Congo Actualité n. 273

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: VIOLENCE D’ÉTAT ET NON VIOLENCE POPULAIRE

  1. VERS LES ÉLECTIONS DES GOUVERNEURS PROVISOIRES DES NOUVELLES PROVINCES
  2. LES VIOLATIONS DU DROIT A LA LIBERTE D’EXPRESSION ET DE MANIFESTATION
    1. Contre l’opposition
    2. Contre la Lucha

 

ÉDITORIAL: VIOLENCE D’ÉTAT ET NON VIOLENCE POPULAIRE

 

 

1. VERS LES ÉLECTIONS DES GOUVERNEURS PROVISOIRES DES NOUVELLES PROVINCES

Le 11 mars, la commission électorale nationale indépendante (Ceni) a publié la liste définitive des soixante six candidats à l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs des 21 nouvelles provinces. Ce scrutin est prévu le 26 mars. La publication de cette liste est intervenue au lendemain de la fin de traitement des recours dans les différents Cours d’Appel. Selon le rapporteur de la Ceni, Jean Pierre Kalamba, des 41 recours déposés dans les cours d’appel, 10 requêtes ont été jugés recevables et fondés, 18 recevables mais non fondés, 10 irrecevables et 3 cas de désistement. Le nombre de dossiers des candidatures varie entre un et sept dans les différentes provinces. La province de la Mongala vient en tête avec 7 candidats, suivi du Haut Katanga 6, Nord Ubangi et le Kwilu 5 candidats, Ituri, kwango, Sud Ubangi et la tshopo 4 candidats chacune. Les provinces de l’Equateur, Haut-lomami, Mai-Ndombe et la Tshuapa alignent 3 candidats. Tandis que le Kasaï, le Kasaï-Oriental, le Haut-Uélé, le Lualaba, et le Tanganyika ont aligné deux candidats. La province de Lomami et du Kasaï-central n’alignent que des candidatures uniques. La Ceni dans sa publication provisoire avait retenu 76 candidatures. Après le traitement des recours par les cours d’appel, dix dossiers ont été recalés.[1]

L’opposition dénonce une «manipulation des institutions» par la majorité présidentielle (MP) pour exclure certains candidats et notamment d’anciens membres de la majorité passés dans l’opposition. Dans le viseur de la majorité : les candidats du G7, ces anciens frondeurs de la majorité aujourd’hui rangés derrière Gabriel Kyungu et surtout Moïse Katumbi, probable candidat à la prochaine présidentielle. Sur les 41 recours déposés devant la justice congolaise, 10 ont été jugés « recevables et fondés », les autres n’ont pas obtenu gain de cause. Avec si peu de candidats, la majorité part avec une longueur d’avance dans ce scrutin. D’autant plus que bien 18 commissaires spéciaux, parmi les 21 nommés par Kinshasa pour administrer les nouvelles provinces, se retrouvent parmi les candidats au poste de gouverneur qu’ils occupent de facto depuis fin octobre 2015.

«La majorité des candidats considérés comme pro-Katumbi et pro-G7 ont été invalidés soit par la CENI ou la cour d’appel. Tout a été fait pour assurer la victoire des candidats de la majorité. On assiste ici à une sorte de mascarade», explique Michael Tshibangu, analyste politique et président de l’Association pour le développement et la démocratie au Congo ( ADDC) basée au Royaume-Uni, en ajoutant: «C’est une stratégie pour garder le pouvoir à tous les niveaux y compris la présidence. La majorité veut occuper tout le terrain et ne laisser aucune place à l’opposition. Le pouvoir utilise des méthodes peu orthodoxes pour atteindre son objectif, en recourant à la manière forte: faire taire l’opposition, criminaliser tout engagement pour la société civile, interdire la liberté d’expression et d’opinion, ainsi que les recours abusifs au système judiciaire pour museler l’opposition et les médias. Cela démontre que la majorité est déterminée à garder le pouvoir à tout prix».[2]

