorité, serait à la base du blocage. La même source précise que le Premier ministre Bruno Tshibala a expressément demandé aux chefs des partis politiques de la famille politique de la Majorité présidentielle, notamment le ministre de la Communication et des médias, Lambert Mende et celui de l’Economie, Modeste Bahati, de désigner d’autres membres de leurs partis, pour les remplacer dans les portefeuilles qu’ils ont occupés dans le gouvernement précédent,
Mais ils ont catégoriquement refusé d’accéder à cette demande du chef du gouvernement.
Toujours selon la même source, Bruno Tshibala refuse aussi d’intégrer dans son équipe des ministres qui ont été déjà présents dans deux gouvernements successifs, Matata et Badibanga.
Face à ce blocage, la balle est renvoyée entre les mains du chef de l’État pour arbitrage, mais beaucoup d’observateurs doutent de la capacité de Tshibala de convaincre Joseph Kabila de lâcher certains de ses préférés comme le ministre des médias, Lambert Mende.[2]
Le 8 mai, dans une interview, Georges Kapiamba, président de l’Association Congolaise pour l’Accès à la Justice (ACAJ), a affirmé que, «la nomination du premier ministre a contribué à la dégradation de la crise politique … En nommant Bruno Tshibala, en violation de l’Accord du 31 décembre, le président Kabila et sa majorité présidentielle ont fait persister cette crise». Selon lui, si le Président Kabila veut vraiment solutionner cette crise, «il doit rétracter son ordonnance nommant Bruno Tshibala, pour se conformer à l’esprit et la lettre de l’Accord par la nomination du candidat premier ministre qui sera présenté par le Rassemblement dirigé par Félix Tshisekedi». À propos du Premier Ministre Bruno Tshibala, Georges Kapiamba a affirmé que «il n’a aucune volonté, aucune intention d’organiser les élections et il ne va pas le faire».[3]
Le 9 mai, dans une ordonnance présidentielle lue à la télévision publique, on a annoncé la composition du gouvernement de Bruno Tshibala. Le gouvernement Bruno Tshibala compte au total 59 membres: le Premier Ministre, 3 vice-premiers ministres, 9 ministres d’Etat, 35 ministres et 11 vice-ministres.
La plupart de principaux ministres du dernier gouvernement conservent leurs portefeuilles. Léonard She Okitundu, Emmanuel Shadary et José Makila conservent leurs postes de vice-Premiers ministres respectivement chargés des affaires étrangères, de l’Intérieur et des Transports. Lambert Mende Omalanga est maintenu au ministère de la communication et des médias. Steve Mbikayi reste toujours au ministère de l’Enseignement Universitaire, comme Gaston Musemena au Ministère de l’Enseignement Primaire et Secondaire, Crispin Atama Tabe à celui de la Défense, Alexis Thambwe Mwamba à celui de la Justice, Martin Kabwelulu à celui des Mines. Justin Bitakwira, ministre des relations avec le parlement, est envoyé au ministère du développement rural.
Parmi les principales entrées signalées dans cette équipe gouvernementale, il y a celles de Lisanga Bonganga (coordonateur de la Coalition des Alliés d’Etienne Tshisekedi – CAT et membre du Rassemblement de l’Opposition / aile Olenghankoy) qui occupe désormais le ministère des relations avec le parlement, du député Emery Okundji (frère de Joseph Olenghankoy) au ministère des Postes, Téléphones et Télécommunications, de Joseph Kapika (un ancien de l’UDPS) au ministère de l’Economie nationale, de Lumeya Dhu Maleghi à celui des Affaires foncières, de Freddy Kita (un ancien proche de l’opposant Eugène Diomi Ndongala) nommé vice-ministre à la Coopération, de l’avocat Tshibangu Kalala, nommé ministre délégué auprès du Premier ministre.
En revanche, certaines personnalités réputées proches de Bruno Tshibala brillent par leur absence, à l’image de Joseph Oleghankoy ou du demi-frère de l’opposant Moïse Katumbi, Raphaël Katebe Katoto.
L’Union pour la Nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe n’a eu qu’un seul ministère, celui de l’Etat au budget. L’UNC a donc perdu deux ministères par rapport au précédent gouvernement. Enfin, ils sont 27 les membres du gouvernement Samy Badibanga (14 ministres et 13 vice-ministres) qui n’ont pas survécus au remaniement pour des raisons diverses.
