Congo Actualitè n. 237

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: Question de priorités

  1. PROCESSUS ÉLECTORAL

  2. LA LOI SUR L’INSTALLATION DES NOUVELLES PROVINCES

  3. NECESSITÉ ET URGENCE D’UN CALENDRIER ÉLECTORAL GLOBAL RÉAMÉNAGÉ

  4. ECONOMIE

 

1. PROCESSUS ÉLECTORAL

Le 27 février, des partis de l’opposition politique ont montré leur désaccord avec la Ceni à propos des élections locales, municipales et urbaines prévues pour le 25 octobre 2015 et ils ont proposé un projet de calendrier électoral qu’ils estiment plus « réaliste, réalisable et cohérent ». Ils proposent que «les élections locales, municipales et urbaines, qui sont nécessaires à la consolidation de l’Etat et de la démocratie, mais plus complexes, car jamais organisées auparavant, se tiennent après 2016, pour une programmation plus rationnelle». En effet, l’opposition estime que l’organisation des ces élections dès le début pourrait retarder le calendrier global de la Ceni, risquant ainsi de prolonger illégalement le mandat du président Joseph Kabila qui prend fin en 2016.

Les opposants confirment leur accord pour que les élections des députés provinciaux, des gouverneurs, des vice-gouverneurs et des sénateurs se tiennent en 2015. «Les élections des députés provinciaux, des gouverneurs et des sénateurs sont prioritaires parce que suspendues au cours du cycle électoral 2011 -2016 et doivent être organisées en 2015 pour résoudre la question de la légitimité de ces institutions», explique Emery Okundji, secrétaire général du parti de l’opposition Fonus.

En ce qui concerne la présidentielle et les législatives, l’opposition est d’accord avec la proposition de la Ceni. «Les élections présidentielles et législatives qui doivent obéir aux contraintes de la constitution en ce qui concerne ses délais seront organisés en 2016 à la date prévue, soit le 27 novembre 2016 et la prestation de serment du nouveau président élu, le 20 décembre 2016», indique Emery Okundji.

Parmi les auteurs de la nouvelle proposition de calendrier figure quelques ténors de l’opposition, comme le président de l’Union pour la Nation congolaise (UNC, le troisième parti de l’opposition par le nombre de députés), Vital Kamerhe, la secrétaire générale du Mouvement de Libération du Congo (MLC), Eve Bazaiba, l’ex-ministre de la Justice, Jeannot Mwenze Kongolo, le député Jean-Lucien Bussa et le président des Forces novatrices pour l’Union et la Solidarité (Fonus), Joseph Olenghankoy.[1]

Le 3 mars, une vingtaine de délégués de l’Opposition ont déposé leur proposition de calendrier électoral global au siège de la Ceni à Kinshasa. Selon ces opposants, il est indispensable de retoucher le calendrier électoral en vue d’avoir un texte réaliste, cohérent et consensuel. Au siège de la Ceni, ces leaders de l’opposition ont été reçus par le vice-président de cette structure, André Mpungwe Songo, qui a pris acte de ce dépôt, en promettant aussi que le texte sera soumis à l’assemblée plénière de la cette institution.[2]

À propos de l’inscription de nouveaux majeurs sur les listes d’électeurs, le rapporteur de la Ceni, Jean-Pierre Kalamba, a affirmé que les personnes qui ont atteint l’âge de 18 ans après les élections de 2011 ne pourront pas accéder aux élections locales ni à celles des députés provinciaux, prévues en octobre 2015. Elles pourront tout de même élire le président de la République et les députés nationaux lors du scrutin combiné du 27 novembre 2016.

Selon le rapporteur de la Ceni, étant donné que les prochaines élections locales et provinciales sont considérées comme des arriérés électoraux, la phase d’enregistrement des électeurs ayant droit à y a déjà été clôturée en 2011.

De plus, poursuit Jean-Pierre Kalamba, c’est avec le même fichier bouclé en 2011 qu’on fait la répartition des sièges pour les députés provinciaux. Les nouveaux majeurs ne peuvent donc pas être inclus dans ce scrutin au risque de perturber la répartition des sièges pour les députés provinciaux. «Si on y met les majeurs, il faudra tout recommencer à zéro», a souligné le rapporteur de la Ceni. Selon certains observateurs et membres de l’opposition politique, cette disposition qui prive des millions de compatriotes, devenus majeurs après 2011, de leur droit civil de pouvoir participer aux prochaines élections locales et provinciales viole la Constitution, en son article 5, alinéa 5 qui stipule: « Sans préjudices des dispositions des articles 72, 102 et 106 de la présente Constitution, sont électeurs et éligibles, dans les conditions déterminées par la loi, tous les Congolais des deux sexes, âgés de dix-huit ans révolus et jouissant de leurs droits civils et politiques« . Logiquement, les « nouveaux majeurs » ne devraient donc pas être exclus des prochains scrutins locaux et provinciaux, car ils répondent aux critères requis pour être candidats ou électeurs.

