SOMMAIRE
ÉDITORIAL: Un calendrier électoral global « constitutionnel, mais non consensuel, irréaliste et incohérent »
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ARRESTATIONS EN SÉRIE SUITE AUX MANIFESTATIONS DU 19, 20 ET 21 JANVIER
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UNE ANALYSE CRITIQUE DE LA LOI ÉLECTORALE
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L’ATTENTE DE LA PUBLICATION D’UN CALENDRIER ÉLECTORAL GLOBAL
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ENFIN, LA PUBLICATION DU CALENDRIER ÉLECTORAL GLOBAL
1. ARRESTATIONS EN SÉRIE SUITE AUX MANIFESTATIONS DU 19, 20 ET 21 JANVIER
Arrestations en série et vieux procès remis au goût du jour: des voix s’élèvent en RDCongo pour dénoncer une tentative d’étouffement de l’opposition.
Le chef de la Mission de l’ONU (Monusco), Martin Kobler, a déclaré que la Monusco a suivi «les arrestations de l’opposition et des autres activistes des droits de l’Homme» et il a appelé le gouvernement congolais à respecter « l’état de droit » et à déférer en justice les personnes arrêtées ou à les relâcher si innocentes. L’ONG Human Rights Watch avait déjà dénoncé une vague d’arrestations « arbitraires » menée contre des dirigeants de l’opposition « dans une tentative apparente de les réduire au silence« . Mi-janvier, avant même l’explosion de colère, une plateforme congolaise d’ONG pour la défense des droits de l’Homme dénonçait des « arrestations et détentions arbitraires » et l' »obstruction à l’exercice des libertés d’expression et d’opinion et au droit de manifestation » que subissait l’opposition. « Les intimidations, les arrestations arbitraires, les tueries, les procès bidons… Tout cela traduit le désarroi du pouvoir, il est aux abois et donc il doit recourir à toutes les stratégies », a estimé Fidel Bafilemba, chercheur pour l’ONG américaine Enough Project.[1]
Le 28 janvier, la Cour Suprême de Justice (CSJ) a décidé de juger l’affaire qui oppose Wivine Moleka, députée du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), parti au pouvoir, à Vital Kamerhe, président de l’UNC, un parti de l’opposition. En 2011, Vital Kamerhe avait fait des déclarations dénonçant une fraude électorale massive et avait cité en exemple le cas de la députée. Les deux parties avaient conclu en décembre 2013 un arrangement à l’amiable, ayant Wivine Moleka renoncé à toute action judiciaire. Mais sur base du réquisitoire de pourvoi en cassation introduit par le Procureur général de la République sur injonction de l’ancien ministre de la Justice, explique un avocat de Kamerhe, la Cour suprême de justice vient de décider de juger le président de l’UNC en premier et dernier ressort. L’UNC, le parti de Kamerhe, a dénoncé la nouvelle procédure comme un acharnement aux allures politiciennes, destiné à empêcher son leader de se présenter à la prochaine présidentielle en obtenant sa condamnation.[2]
Le 29 janvier, dans une déclaration rendue publique à Kinshasa, l’Opposition a menacé de marcher de nouveau en cas d’arrestation de Vital Kamerhe. Elle a exigé également la libération de Diomi Ndongala, JB Ewanga, JC Muyambo, Vano Kiboko, Christopher Ngoyi, d’autres militants des partis politiques, des membres de la société civile et des étudiants arrêtés à Kinshasa et à l’intérieur du pays, du fait de leur participation aux dernières manifestations contre la révision de la loi électorale.[3]
Le 2 février, dans une lettre ouverte adressée au président Kabila et concernant les manifestations du 19, 20 et 21 janvier 2015, 666 organisations affiliées à la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) ont demandé «justice et réparation pour toutes les victimes des graves violations des droits humains commises ces jours-là et l’ouverture de poursuites pénales et actions disciplinaires contre les présumés auteurs de ces violences». Elles ont réclamé également la libération de plusieurs opposants et personnalités arrêtées dans le sillage des manifestations. Les ONG signataires ont aussi «dénoncé l’usage excessif de la force par les forces de sécurité congolaises qui a causé la mort de plusieurs dizaines de personnes».[4]
Le 5 février, au cours d’une conférence de presse à Kinshasa, le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende, a indiqué que le défenseur des droits de l’homme, Christopher Ngoyi Mutamba, a été arrêté pour «une série d’incriminations», dont incendie volontaire, actes de pillage et incitation à la haine raciale, notamment contre les personnes de race chinoise. Lambert Mende a assuré que les avocats du prévenu le voient et que sa famille sait où il est détenu: «Je ne pense pas que les associations des droits de l’homme aient des droits particuliers à exiger d’être informés. Non. Il n’y a que sa famille et ses avocats qui ont le droit de le savoir».