La Majorité Présidentielle (MP) se félicite de voir notamment les candidatures de tous ses membres proposés validés par la Ceni. De son côté, l’opposition redoute un «retour du parti-Etat en RDC». Le porte-parole de la Majorité Présidentielle (MP), André-Alain Atundu, parle d’une victoire préliminaire de sa formation politique: «Maintenant que nous venons de gagner la bataille préliminaire en terminant en pole position, nous nous préparons à confirmer ce leadership en raflant la mise de vingt-et-une provinces, si possible». Il félicite les autorités de la MP, qui ont présenté des «dossiers complets des gouvernables» et surtout félicité le «professionnalisme des avocats, qui ont réussi à convaincre les juges des cours d’appel sur la conformité de nos candidatures par rapport à la loi».

Pour sa part, le Groupe des 7 (G7) voit dans la publication de cette liste définitive un «retour du parti-Etat en RDC». Hubert Tethika, communicateur du G7 et porte-parole de l’Arc, déclare: «Je note que la Majorité présidentielle n’a pas du tout respecté le caractère indépendant de certaines candidatures. C’est extrêmement grave! Il y a donc lieu de craindre pour toutes les élections à venir, car ne peuvent y participer que ceux qui seront membres de la MP. Les Congolais doivent donc savoir qu’on est passé du MPR-parti Etat à la MP-parti Etat». Il estime que le fait que la plupart des cours d’appel aient invalidé les candidats indépendants pourtant retenus sur la liste provisoire de la Ceni, «suite à une requête introduite par la Majorité présidentielle», dénote l’inféodation de cette justice au pouvoir en place et un recule la démocratie.

D’autre part, la Dynamique de l’Opposition estime que l’élection des gouverneurs telle qu’organisée par la Ceni dans les nouvelles provinces, constitue la consécration de l’anarchie, d’autant plus que la base qui devrait élire ces gouverneurs est illégale et illégitime. Selon Joseph Olenghankoy, le modérateur de la Dynamique de l’opposition, cette plateforme politique ne se sent pas concernée par le scrutin prévu le 26 mars: «Nous laissons les morts enterrer leurs morts».[3]

Le 12 mars, lors des élections des bureaux des assemblées des députés des vingt-et-une nouvelles provinces, la Majorité présidentielle (MP) a remporté la présidence de dix-sept Assemblées provinciales, soit 80%. L’opposition, avec le Mouvement de libération du Congo (MLC), n’a gagné que la présidence de trois Assemblées provinciales (le Nord-Ubangi, la Mongala et la Tshuapa) et la présidence d’une seule Assemblée (l’Equateur) est enlevée par un candidat indépendant. Ces institutions vont organiser l’élection des gouverneurs, prévue le 26 mars prochain.[4]

A la suite des élections organisées le12 mars, les bureaux des Assemblées provinciales de Tanganyika, Haut-Lomami, Lualaba et Haut-Katanga (quatre provinces issues du Katanga) seront dirigés par des membres de la Majorité présidentielle. Gabriel Kyungu wa Kumwanza affirme que l’élection de ces bureaux définitifs des Assemblées provinciales de l’ex-Katanga a été marquée par des cas de corruptions et d’intimidations des députés provinciaux.[5]