Toutefois, conformément au calendrier électoral publié le 12 février dernier, les nouveaux majeurs seront enrôlés entre janvier et mars 2016, au début du troisième cycle électoral, et pourront ainsi voter le président de la République et les députés nationaux le 27 novembre 2016.[3]

Le 3 mars, dans une déclaration, le Réseau national des ONG des droits de l’Homme de la RDC (Renadhoc) a demandé aux partenaires bilatéraux et multilatéraux de la RDC de s’engager fortement dans le « monitoring » et l’encadrement de la situation préélectorale, afin d’éviter tout dérapage qui pourrait avoir des conséquences néfastes sur le processus de démocratisation, sur les droits de l’homme, mais aussi sur la paix et la sécurité, non seulement en République démocratique du Congo mais aussi au niveau de la région des Grands Lacs.[4]

Le 5 mars, le gouvernement a remis la liste des Entités territoriales décentralisées à la Commission électorale. Ces entités, ce sont les villes, les communes, les secteurs et les chefferies, redéfinies ces dernières années. Une première étape cruciale pour l’organisation des élections locales, car de 169 il y a 15 ans elles sont passées à un peu plus de 1.400 aujourd’hui.[5]

Le 11 mars, le vice-Premier ministre, ministre de l’Intérieur Evariste Boshab, a remis à la CENI les listes actualisées de partis politiques agréés. Le patron de la territoriale a souligné que le document dénombre 477 partis politiques régulièrement enregistrés, dont 34 seulement sont dirigés par des femmes. Cette liste comporte aussi une trentaine de regroupements politiques. Pour le ministre de l’intérieur, si on s’en tient à la loi, seuls trois partis politiques seraient en ordre pour se présenter aux prochaines élections.[6]

Le 18 mars, à Kinshasa, la Commission Africaine pour la Supervision des Élections (Case), une organisation qui regroupe 74 ONG et réseaux de la société civile, a publié une étude sur le niveau d’implantation des partis politiques en RDCongo. Sur les 477 partis politiques agrées, seulement 4, le PPRD, l’UDPS, le MLC et l’UNC, sont implantés sur 75% du territoire national. Le reste n’existe qu’à Kinshasa ou dans quelques chefs-lieux des provinces.

Le président de la Case, Simaro Ngongo Mbayo, a résumé ainsi le rapport de son organisation:

«Quatre partis politiques présentent un taux d’implantation de 75% à travers toute la République. Douze partis politiques sont implantés dans les chefs-lieux des provinces ou dans certains territoires d’origine de leurs leaders, un taux d’implantation de 45 % sur l’ensemble de la République. Il s’agit du MSR, de l’AFDC, ECTD, ARC, UNDF, UDCO, PDC, Palu, RRC, Unafec, PPPD, Mip. Partis politiques opérationnels [seulement] dans la capitale Kinshasa: 461 partis politiques, qui représentent un taux d’implantation de 20%». Ce tableau suscite des interrogations et des inquiétudes de la part de la Case qui estime que le nombre élevé de partis politiques en RDC empêche la population de faire un choix judicieux du parti auquel adhérer.[7]

Du côté de la communauté internationale, organiser sept scrutins en moins de deux ans, c’est trop. Résultat: ils promettent de mettre la main à la poche pour ces élections. Mais leur aide pourrait se limiter à l’organisation des législatives et de la présidentielle.

Même diagnostic du côté de l’opposition, mais pas seulement. Ces derniers jours, de plus en plus de voix de la majorité formulent des craintes. Exemple avec le député Christophe Lutundula, membre de la majorité présidentielle. Dans une tribune publiée par l’un des grands quotidiens du pays, il explique pourquoi il faut à tout prix reporter la tenue des élections locales – trop chères et trop compliquées à organiser – et privilégier la tenue d’élections provinciales, sénatoriales, législatives et présidentielle pour pouvoir respecter les délais constitutionnels.