Boudé par le Rassemblement de Félix Tshiskedi, ce nouveau gouvernement voit la Majorité présidentielle garder sa domination. Tous les ministères d’envergure restent occupés par la coalition des partis au pouvoir.[4]
b. Les réactions
Au lendemain de la publication du gouvernement Tshibala, les acteurs politiques donnent leur réaction par rapport à sa composition et même à ses objectifs. Dans la Majorité présidentielle, on soutient mordicus parvenir avec ce gouvernement à organiser les élections et même sécuriser l’ensemble du territoire national. De son côté, le Rassemblement réaffirme sa position et ne se sent pas concerné par ce gouvernement. Pour l’Opposition, le fondamental reste le respect de la Constitution et la tenue d’élections conformément à l’Accord de la Saint-Sylvestre et à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
Ci-après des réactions des cadres de la Majorité et de l’Opposition.
Le sénateur Jacques Ndjoli (Opposition)
C’est un gouvernement qui a les mêmes tares que celui de Samy Badibanga. A l’absence d’inclusivité, le gouvernement Bruno Tshibala ne pourrait pas être efficace. Dans le contexte politique congolais aujourd’hui, seule l’inclusivité peut fonder l’efficacité d’un gouvernement face aux défis de l’heure. On ne peut pas signer un accord avec quelques groupes et prétendre résoudre les problèmes qui se posent dans le pays. Ce gouvernement ne va pas nous aider à avancer.
L’organisation d’élections requiert non seulement des ressources financières importantes, mais aussi la participation de toutes les parties prenantes, pour espérer un processus apaisé. Sur le plan économique, la situation est catastrophique justement à cause du désordre politique. Or, le gouvernement actuel ne résout pas la crise politique. Au contraire, il l’aggrave. Le taux de change du franc congolais ne fait que se déprécier entraînant la dégradation du pouvoir d’achat des Congolais.
Au plan sécuritaire, je doute que dans ce gouvernement qu’il y ait des gens qui ont suffisamment de ressources pour régler l’insécurité dans la partie Est et au centre du pays.
Ce gouvernement n’est qu’une petite ouverture aux dissidents du Rassemblement. Il ne va pas résoudre le problème. Il faut que la Majorité présidentielle et le Rassemblement/Limete se rencontrent. On ne va pas avancer en dehors de l’Accord du 31 décembre 2016
Le député national, Lutundula (Rassemblement)
Nous ne sommes pas concernés par ce gouvernement mis en place en dehors de l’Accord du 31 décembre 2016 et nommé par un pouvoir illégitime. Nous considérons que le problème qui se pose n’est pas celui de postes ministériels. Le problème fondamental est celui du respect de la Constitution, de l’organisation des élections crédibles, transparentes, démocratiques auxquelles tous les partis politiques et tous les acteurs politiques participent. C’est cela le problème fondamental. Tout le reste, c’est du bricolage, de la distraction pour gagner du temps et repousser les élections à plus tard. L’autre problème fondamental, c’est la décrispation du climat politique de manière à ce que tous les acteurs et tous les partis politiques puissent s’exprimer librement sans peur d’être arrêté, sans intimidation. Il y a aussi le calendrier électoral. Le jour où la CENI va publier le calendrier électoral, c’est le jour que nous saurons quand nous irons aux élections. Nous verrons si un camp ne va pas bloquer et si tout le monde peut être autorisé à participer à ces scrutins.
Seul l’Accord du 31 décembre 2016 et la résolution 2348 remplissent toutes ces conditions. Et donc, en dehors de la mise en œuvre intégrale de l’Accord, il n’y a pas de salut. Le président Kabila peut nommer autant de premiers ministres qu’il voudra, cela ne résoudra pas la crise.
Le professeur Kalele Kabila (Rassemblement)
C’est un gouvernement pour rien. Il entre dans la logique de diriger par défi. Il ne respecte pas ce que nous avons convenu dans l’Accord, ni dans l’arrangement particulier. Je ne vois pas ce gouvernement sortir le pays du marasme, de la misère. Je ne le vois pas non plus mettre fin à l’insécurité. Je ne crois pas que ce gouvernement va organiser les élections conformément à l’Accord. A la fin de l’année 2016, les élections n’ont pas été tenues. Il y a une volonté délibérée de ne pas organiser les élections. Le régime en place ne veut plus d’élections. Nous sommes en face d’une dictature avec des dirigeants illégitimes.