Les ONG des droits de l’homme ont dénoncé mardi dernier une «instrumentalisation de la justice à des fins politiques» après l’arrestation de plusieurs leaders de l’Opposition et défenseurs des droits humains dans le but, selon elle, de les réduire au silence.
Le gouvernement s’est défendu face à cette dénonciation, parlant de fausse allégation visant à faire pression sur la justice. Evoquant les dernières manifestations populaires contre le vote de la loi électorale au Parlement, le porte-parole du gouvernement a donné un bilan de 27 personnes tuées, dont 4 à Goma. Lambert Mende a parlé aussi de près de 500 personnes interpellées par la police, dont 130 -des étudiants- qui ont été remis en liberté, 12 qui sont blessés et hospitalisés et 49 mineurs qui ont été mis à la disposition du juge pour enfants.[5]
Le 10 février, le militant des droits de l’homme Christopher Ngoyi, arrêté le 21 janvier pendant les manifestations contre la loi électorale à Kinshasa, a été présenté au ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Evariste Boshab. La police judicaire qui l’a présenté l’accuse d’être auteur ou co-auteur des troubles enregistrés pendant les manifestations contre la loi électorale. Elle a annoncé le transfert de Christopher Ngoyi au Parquet général. Il est poursuivi pour dix chefs d’accusation: incendie volontaire, destruction méchante, propagation de faux bruits, propagande subversive, incitation à la désobéissance civile, incitation à la violence, incitation à la haine raciale, incitation des militaires à commettre des actes contraires au devoir ou à la discipline, association de malfaiteurs, attentat et complot tendant à porter le massacre, la dévastation ou le pillage et atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat.[6]
2. UNE ANALYSE CRITIQUE DE LA LOI ÉLECTORALE
Dans une analyse critique de la loi électorale telle que modifiée par la commission paritaire en janvier 2015, l’avocat Jean-Marie Kabengel Ilunga relève que des zones d’ombre demeurent, dès lors que la répartition des sièges dans une circonscription reste conditionnée au nombre d’habitants en lieu et place du nombre d’électeurs et, donc, au recensement et à l’identification de la population. Il estime que le risque de glissement des élections demeure, malgré la suppression de l’alinéa 3 de l’article 8 de cette loi par les deux chambres.
Par exemple, selon l’article 115 – alinéa 2 – points 1, 2 et 4 de la loi modifiée en janvier 2015, relative aux élections des Députés Nationaux,
«Chaque circonscription électorale a droit à un nombre de députés égal au résultat des opérations suivantes:
- Un quotient électoral est obtenu en divisant le nombre total d’habitants de la RDCongo par le nombre total des sièges (500) à pourvoir à l’Assemblée nationale;
- le nombre de sièges à pourvoir dans chaque province est obtenu par la division du nombre total d’habitants de cette province par le quotient électoral;
- le nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription est obtenu par la division du nombre total d’habitants de cette circonscription par le même quotient électoral».