D’autres partis de la majorité, comme le MSR et le PALU, se sont également rapprochés ces derniers jours pour formuler leurs inquiétudes sur ce calendrier trop serré, selon eux. Pour la première fois donc, le calendrier électoral n’oppose plus seulement l’opposition et la Céni, mais aussi des voix importantes au sein même de la majorité.[8]

La réussite des premières échéances électorales (élections provinciales, urbaines, municipales et locales) dépend d’un certain nombre de contraintes administratives, techniques et autres. Parmi les difficultés, figure la préparation, par le gouvernement, du projet de loi portant répartition des sièges au sein des Assemblées des députés provinciaux et son dépôt au Parlement. Selon le calendrier de la Ceni, c’est dans la fourchette du 10 mars au 21 mars 2015 que ce projet doit être apprêté par le gouvernement central, alors que l’examen et l’adoption de ce projet doivent intervenir pendant la période du 22 mars au 5 avril 2015. C’est à ce niveau que des difficultés tant administratives que techniques apparaissent, au risque de poser un véritable couac à la tenue des élections provinciales, urbaines, municipales et locales prévues en octobre 2015.

La promulgation par le chef de l’Etat de la loi sur le découpage territorial, qui fait passer le pays de 11 à 26 provinces, est aussi susceptible de retarder l’organisation de ces premières élections.

La question est de savoir avec quelles données ou comment est-ce que le gouvernement va procéder à la répartition des sièges dans le cadre de la nouvelle configuration des provinces.

En effet, selon la récente loi sur les modalités d’installation des nouvelles provinces, les commissions qui devront effectuer les opérations préliminaires à l’installation des nouvelles provinces (1. dresser l’inventaire de la province actuelle; 2. identifier les actifs et les passifs de la province actuelle; 3. distribuer, entre les nouvelles provinces, le patrimoine et les ressources humaines et financières) devaient être créées à la mi-mars et elles devront présenter leurs rapports à la mi-avril, date qui marquera le début du processus de la subdivision des provinces existantes. Toujours selon cette loi, la durée réelle de l’installation des nouvelles institutions provinciales ne peut pas dépasser 120 jours à compter de la date de création des commissions. De cette façon, on pourra atteindre la date de mi-juillet.

Comme l’on peut constater, les dates de la récente loi sur les modalités d’installation des nouvelles provinces ont été fixées avec un certain retard par rapport à celles du calendrier électoral publié par la CENI, ce qui fait craindre le fameux glissement du calendrier électoral.

Une autre difficulté, et non des moindres, est celle liée à l’installation des provinces, qui pourraient ne pas disposer du personnel nécessaire et d’installations viables pour permettre à la Ceni d’organiser les élections dans les meilleures conditions et en toute sécurité. Il sied de relever que la Ceni travaille, sur le plan administratif, en étroite collaboration avec la police et des administrations au niveau de toutes ces entités. Une collaboration qui risque d’être difficile dans la mesure où il faut au préalable déployer les administratifs dans les nouvelles provinces.[9]

2. LA LOI SUR L’INSTALLATION DES NOUVELLES PROVINCES

Le 2 mars, le chef de l’Etat Joseph Kabila a promulgué la loi déterminant les modalités d’installation des 26 nouvelles provinces prévues par la Constitution congolaise.

La Constitution du 18 février 2006 a créé, en plus de la Ville de Kinshasa, vingt-cinq provinces dotées de la personnalité juridique et jouissant de la libre administration ainsi que de l’autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, financières et techniques.

Aux termes de l’article 226 de la Constitution, ces 25 provinces et la Ville de Kinshasa devaient être installées endéans les trente-six mois qui suivaient l’installation des institutions politiques prévues par la Constitution, étant entendu que l’installation du Sénat était considérée comme point de départ du délai de la mise en place effective de nouvelles provinces définies à l’article 2 de la Constitution.
A la faveur de la révision constitutionnelle sanctionnée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011, l’article 226 de la Constitution a été modifié dans le sens de la suppression du délai constitutionnel initial, laissant au législateur le soin d’adopter une loi de programmation déterminant les modalités d’installation de ces nouvelles provinces.

La présente loi a pour objet la mise en application de la volonté du Constituant. Elle fixe un nouveau calendrier d’installation des provinces qui est conçu en deux phases: la première concerne la Ville de Kinshasa et les quatre provinces actuelles non démembrées; la seconde, dont la durée ne peut excéder cent vingt jours à dater de la mise en place des commissions, concerne les autres provinces. Cette loi définit également les actions à entreprendre en vue de la mise en place effective de ces provinces.

La présente Loi de programmation détermine les modalités d’installation de nouvelles Provinces.