Alain Atundu (MP)
La publication de ce gouvernement vient couronner la détermination du président de la République à normaliser la vie politique par le processus de dialogue. Avec ce gouvernement, la République démocratique du Congo est résolument engagée dans la voie des élections. Nous sommes vraiment pour la tenue des élections qui puissent aboutir à l’alternance démocratique.
Par rapport aux critiques sur l’inclusivité … Les négociations ont été faites par toutes les composantes. Chaque camp était libre de proposer ses membres qui devaient faire partie du gouvernement Tshibala. Chez nous à la Majorité présidentielle, nous avons jugé bon de reconduire nos membres. Pour nous, ce gouvernement est inclusif, parce que toutes les parties prenantes au dialogue en font partie. Même si certaines composantes ont des problèmes en leur sein, mais toutes les parties prenantes ont signé l’arrangement particulier sur base duquel le gouvernement Tshibala a été mis en place.
Dès lors, si une partie de l’opposition décide de ne pas participer aux élections, cela n’entame en rien la crédibilité du processus. Les élections, c’est un devoir qu’on exerce ou qu’on n’exerce pas. Toutefois, le processus électoral continue normalement avec les opérations d’enrôlement des électeurs. La tâche qui incombe au gouvernement c’est d’accompagner la Commission électorale nationale indépendante en lui donnant les ressources financières nécessaires et en créant des conditions sécuritaires pour des élections apaisées.
Honorable Lokondo (MP): «Tout change mais rien ne change»
Le gouvernement Tshibala, c’est le changement dans la continuité. Avec ce gouvernement, rien de fondamental ne va changer. Car la politique du gouvernement actuel sera pratiquement celle de Samy Badibanga. L’essentiel des ministres de l’ancien gouvernement a été reconduit. Je me demande même quel sera le programme que le Premier ministre va venir défendre devant l’Assemblée nationale. Ça sera son programme à lui ou celui de Samy Badibanga? Le programme du gouvernement est préparé par l’ensemble des ministères qui le composent. Ce sont les mêmes ministres que l’ancien gouvernement. Dès lors, je ne vois pas comment le Premier Ministre aura un autre programme que celui qui sera dicté par les matières que les ministres vont lui donner. Bref, pour le gouvernement Tshibala, je dis: «Tout change mais rien ne change».
J’ai toujours dit que si les amis du Rassemblement/Limete ne sont pas impliqués, on tournera en rond. Je pense à l’Accord du 31 décembre 2016 et à la résolution 2348 du Conseil de sécurité de l’Onu. Il faut fournir encore un effort de consensus.
Déclaration du Dr Noël K. Tshiani Muadiamvita
Je connais Bruno Tshibala depuis des décennies. Nous avons grandi ensemble et je le considère comme un frère et un ami. Je sais qu’il est un homme intègre qui a la volonté de contribuer au développement de notre pays, la République démocratique du Congo.
Toutefois, je ne retrouve pas la main de Bruno Tshibala dans la composition de ce gouvernement qui vient d’être publié. Ce gouvernement est une grosse déception pour plusieurs raisons car il est totalement en violation de l’accord du 31 décembre 2016 qui devait lui donner son assise juridique. Le nombre éléphantesque de membres du gouvernement dans un environnement budgétaire difficile ne se justifie pas. Quant au choix des hommes et femmes, il est clair que le gouvernement Tshibala est exactement le même que celui issu des accords du 18 octobre 2016 avec quelques petites permutations et quelques débauchages qui ne lui donnent pas du tout l’exclusivité nécessaire pendant cette période devant nous conduire aux élections. La présence dans ce gouvernement de mêmes caciques de la Majorité présidentielle qui sont à blâmer pour l’organisation du glissement et la violation de la constitution, enlève toute crédibilité à ce gouvernement, car ces gens ne peuvent pas devenir soudainement des personnes intègres pour conduire le peuple congolais aux élections libres, transparentes et démocratiques. Tout est donc à refaire dans le cadre de l’accord du 31 décembre 2016 si on doit avoir des élections apaisées et crédibles.[5]
Félicien Kabamba, professeur, chercheur au Centre d’études politiques de l’Université de Kinshasa et analyste politique estime que les marges de manœuvre de Bruno Tshibala sont très réduites pour mettre en œuvre son programme, parce que les ministères importants sont contrôlés par la Majorité présidentielle. «Les ministères régaliens: les Affaires étrangères, la Défense, l’Intérieur, les Finances, sont restés entre les mains de la Majorité. On sait bien le rôle que va jouer le ministère de l’Intérieur dans l’organisation des élections, mais aussi dans la gestion de différentes manifestations et revendications. On peut donc supposer que la majorité a ses raisons pour garder ce ministère. On a aussi le ministère de la communication. Quand on connaît le rôle de la communication dans un contexte de conjoncture politique, la majorité a décidé de garder la mainmise sur la communication», analyse Félicien Kabamba.