Toutefois, selon le même article 115 de la loi n°06/006 du 09 mars 2006 telle que modifié par la loi n°11/003 du 25 juin 2011,
«Chaque circonscription électorale a droit à un nombre de députés égal au résultat des opérations suivantes :
- un quotient électoral est obtenu en divisant le nombre d’électeurs enrôlés de la RDCongo par le nombre total des sièges (500) à pourvoir à l’Assemblée Nationale ;
- le nombre de sièges à pourvoir dans chaque province est obtenu par la division du nombre d’électeurs enrôlés de cette province par le quotient électoral ;
- le nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription est obtenu par la division du nombre total d’électeurs enrôlés de cette circonscription par le même quotient électoral».
Comme on peut se rendre compte, on a remplacé le « nombre des électeurs enrôlés » par le « nombre d’habitants ». Or ce nombre d’habitants ne peut être connu qu’à la suite des opérations de recensement et d’identification de la population.
On constate la même problématique à propos des élections des Députés provinciaux. En effet, selon l’article 145 – alinéa 3 de la loi de janvier 2015, «le nombre de sièges à pourvoir pour chaque Assemblée Provinciale … est calculé proportionnellement au nombre d’habitants de la province» et, selon l’article 146 – alinéa 1 – points 1 et 2 de la même loi, «chaque circonscription électorale a droit à un nombre de députés provinciaux égal au résultat des opérations suivantes:
1. un quotient électoral par province est obtenu en divisant le nombre total d’habitant de cette province par le nombre de siège à pourvoir à l’Assemblée Provinciale;
- le nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription est obtenu par la division du nombre total d’habitants dans cette circonscription par le nombre de sièges à pourvoir à l’Assemblée de la province».
Et l’alinéa 2 de cette disposition dit que «les dispositions de cet article s’appliquent mutatis mutandis aux élections des conseillers municipaux de secteur ou de chefferie».
Toutefois, l’article 146 de la loi du 09 mars 2006 qui n’avait pas été modifié en 2011, faisait allusion au «nombre des électeurs enrôlés».
Dans les articles 192 – alinéa 1 et 208 – alinéa 1 de la loi de janvier 2015, respectivement relatifs aux élections des conseillers municipaux et aux conseillers de groupement, le nombre des électeurs enrôlés a été remplacés par le nombre des habitants.
Enfin, l’article 237 ter – alinéa 2 de la loi de janvier 2015 stipule que «les dispositions des articles 145 alinéa 3, 146, 192 alinéa 1 et 208 alinéa 1 ne s’appliquent pas aux scrutins électoraux des cycles 2006 et 2011 non encore organisés», ce qui revient à dire qu’on soutient un schéma consistant à l’organisation d’abord des élections locales, municipales, urbaines et provinciales, avant celles législatives et présidentielle.
Or, on le sait: ces scrutins ne peuvent pas prendre moins de deux ans pour leur tenue. En conséquence, le schéma du glissement des autres élections est bien tracé.
En conclusion, bien que l’alinéa 3 de l’article 8 ait été élagué, le risque d’un glissement n’est pas totalement exclu, car au cas où la CENI envisagerait de coupler les élections présidentielle et législatives comme en 2006 et en 2011, elle serait tenue aux résultats du recensement, en ce que pour la tenue de ces dernières, il faut compter pour la répartition des sièges avec le nombre d’habitants exigé par la loi électorale de janvier 2015 dans chaque circonscription, et donc avec les résultats du recensement et d’identification de la population.
Dans ces conditions, même si un nouveau Président de la République sera élu en 2016, il sera tenu de gouverner avec la majorité parlementaire actuellement en place, au cas où les scrutins présidentiels et législatifs seraient séparés.