2. LES VIOLATIONS DU DROIT A LA LIBERTE D’EXPRESSION ET DE MANIFESTATION

a. Contre l’opposition

Le 26 février, quatre magistrats du ministère public, Cécile Kiala, procureure générale près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe et son substitut ainsi que du procureur général près la Cour d’appel de Lubumbashi et son substitut, ont comparu devant la Cour suprême de justice. Ils ont été traduits en justice pour dol (ou une faute intentionnelle), par le président du parti d’opposition politique Scode, Jean-Claude Muyambo, qui est toujours en détention préventive à Kinshasa pour stellionat mais qui les accuse de le maintenir en détention, alors que son «dossier est vide». L’avocat de M. Muyambo, Baupol Mupemba, dénonce le comportement répréhensible de ces magistrats: «Jusqu’à ce jour, au dossier de Claude Muyambo, il n’y a aucune preuve qui puisse démontrer qu’il a été auteur direct ou indirect de la commission des infractions lui imputées. Alors, nous avons fustigé le mauvais comportement des magistrats, qui, malgré qu’ils ont vu qu’il n’y a pas d’éléments qui condamnent le bâtonnier Muyambo, l’ont quand même détenu en prison jusqu’à ce jour».

Pour l’avocat des magistrats pris à partie, Willy Wenga, il n’existe pas de dol et il a donc plaidé pour l’irrecevabilité de la requête de Muyambo, qu’il a qualifiée d’ »infondée quant au contenu et à la forme ». L’arrêt de la Cour suprême de justice sera rendu après avis du Procureur général de la République. Jean-Claude Muyambo avait été arrêté le 20 janvier 2015, lors des manifestations contre la réforme de la loi électorale et mis en détention à la prison centrale de Makala à Kinshasa, après avoir été accusé de stellionat, manœuvre frauduleuse consistant à vendre un bien dont on sait ne pas être propriétaire.[6]

Le 2 mars, l’activiste des droits humains Christopher Ngoyi Mutamba a été ramené à la prison de Makala, après avoir été hospitalisé le 8 février dernier suite à un malaise en détention. Après un mois de traitement et plusieurs transfusions sanguines, les médecins ont décidé de le renvoyer en prison, au grand dam de sa famille et de ses avocats. D’abord parce qu’ils ont demandé au prisonnier de payer la facture de ses soins alors que légalement, c’est à l’Etat congolais de les prendre en charge et ensuite parce qu’ils auraient refusé de partager avec lui son propre dossier médical. Christopher Ngoyi avait été arrêté, il y a un an, lors des manifestations contre la réforme de la loi électorale. Il est accusé d’incendie volontaire, de pillages et d’incitation à la haine raciale.[7]

Le 8 mars, l’ancien gouverneur de l’ex-province du Katanga, Moïse Katumbi, a déploré le comportement de la police qui, d’après lui, a encerclé la Basilique Sainte Marie de la commune de la Kenya à Lubumbashi. Il était dans l’église en train de prier avec d’autres membres de la plate-forme G7 à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la femme. Moïse Katumbi ajoute que la police a lancé des gaz lacrymogène à la foule qui le suivait après la messe. Pour lui, cet acte témoigne de « l’insécurité totale ». «Nous ne pouvons pas tolérer des choses comme ça», a poursuivi l’ancien gouverneur de l’ex-Katanga, appelant le Gouvernement à prendre ses responsabilités.[8]

Le 8 mars, dans un communiqué publié à Kinshasa, l’Union Européenne (UE) a indiqué que «en cette période préélectorale, le respect des droits de l’homme et des libertés civiles est crucial afin de permettre des élections transparentes, apaisées et crédibles» en RDC. Alors que le président Kabila a convoqué un dialogue national depuis fin novembre, dialogue qui tarde à venir, la diplomatie européenne insiste: «L’appel au dialogue politique doit nécessairement aller de pair avec le droit de tous de s’exprimer librement». Selon le communiqué, «l’Union européenne est préoccupée par les rapports faisant état d’actes de harcèlements et d’intimidations en nombre croissant visant des responsables politiques, des membres de la société civile et des médias». À cet égard, l’UE estime que la tâche de la Monusco de constater et de dénoncer les violations des droits de l’homme est «fondamentale».[9]