Le chercheur fait remarquer que la difficulté qu’a Bruno Tshibala de s’appuyer sur un parti politique en cas de conflit avec le Président de la République, l’affaiblit davantage: «Dans ce contexte précis où la majorité contrôle les ministères régaliens, les marges de manœuvre du Premier ministre sont quand même assez limitées, tant il est vrai que dans le cas de Bruno Tshibala, il lui sera difficile de s’appuyer sur un appareil politique, parce qu’il est de l’UDPS et on sait bien dans quel contexte il évolue aujourd’hui vis-à-vis de son appareil politique. Il lui sera donc très difficile de s’appuyer sur l’UDPS en cas de divergence avec le Chef de l’Etat. Il est donc un Premier ministre assez affaibli».[6]
Selon le Rassemblement de l’Opposition / aile Félix Tshisekedi-Pierre Lumbi, il s’agit d’un nouveau gouvernement légèrement réduit, avec 60 membres plutôt que 67, mais toujours avec le même problème de légitimité que le précédent, car il a été nommé en dehors et en violation de l’Accord du 31 décembre dernier. Le Premier ministre nommé par Joseph Kabila n’est pas celui que proposait le Rassemblement de l’Opposition / aile Félix Tshisekedi-Pierre Lumbi qui, par conséquent, juge le nouveau gouvernement « illégitime« .
Dans ce cadre, Christophe Lutundula affirme que «le Rassemblement ne se sente pas concerné par la démarche de M. Kabila, totalement en dehors de l’accord et sans légitimité».[7]
Le secrétaire général de l’UDPS, Jean-Marc Kabund-A-Kabund, estime que le gouvernement Tshibala ne bénéficie d’aucun crédit. Il fait remarquer que ce gouvernement ne respecte pas l’accord signé le 31 décembre entre les signataires et les non-signataires de l’accord du 18 octobre:
«Le nommant et les nommés ne bénéficient d’aucun crédit tant au niveau national qu’international, et surtout que cette nomination s’effectue dans un cadre qui est en dehors de l’accord du 31 décembre. Pour nous, c’est un non-évènement. Le gouvernement Tshibala est égal au gouvernement Badibanga. Joseph Kabila n’a aucune intention d’organiser les élections dans ce pays. La preuve est qu’il contourne l’accord pour prendre Bruno Tshibala dans un arrangement entre les deux. Ce n’est pas pour rien qu’il évite un Premier ministre crédible, un Premier ministre réellement opposant, parce qu’il sait que ce chef de gouvernement pèsera pour amener le pays aux élections crédibles». Pour lui, la solution pour revenir à la normalité de la vie politique et à la fin de la crise politique c’est la mise en pratique de l’accord du 31 décembre.[8]
Le représentant de la société civile aux discussions de la CENCO, Georges Kapiamba a qualifié le gouvernement Tshibala d’un non-événement: «C’est un non-évènement, parce qu’il s’agit d’un gouvernement résultant de la violation de l’accord du 31 décembre 2016 et de l’arrangement particulier». Il a également regretté que cette équipe gouvernementale compte un nombre plus élevé que celui décidé dans l’accord de la Saint-Sylvestre (54 membres au total, le Premier ministre y compris). Il a par ailleurs désapprouvé la nomination de Bruno Tshibala à la Primature du fait qu’il avait été renvoyé du Rassemblement et de son parti politique, l’UDPS.[9]
Le porte-parole de la Majorité présidentielle (MP), André-Alain Atundu, rapporte que la publication du gouvernement conduit par Bruno Tshibala est le résultat d’un long processus de négociation et un motif de satisfaction et de d’espoir. Pour le camp du président Joseph Kabila, la route est maintenant ouverte pour se consacrer au bien-être du peuple et à l’organisation des élections.[10]
c. L’investiture du Gouvernement Tshibala par l’Assemblée Nationale
Le 16 mai, au Palais du peuple, siège du Parlement, la cérémonie de l’investiture du nouveau gouvernement conduit par le Premier ministre Bruno Tshibala s’est déroulée sur un fond de tension.