Ainsi, tout compte fait, le législateur de janvier 2015 a trompé le peuple Congolais en supprimant l’alinéa 3 de l’article 8, alors que d’autres dispositions du même texte retiennent l’esprit et la lettre de ladite disposition prétendument supprimée. Il en est ainsi des articles 115, 145 alinéa 1er, 146, 192, 208 et 237 ter.[7]
3. EN ATTENTE DE LA PUBLICATION D’UN CALENDRIER ÉLECTORAL GLOBAL
Le 27 janvier, deux jours après le vote d’une loi électorale controversée ayant provoqué des violences meurtrières à Kinshasa, l’opposition congolaise a exigé la publication d’un calendrier global des scrutins à venir. «Nous mettons en demeure la Commission électorale nationale indépendante (Céni) […] de publier, sans délai, un calendrier global et consensuel dans le strict respect des échéances prévues en 2016 par la Constitution», indique la déclaration publiée par une cinquantaine de partis de l’opposition congolaise et d’associations. Parmi la cinquantaine de signataires, Samy Badibanga, chef du groupe parlementaire UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social, premier parti d’opposition à la Chambre basse) et Vital Kamerhe, président de l’Union pour la Nation congolaise (UNC, troisième parti d’opposition).[8]
Selon Christophe Lutundula, député national de la majorité, «la priorité doit être l’élection des députés provinciaux, pour qu’ils puissent élire les gouverneurs et les sénateurs nationaux, dont les mandats sont excédés depuis 2012». Pour rappel, l’ancien ministre des Finances, Matata Ponyo, avait annoncé en décembre 2011 que le gouvernement du Premier ministre Adolphe Muzito avait prévu un financement pour les élections provinciales et sénatoriales de 2012.[9]
Le 3 février, lors d’une conférence de presse au siège de la conférence épiscopale française, le président de la Commission Justice et paix de la Conférence épiscopale nationale de la République démocratique du Congo (CENCO), Mgr Fridolin Ambongo, a remis en perspective les événements récents de Kinshasa.
Il a d’abord affirmé que, «depuis les années 1990, le vent de la démocratie a été étouffé dans la majorité de nos pays. Or il souffle à nouveau, ce dont beaucoup de dirigeants ne se sont pas encore rendus compte. Il vient d’en bas, de la société, et non pas d’en haut, comme lors du discours de La Baule en 1989». «Le peuple congolais est en train de basculer», a prévenu Mgr Fridolin Ambongo. «Il avait la réputation d’être mou, passif, de s’accommoder de tout. Or il est en train de relever la tête. Il ose s’exprimer. C’est un changement fondamental qui va en entrainer beaucoup d’autres. C’est pour nous un changement irréversible».
«Le point de départ a été la volonté du président de se maintenir au-delà de ce qui est requis par la Loi fondamentale», a-t-il expliqué. «Le pouvoir a utilisé deux moyens. Il a d’abord voulu changer la loi fondamentale et supprimer la limite des deux mandats qui figure dans l’article 220 de la Constitution. Il a essayé d’obtenir cette modification du parlement, mais ça n’a pas marché. Il y a eu une levée de boucliers de la société civile et surtout de l’Église catholique».
«Il a alors joué une autre carte», a raconté le président de la Commission Justice et paix. «Il a voulu conditionner le calendrier électoral – des élections législatives et présidentielle en 2016 – au déroulement d’un recensement général de la population, le premier depuis trois décennies. Or les statisticiens disent que cela prendrait quatre ou cinq ans, à cause du manque d’infrastructures adéquates dans le pays. Cela équivaudrait donc à un nouveau mandat complet, gratuit, pour le président».
«Cela a provoqué des manifestations contre lesquelles le pouvoir a violemment réagi», a-t-il affirmé. «Comme pasteurs, nous étions révoltés. Comment un régime peut-il sortir les armes contre des manifestants qui réclament plus de démocratie? En même temps, nous étions au comble de l’étonnement avec cette résistance de la population», a souligné Mgr Fridolin Ambongo. «L’opposition, qui avait été si souvent ridiculisée, méprisée, a su organiser la contestation. Et le peuple a fait preuve de courage en osant se dresser malgré l’interdiction de manifester. Face à cette résistance, le pouvoir a dû faire marche arrière. L’alinéa 3 du paragraphe 8 du projet de loi contesté a été retiré à l’Assemblée».