Le 10 mars, le président du Parti kabiliste (PK), Mwenze Kongolo, a dénoncé « l’oppression » dont font l’objet des leaders de l’opposition dans l’ex-Katanga. Après une tournée effectuée dans le Haut-Katanga, l’ancien ministre de la Justice de Laurent Désiré Kabila a estimé que le climat politique dans cette province est « délétère ». «Aujourd’hui c’est Moïse Katumbi dont les enfants sont mis en garde à vue à l’aéroport, empêchés de pouvoir sortir et aller au village. Les militants de Kyungu ont été emprisonnés pour avoir manifesté. Et, c’est aussi le G7 qui a été encerclé lors d’une messe organisée à l’occasion de la journée de la femme. Tout cela crée un climat d’oppression», a déploré Mwenze Kongolo.[10]

Le 11 mars, le président ad intérim de l’Action pour la démocratie et le développement du Congo, Prince Epenge, a déclaré que «Pierre-Jacques Chalupa est très malade, mais il ne peut pas voyager à l’étranger pour des soins appropriés, car son passeport a été confisqué par les autorités congolaises». Prince Epenge lance donc un appel aux autorités congolaises pour qu’elles puissent restituer le passeport de Pierre-Jacques Chalupa, pour lui permettre de voyager à l’étranger, afin d’accéder aux soins appropriés tels que recommandés par ses médecins. L’opposant Chalupa, 67 ans, avait été arrêté le 2 février 2012 puis libéré en 2013, après 19 mois d’emprisonnement. Il avait été poursuivi pour détention d’une fausse attestation d’acquisition de la nationalité congolaise, d’une fausse carte d’électeur et d’un faux passeport congolais.[11]

Le 11 mars, à l’aéroport de Kalemie, des militants de l’Unadef (Union nationale des démocrates fédéralistes), membre du G7, une plateforme de sept partis passés à l’opposition – qui attendaient le député national Christian Mwando, candidat gouverneur de la nouvelle province du Tanganyika, ont été violemment pris à partie par des individus présents au moment de l’atterrissage de l’avion du député Christian Mwando. Certains témoins racontent que les forces de l’ordre se sont chargées d’évacuer le député Christian Mwando jusqu’à son domicile, en ville, à plus de 7 kilomètres de l’aéroport. Le député a été empêché d’aller à la rencontre de la foule de sympathisants massée devant sa résidence. Les autorités sur place reconnaissent avoir positionné des policiers sur les lieux. Ces témoins dénoncent l’existence d’une milice privée et armée aux ordres du commissaire spécial adjoint, une milice qui serait chargée de réprimer les droits politiques de l’opposition. Rien que des spéculations, rétorque le commissaire spécial adjoint du Tanganyika.[12]

De sa part, Christian Mwando a dénoncé le mauvais traitement dont il a été victime de la part «des éléments de la Police et de la Garde républicaine». Lors d’un point de presse en sa résidence à Kalemie, le coordonnateur interfédéral de l’Union nationale des démocrates fédéralistes (Unadef) dans l’ex-Katanga, Christian Mwando, a déclaré: «Même mon véhicule qui devait venir me chercher n’a pas eu accès à l’aéroport. Donc, j’ai dû profiter du véhicule d’un député qui était à l’aéroport pour arriver en ville». Arrivé au centre-ville de Kalemie, Christian Mwando a voulu aller saluer certains de ses partisans qui l’attendaient au siège de son parti politique, membre de la plate-forme G7. «Malheureusement, arrivé au niveau de ma résidence, la police m’a refusé de pouvoir continuer jusqu’au centre de Kalemie. Et j’ai dû aller à pied. Au niveau du pont Lukuga, nous avons vu arriver la police et la Garde présidentielle, qui ont brutalisé les personnes avec qui j’étais et qui m’accompagnaient», a indiqué Christian Mwando. De sa part, le commissaire divisionnaire de la PNC/Tanganyika, le général Jean Yav Mukaya, a indiqué que «la police était là pour sécuriser le candidat et non pour l’agresser».[13]