Article 3:

– L’installation de nouvelles Provinces et de la Ville de Kinshasa se déroule en deux phases.

– La première phase concerne les Provinces du Kongo Central, du Maniema, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et la Ville de Kinshasa.

– La deuxième phase concerne les Provinces du Bas-Uelé, de l’Equateur, du Haut-Katanga, du Haut-Lomami, du Haut-Uélé, de l’Ituri, du Kasaï, du Kasaï Central, du Kasaï Oriental, du Kwango, du Kwilu, du Lomami, du Lualaba, de Maï-Ndombe, de la Mongala, du Nord-Ubangi, du Sankuru, du Sud-Ubangi, du Tanganyika, de la Tshopo et de la Tshuapa.

Article 4:

La Ville de Kinshasa ainsi que les quatre Provinces énumérées à l’alinéa 2 de l’article 3 sont installées dès l’entrée en vigueur de la présente Loi.

Article 5:

– Dans les quinze jours suivant la promulgation de la présente Loi et pour les besoins d’installation des Provinces visées à l’Alinéa 3 de l’article 3 de la présente Loi, sur proposition du Ministre ayant l’intérieur dans ses attributions, un Décret délibéré en Conseil des Ministres met en place une Commission par Province à démembrer, à savoir Bandundu, Equateur, Kasaï Occidental, Kasaï Oriental, Katanga et la Province Orientale.

– Cette Commission comprend des sous-commissions par nouvelle Province, en vue d’effectuer les opérations relatives à leur installation.

– La Commission a pour tâches de:

  1. établir l’état des lieux de la Province;
  2. dresser l’actif et le passif de la Province;
  3. repartir, entre les nouvelles Provinces, le patrimoine ainsi que les ressources humaines et
    financières.

Article 8:

– Dans les trente jours de sa constitution, la Commission présente son rapport des travaux à l’Assemblée provinciale existante qui en prend acte.

– La présentation du rapport par la Commission et sa prise d’acte par l’Assemblée provinciale existante enclenchent le processus d’éclatement de la Province.

Article 9:

– Le quinzième jour suivant la présentation du rapport par la Commission et sa prise d’acte par l’Assemblée provinciale existante, chaque Assemblée provinciale de la nouvelle Province se réunit de plein droit en session extraordinaire en vue de :

  1. l’installation du Bureau provisoire dirigé par le doyen d’âge assisté de deux membres les moins
    âgés ;
  2. la validation des pouvoirs ;
  3. l’élaboration et l’adoption du Règlement intérieur ;
  4. l’élection et l’installation du Bureau définitif ;
  5. l’élection du Gouverneur et du Vice-gouverneur de Province, conformément à l’article 168 de la
    Loi électorale.

Article 10:

La durée de l’installation effective des institutions provinciales ne peut excéder cent vingt jours à dater de la mise en place des Commissions.

Article 11:

Dès l’installation de nouvelles Provinces, le Gouvernement de la République initie, en concertation avec les autorités provinciales, un programme d’équipement, de réhabilitation et de construction des infrastructures nécessaires au fonctionnement de nouvelles provinces.

Il prévoit, sur une période de cinq ans, un budget pluriannuel d’investissement destiné au financement des travaux prioritaires de nouvelles Provinces.[10]

Pour nombre d’observateurs, la loi portant installation de nouvelles provinces n’était pas urgente et aurait due être postposée. De l’avis de ces observateurs, bien que constitutionnelle, cette démarche est retenue inopportune au moment où la RDCongo doit disposer de plus d’un milliard USD (1 milliards 145 millions USD) pour organiser les élections programmées par le calendrier global publié par la Commission électorale nationale indépendante.

Passer de onze à vingt-six provinces ne sera pas du tout une mince affaire. L’installation de ces provinces nécessitera assez de moyens, alors que le budget des élections ne semble pas jusque-là disponible. Il faudra songer à de nouvelles infrastructures, recruter de nouveaux employés et chercher les moyens nécessaires pour le fonctionnement. La population ne comprend pas pourquoi le Gouvernement a pu concevoir ces deux opérations, et comme par hasard, durant la même période comme si le pays avait suffisamment des ressources pour aligner autant d’initiatives.
Réputées années électorales, 2015 et 2016 risquent de se muer en «années du découpage territorial». Dans ce cas, une partie substantielle du budget national pourrait être aspirées par les frais d’installation des nouvelles provinces, causant ainsi un glissement du calendrier électoral.

Dans le contexte actuel, il faut savoir définir l’échelle des priorités.