«Que va faire le pouvoir maintenant?», s’est interrogé l’évêque. «Malgré ces deux échecs, il n’a pas renoncé à se maintenir. Nous avons deux indications de sa détermination. D’une part, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) n’a pas encore publié le calendrier électoral des deux prochaines années. D’autre part, nous-mêmes de la conférence épiscopale, nous avons rencontré le président Kabila et nous lui avons demandé : en 2016, vous retirez-vous ou pas? Il n’a pas clarifié sa position. C’est donc qu’il cherche encore un mécanisme qui lui permettrait de prolonger son mandat». «L’enjeu, c’est le respect de la Loi fondamentale de notre pays qui dit: au Congo, on ne peut pas faire plus de deux mandats présidentiels. Le président Kabila est à la fin de son second mandat. Conformément à la loi fondamentale du pays, il ne peut plus se représenter», a précisé Mgr Fridolin Ambongo, lors d’un entretien après la conférence de presse.
Membre de la plateforme « Tournons la Page » pour l’alternance démocratique en Afrique, Mgr Ambongo effectue avec d’autres religieux une tournée à Berlin, Paris et Bruxelles pour sensibiliser aux enjeux de l’alternance en Afrique.
À ce propos, l’abbé Léonard Santedi, prêtre de Kinshasa, également présent à Paris, a insistè: «Le combat pour l’alternance démocratique doit être soutenu. Nous voulons que les puissances occidentales soutiennent et accompagnent la nouvelle donne en Afrique. Nous avons besoin de paroles fortes et de mises en garde adressées à des dirigeants tentés de s’accrocher au pouvoir».[10]
Le 4 février, le chef de la Monusco, Martin Kobler, a déclaré que la communauté internationale attende toujours la publication du calendrier électoral global qui inclurait également les élections législatives et présidentielle de 2016, condition posée pour le financement du processus électoral. Pour le moment, la Ceni n’a publié que le calendrier des élections urbaines, locales et municipales prévues en 2015.[11]
Le 9 février, au cours d’une conférence de presse à Kinshasa, l’Envoyé spécial des Etats-Unis dans les Grands Lacs et en RDCongo, Russ Feingold, a déclaré que «le transfert de pouvoir doit se faire de manière paisible et démocratique à travers la tenue d’élections crédibles et transparentes» et il a réitéré la demande de la publication d’un calendrier électoral complet qui devrait inclure la tenue des élections présidentielles: «Nous espérons que ce calendrier électoral complet comportera un engagement clair à tenir l’élection présidentielle avant la fin de 2016 comme le demande la Constitution. Pour ce qui est de savoir s’il faut tenir des élections locales en 2015, franchement, c’est du ressort du peuple et du gouvernement congolais, pour autant que de telles élections ne sont pas utilisées pour retarder celles qui sont prévues par la Constitution», a-t-il affirmé, en ajoutant: «Nous [les Etats-Unis] sommes opposés à ce que l’on modifie les constitutions pour favoriser les dirigeants déjà au pouvoir, ou à ce que l’on revoie les processus électoraux pour maintenir un chef d’Etat en poste». L’Envoyé spécial des Etats-Unis dans les Grands Lacs a fait savoir que le manque de financement ne devait pas être une excuse pour ne pas organiser les élections en RDC. «Il ne faut pas que cet argument soit utilisé pour faire en sorte que les élections ne se tiennent pas dans un temps opportun», a souligné le diplomate américain. Au sujet du financement des prochaines élections en RDC, il a affirmé que son pays avait déjà décaissé 20 millions de dollars américains.[12]
4. LA PUBLICATION DU CALENDRIER ÉLECTORAL GLOBAL
Le 12 février, le chef de l’État Joseph Kabila a promulgué la nouvelle loi électorale adoptée le 25 janvier dernier au Parlement.[13]
Le 12 février, la Commission Électorale Nationale Indépendante a publié le « calendrier électoral global » tant attendu.
Les élections présidentielle et législatives se tiendront le 27 novembre 2016.
La proclamation des résultats provisoires de l’élection présidentielle aura lieu le 7 décembre 2016. Les résultats définitifs seront annoncés le 17 décembre 2016. Le nouveau chef de l’Etat prêtera serment le 20 décembre 2016. Les résultats définitifs des élections législatives seront publiés le 27 janvier 2017.