b. Contre la Lucha

Le 10 mars, le tribunal de grande instance de Goma a condamné deux jeunes militants du mouvement pro-démocratie Lutte pour le changement (Lucha), à trois mois de servitude pénale et au paiement de 100.000 francs congolais (près de 110 dollars américains) d’amende. Il s’agit de Juvin Kombi et Pascal Byumanine, arrêtés avec 7 autres personnes, le 28 novembre 2015, lors d’une manifestation dénonçant une vague de tueries de civils par des miliciens armés dans le territoire de Beni, au nord du Nord-Kivu. Tous les deux ont été condamnés pour « incitation à la révolte » et ont été libérés, après le paiement d’une amende de 100.000 francs congolais par personne (une centaine de dollars américains, somme élevée pour le commun des Congolais) compte tenu de leur temps passé en détention préventive. Les sept autres personnes, sans affiliation connue mais poursuivies dans la même affaire, ont été relaxées et libérées à l’issue du procès.

A l’issue du procès, la défense a fait part de son intention d’aller en appel. Me Jean-Paul Lumbulumbu, avocat de la défense, a dénoncé ce qu’il qualifie d’acharnement des autorités politiques sur les activistes de la Lucha: «Nous ne sommes pas satisfaits, car on ne peut pas comprendre que, dans un groupe de neuf personnes arrêtées dans les même circonstances et poursuivies pour les mêmes chefs d’infraction, sept d’entre elles soient acquittées et que seulement ceux de la Lucha sont sanctionnés par un emprisonnement de trois mois. Nous pensons qu’il y a une sorte d’acharnement des autorités politique sur les jeunes de la Lucha».[14]

Le 15 mars, Human Rigths Watch (HWR) appelle le gouvernement congolais à libérer immédiatement et sans condition Fred Bauma et Yves Makwambala, deux activistes pro-démocratie arrêtés le 15 mars 2015 à Kinshasa. Bauma et Makwambala, âgés tous deux d’une vingtaine d’années, sont poursuivis par la justice congolaise pour complot contre le président Joseph Kabila. Ils avaient été arrêtés lors d’une rencontre sur la bonne gouvernance en Afrique. Cette rencontre avait été présentée par les autorités comme une réunion « terroriste », un qualificatif réfuté depuis par une commission parlementaire. Bauma est un des principaux animateurs de la Lutte pour le changement (Lucha), mouvement basé à Goma (est de la RDC) et adhérant à Filimbi, et Makwambala, est le webmaître et graphiste de Filimbi, un autre mouvement citoyen pro-démocratie.

Dans un communiqué, Human Rigths Watch indique que les deux activistes ont été arrêtés dans «un contexte de répression gouvernementale à l’égard des opposants et jeunes activistes de la démocratie». Selon cette organisation, les autorités congolaises ont procédé à de fausses accusations dans le cadre d’une campagne politique visant à faire taire toute voix dissidente. «La détention prolongée de Fred Bauma et Yves Makwambala, un an après leur arrestation, est un rappel inquiétant de la volonté des autorités congolaises de faire taire la contestation pacifique», souligne HRW dans le même communiqué. L’appel de HWR est publié la veille de l’arrêt de la Cour suprême de justice (CSJ) qui doit se prononcer sur la libération conditionnelle réclamée par Fred Bauma et Yves Makwambala.

Selon le bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme, il s’agit «d’un exemple clair de criminalisation de la société civile incompatible avec une société démocratique». Dans son côté, le gouvernement congolais a régulièrement dénoncé une ingérence de la communauté internationale nuisible à l’indépendance de la justice congolaise.

Dans la nuit du 14 au 15 mars, une année après leur arrestation, Fred Bauma et Yves Makwambala ont entamé une grève de faim. Dans un communiqué publié sur son site Internet, Lucha indique que cette grève de la faim a deux objectifs: obtenir la libération des prisonniers d’opinions et la garantie d’un espace public d’expression libre.