Les élections locales, municipales, urbaines, législatives tant provinciales que nationales ainsi que l’élection présidentielle approchent toutes à grande vitesse et ce sont ces échéances qui constituent, dès lors, la priorité des priorités. Mais le Gouvernement se comporte comme si la RDC n’avait pas d’autres priorités pour le moment. Il se passe comme si l’on tentait de placer la charrue devant les bœufs.

Un autre écueil qui préoccupe les observateurs, c’est celui de la gestion de nouvelles provinces attendues. Si les dirigeants de toutes ces nouvelles entités gèrent comme cela se fait généralement en RDC, ces provinces ne vont pas se relever. Car, dans toutes les provinces de la RDC, les exécutifs provinciaux s’enrichissent alors que la population continue à souffrir. Le vrai problème actuel pour la RDC, ce n’est pas de multiplier le nombre de provinces, mais c’est bel et bien la gouvernance. C’est pourquoi, dans les conditions actuelles, le découpage territorial est retenu inopportun, parce que les nouvelles provinces risquent de poser plus de difficultés que les actuelles.[11]

3. NECESSITÉ ET URGENCE D’UN CALENDRIER ÉLECTORAL GLOBAL RÉAMÉNAGÉ

Selon Christophe Lutundula Apala, député national et Président national du MSDD (Mouvement solidarité pour la démocratie et le développement/Majorité présidentielle), le calendrier électoral publié par la CENI tient compte des délais constitutionnels impératifs prévus pour les mandataires politiques, plus particulièrement en ce qui concerne le Président de la République, les Députés nationaux, les Sénateurs, les Députés provinciaux, les Gouverneurs et Vice-gouverneurs des provinces.

Quelques observations qui nécessitent quelques réaménagements

Cependant, il nécessite de quelques réaménagements, afin de le rendre plus réaliste, plus rationnel, plus opérationnel et plus efficace.

En effet, même conçue dans une perspective pluriannuelle, l’enveloppe financière de plus d’un milliard de dollars américains, soit un peu plus de 10% du budget national, que ce calendrier requiert n’est pas facilement à la portée des ressources réelles de l’Etat congolais, à moins de sacrifier d’autres dépenses de fonctionnement des services administratifs même stratégiques et celles d’investissements publics dans certains secteurs vitaux de la vie nationale.

A ce sujet, il importe de rappeler que les partenaires extérieurs ne se sont jamais engagés à financer les élections locales, communales et urbaines qui obèrent lourdement le budget électoral en RDC. De même, les crédits prévus dans le budget de l’Etat pour l’exercice 2015 au titre des élections sont nettement insuffisants pour couvrir tous les scrutins programmés cette année et ceux de fonctionnement des organes qui en seront issus n’existent pas. Le Gouvernement devra, par conséquent, indiquer clairement au Parlement les sources de financement des nouvelles charges publiques.

Ensuite, s’agissant plus particulièrement des entités territoriales décentralisées (secteur, chefferie, commune et ville), il ne suffira pas de trouver les ressources requises en vue de l’élection des membres de leurs organes délibérants pour prétendre les rendre fonctionnelles et instaurer la démocratie à la base. Il faudra, en plus, réunir à cet effet, des moyens indispensables à leur fonctionnement minimal après les élections.

Ceci n’est pas évident au regard du modique budget de l’Etat congolais d’environ 9 milliards USD pour l’année 2015 dont moins de 5 Milliards en ressources propres, surtout quand on intègre la multitude des villes et communes créées par le Gouvernement au cours de dix dernières années.

Ainsi, de 169 il y a 15 ans, les entités territoriales décentralisées sont passées aujourd’hui à 1.435 dont 97 villes, 601 communes, 478 secteurs et 259 chefferies (Source : Ministère de l’Intérieur, sécurité décentralisation et affaires coutumières).

Sur base d’un nombre moyen de 25 élus par entité décentralisée, aux effectifs actuels de l’administration publique nationale, déjà pléthoriques, il faudra ajouter au moins 35.875 cadres politiques à rémunérer mensuellement. Avec une rémunération moyenne de 100 USD/mois, la RDC devra trouver des ressources additionnelles d’au moins 3.587.500 USD/mois, soit 43.050.000 USD par an, rien que pour les rémunérations de nouveaux élus locaux et municipaux ainsi que des membres de leurs exécutifs.

