LA RUÉE VERS L’OR À SHABUNDA
Coalition de la Société Civile de la Région des Grands Lacs contre l’exploitation illégale des ressources naturelles – Août 2015[1]
SOMMAIRE:
- INTRODUCTION
- L’EXPLOITATION AURIFÈRE SUR LES RIVIÈRES DU TERRITOIRE DE SHABUNDA
2.1 Les dragues suceuses artisanales
Equipement
Production
2.2 Dragues flottantes à chaîne à godets
Equipement
Production
2.3 Production totale des dragues à Shabunda et réserves géologiques estimées
Production totale
Réserves géologiques estimées
- L’EXPLOITATION PAR DRAGUE, UNE LACUNE RÈGLEMENTAIRE
La question du type d’exploitation et des titres miniers
De la validation et la qualification des sites miniers
De la suspension de l’activité minière sur la rivière Ulindi
- LES PRÉLÈVEMENTS ILLÉGAUX
Des services étatiques
Des Raïa Mutomboki
L’implication des FARDC
- L’ENTREPRISE CHINOISE KUNHOU MINING GROUP
Les relations avec les autorités congolaises
Les relations avec les Raia Mutomboki
- RECOMMANDATIONS
- ANNEXE (photos)
1. INTRODUCTION
Le territoire de Shabunda est traversé par trois grands cours d’eau qui se dirigent de l’Est à l’Ouest, notamment la rivière Lugulu au Nord, la rivière Ulindi au centre et la rivière Elila au Sud. Le chef-lieu du territoire se situe dans un des méandres de la rivière Ulindi. Depuis environ une année et demie, les lits de la rivière Lugulu et de la rivière Ulindi subissent une forte activité minière qui vise à exploiter leurs sédiments alluviaux riches en or.
2. L’EXPLOITATION AURIFÈRE SUR LES RIVIÈRES DU TERRITOIRE DE SHABUNDA
L’exploitation des sédiments des lits des rivières Ulindi et Lugulu se fait par des dragues.
La grande majorité des dragues qui œuvrent au territoire de Shabunda se trouvent sur la rivière Ulindi. Deux types de dragues y sont en opération, les dragues suceuses de type artisanal et les dragues à chaîne à godets, de type industriel.
2.1 Les dragues suceuses artisanales
Equipement
Les dragues suceuses (voir photo 1 en annexe) sont principalement des radeaux portant un équipement qui permet de sucer les sédiments alluviaux par un tuyau. Sur la drague, les sédiments passent ensuite une première classification par gravité, avant de se faire transporter sur les bords de la rivière où se déroulent les prochaines étapes du traitement du minerai pour enfin récupérer l’or.
Chaque équipe qui opère une drague est composée jusqu’à une trentaine de personnes, œuvrant les uns sur la drague et les autres sur les bords de la rivière. Le plongeur est l’opérateur clé qui descend avec un tuyau d’environ 30 mètres dans l’eau et qui enfonce la pointe métallique de ce dernier dans le gravier du lit de la rivière.
L’épaisseur de la couche exploitée varie entre 0,5 et 3 m. dépendant de la géologie du lit de la rivière et de la faisabilité technique. Pour une épaisseur de 3 m. de gravier, une drague reste jusqu’à un mois sur le même accostage. Moyennant le tuyau, les sédiments sont aspirés par une pompe de 6 pouces et se font remonter à la surface de l’eau. Le tuyau déverse les sédiments sur un sluice vêtu de tapis qui classe les sédiments par gravité et retient l’or fin. Après un temps de deux heures (appelée une rotation), le tapis se fait démonter du sluice et il est transporté à la rive de la rivière. Au bord de la rivière, les tapis sont nettoyés et les particules fines sont amalgamées par l’équipe de lavage. Pour cette amalgamation, des quantités importantes de mercure estimées à 1 à 2 kg par semaine et par drague sont utilisés. L’amalgame se fait brûler et l’or pur est récupéré.
Ce type de drague suceuse est fabriqué en RDCongo, majoritairement à partir de composantes de provenance chinoise. A ces jours, la grande majorité des dragues dans le territoire de Shabunda proviennent de la Province Orientale et de sa capitale Kisangani. Dans cette province, l’exploitation par drague est pratiquée depuis une décennie et d’après les témoignages d’orpailleurs, ces derniers ont rejoint la rivière Ulindi à cause d’une baisse de production sur les rivières de la Province Orientale. Certaines dragues sont aussi fabriquées sur place à Shabunda Centre et leur coût de
fabrication s’élève à environ 25.000 $ US.