Le 15 mars, une année après l’arrestation de Fred Bauma et Yves Makwambala, le mouvement Lucha a organisé une marche pacifique sur le boulevard Kanyamuhanga à Goma (Nord-Kivu) pour demander leur libération. La manifestation a été dispersée par la police nationale.

La Cour suprême de justice (CSJ) devrait rendre son verdict quant à la demande de remise en liberté provisoire de Fred Bauma et Yves Makwambala le 16 mars.[15]

Le 15 mars, dix-neuf militants de la Lutte pour le Changement (Lucha) ont été arrêtés à Goma, lors d’une marche pacifique réclamant la « libération » de deux autres militants arrêtés en mars 2015 et détenus à Kinshasa. Selon Lucha et des témoins, les manifestants avaient les mains liées devant et les bouches bandées. «Dix-neuf membre de la Lucha sur 47 qui ont pris part à la marche silencieuse de commémoration de 365 jours de détention illégale de Fred Bauma et Yves Makwambala ont été arrêtés brutalement par la police», a déclaré Trésor Akili, un des militant du mouvement Lucha, organisatrice de la manifestation. M. Akili a dénoncé « ces arrestations illégales » des 19 militants de la Lucha à qui la police reproche, selon lui, « d’être un mouvement terroriste qui perturbe l’ordre public ».

Les militants assurent avoir agi en toute légalité, après avoir informé les autorités de l’événement. Une version contestée par le commissaire de Goma Vital Awachango. «Ils troublaient l’ordre public. Conformément au communiqué officiel de l’autorité urbaine du 3 décembre, il n’y a aucun mouvement Lucha reconnu dans le ressort de Goma», explique-t-il. Un communiqué émanant de la mairie de Goma avait en effet interdit en décembre dernier les activités de Lucha, qu’il qualifiait de «mouvement sans fondement juridique».

Après ces arrestations, le directeur du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH), José Maria Aranaz s’est dit préoccupé par cette restriction des libertés d’expression.[16]

Le 16 mars, les dix-neuf militants de la Lucha, toujours en détention, ont été transférés au Parquet de grande instance de Goma. Leur avocat, Me Jean-Paul Lumbulumbu, a demandé leur libération immédiate, car ils avaient le droit d’organiser cette manifestation pacifique. «Ils ont été arrêtés. Ils étaient en train de manifester pacifiquement, les mains liées, la bouche bandée», s’est plaint Me Jean-Paul Lumbulumbu, indiquant ne pas connaître d’infraction qui puisse être commise dans ces conditions. Il a écarté l’idée d’une libération provisoire et a dit attendre la libération pure et simple de ses clients, pour n’avoir commis aucune infraction.[17]

Le 17 mars, la Cour suprême de justice a refusé la liberté provisoire sollicitée par Fred Bauma et Yves Makwambala.[18]

Lucha a fait savoir qu’elle ne paierait pas l’amende transactionnelle de 100 000 francs congolais (108 dollars américains) demandée par le Parquet de grande instance de Goma pour chacun de ses 19 membres interpellés le 15 mars, alors qu’ils manifestaient pacifiquement. L’amende transactionnelle est une disposition prévue par la loi pour éviter une procédure judiciaire qui aboutirait devant les cours et tribunaux en réglant l’affaire devant la police ou le parquet, moyennant une somme d’argent. La Lucha refuse de payer cette amende pour ses militants, estimant que ce paiement signifierait une reconnaissance de l’infraction commise par ses 19 membres. Par contre, elle exige la libération de ces jeunes. «Nous réclamons la liberté. S’ils estiment que nous sommes coupables, qu’ils nous envoient en prison. Nous sommes prêts», souligne Gracia Kabera, l’une des membres de Lucha.[19]