La mise en place des ETD et des organes locaux est un danger et un piège

A cet égard, il est intéressant de reproduire intégralement les conclusions très édifiantes tirées de l’expérience de la décentralisation en cours en RDC par Julien Paluku, Gouverneur de la province du Kivu depuis plus de 7 ans, dans la présentation qu’il a faite sur ce sujet, le 15 novembre 2014, à la tribune des ateliers organisés par le parti Lumumbiste Uni, PALU, au Grand Hôtel de Kinshasa.

Je le cite: «il saute à mes yeux que la mise en place des ETD (entités territoriales décentralisées) et des organes locaux est un danger et un piège pour la République Démocratique du Congo».

«Je ne nie pas la pertinence des élections locales, mais le contexte financier dans lequel se trouve la RDC va l’amener à presqu’un arrêt cardiaque si ces élections sont organisées. L’analyse objective que je partage avec vous est que la RDC va indiscutablement vers d’autres ratés en organisant les élections locales dans les conditions actuelles de notre budget. Notre système actuel de décentralisation est, à mon humble avis, à repenser en tirant des leçons sur les tâtonnements jusque là enregistrés».

«Ce système serait acceptable si la RDC avait un budget en ressources propres situé entre 20 et 30 milliards de dollars américains. C’est ainsi qu’avant d’atteindre ce budget, toute poursuite du processus de décentralisation actuel ne serait qu’un leurre et serait jeter de la poudre aux yeux de la population qui attend pourtant beaucoup de nous».

 «Voilà pourquoi, la réussite du processus passe par la réduction sensible des ETD pour les ramener de 1435 à 165 afin que les ressource collectées ne soient pas diluées dans le fonctionnement des institutions en sacrifiant le développement», fin de citation.

« Il est impérieux et plus efficace de recentrer la décentralisation »

Comme le Gouverneur Julien Paluku, j’estime qu’il est impérieux et plus efficace de recentrer la décentralisation pour la limiter au niveau du Territoire, de la commune (dans les grandes villes) et de la ville, plus viables que les secteurs, chefferies et les communes dites rurales qui n’ont ni le personnel requis ni une assiette fiscale susceptible de leur générer ne fût ce qu’au minimum les ressources nécessaires à leur fonctionnement.

Agir autrement serait faire preuve d’irresponsabilité criminelle et exposer les populations de l’arrière-pays à des pressions fiscales spoliatrices et à la rage «taxatoire» des agents publics prédateurs et véreux.

En sus des considérations budgétaires et financières développées ci-dessus, il convient de s’interroger sur la valeur ajoutée que les élections locales, communales et urbaines apporteront à la gouvernance générale du pays ainsi que sur leur impact politique sur la marche des entités territoriales décentralisées et la paix civile en leur sein, dans l’environnement délétère d’un pays post-conflit marqué encore par les désordres, l’anarchie l’absence de l’autorité de l’Etat et les séquelles des antivaleurs de la IIe République.

S’acharner à organiser ces élections en faisant fi de cet environnement et sans l’assainir préalablement, équivaudrait-il, sans doute, à se lancer dans une aventure qui ne donnerait au peuple qu’une illusion démocratique et finirait par créer des foyers des revendications salariales, de rançonnement des misérables populations locales et des tensions sociopolitiques difficilement maitrisables.

En tout cas, la démocratie à la base ne peut prospérer que quand elle rime avec le bien-être et la paix à la base.

Dès lors, en raison de la complexité et de la multiplicité des problèmes administratifs, financiers et politiques à résoudre préalablement aux élections locales, communales et urbaines (municipales) qui soient crédibles et utiles à la bonne administration des entités décentralisées, il est indispensable de les reporter. Il n’y a pour l’instant ni péril en la demeure ni appel en urgence du Peuple congolais à ce sujet. La RDC a plus besoin des administrateurs des Territoires compétents, apolitiques et animateurs du développement à la base que des politiciens des quartiers et des villages qui vont en rajouter aux maux qui minent l’Etat congolais.

Le report des élections locales, communales et urbaines préconisé ne peut être sine die comme par le passé. Il devra permettre au Gouvernement et au Parlement de réunir tous les pré requis législatifs, réglementaires et financiers pour mettre de l’ordre dans ces entités et donner à la CENI un cadre assaini en vue de l’organisation desdites élections (notamment vote des lois sur la caisse nationale de péréquation, sur la fonction publique nationale et régionale et le statut des chefs coutumiers, délimitation des nouvelles villes et communes, détermination du nombre des groupements et leur délimitation géographique, rétrocession ou transfert des recettes aux provinces et aux entités territoriales décentralisées….).