De même que les dragues, aussi les équipes d’exploitants artisanaux proviennent en majorité de la Province Orientale, d’autres arrivent depuis les Kasaïs, le Bas Congo et le Bandundu. En ce moment, les autochtones de Shabunda ne sont pas beaucoup représentés dans les équipes de production. Malgré cela, une partie importante de la population de Shabunda Centre gagne sa vie dans le commerce des équipements pour l’exploitation par dragues et dans les nombreux lieux de restauration créés pour satisfaire les besoins des exploitants artisanaux.
Production
La Fédération Nationale des Comités des Exploitants Artisanaux de Diamant, Or et autres Minerais (FENACED), qui regroupe les tenanciers de dragues, rapporte que 175 dragues suceuses de fabrication locale opèrent sur le territoire de Shabunda. Parmi elles, 171 opèrent sur la rivière Ulindi et 4 sur la rivière Lugulu. Ces dragues suceuses traitent entre 20 et 35 tonnes de gravier par une rotation de deux heures. Après les étapes de lavage et d’amalgamation, les équipes récupèrent entre 25 à 40 g d’or par rotation moyennement.
Malgré que certains exploitants rapportent que les dragues travaillent tous les jours, 24h sur 24h, les dragues font d’habitude six rotations par jour, donc elles travaillent pendant 12 heures de temps. De plus, à cause de fautes de fabrication ou de la mauvaise qualité de l’équipement, les dragues artisanales ont beaucoup de pannes. Les auteurs de cette étude estiment qu’une drague est opérationnelle durant 21 jours par mois.
La FENACED estime la production journalière moyenne d’une drague sur l’Ulindi à 150 g par jour, et souligne qu’elle peut passer jusqu’à 250 g par jour. En faisant des calculs conservateurs avec une production aurifère de 150 g par jour et par drague et 21 jours opérationnels, les 175 dragues artisanales à Shabunda produisent 550 kg d’or par mois.
En ce qui concerne la commercialisation de la production aurifère des dragues suceuses, l’or prend des chemins différents. Vu la provenance de la majorité des exploitants artisanaux et leurs réseaux professionnels établis durant plus d’une décennie, une partie importante de la production aurifère de Shabunda quitte par la voie fluviale pour Kisangani, la capitale de la Province Orientale. Une autre partie est acheté par les négociants «Bashi», originaires de Bukavu, qui proposent l’achat d’or dans de nombreuses boutiques à Shabunda Centre. Ces négociants ont des liens de préfinancement étroits avec les comptoirs d’or installés à Bukavu. Par suite, la majorité de l’or acheté par les négociants à Shabunda Centre quitte le territoire avec des avions porteurs, en direction de Bukavu.
Au mois de mars 2015, les négociants achetaient un «gramme» d’or autour de 38.000 FC (42,2 $) à Shabunda Centre. Il faut souligner que le «gramme» que propose le négociant moyennant une balance à main et des anciennes pièces de monnaie comme contrepoids, correspond en réalité à une masse entre 1,3 et 1,45 g. Le prix réel d’achat était donc entre 29 et 33 $US /g, ce qui correspond à 75 – 85 % du fixing international du London Bullion Market Association (LBMA) d’environ 1.200 $US /oz au mois de mars 2015.
2.2 Dragues flottantes à chaîne à godets
Equipement
Un deuxième type de dragues œuvrant sur la rivière Ulindi est la drague industrielle à chaîne à godets (voir photo 2 en annexe). Il s’agit d’équipements de fabrication chinoise montés sur une plateforme flottante d’une longueur d’environ 25 mètres.
Une soixantaine de godets en fer d’un volume d’environ 0,15 m³ sont montés sur une chaîne, espacés d’un mètre. La chaîne est fixée sur une tour de 5 mètres de haut, inclinée à environ 45 dégrées, et tourne à une vitesse d’environ 0,25 m/s. Ces godets creusent le lit de la rivière et transportent les sédiments à la surface. Arrivé au sommet de la tour où la chaîne est montée, le contenu du godet est versé sur un sluice où il y a une classification par gravité.
Le modèle de drague à chaîne à godets retrouvé à Shabunda peut atteindre une profondeur de dragage de plus de 15 mètres. Considérant la profondeur de l’eau, qui est entre 4 et 12 mètres, cette drague est en grade de creuser jusqu’à 10 mètres de sédiments du lit de la rivière. Les quatre dragues flottantes à chaîne à godets retrouvées à Shabunda appartiennent à la société chinoise Kunhou Mining Group.
Production
Considérant ces données d’extraction ci-haut mentionnées, la chaîne à godets a un débit
d’extraction d’environ 135 m3/h. Supposant une masse volumique du gravier du lit de la rivière à
1,7 t/m³, cette drague à chaîne à godets a la capacité de déplacer près de 230 t de sédiments par heure. Calculant avec une teneur moyenne du gisement alluvionnaire de 0,5 g/t, un taux de récupération de 90% et une capacité d’extraction réduite à 200 tonnes par heure, une drague chinoise peut produire 90 g d’or par heure. Avec 12 heures de travail par jour, en œuvrant 25 jours par mois, il en résulte une production possible de 27 kg d’or par mois par drague. Ceci résulte dans près de 110 kg d’or par mois pour les quatre dragues à chaîne à godets.