Le 19 mars, les dix-neuf membres de Lucha ont été libérés, après quatre jours de détention au cachot du parquet. L’avocat de Lucha, Me Jean-Paul Lumbumbu est d’avis que le maintien de Fred Bauma et Yves Makwambala en prison à Kinshasa, est une preuve éloquente de l’acharnement du gouvernement sur les militants pro démocratie et sur toutes personnes qui ne partagent pas son point de vue. Il a par ailleurs a affirmé que des amendes transactionnelles ont été payées pour les militants de Lucha, quand bien même leurs dossiers étaient vides. «Nous avons payé chacun une amande de 30.000 francs congolais (32 dollars américains)», a déclaré Antoine Wasingia, un des militants relâchés. Et d’ajouter: «Nous n’avions pas l’intention de payer cette caution parce que nous sommes conscients que nous n’avons pas commis d’infraction. Ce sont nos familles qui ont eu peur pour notre vie et ont payé pour notre libération».[20]

Une militante a écrit une lettre ouverte à Fred Bauma pour ses 366 jours en prison «Mon cher ami,

Comment tu vas? Comment étaient tes jours quand tu étais détenu en secrets à agence nationale de renseignement ? Comment tu distribues ton temps sur tes journées et tes nuits en prison? Il y a certainement des détenus violents, comment tu te défends, comment tu te protèges ? J’ai tellement des questions à te poser. On aura des longues conversations quand tu vas être hors des prisons.

La petite phrase que tu m’as envoyée de ta cellule de Makala m’est enfin parvenue. « Si vous ne pouvez plus marcher, rampez. Mais à tout prix continuer d’avancer!!». Nous avançons, certains dans les prisons et d’autres hors des prisons.

Je n’imaginais pas que des actes loyales pouvaient conduire à la prison, alors que des chefs des groupes armés qui ont tué et qui tuent nos pères, nos mères, nos frères et nos sœurs sont toujours récompensés par des postes politiques et des grades militaires. Des militaires affairistes, des politiciens détourneurs des fonds publics circulent librement.

Je n’imaginais pas que tu serais emprisonné et accusé des si grandes choses et que tu aurais risqué la plus grande sentence. Tu ne sais pas mesurer l’angoisse que j’avais eu en écoutant les charges montées contre toi en une grosse pièce mensongère. C’est incroyable qu’un état, notre état soit devenu si oppresseur envers nous, sa propre jeunesse.

Maintenant une longue année vient de se boucler. On ne rêve que de ta libération. C’est trop petit comme rêve, mais je suis condamnée à cela. Nos rêves étaient splendides ! L’écologie, la santé, l’entrepreneuriat, le changement du système, je n’y pense plus comme avant. Avec toi en prison, on ne rêve que de ta libération. On rêve petit pour être réaliste. Nous exigeons inlassablement ta libération pure et simple. Ça n’aurait pas dû se passer comme ça, ils n’auraient pas dû t’enlever, ils n’auraient pas dû t’emprisonner. Tout était faux dès le départ. C’est dur de lutter pour la libération, quand les accusations sont fausses dès le départ.

Mon cher ami,

Ton sacrifice bien qu’il te l’impose a beaucoup de significations. Ton emprisonnement a donné un sens profond à notre histoire. Il dévoile l’animosité de la classe dirigeante actuelle. Tu es le témoignage vivant de la dictature qui était caché sous des institutions aux façades démocratiques. Ceux qui animent les institutions n’avaient pas compris que la génération du président-à-vie a vieilli et que nous sommes maintenant en République DEMOCRATIQUE du Congo. Que la démocratie est la règle. La constitution est le guide. Maintenant que les mandats électoraux sont en train de s’épuiser, ils n’ont pas honte de vouloir changer les règles du jeu pour se maintenir au pouvoir. Tu portes les souffrances de cette douloureuse transition de la dictature à la démocratie.

Ton emprisonnement a mis en lumière le rôle des services de sécurité et ceux des renseignements congolais qui ne se mobilisent que lorsqu’ils soupçonnent que les intérêts des certaines personnes sont en danger.