Tout est parti de la motion incidentielle du député UDPS Coco Mulongo sollicitant la suspension de l’examen de l’ordre du jour, c’est-à-dire la présentation et investiture du gouvernement Tshibala.
«Bruno Tshibala a été nommé en violation de l’accord du 31 décembre. Il n’était plus membre de l’UDPS. L’investiture du gouvernement Tshibala ne résout pas l’actuelle crise politique et économique. Bruno Tshibala est contesté. Il ne faut pas investir ce gouvernement (…). L’accord du 31 décembre doit être respecté», a argumenté ce député. Sa position a été également appuyée par les députés Muhindo Nzangi et Toussaint Alonga.
Pour leur part, les députés de la Majorité Présidentielle (MP) Crispin Ngoy et Fidèle Likinda, ont rejeté la motion en soutenant l’investiture. «Ici nous sommes régis par la constitution de la république. Le premier ministre ici est nommé par le chef de l’état et nous ne pouvons pas remettre cela en cause. S’il y a des problèmes politiques entre vous, retrouvez-vous à Limete, à Kasa vubu ou à la Cenco pour les résoudre. On dit que Tshibala a été radié de l’Udps en oubliant que tous les députés Udps ont été aussi radiés par Tshisekedi. Tshibala est bel et bien du Rassemblement», a argué le député Likinda soutenu par Crispin Ngoy. La plénière a fini par rejetée la motion incidentielle du député UDPS Coco Mulongo.
Les députés du Rassemblement ont alors accentué la protestation, en sifflant par le biais des instruments communément appelés «vuvuzuela» pour exprimer leur colère. La RTNC a coupé la retransmission en direct de la plénière sur l’investiture du gouvernement Tshibala. Le président de l’Assemblée nationale Aubin Minaku a déclaré au micro qu’il donnait quelques minutes des protestations à ces députés, après il fera recours aux forces de sécurités pour faire expulser ces députés du Rassemblement. La séance a été suspendue. Après une quinzaine de minutes, les députés du Rassemblement ont quitté la salle. La RTNC a repris la retransmission en direct de la plénière d’investiture du gouvernement. Le premier ministre Bruno Tshibala a enfin présenté son équipe gouvernementale et le programme de son gouvernement.[11]
Le premier ministre Bruno Tshibala a présenté à l’Assemblée nationale le programme de son Gouvernement articulé sur quatre priorités tirées de l’accord signé le 31 décembre. Il s’agit de l’organisation des élections dans le délai convenu, la stabilisation et la relance de l’économie nationale, l’amélioration des conditions de vie de la population ainsi que la restauration de la sécurité des personnes et de leurs biens.
En ce qui concerne l’organisation des élections d’ici la fin de cette année, Bruno Tshibala a promis d’offrir au peuple congolais les meilleures élections de l’histoire du pays, tout en précisant que, «c’est la CENI, institution d’appui à la démocratie, et non le Gouvernement, qui est l’autorité compétente et indépendante chargée de l’organisation des élections par la constitution et les lois de la République». Il a fait remarquer que l’organisation des élections générales crédibles, transparentes et apaisées a pour objectif primordial de «résoudre la question de la légitimité des institutions de la République». Il a plaidé pour la réduction des coûts des opérations électorales.
Après débat, les députés ont adopté le programme du gouvernement par une motion d’approbation.