2.3 Production totale des dragues à Shabunda et réserves géologiques estimées
Production totale
En résumant les deux types d’exploitation aurifère régnants sur les rivières de Shabunda,
cette étude postule que mensuellement les 175 dragues suceuses et les 4 dragues à chaîne à godets produisent 550 kg et 110 kg respectivement, ce qui revient à un total de 660 kg d’or
chaque mois. Cela résulte dans une production annuelle de près de 8 tonnes d’or.
Réserves géologiques estimées
L’extraction se fait d’une manière intense, avec un débit à près de 6 millions de m3
par année pour les dragues suceuses (~4,3 Mio m3) et les dragues à chaîne à godets (~1,7
Mio m3). Si on estime l’épaisseur de la couche exploitable à 2 m et la longueur de la rivière
exploitable 11 sur le territoire de Shabunda à 150 km et sa largeur à 100 m en moyenne, la
rivière Ulindi sera exploitée en 4 ans à partir d’aujourd’hui si la même intensité est maintenue.
3. L’EXPLOITATION PAR DRAGUE, UNE LACUNE RÈGLEMENTAIRE
La question du type d’exploitation et des titres miniers
Ni le Code Minier en vigueur, datant de l’année 2002, ni le Règlement Minier de 2003 ne font explicitement allusion au phénomène de l’exploitation par dragues. Ce type d’exploitation n’est donc pas réglementé d’une manière spécifique par la législation minière. Il faut alors assumer que les dispositions de la législation minière s’appliquent aussi à l’exploitation par la drague.
Le code minier et son règlement prévoient plusieurs types d’exploitation minière, notamment l’exploitation industrielle, l’exploitation à petite échelle et l’exploitation artisanale.
Les caractéristiques de l’exploitation minière à petite échelle, donc de type semi-industriel, sont trois: le montant d’investissement entre 100.000 et 2.000.000 de $, des réserves géologiques exploitables ne dépassant pas une durée de dix ans et une mécanisation des opérations d’extraction, de transport et de traitement de minerais.
Pour l’exploitation par les dragues suceuses, la caractéristique de l’investissement n’est pas remplie. Par contre, l’exploitation de la société chinoise remplie toutes les trois conditions pour l’exploitation à petite échelle, car le coût des quatre dragues à chaîne à godets s’élève à plus d’un demi-million de dollars et l’équipement est mécanisé. Par ailleurs, les réserves aurifères des lits de la rivière d’Ulindi seront exploitées d’ici environ quatre ans.
Toutefois, selon le Ministre Provincial des Mines, le gouvernement congolais considère les activités de la société Kunhou Mining Group comme une exploitation de type artisanal.
Selon le Directeur du Cadastre Minier du Sud Kivu, aucun titre minier n’est attribué à la société chinoise, condition pour la recherche et l’exploitation minière à petite échelle. Kunhou Mining Group devrait donc procéder à une demande d’un permis de recherche auprès du Cadastre Minier.
Après avoir démontré l’existence des réserves géologiques, ce permis pourra être converti en permis d’exploitation à petite échelle.
En ce qui concerne l’exploitation artisanale, elle est sensée se dérouler dans une zone d’exploitation artisanale (ZEA). Le cadastre minier provincial n’a attribué aucune ZEA qui borde sur les rivières Ulindi ou Lugulu. D’ailleurs, l’exploitation artisanale est limitée aux seuls nationaux congolais et, donc, selon la loi congolaise, ni les exploitants indiens qui possèdent 5 dragues sur l’Ulindi, ni la société chinoise ne sont autorisés de faire ce type d’exploitation.
De la validation et la qualification des sites miniers
Depuis le 20 janvier 2014, seuls les minerais de la filière stannifère et aurifère provenant d’un site minier validé et qualifié peuvent être officiellement exportés avec un certificat de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL).
Toutefois, jusqu’à la publication de ce rapport, aucun site minier n’a été validé dans le territoire de Shabunda, donc les minerais provenant de l’exploitation par drague à Shabunda doivent être considérés comme non conformes à la certification d’exportation de la CIRGL. La présence d’un groupe armée le long de la rivière Ulindi, les Raïa Mutomboki, qui s’ingère dans l’exploitation minière, engendrera forcément une validation et une qualification en «rouge». Toute activité minière devrait donc être suspendue.