Pour nous, les conséquences sont lourdes: Trésor Akili, Gentil Mulume, Sylvain Kambere et Vincent Kasereka ont fait plusieurs mois en prison. Ils ont été condamnés à des peines de 6 mois avec sursis pour avoir mobilisé les personnes à siffler en soutien à toi et pour la cause de la démocratie. Ensuite l’emprisonnement ignoble de Juvin Kombi et Pascal Byumanine et leurs 7 compagnons pour avoir participé aux cérémonies de deuil des massacrés de Beni et leurs condamnations injuste. Serge Sivyavuha, Justin Kambale, Ghislain Muhiwa, Mike Kamundu et John Assyenda et Rebecca Kavugho sont en train de subir la prison et des condamnations injustes. Et Bienvenu Matumo et Thierry Kapitene ont été enlevés et t’ont rejoint à Makala sans n’avoir rien organisé, ni rien dit, rien fait de mal.

Mon cher ami, tu dois savoir que devant mes yeux, tu es un homme libre même en prison. Et promets-moi que même là tu lutteras au moins pour ta survie. La lutte semble dure et longue. Prends toujours soin de toi. Lutte au moins pour ne pas mourir. N’acceptes pas de mourir ni physiquement, ni intellectuellement, ni moralement.

Avant de finir, laisse-moi te raconter une joie: Fred, nous sommes le peuple que nous rêvons, nous sommes des jeunes qui construisons, à mains nues, l’avenir de notre pays, au prix de notre sang. Nous sommes en train de bâtir douloureusement et dignement le pays de notre rêve.

La voie que nous avons choisi, celle de la non-violence, des respects de la dignité de la personne, celle de la responsabilité et de l’indépendance, de l’amour, de l’éducation à la citoyenneté responsable est la plus longue mais elle est la plus efficace. On y arrivera… La fierté de notre peuple, un jour elle sera noblement retrouvée. J’en suis maintenant sure car nous existons, car tu le prouves en bravant la plus grande peur, celle de la mort.

Bon, il faut du Courage pour poursuivre la lutte et pour survivre, soit donc courageux et exprimes-le comme tu le penses. Tu as le soutien de beaucoup des personnes qui sont fatiguées des injustices.

A bientôt!

Micheline Mwendike».[21]

[1] Cf Radio Okapi, 11.03.’16   http://www.radiookapi.net/sites/default/files/2016-03/liste_candidats_gouverneurs.pdf

[2] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 13.03.’16

[3] Cf Radio Okapi, 12.03.’16

[4] Cf Radio Okapi, 13.03.’16 ; Forum des As – Kinshasa, 14.03.’16 http://www.forumdesas.org/spip.php?article6952

[5] Cf Radio Okapi, 15.03.’16

[6] Cf Radio Okapi, 27.02.’16

[7] Cf RFI, 03.03.’16

[8] Cf Radio Okapi, 08.03.’16

[9] Cf Radio Okapi, 09.03.’16; RFI, 09.03.’16

[10] Cf Radio Okapi, 10.03.’16

[11] Cf Radio Okapi, 12.03.’16

[12] Cf RFI, 13.03.’16

[13] Cf Radio Okapi, 12.03.’16

[14] Cf Radio Okapi, 11.03.’16; AFP – Africatime, 11.03.’16

[15] Cf Radio Okapi, 15.03.’16; AFP – Africatime, 15.03.’16; Mathieu Olivier – Jeune Afrique, 15.03.’16; RFI, 15.03.’16

[16] Cf AFP – Africatime, 16.03.’16; RFI, 15.03.’16 ; Radio Okapi, 16.03.’16

[17] Cf Radio Okapi, 16.03.’16

[18] Cf RFI, 18.03.’16

[19] Cf Radio Okapi, 19.03.’16

[20] Cf Radio Okapi, 19.03.’16

[21] Cf congoforum, 14.03.’16

http://www.congoforum.be/fr/nieuwsdetail.asp?subitem=41&newsid=204030&Actualiteit=selected