Les élections provinciales, municipales, urbaines et locales auront lieu le 25 octobre 2015. Les résultats seront annoncés le 10 décembre.
Les sénateurs seront élus le 17 janvier 2016 alors que l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs aura lieu le 31 janvier 2016.
Le rapporteur de la Céni, Jean-Pierre Kalamba, a assuré que «le calendrier est faisable, pourvu que les fonds soient libérés à la bonne date». Toutefois, Kalamba a prévenu que la tenue de tous les scrutins dépendrait d’un certain nombre de « contraintes » dont la responsabilité incombe essentiellement au gouvernement. Pour la présidentielle et les législatives, il a cité « l’exécution du plan de décaissement des fonds » ou encore le vote de la loi fixant le découpage des circonscriptions électorales et de la loi sur la répartition des sièges des députés sur le territoire national et l’actualisation de la liste des partis politiques agréés.
Peu avant la publication de ce calendrier électoral global, le président de la Ceni, abbé Malumalu avait déclaré que l’organisation de ces élections nécessitera 1.145.408.680 dollars américains et que la Ceni a déjà convenu avec le gouvernement un plan de décaissement pour le financement de ces élections.
Ci-dessous des dates clés:
25 octobre 2015: Élections provinciales, municipales, urbaines et locales
10 décembre 2015: Publication résultats des élections provinciales, municipales, urbaines et locales
17 janvier 2016: Élections des sénateurs
31 janvier 2016: Élections des gouverneurs et vice-gouverneurs
27 novembre 2016: Élections Présidentielles et Législatives
07 décembre 2016: Annonce des résultats provisoires de la Présidentielle
17 décembre 2016: Publication des résultats définitifs de la Présidentielle
20 décembre 2016: Prestation de serment du président élu.
27 janvier 2017: Publication des résultats définitifs des élections législatives.[14]
La nouvelle loi électorale adoptée le 25 janvier et promulguée le 12 février lie cependant potentiellement la tenue des prochaines législatives aux résultats du recensement général. Ce scrutin devant avoir lieu le même jour que la présidentielle, certains juristes ou opposants craignent que cette disposition puisse être utilisée pour retarder l’échéance de « l’élection présidentielle ».[15]
Une contrainte évoquée par la Ceni concerne le vote et la promulgation du projet de loi de répartition des sièges des députés sur le territoire national. Cette loi exigerait un redécoupage des circonscriptions électorales fondé sur le nombre d’habitants et non plus sur le nombre d’électeurs enrôlés. Selon le calendrier électoral global, la Ceni prévoit le vote et l’adoption de cette loi entre le 13 avril et le 2 mai 2016. Toutefois, cette loi dépend largement du recensement général, qui reste un préalable à l’organisation des législatives dans la nouvelle loi électorale. Étant les législatives couplées à la présidentielle, cela posera sûrement problème au cas où les législatives seraient retardées. Pour éviter cet écueil, dans une interview à Jeune Afrique le président de la Ceni, l’abbé Malumalu, avait lui-même recommandé de revenir à la délimitation des circonscriptions électorales en fonction du nombre d’électeurs enrôlés ou de déconnecter les scrutins législatifs et présidentiel: «Très tôt, sans ambages et en toute transparence, la Ceni avait attiré l’attention des responsables politiques sur ce problème. Ils ne peuvent pas dire qu’ils ne savent pas. Il leur appartient de revenir, ou pas, en arrière. C’est-à-dire de revenir à la délimitation des circonscriptions électorales en fonction du nombre d’électeurs, telle qu’elle existait auparavant, et non en fonction du nouveau recensement. Si l’on n’accepte pas de la déconnecter des législatives, la présidentielle risque d’être rattrapée à son tour par ce problème».[16]
Le 15 février, au terme de deux jours de discussion à Kinshasa, l’opposition congolaise a qualifié le calendrier électoral global publié par la Ceni de « non consensuel, irréaliste et incohérent ». Les opposants, qui affirment ne pas rejeter « totalement » ce calendrier, promettent d’apporter à la Ceni leur contribution pour le rendre plus réaliste et faisable.