De la suspension de l’activité minière sur la rivière Ulindi
La note N°662 CAB/PM/CEMI/AMT/20151263 du 4 mars 2015 suspend toute activité des dragues dans la rivière Ulindi à Shabunda, pour raison de radioactivité plus élevée que le seuil que l’Organisation Mondiale de la Santé prescrit.
Le Premier Ministre s’y adresse au Ministre National des Mines et se réfère aux résultats d’analyses d’échantillons prélevés dans la rivière Ulindi, en tirant la conséquence de suspendre les activités des dragues sur la rivière Ulindi. Dans cette communication, les Gouverneurs des provinces concernées (le Maniema et le Sud-Kivu) sont appelés «de faire cesser, sans délai, l’exploitation minière artisanale et semi-industrielle le long de ce cours d’eau».
Malheureusement, les détails sur la localisation de l’échantillonnage, la méthodologie de leur
prélèvement et les résultats des analyses n’ont pas été publiés et ils restent donc inconnus.
Selon un Agent du Gouvernement Provincial, la mission avait prélevé des échantillons dans la Province du Maniema, sur la partie en aval de la rivière Ulindi. Aucun échantillon avait été pris plus en amont de la rivière, dans le Territoire de Shabunda. Il est donc douteux que les analyses et les taux de radioactivité seraient représentatifs pour l’ensemble du cours d’eau.
De plus, le CAMI du Sud-Kivu affirme qu’aucun gisement ni d’uranium ni de thorium n’est connu dans les territoires de Mwenga et de Walikale où affleure la rivière Ulindi. Une haute concentration de radioactivité parait donc improbable en amont de la rivière. Lors de cette étude, des sédiments de la rivière Ulindi avaient été mesurés en amont par rapport à Shabunda Centre. Les mesures moyennant un radiomètre ont montré des valeurs toute à fait habituelles et aucun indice d’une radioactivité élevé n’y a pu être retrouvé.
4. LES PRÉLÈVEMENTS ILLÉGAUX
Des services étatiques
La majorité des opérateurs de ces dragues suceuses sont membres de la FENACED.
La FENACED regroupe les tenanciers qui travaillent avec des dragues de fabrication locale et qui sont des exploitants de nationalité congolaise. En avril 2015, la FENACED comptait 137 membres, dont quelques-uns détenaient plusieurs dragues. Dans certains cas, les tenanciers de dragues gèrent les opérations pour des propriétaires, parmi eux des autorités du gouvernement, des hommes politiques et des officiers de l’armée du Sud-Kivu.
Selon la FENACED, les tenanciers de dragues paient une multitude de taxes, impôts et d’autres prélèvements dont beaucoup n’ont pas de base légale. La législation financière prévoit seulement les prélèvements pour l’enregistrement de la drague à la Direction Générale des Recettes Administratives, Judiciaires et Domaniales (DGRAD) et à la Direction Provinciale de Mobilisation et d’Encadrement des Recettes (DPMER), ainsi que l’impôt sur la rémunération et l’impôt sur le bénéfice de production de la Direction Général des Impôts (DGI).
Un arrêté national du Ministère de Mines de 2014 fixe le droit d’enregistrement des dragues extractrices à 3.301.900 FC (3.589 $) pour les dragues de 4 à 7 pouces et à 9.434.000 FC (10.254 $) pour les dragues de 8 pouces et plus.
Un arrêté provincial de 2015 prévoit un prélèvement de 2.000 $ par drague, sans distinction entre la puissance des dragues. En conséquence, une double imposition est constatée, ce qui est contre la loi. Comme les dispositions légales au niveau national dérogent sur les provinciales, il s’agit d’une erreur juridique du gouvernorat du Sud-Kivu.
En outre, le Bureau Isolé de Shabunda de la Division Provinciale des Mines exigeait une taxe d’enregistrement de 200 $, ce qui a été suspendu par une lettre du Chef de Division Provinciale des Mines du Sud Kivu de septembre 2014.
Dans un protocole d’accord entre la DGI et la FENACED, il a été conclu qu’un tenancier de drague paie mensuellement 30.000 FC (33 $) comme impôt proportionnel de la rémunération pour son équipe et 80.000 FC (87 $) comme impôt sur le bénéfice de la production (au lieu de 10% comme prévu par la loi) pour faciliter les procédures.
La FENACED a également signé un accord avec la chefferie de Bakisi qui stipule la contribution de 500.000 FC/an et par drague, intitulée «taxe pour le développement de la Chefferie». La société civile de Shabunda n’a cependant trouvé aucune évidence pour des projets de développement au profit de la population mis en œuvre avec ces fonds.
Les propriétaires fonciers, dont les terrains bordent la rivière Ulindi sont considérés comme concessionnaires par la Chefferie. Ils perçoivent 500 $ pour l’accostage d’une drague et 10 % de la production journalière. Si le concessionnaire n’est pas le même sur les deux rives de la rivière, le montant est partagé entre les deux parties.