Sur les 337 députés qui ont pris part à la séance plénière, 336 ont voté favorablement et un seul député national s’est abstenu. Le président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku, a demandé au Premier ministre de déposer, dans un délai court, le projet de loi des finances 2017.[12]
d. Les grands axes du programme de gouvernement de Bruno Tshibala
Le programme de gouvernement s’articule autour de 4 missions principales, à savoir:
- Œuvrer pour l’organisation des élections crédibles, libres, transparentes et apaisées dans le délai convenu 2. Arrêter la dégradation de la situation économique du pays
- Améliorer les conditions de vie de la population
- Restaurer la sécurité des personnes et de leurs biens sur l’ensemble du territoire national
Concernant l’organisation des élections, le Premier ministre admet, pour la première fois, être disposé à faire appel à l’aide «externe», dans le cas où la RDC ne serait capable de financer elle-même les scrutins.
Sur le plan économique, Bruno Tshibala promet tout aussi le redressement de la situation de récession que connaît le pays depuis l’année dernière, sans donner des chiffres concrets. Le Premier ministre promet néanmoins de détailler son programme dans la loi de finances de l’exercice 2017, qui sera bientôt voté.
- ÉLECTIONS
Sur le chapitre des élections, le programme prévoit:
* la mobilisation des ressources internes et externes nécessaire pour financer le budget des élections
* La constitution d’une provision trimestrielle au profit de la CENI pour financer l’ensemble du processus électoral
* L’exploration des voies et moyens de rationalisation du système électoral pour la réductions des coûts des opérations
* L’étude de faisabilité technique et la fiabilité du vote de la diaspora congolaise au regard de la grande dispersion de celle-ci aux quatre coins du monde, des coûts financiers et des délais courts prévus pour l’organisation des élections
- ECONOMIE
S’agissant de l’état de l’économie nationale, le gouvernement relève qu’un taux de croissance en chute libre (6,9% en 2015 contre 2,4% en 2016) est à la base de la dégradation de la situation économique.
Le gouvernement envisage les réformes et actions suivantes:
* le maintien de la discipline budgétaire actuelle qui a permis de limiter et d’éviter des déficits de trésorerie, sources de financements monétaires, bannis par la loi sur des finances publiques et surtout facteurs accélérateurs de la dépréciation de la monnaie nationale et de l’inflation
* La poursuite de la politique d’ajustement budgétaire mené depuis le début de l’année, en accordant la priorité, dans les dépenses publiques, à celles relatives à la préparation des élections, aux rémunérations des agents et fonctionnaires de l’État, des FARDC et de la Police nationale, au paiement du service de la dette extérieure, ainsi que les dépenses tes concours à l’amélioration des conditions de vie générale de la population.
Trois domaines seront concernés par les réformes, dont:
– la mobilisation des ressources internes et externes
– La relance de la production intérieure
– L’amélioration du climat des affaires
Les actions pour la mobilisation des ressources:
– L’accélération de l’adoption du code minier révisé
– L’harmonisation de la nomenclature des impôts et taxes à l’initiative du gouvernement central et des provinces ainsi que des entités territoriales décentralisées
– L’adoption du décret sur le marché des titres et bon du Trésor
– L’ouverture, par la banque centrale du Congo, de comptoirs d’achat de matières précieuses et l’installation d’unités de raffinage, dans les provinces productrices de ces matières.
- AMÉLIORATION DES CONDITIONS DE VIE DE LA POPULATION
Les actions à mener:
* Soutien à l’autonomisation financière des femmes et jeunes filles dans toutes les provinces avec le concours financier de la banque africaine de développement par l’octroi d’un Kit de 300 USD et d’un petit équipement pour encourager l’entreprenariat féminin
* Encadrement des femmes et jeunes filles bénéficiaire de l’expérience-pilote pour un effectif de 8000 à Kinshasa 500 à Mbuji-Mayi ainsi que 500 à Kananga
* Mise en œuvre des travaux à haute intensité de main-d’œuvre
* Extension du programme « jeunes diplômés », en cours d’expérimentation dans l’administration publique, aux entreprises du portefeuille de l’Etat
* Poursuite du processus de rajeunissement de l’administration publique.