L’opposition estime que la Ceni, quoique détentrice du pouvoir légal d’arrêter le calendrier électoral, aurait dû consulter les acteurs politiques et ceux de la société civile à l’effet de rechercher un minimum de consensus.
Elle relève également le nombre élevé des contraintes externes et internes listées par la Ceni et propose un toilettage urgent des aspects qui posent problème dans ce calendrier.
L’opposition s’inquiète d’un calendrier trop serré qui pourrait entraîner du retard dans l’organisation des différents scrutins et, donc, un glissement du calendrier électoral. Elle aimerait donc fixer des priorités: faire attendre les locales, qui n’ont jamais été organisées, pour se concentrer sur les provinciales, législatives et surtout la présidentielle.
L’opposition s’est cependant réjouie que le calendrier électoral publié par la Ceni respecte la constitution au sujet de l’élection présidentielle.[17]
«J’ai beaucoup de doutes sur le réalisme de ce calendrier», a réagi un député de l’opposition, selon qui, la mise en œuvre effective de ce calendrier prévoyant la tenue de sept élections en moins de deux ans et le calendrier étant extrêmement serré, «il suffirait de ne pas respecter les étapes pour tomber dans le piège du glissement de toutes les étapes électorales suivantes».
Député du Mouvement de Libération du Congo (MLC), deuxième force de l’opposition à l’Assemblée nationale, Fidèle Balala, a déclaré craindre que, «en commençant par les élections locales, le gouvernement puisse dire après qu’on n’a plus d’argent pour organiser les législatives et la présidentielle».
Parlant sous le couvert de l’anonymat, un ministre va plus loin en disant que «le calendrier électoral envisagé par la Ceni […] n’est pas tenable … Le montant demandé par la Céni est d’environ 1,1 milliard de dollars, mais la RDCongo a un budget annuel de quelque 9 milliards de dollars et même avec l’aide de la communauté internationale, nous ne trouverons pas ces moyens».[18]
Le sénateur Jacques Djoli a déclaré de ne pas croire que la Ceni puisse organiser des bonnes élections en un temps si réduit. Il a affirmé que sans tout l’arsenal juridique et avec des contraintes tant politiques que temporelles, ce calendrier est plus politique que technique et crée des incertitudes sur sa matérialisation. Jacques Djoli redoute le plan de la faisabilité des élections à venir au moment où la Ceni dit n’avoir pas encore reçu la liste d’entités décentralisées, soit des circonscriptions, alors qu’on va passer de 169 circonscriptions électorales en 2011 à plus de 1300 voire 1 500 circonscriptions en 2015. À propos des élections locales, municipales et urbaines, cet ancien vice-président de la Ceni a affirmé que «personne ne conteste l’importance de cette consultation, mais c‘est leur chevauchement avec les autres élections qui peut perturber le calendrier électoral», en ajoutant que, «si on veut avoir des bonnes élections dans ce délai très réduit, mieux vaut postposer les élections locales, municipales et urbaines au moment précis où nous aurons des textes relatifs à la décentralisation».
Pour le président du groupe parlementaire Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), Ramazani Shadari, il n’est pas question de renvoyer les élections locales après les présidentielles et les législatives car, selon lui, toutes les élections pourront se tenir. «Nous avons deux années pour organiser les scrutins. Les moyens sont en train d’être recherchés par-ci, par-là. Tout le monde a demandé le calendrier global. Cette fois, le calendrier global est là. Qu’est-ce qu’on cherche encore? Nous l’Assemblée, nous serons prêts sans faute. Au mois de mai, vous aurez toutes les lois annexes concernant la répartition des sièges à différents niveaux». Le PPRD semble d’ores et déjà lancé dans la course aux élections. Dans deux semaines, un congrès servira à désigner les candidats du parti au pouvoir pour les sept scrutins à venir.[19]
Le député de l’opposition et président d’Envol, Delly Sessanga, estime que le consensus n’a pas été recherché dans l’élaboration du calendrier électoral publié jeudi 12 février par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Il en appelle à la recherche de ce consensus. Parmi les sujets autour desquels le consensus aurait dû être trouvé, le député de l’opposition cite notamment les contraintes évoquées par la Ceni elle-même lors de la publication du calendrier électoral.