Le service d’assistance et d’encadrement du Small-Scale mining (SAESSCAM) taxe 10% de la production des dragues suceuses en raison de collecter des «frais rémunératoires pour services rendus». Il n’existe aucune base légale qui justifierait cette pratique. Ceci constitue une concussion dans le code pénal, punie d’une peine de servitude pénale de 6 mois à 5 ans.
La Division Provinciale des Mines demande 25 $ par an et par exploitant artisanal, pour la carte d’exploitant. Pourtant la nomenclature de l’arrêté provincial stipule seulement 10 $ / an.
Le tableau suivant détaille les prélèvements ci-haut mentionnés ui sont récoltés par la plupart du temps en nature.
Prélèvement | Service
percepteur |
Assujetti | Taux | Base légale |
Droit
d’enregistrement des dragues extractrices |
DGRAD | Tenancier de
drague |
– 3.301.900 FC
(3.589 $) pour une drague de 4 à 7 pouces – 9.434.000 FC (10.254 $) pour une drague de 8 pouces ou plus |
Arrêtés interministériels
N°0349 et N°149 de 2014
|
Taxe sur enregistrement des dragues | DPMER | Tenancier de
drague |
2.000 $ / drague | Arrêté provincial
n.015/003/GP/SK du 05/01/2015 |
Droit
d’enregistrement |
Bureau Isolé de la Division Provinciale
des Mines |
Tenancier de
drague |
200 $ / drague | Aucune |
Impôt proportionnel de Rémunération
(I.P.R.) |
DGI | Tenancier de
drague |
30 000 CFD /mois
/drague (33 $US) |
Aucune |
Impôt sur le
bénéfice de la production (I.B.P.) |
DGI | Tenancier de
drague |
80 000 CFD
/mois/drague (87 $US) |
Protocol d’accord signé entre C.I.P. et FENACED au
lieu de payer 10% d’impôt sur le bénéfice |
Contribution au
développement de la chefferie |
Chefferie | Tenancier de
drague |
500 000 FC/an /drague | Accord verbal entre la chefferie et la FENACED |
Droit d’accostage | Concessionnaire | Tenancier de
drague |
500 $US/accostage | Aucune |
Perception sur la
production |
Concessionnaire | Equipe de la drague | 10% de la production | Aucune |
Frais de rémunération
pour services rendus |
SAESSCAM | Tenancier de
drague |
10% de la production | Aucune |
Carte d’exploitant
artisanal |
Division Provinciale
des Mine |
Plongeur | 25 $US/an | Aucune;
10 $US/an sont prévus par l’arrêté provincial n°015/003/GP/SK du 05/01/2015 |
Les prélèvements exigés aux tenanciers de dragues sont considérables. La clé de répartition typique des équipes des dragues laisse seulement 35% du bénéfice au tenancier des dragues, ce qui lui rend difficile de remplir les obligations fiscales imposées par la loi ou par des arrangements illicites. Il n’est donc pas étonnant, que beaucoup de ces prélèvements ne sont pas payés. L’agent responsable pour les recettes de Shabunda au sein de la DPMER déclare que, pour l’année 2014, seulement quatre dragues suceuses ont payé le droit d’enregistrement au territoire de Shabunda.
Les responsables de la DGI du Sud Kivu déclarent de ne rien percevoir de leurs agents de terrain de Shabunda. Il n’est pas clair si ces prélèvements ne sont pas perçus, ou s’ils ne sont pas transférés à Bukavu. De toute façon, on constate un manque à gagner considérable pour les caisses de l’Etat.
Par la présence permanente et l’appui de la Police de Mines et des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), le SAESSCAM semble être le seul service étatique qui arrive à percevoir presque la totalité des prélèvements qu’il exige. Il est de même pour les agents de la Chefferie et des concessionnaires, qui s’appuient également sur des forces armées.
En estimant une production journalière par drague de 150 g en moyenne qui se vend à 29 $ par gramme à Shabunda, le SAESSCAM, de même que la Chefferie, perçoivent 10%, donc 435 $ par drague par jour. Pour 125 dragues et 21 jours ouvrables par mois, ça donne 1.141.875 $ par mois.
En tenant compte du nombre des dragues dans le territoire de Shabunda, le SAESSCAM perçoit près de 1,3 millions de $ par mois, tandis que la Chefferie en perçoit 1,6 par mois, sans toutefois laisser des traces de développement dans son territoire.
Les prélèvements exigés par les Raia Mutomboki et les FARDC ne sont pas intégrés dans cette énumération, ni la taxation des dragues de la société chinoise Kunhou Mining Group, car celle-ci est gérée au niveau national.