* Application de la préférence nationale, en faveur des entreprises qui recrutent les jeunes Congolais, dans l’attribution des marchés publics conformément à la loi en vigueur
* Renforcement des capacités des professionnels de la santé, en vue de leur permettre d’offrir aux populations des services et des soins de santé de qualité
* Réhabilitation et équipement des infrastructures sanitaires, les hôpitaux et les centres de santé de référence dans les chefs-lieux et les provinces
* Rendre disponibles les médicaments et les produits de santé de qualité, prioritaires et vitaux * Amélioration de la gouvernance des structures de santé de l’État
* Mobilisation des ressources budgétaires nécessaires pour la lutte contre les maladies endémiques, notamment le paludisme, le VIH/sida, la tuberculose, la fièvre jaune, la rougeole et le choléra
* Amélioration de l’assainissement de l’environnement dans les villes
* Amélioration de la desserte en eau potable pour la population
- RESTAURATION DE LA SÉCURITÉ DES PERSONNES ET DE LEURS BIENS Le Gouvernement va mettre en œuvre les actions suivantes:
* Renforcement et amélioration de la mise en condition des FARDC, de la Police nationale ainsi que celles des services de sécurité
* Poursuite de la restructuration, la réorganisation et l’équipement de l’armée nationale
* Poursuite des opérations militaires à l’Est du pays
* Amélioration des conditions de vie des militaires
* Poursuite des réformes de la police nationale
* Sécurisation du processus électoral avant, pendant et après les opérations, en collaboration avec la CENI et la MONUSCO
* Amélioration des conditions sociales des policiers, du personnel et des agents des services de sécurité.[13]
2. LA MENACE D’UN RÉFÉRENDUM POUR CHANGER LA COSTITUTION ET RESTER AU POUVOIR
Le 13 mai, le porte-parole de la Majorité présidentielle, Alain Atundu, a appelé la classe politique congolaise à ne pas ravir au peuple congolais son droit de s’exprimer soit par référendum ou par des élections. D’après lui, les parties prenantes au dialogue s’étaient engagées à ne pas amorcer le référendum pour changer les dispositions de la Constitution. Mais pas le peuple congolais.
Selon Alain Atundu, «le référendum est un droit constitutionnel inaliénable. Parce que c’est la seule disposition qui garantie au peuple d’intervenir à tout moment. Il n’est pas normal qu’un régime démocratique basé sur la volonté du peuple, puisse se confisquer l’expression de cette volonté. Mais comme vous le savez, les parties prenantes aux négociations s’étaient engagées à ne pas actionner le référendum pour changer les dispositions de la Constitution. Mais le peuple n’est pas partie prenante. En tant que chef de nous tous, le peuple peut dire pour telle chose, je veux ceci. Donc la classe politique ne peut ravir au peuple congolais le droit de s’exprimer soit par référendum, soit par les élections».[14]
Le 14 mai, Jean-Baudouin Mayo Mambeke, président interfédéral UNC/Kinshasa, en réagissant aux déclarations de André Atundu, a affirmé que, au-delà d’une simple révision, la Majorité Présidentielle (MP) envisage le changement pur et simple de la constitution, dans le but de maintenir «son mentor» au pouvoir. Selon Jean-Baudouin Mayo, «le référendum est certes un droit du peuple congolais, mais il doit s’exercer dans le respect des lois et de la constitution. En l’espèce, aucun référendum ne peut avoir pour objet la modification des matières verrouillées par l’article 220 de la constitution. Il peut y avoir référendum sur toutes questions, sauf sur celles interdites par la constitution. Envisager pareil référendum, c’est déjà violer la constitution passible de haute trahison pour certaine catégorie au sein de la société. Lorsque M. Atundu parle du référendum, il ne vise pas la révision constitutionnelle mais, pire, le changement de constitution. Il sait bien que le référendum ne peut viser la simple révision à cause de l’article 220 de la constitution. Il vise le référendum qui va nous porter vers une autre constitution, donnant à son mentor la possibilité de demeurer au pouvoir malgré le terme de son deuxième mandat. Donc M. Atundu et les siens viennent d’annoncer la préparation et la perpétration prochaine d’un coup d’état constitutionnel».[15]
Tous les paramètres sont au rouge pour la présidentielle de 2017. L’élection de décembre prochain, pourtant âprement négociée après le report de celle de 2016, pourrait être de nouveau retardée. Le patron de la Commission électorale congolaise (CENI), Corneille Nangaa, souffle le chaud et le froid depuis quelques semaines sur les difficultés d’organisation du scrutin. Si l’opération d’enrôlement des électeurs «se fait plutôt bien» avec 22,3 millions déjà enregistrés sur 45 millions, Corneille Nangaa tire la sonnette d’alarme sur la persistance de l’insécurité dans les Kasaï et le coût «extrêmement élevé» des élections. Deux inquiétudes qui font craindre à l’opposition un nouveau «glissement» du calendrier électoral qui permettrait au président Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir alors que son dernier mandat est arrivé à terme fin décembre 2016. Les opposants au chef de l’Etat accusent la majorité présidentielle et la CENI de retarder volontairement les élections «sur ordre» de Joseph Kabila.