Le Gouvernement et le Parlement devront prendre un engagement ferme pour ce faire. Il ne s’agit pas de minimiser l’importance des élections locales, ni de les renvoyer aux calendes grecques. Il s’agit, en réalité, de revoir le calendrier électoral et de postposer les élections locales, communales et urbaines pour mieux les organiser. Ce report ne peut poser aucun problème juridique de constitutionnalité ou de légalité. En effet, le Constituant s’est limité à énumérer à l’alinéa 2 de l’article 3 de la Constitution les entités territoriales décentralisées (ville, commune, secteur et chefferie) et a laissé au législateur, à l’alinéa 4 du même article, le soin d’en fixer l’organisation, le fonctionnement ainsi que les rapports avec aussi bien l’Etat que les provinces. Les conseils des secteurs, des chefferies, des communes et des villes ne sont donc pas concernés par les délais constitutionnels dont on parle tant.

Priorité aux élections provinciales et nationales

C’est pourquoi, dans le cas de la RDC, la priorité doit être accordée à l’heure actuelle aux élections provinciales et nationales pour les raisons ci-après :

  1. la durée constitutionnelle des mandats des députés provinciaux, des gouverneurs et des sénateurs est largement dépassée (plus de 3 ans). Il est urgent et impérieux de conformer le fonctionnement des institutions provinciales et du Sénat à la Constitution.

Procéder autrement serait persévérer dans l’inconstitutionnalité et contraire à l’Etat de droit, une des valeurs cardinales de la démocratie et de la République;

  1. l’obligation de respecter les délais constitutionnels pour les institutions politiques provinciales et nationales est visée expresis verbis par la Constitution;
  2. le fonctionnement régulier et la stabilité des institutions provinciales et nationales sont déterminants pour la gouvernance générale du pays et conditionnent celle des entités décentralisées. Le bon déroulement des élections locales et municipales et la réussite de l’ensemble du processus de décentralisation du pays en dépendent aussi.

De tout ce qui précède, l’ordre des priorités devrait logiquement être celui-ci pour un calendrier électoral rationnel, réaliste, crédible et réalisable avec succès:

1.élections des Députés provinciaux : décembre 2015

2.élections des Sénateurs, des Gouverneurs et Vice-gouverneurs des provinces : janvier 2016

3.élection du Président de la République : novembre 2016

4.élection des Députés nationaux : novembre 2016

5.élections locales et municipales : pendant la 3ième législature

Le report relatif aux élections locales, communales et urbaines s’impose aussi pour l’installation de 26 nouvelles provinces constitutionnelles. En effet, l’installation précipitée, en 9 mois seulement, de ces provinces a toutes les chances, aux conditions actuelles, d’être un fiasco pour les raisons financières et politiques évidentes déjà invoquées.

A cet égard, est-il nécessaire de rappeler qu’installer 26 province signifie passer de 11 assemblées provinciales à 26, de 11 gouverneurs, vice-gouverneurs et gouvernements provinciaux à 26, de 11 à 26 Commissaires provinciaux de la Police nationale, de 11 à 26 commandants des régions militaires, de 11 à 26 chefs des divisions provinciales des ministères centraux, de 11 à
26 directeurs régionaux des services spécialisés et de renseignements et, à terme, de
11 à 26 Cours d’Appel, de 11 à 26 Parquets Généraux…. Tout sera multiplié par 2,3.

Il est donc essentiel de rationnaliser et d’échelonner le processus d’installation de nouvelles provinces s’il y a une volonté politique réelle de le réussir. En tout cas, quiconque voudrait saboter ce processus, ne chercherait pas un meilleur allié que la précipitation actuelle.

Une approche progressive qui commencerait par l’installation des provinces sans problèmes majeurs, politiques ou autres, conviendrait mieux et donnerait des meilleurs résultats que la précipitation pour des motivations, somme toute, obscures.

Cette précipitation que rien d’objectif ni de rationnel ne peut expliquer à ce jour, risque de faire éclater l’Etat congolais en 26 principautés misérables et fortement tribalisées. Ce serait un crime contre la décentralisation que d’instrumentaliser l’installation de nouvelles provinces prévues à l’article 2 de la Constitution pour des fins politiciennes.

En effet, beaucoup de compatriotes, en particulier les politiciens, attendent impatiemment les élections locales et municipales ainsi que l’installation de nouvelles provinces pour occuper des positions de pouvoir dans leurs patelins et se constituer des cagnottes qui leur permettraient de gravir rapidement les escaliers de l’ascension sociale, politique et économique, ce qu’il faudrait éviter.