La FENACED résume la clé de répartition typique pour les opérateurs de dragues comme ici
indiqué: 45% de la production est affecté aux différents collaborateurs de l’équipe opérationnelle,
dit les partenaires. 10% de la production va au SAESSCAM et au «concessionnaire». Il
reste donc 35% pour la société, c’est-à-dire le tenancier de la drague. Dans ce 35% restant
pour le tenancier, la FENACED déclare que les charges à l’état s’élèvent à 20%. Dans le 15%
qui reste au compte des tenanciers de dragues, ils sont censés d’encadrer et d’assister leurs
«partenaires», ce qui comprend la restauration pour l’équipe de travail et l’approvisionnement de 90 litres de Mazout et 30 litres d’essence, pour assurer le fonctionnement journalier de la machine s’accumulant à 400 $.
Partie | Pourcentage | |
Partenaires | Plongeur | 20 % |
Motiste | 10 % | |
Machiniste, mécanicien, chauffeur hors-bord | 5 % | |
Directeur technique, directeur financier | 5 % | |
Bacaneur (service de lavage) | 5 % | |
Services | Concession et SAESSCAM | 20 % |
Société (tenancier de la drague) | 35 % |
Des Raïa Mutomboki
Depuis une décennie, une grande partie du territoire de Shabunda a été occupé par des groupes armés et surtout par des factions des Raia Mutomboki (RM). Seulement depuis l’année 2011, les FARDC sont réaffectées à Shabunda et ont repris le control de certaines zones.
Pourtant les RM opèrent toujours à proximité de la ville de Shabunda et contrôlent une grande partie de la chefferie de Bakisi, dont les rives de la rivière Ulindi. Surtout trois grands groupes RM y sont opérationnels. Il s’agit du Groupe du Général Cynthia (la femme du défunt Général Sisawa), le groupe du Général Kimba et celui du Général Kimusi.
Différentes sources témoignent que près de 50 dragues opèrent dans la zone sous control des Raia Mutomboki. Une fois entrées dans la zone RM, les dragues se butent à des difficultés de sortir de ladite zone, car les RM exigent une somme de 4.000 $ pour le passage d’une drague. Quelques tenanciers de dragues qui sont concernés considèrent cette pratique comme une détention en otage et ont abandonné leurs dragues.
Le groupe RM fidèle au Général Cynthia exige à tout passant masculin, sans distinction d’âge, 1.000 FC moyennant un bout de papier scellé appelé jeton. Le passage pour une femme coûte 3.000 FC. De plus, le passant doit présenter son livret d’impôt. Un livret d’impôt est un document de taxation de l’entité territoriale décentralisée qui est vendu aux non-originaires de la Chefferie de Bakisi. A Shabunda Centre, les receveurs de la Chefferie vendent un livret d’impôt à 4.000 FC. Connaissant la localisation de tous les RM dans son étendue, la Chefferie de Bakisi envoie ces livrets d’impôts aux RM. Ces derniers imposent l’achat à 16.000 FC à tout passant qui n’en possède pas. Parfois, les RM recourent même à une amande pour les négligents qui s’élève à 100.000 FC. Le livret d’impôt est considéré comme indispensable au contraire d’autres documents d’identité. En outre les RM exigent 10.000 FC des tenanciers de dragues par semaine, une contribution appelée «ration». De plus, les groupes RM imposent un payement de 175.000 FC par drague, le 15ème et le 30ème jour de chaque mois, ce qui leur remporte une somme de presque 20.000 $ le mois pour les 50 dragues.
Autre que la vente des jetons aux exploitants des dragues à chaque passage, les RM perçoivent des prélèvements sur la production aurifère. La taxation des dragues dans ces zones est de 20% sur la production. Les éléments RM les perçoivent en collaboration avec les agents du SAESSCAM et les receveurs de la Chefferie. Les RM restent avec 5%, de même que les SAESSCAM et la chefferie garde 10%. En calculant avec une production journalière de 150 g par drague, les RM et le SAESSCAM reçoivent près de 8 kg d’or chacun et la Chefferie 16 kg d’or par mois.
Quelques agents de la chefferie justifient cette complicité avec les RM par le fait que, selon eux, les RM ne sont pas des rebelles, mais plutôt «des cambrioleurs qui ne présentent aucun danger, ni pour l’administration locale, ni pour la situation sécuritaire de la population». Cet avis est fortement contrarié par les témoignages de la population, les tenanciers des dragues, les exploitants artisanaux et les marchands ambulants qui rapportent des arrestations arbitraires, des extorsions des biens, des
violations physiques et des menaces verbales de la part des RM contre la population locale.