«Ces contraintes auraient pu être discutées en amont sur une feuille de route, pour permettre à la Ceni de publier un calendrier global sans condition. Mais la Ceni a publié un calendrier global avec condition», indique le président d’Envol.
Par contre, Luzanga Shamandevu, l’un des porte-parole de la Majorité présidentielle, estime, pour sa part, qu’un dialogue n’est plus opportun puisque le calendrier électoral a déjà été publié. Luzanga Shamandevu soupçonne l’opposition de vouloir organiser de longues discussions politiques pour partager le pouvoir. «Ils ne vous le disent pas clairement. Mais l’opposition veut encore que nous puissions nous asseoir comme à Sun City, que nous puissions partager le pouvoir avant d’aller aux élections. C’est ça qu’ils disent», argumente le porte-parole de la majorité. Pour lui, le vrai problème qui se pose actuellement est celui du financement du processus électoral.[20]
Le 15 février, dans un document rendu public à Kinshasa, le Groupe de Travail sur les Élections (GTE) a plaidé pour un consensus politique autour du calendrier électoral global, publié le 12 février par la Ceni. Dans ce document, le GTE préconise la tenue d’un dialogue politique entre les partenaires engagés au processus électoral en cours. Cette structure propose que cette rencontre puisse plancher sur le budget des élections, le chronogramme du processus électoral et le délai accordé à la réalisation des quatre échéances électorales. Pour le GTE, le budget des élections, évalué à plus d’un milliards de dollars américains, devra être discuté afin de le rapprocher à la réalité congolaise. A propos du chronogramme, le document parle de manque d’assurances sur la tenue des élections présidentielles et législatives, fixées au 27 novembre 2016. Selon le document, la Ceni doit donner des assurances sur la tenue de ces scrutins à cette date. Le GTE juge le délai de 24 mois comme “objectivement irréaliste pour les cinq échéances électorales”.[21]
[1] Cf AFP – Africatime, 29.01.’15
[2] Cf Radio Okapi, 28.01.’15; La Voix de l’Amérique – Africatime, 29.01.’15
[3] Cf Julie Muadi – La Tempête des Tropiques – Kinshasa, 30.01.’15
[4] Cf AFP – Africatime, 02.02.’15
[5] Cf Radio Okapi, 05.02.’15
[6] Cf Radio Okapi, 10.02.’15
[7] Cf La Tempête des Tropiques – Kinshasa, 11.02.’15 http://7sur7.cd/new/2016-le-risque-de-glissement-persiste/
[8] Cf AFP – Africatime, 27.01.’15
[9] Cf Jay Faustin Kumwaf – Le Potentiel – Kinshasa, 29.01.’15
[10] Cf Jean-Christophe Ploquin – La Croix, 09.02.’15; AFP – Africatime, 04.02.’15
[11] Cf Radio Okapi, 05.02.’15
[12] Cf Radio Okapi, 09.02.’15; AFP – Africatime, 09.02.’15; La Voix de l’Amérique, 09.02.’15
[13] Cf Radio Okapi, 12.02.’15
[14] Cf Radio Okapi, 12.02.’14; Habibou Bangre – AFP – Africatime, 12.02.’15
[15] Cf Habibou Bangre – AFP – Africatime, 12.02.’15; Belga – Le Vif, 13.02.’15
[16] Cf AFP – Jeune Afrique, 13.02.’15
[17] Cf Radio Okapi, 15.02.’15; RFI, 14.02.’15
[18] Cf Habibou Bangre – AFP – Africatime, 12.02.’15; Belga – Le Vif, 13.02.’15
[19] Cf Radio Okapi, 14.02.’15; RFI, 14.02.’15
[20] Cf Radio Okapi, 15.02.’15
[21] Cf Radio Okapi, 16.02.’15