Agir vite sur la CENI afin qu’elle réaménage le calendrier électoral dans le plus bref délai

Les parlementaires, toutes Chambres législatives et familles politiques confondues, devraient alors engager, dès la prochaine rentrée parlementaire, en toute responsabilité et maturité politique, un débat de vérité avec le Gouvernement de la République et la CENI, en vue d’un calendrier électoral réaménagé et consensuel, dans la perspective d’un contrat républicain qui liera tout le monde.[12]

4. ECONOMIE

Le 26 février, le responsable du Centre d’expertise, d’évaluation et de certification des substances minérales précieuses et semi-précieuses (CEEC) à Bunia, Eric Yamba, a déclaré que près de 60% de la production de l’or échappe au circuit normal d’achat et d’exportation des matières précieuses, en Ituri (Province Orientale). Il s’exprimait dans un atelier sur le suivi de la mise en œuvre de la certification des matières précieuses organisé par la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL). «La traçabilité normale de l’or au niveau de concessions nous échappe et ça prend diverses destinations. Il y a seulement une infime partie qui est achetée au niveau des comptoirs et le reste prend des destinations diverses», s’est-il plaint. Eric Yamba accuse des sous-traitants de la Société minière de Kilo Moto (Sokimo) et de la société minière Ashanti Goldfiels Kilo (AGK) de favoriser cette fraude minière.

Pour sa part, le conseiller au ministère des Affaires étrangères, Aimé Kakese, explique la sortie frauduleuse de l’or congolais de l’Ituri par le fait que les acheteurs congolais fonctionnent avec des capitaux venus des pays étrangers: «Toute la production de l’or disparait. Nous sommes effectivement devenus des commissionnaires des pays étrangers. Nous devons changer notre mentalité d’aller prendre de l’argent à l’étranger et venir acheter ici pour ensuite aller vendre encore à l’étranger. Des opérateurs économiques de l’Ituri ne bénéficient que des commissions».[13]

Selon l’organisation de défense de la nature Greenpeace, le secteur du bois en RDC qui est toujours en train de se reconstruire après des décennies de guerre est particulièrement peu réglementé. Selon l’ONG Transparency International, en 2014, la RDC se classait 152e sur 175, parmi les plus mauvais élèves dans le secteur. En effet, 90% du bois produit l’est en dehors de tout cadre légal. En 2002, la RDCongo a réformé son code forestier, mais le texte est incomplet. Tout un tas de mesures d’application en sont toujours absentes. Résultat: les infractions ne sont que rarement détectées. Et si elles le sont, les sanctions ne sont pas assez dissuasives.

À l’heure actuelle, plus de 90% de l’économie du bois est informelle. Elle se fait sans aucune perception de taxe, si ce n’est sous forme de corruption. Les concessions industrielles ne représentent par exemple que 10% de l’exploitation forestière du pays, soit 300 000 m3 de bois par an. Or entre 3 et 4 millions de m3 de grumes, soit 10 fois plus sont produits et vendus au Congo, sans aucune réglementation. Enfin, environ 1 million de m3 de bois part chaque année de l’est du Congo vers les pays voisins de façon totalement clandestine. Un business qui continue de profiter à des groupes armés et certains notables, au détriment de l’Etat, mais aussi de la forêt. Selon le Think Tank Africa Progress Panel, 17 milliards de dollars échapperaient, chaque année, aux économies de la région à cause du trafic de bois.[14]

[1] Cf Radio Okapi, 28.02.’15

[2] Cf Radio Okapi, 03.03.’15

[3] Cf Radio Okapi, 05.03.’15

[4] Cf AFP – Jeune Afrique, 03.03.’15

[5] Cf RFI, 10.03.’15

[6] Cf La Prospérité – Kinshasa, 12.03.’15 (via mediacongo.net)

[7] Cf Radio Okapi, 18.03.’15

[8] Cf RFI, 10.03.’15

[9] Cf La Tempête des Tropiques – Kinshasa, 11.03.’15

[10] Cf texte intégral de la loi: http://www.mediacongo.net/show.asp?doc=77990#

[11] Cf Forum des As – Kinshasa, 04.03.’15

[12] Cf Christophe Lutundula Apala Pen’Apala (*) – Le Potentiel – Kinshasa, 02.03.’15  http://www.lepotentielonline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=12060:necessite-et-urgence-d-un-calendrier-electoral-global-reamenage-en-republique-democratique-du-congo&catid=90:online-depeches

[13] Cf Radio Okapi, 27.02.’15

[14] Cf RFI, 11.03.’15