Prélèvement
|
Taux | Nombre de dragues | Revenu pour les RM
($US/mois) |
15iéme et 30ième | 175 000 FC * 2 | 50 | 19 021 |
Part de la production | 5% x 150 g x 29 $US/g x 21 jours | 50 | 228 375 |
Ration | 10.000 FC / semaine x 4 | 50 | 2 174 |
Droit de passage | 1000 et 3000 FC / personne
12 000 FC / livret d’impôt 4 000 $US / sortie |
? | |
Total | 249 570 |
Sans tenir compte des droits de passage que les RM exigent, les calculs montrent qu’ils perçoivent autour de 250.000 $ par mois, par l’exploitation minière par dragues suceuses. De plus, les RM perçoivent des contributions considérables auprès de la société chinoise Kunhou Mining Group qui opère avec ses quatre dragues à chaîne à godets dans la zone RM. Ces contributions sont difficiles à chiffrer. Il est important de noter aussi que le revenu élevé des RM généré sur la rivière Ulindi est collecté en complicité avec l’Antenne du SAESSCAM du Sud Kivu et la Chefferie de Bakisi.
L’implication des FARDC
Les FARDC aussi perçoivent des paiements illégaux dans les zones sous leur contrôle. L’armée est impliquée de plusieurs manières dans l’exploitation aurifère par les dragues suceuses.
De même que les groupes RM, les FARDC aussi ont imposé des contributions de 40.000 $ auprès des tenanciers de dragues suceuses le 15ième et le 30ième jour de chaque mois, mais ont cessé cette pratique plus tard.
Des officiers militaires sont propriétaires des dragues et détiennent des maisons d’achat d’or. Ils ne s’exposent pas ouvertement, mais des couvrants et des gérants sont interposés derrière lesquels ils se camouflent. Ces intermédiaires refusent de payer les taxes aux services de l’état. Les agents étatiques du SAESSCAM, DPMR, DGRAD, etc. se font intimider ou corrompre par des appels téléphoniques des représentants des officiers militaires, propriétaires de dragues.
D’autre part, des éléments des FARDC (et aussi de la Police des Mines) accompagnent les
agents du SAESSCAM pour le recouvrement le 10% de la production aux détenteurs des dragues. C’est le potentiel de menace de l’armée et de la Police de Mines qui permet aux agents du SAESSCAM de recueillir effectivement ces paiements illégaux. D’ailleurs, il est rapporté que des militaires des FARDC ont vendus leurs armes ou des munitions aux RM, et soutiennent ainsi leur ennemi.
5. L’ENTREPRISE CHINOISE KUNHOU MINING GROUP
Les quatre dragues à chaîne à godets sont la propriété de la société chinoise Kunhou Mining Group. La société opère officiellement depuis septembre 2014 sur la rivière Ulindi et a établi sa base au village d’Itemene, à 3 km de Shabunda Centre.
La société possède d’autres bases à Uvira et à Kamundele et planifie la construction de trois
supplémentaires. La société embauche entre 6 à 12 techniciens de nationalité chinoise qui travaillent en rotation. Leur tâche est spécifique en ce qui concerne le montage ou le fonctionnement des machines. De plus la société embauche de manière temporaire une équipe de personnel local de nationalité congolaise. Comme rapporté auparavant, la production aurifère de ses 4 dragues à chaîne à godets s’élève à 110 kg par mois. Cette production aurifère de l’entreprise Kunhou Mining Group n’est pas vendue à Shabunda et, en plus, les chemins de sa commercialisation ne sont pas connus. Aucun agent provincial, ni de l’Administration de Mines, ni du SAESSCAM, est affecté auprès des dragues chinoises. Les agents locaux de SAESSCAM et de l’administration provincial du Ministère de Mines ne prélèvent donc ni de statistiques ni de taxes auprès des opérateurs chinois. Les statistiques de production de ces dragues ne sont pas récoltées.
Les relations avec les autorités congolaises
Franck Menard, de nationalité française, est le conseiller principal de l’entreprise et gère les affaires et les relations avec l’Etat Congolais, dont les dossiers d’immigration du personnel chinois avec la Direction Générale de Migration (DGM). Menard avait introduit l’entreprise Kunhou Mining Group aux autorités du Sud-Kivu. Plusieurs acteurs de la société civile ont rapporté que, lors de cette occasion, M. Menard avait distribué des pots de vins aux membres du gouvernement et de la société civile de Bukavu et de Shabunda, afin qu’ils ne s’opposent pas aux activités minières de la société Kunhou Mining Group.
Les relations avec les Raia Mutomboki
La société chinoise Kunhou Mining Group utilisent ses dragues à environ 20 km de Shabunda
Centre, en amont de la rivière Ulindi. Son exploitation se fait entièrement dans la zone occupée par les Raia Mutomboki. D’après les informations fournies, les quatre dragues chinoises exploitent dans cette zone sans intimidations des RM.