Petit à petit, Corneille Nangaa, distille les arguments d’une nouvelle incapacité de l’Etat congolais à pouvoir organiser les élections avant la fin de l’année.
Côté finances, le ministre du budget avait déjà laisser entendre que les caisses de la RDC étant vides, l’Etat n’avait pas encore trouvé les moyens pour financer les scrutins. Avec la baisse du prix des matières premières, le budget de la RDC a fondu comme neige au soleil, passant de 9 à 4,5 milliards de dollars.
Autre menace qui pèse sur les élections: l’insécurité persistante dans les Kasaï, au centre du pays. Les affrontements entre la milice Kamuina Nsapu et les forces de sécurité ont fait plus de 400 morts et jeté plus d’un million de réfugiés sur les routes. Pour le président de la CENI, «soit on va aux élections sans les Kasaï», soit on stabilise la région, «mais cela prendra un peu de temps».
Organiser les élections sans les Kasaï étant inconstitutionnel, «la seule voie de sortie résiderait donc dans le report pur et simple des scrutins», mais cela ouvrirait la porte à un nouveau glissement du calendrier électoral. Il est donc fort possible que la CENI ne soit pas en mesure de mettre à disposition au 31 juillet prochain un fichier électoral complet et fiable.
Selon le Groupe d’Étude sur le Congo (GEC), qui suit avec attention la crise politique en RDC, «la CENI prépare les esprits»… il n’y aura pas d’élections en 2017. Un nouveau report des élections laisserait le temps au président Joseph Kabila d’organiser un référendum, afin de modifier ou de changer la Constitution pour pouvoir briguer un nouveau mandat présidentiel.[16]
[1] Cf Radio Okapi, 02.05.’17
[2] Cf Mediacongo.net, 03.05.’17
[3] Cf Christine Tshibuyi Actualité.cd, 08.05.’17
[4] Cf Radio Okapi, 09.05.’17 http://www.radiookapi.net/2017/05/09/actualite/politique/urgent-rdc-publication-du-gouvernement-bruno-tshibala; Politico.cd, 09.05.’17 http://www.politico.cd/actualite/la-une/2017/05/09/gouvernement-tshibala-majorite-garde-part-lion.html; Will Cleas Nlemvo – Actualité.cd, 09.05.’17; RFI, 09.05.’17; Stanys Bujakera – Actualité.cd, 09.05.’17; Zabulon Kafubu – Actualité.cd, 09.05.’17 http://7sur7.cd/new/2017/05/voici-la-liste-de-ministres-sortis-du-gouvernement-tshibala/
[5] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 11.05.’17
[6] Cf Radio Okapi, 10.05.’17
[7] Cf RFI, 09.05.’17
[8] Cf Radio Okapi, 10.05.’17
[9] Cf Radio Okapi, 10.05.’17
[10] Cf Radio Okapi, 10.05.’17
[11] Cf Stanys Bujakera, Patrick Maki et Will Cleas Nlemvo – Actualité.cd, 16.05.’17
[12] Cf Radio Okapi, 16.05.’17
[13] Cf Actualité.cd, 16.05.’17 https://actualite.cd/2017/05/16/voici-grands-axes-programme-de-gouvernement-detshibala/ ; Politico.cd, 15.05.’17 http://www.politico.cd/actualite/la-une/2017/05/15/programme-de-gouvernement-premier-ministre-bruno-tshibala.html
[14] Cf Will Cleas Nlemvo – Actualité.cd, 13.05.’17
[15] Cf Actualité.cd, 14.05.’17
[16] Cf Christophe Rigaud – Africarabia, 14.05.’17