L’équipement de la société se fait même sécuriser par des éléments des RM. Des détails sur la convention entre les RM et la société chinoise ne sont pas connus. Des témoignages de la population récoltés dans la zone RM affirment que la société chinoise avait fournis en janvier 2015 des moyens de communication, de l’habillement, de la nourriture et des appareils de radios Motorola aux éléments RM, de même que des paiements en espèce, en échange de leur services.
La pratique de travail de la société chinoise montre qu’elle est disposée à s’arranger avec toute sorte d’acteurs d’une manière opportuniste, dans la légalité mais surtout dans l’illégalité.
Cette société chinoise (a) travaille sous le régime artisanal sous lequel des étrangers ne peuvent pas opérer selon la loi congolaise et que l’artisanal ne correspond de toute façon pas au grade d’industrialisation de leurs opérations; (b) exploite des sites qui ne sont pas validés et qualifiés et dont la production ne peut donc pas être commercialisée, selon la loi congolaise et (c) opère dans la zone occupée par le groupe rebelle des Raia Mutomboki, qui est en conflit armé avec les FARDC avec lesquelles elle collabore.
La société chinoise finance donc les opérations militaires d’un groupe rebelle, avec la complicité de certains services administratifs et autorités politiques qui agissent contre leur propre armée. Ceci représente des faits avérés qui sont contraires à tout concept de devoir de diligence d’une chaîne d’approvisionnement responsable, comme suggéré par le guide de l’OCDE.
6. RECOMMANDATIONS
Que le SAESSCAM, la Chefferie de Bakisi et tout autre service étatique concerné arrêtent instantanément de collaborer avec les Raia Mutomboki pour la collecte de prélèvements;
Que le Ministère Provincial de Mines et le SAESSCAM arrêtent tout soutien aux exploitants de dragues qui opèrent dans les zones occupées par les Raia Mutomboki ou qui maintiennent des liens avec eux;
Que l’Administration du Territoire et le Ministère des Mines, en collaboration avec la FENACED, incitent les tenanciers des dragues à limiter leurs activités dans les zones sous contrôle des FARDC et à ne plus œuvrer dans les zones occupées par les Raia Mutomboki;
Que le SAESSCAM et tout service étatique concerné applique la législation qui définit les prélèvements à payer prévus pour l’exploitation et interdise à ses agents toute taxation sans base légale;
Que la hiérarchie des FARDC, de la Police Nationale Congolaise et de la Police des Mines empêchent leurs éléments de s’impliquer dans la collecte de prélèvements;
Que la DGI officialise les accords entre elle et la FENACED;
Que la Chefferie de Bakisi formalise et officialise ses taxes dans le secteur minier artisanal;
Que la Chefferie de Bakisi investie le 1,6 Million $ collecté mensuellement auprès des dragues suceuses pour améliorer les conditions de vie de sa population;
Que le SAESSCAM et la Division des Mines formalisent les équipes des exploitants artisanaux œuvrant sur les dragues, en les enregistrant et ainsi que leur équipement technique;
Que le Ministère des Mines étudie la faisabilité de valider et de qualifier des tranches de la rivière Ulindi pour légaliser l’exploitation artisanale des dragues par rapport au mécanisme régional de certification de la CIRGL;
Que le Cadastre Minier établisse une ZEA où les dragues suceuses puissent œuvrer en accord avec la législation minière;
Que le Ministère des Mines rende transparente la situation de la société Kunhou Mining Group et donne accès à ses statuts;
Que le Ministère de Mines clarifie si l’exploitation par des dragues à chaîne à godets de l’entreprise Kunhou Mining Group est considérée comme exploitation artisanale ou comme exploitation à petite mine et, selon le cas, exige à la société de se conformer à la législation prévue;
Que la Division des Mines encadre l’activité de cette société chinoise et surveille son impact
environnemental, en veillant sur l’utilisation de produits chimiques dans le traitement du minerai et des rejets et en définissant une profondeur maximale de l’exploitation des lits de la rivière;
Que la Division des Mines, en collaboration avec la coordination provinciale de l’environnement et conservation de la nature, fasse une étude sur les impacts de la forte utilisation de mercure sur l’écosystème aquatique;
Que le SAESSCAM et la Division des Mines sensibilisent les exploitants sur les effets nocifs du mercure et les instruise à minimiser ou à éliminer l’usage de mercure;
Que le Ministère National en charge des Mines publie les analyses sur la radioactivité
référée dans la note circulaire N°662 CAB/PM/CEMI/AMT/20151263 du 04 mars 2015.
7. ANNEXE
___________________
[1] Cf http://cosoc-gl.org/wp-content/uploads/2015/08/15-août-2015-COSOC-GL-Etude-finale-sur-lexploitation-de-lor-par-dragues-à-Shabunda.pdf