SOMMAIRE
INTRODUCTION
1. LA PRÉSUMÉE «PLANIFICATION» DU GÉNOCIDE DES RWANDAIS TUTSIS
a. Récit «officiel»
b. Histoire complexe
c. La «planification»
2. L’ATTENTAT DU 6 AVRIL 1994
a. Le rapport Hourigan étouffé
b. «L’histoire secrète de la boîte noire»
c. Le scandale
3. «J’AI ASSISTÉ À LA PRÉPARATION DE L’ATTENTAT QUI A DÉCLENCHÉ LE GÉNOCIDE»
INTRODUCTION
Le 01 Octobre 1990, le Rwanda, naguère havre de la paix, est attaqué par des éléments de la NRA (Armée régulière de l’Uganda) sous la bannière du Front Patriotique Rwandais (FPR-INKOTANYI) .
Le 06 Avril 1994, vers 20h30, l’avion transportant les Présidents Juvénal HABYARIMANA du RWANDA et Cyprien NTARYAMIRA du BURUNDI ainsi que leurs collaborateurs, est abattu dans le ciel de KANOMBE en provenance de la TANZANIE à l’issue d’une conférence au Sommet sur la question du Burundi. Ils succombent tous, y compris les membres d’équipage de nationalité française, du crash de l’avion.
Le détonateur final est déclenché, le pays bascule immédiatement dans des troubles sans précédents qui provoquent littéralement l’implosion du Rwanda. Ce fut la tragédie et il s’en suivit une horreur indescriptible.
1. LA PRÉSUMÉE «PLANIFICATION» DU GÉNOCIDE DES RWANDAIS TUTSIS
Par Serge Dupuis, chercheur spécialisé dans l’Afrique des Grands Lacs
Afin de rendre compte du génocide qui coûta la vie à quelque 500.000 à 800.000 Rwandais tutsis entre les mois d’avril et juillet 1994, le régime du président Paul Kagame, en place à Kigali depuis ce moment-là, ainsi que ses soutiens et relais dans le monde et en France, ont produit un récit qui prétend fournir la clé d’explication universelle de cette tragédie. Selon ce récit, qui s’est largement imposé auprès de la communauté internationale et qui constitue, de ce fait, la version officielle des événements concernés, le projet de génocide des Rwandais tutsis aurait été inscrit dans les faits dès la fin des années 1950 et le début des années 1960. L’événement fondateur en aurait été la «Révolution sociale» de 1959. Dirigée contre la monarchie tutsie, cette révolution fut, de fait, marquée par les premiers pogroms visant la population tutsie et le départ en exil de milliers de ses membres. Surtout, elle prépara l’accession au pouvoir, un an plus tard, de ses initiateurs, les élites hutues qui, selon ce récit, étaient animées par une idéologie ethno-nationaliste, qui définissait la minorité tutsie comme descendante d’envahisseurs venus d’Afrique orientale pour asservir le peuple hutu et, d’autre part, la majorité hutue comme seule occupante légitime du Rwanda.
a. Récit «officiel»
Si l’on en croit Kigali, l’on se serait trouvé là au début d’un «long processus» dont le génocide aurait constitué la conséquence logique et l’aboutissement. Les deux Républiques rwandaises couvrant la période 1960-1990, celle de Grégoire Kayibanda puis celle de Juvénal Habyarimana, auraient en effet témoigné par la suite d’une continuité idéologique avec les origines assurant, dans l’intérêt de la domination hutue, la permanence du racisme anti-tutsi et du projet génocidaire. L’une pratiquant la diabolisation des Tutsis et les appels aux massacres, invariablement suivis de tueries et de vagues de départs en exil. L’autre maintenant une sorte de système de quotas discriminatoires.
En 1990, enfin, l’offensive militaire déclenchée en octobre depuis l’Ouganda par des exilés tutsis regroupés dans le Front Patriotique Rwandais (FPR), marquant le début d’une guerre civile qui devait durer jusqu’en juillet 1994, aurait fourni le prétexte du passage à l’acte. De ce moment-là daterait un complot génocidaire fomenté au sommet de l’État rwandais. Le régime, c’est à dire le président Habyarimana et son premier cercle des responsables au sein de la hiérarchie politique, administrative et militaire, se serait alors engagé dans la mise en œuvre de l’extermination des Tutsis.
Cette mouvance aurait mis à profit les années de guerre civile pour entreprendre une planification minutieuse du génocide des Tutsis. Plusieurs sont les étapes de cette planification: la répression des Tutsi fin 1990, lors des premières attaques du FPR depuis l’Ouganda, la définition de l’ennemi, en septembre 1992, par une commission militaire, comme «le Tutsi extrémiste de l’intérieur ou de l’extérieur», la structuration puis l’armement et l’entraînement de milices dites Interahamwe, en particulier dans la seconde moitié de l’année 1993, ou encore la mise sur pied d’une autodéfense civile impliquant l’armement de la population et l’achat d’une grande quantité de machettes et, enfin, la propagande psychologique raciste et haineuse visant à diaboliser l’ennemi extérieur en même temps que l’ensemble des Tutsis du Rwanda.
L’idée que met en avant ce récit officiel du génocide des Rwandais tutsis consiste à affirmer que celui-ci ne pouvait que nécessairement s’accomplir. Il aurait été fatal, car consubstantiel au régime. C’est ainsi que la lutte contre la menace génocidaire aurait été au fondement du combat du FPR contre la dictature monolithique d’Habyarimana. Il fallait secourir les Tutsis et l’objectif ultime de la guerre de «libération» n’aurait été que de terrasser le dragon génocidaire. Toute la stratégie et l’ensemble des décisions de la rébellion durant la guerre civile jusqu’au printemps 1994 devraient ainsi être considérées à la lumière de l’impératif de la lutte contre un génocide en gestation. Et les populations civiles hutues qui trouvèrent la mort au fur et à mesure de la progression militaire du FPR ne seraient qu’autant de victimes collatérales de ce combat.
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b. Histoire complexe
À ce récit statique, où la fin est inéluctablement inscrite dans les prémisses aussi bien que dans un processus irréversible, à cette histoire manichéenne, où tout n’est que victimes d’un côté et bourreaux de l’autre, il convient d’opposer un autre récit et une autre histoire. Un récit dynamique et une histoire complexe qui prennent en compte le poids de variables telles que les décisions des uns et des autres, les circonstances ou encore les événements.
À la fin des années 1980, l’ère Habyarimana se caractérise jusque-là par une évolution positive dans trois domaines.
– L’apaisement des relations interethniques
Il n’est pas conforme à la réalité d’affirmer qu’il y a continuité par rapport à l’ère Kayibanda, dont la marque à cet égard aura été la permanence de la violence raciste dirigée contre les Tutsis. Certes, ceux-ci subissent un système discriminatoire de quotas inacceptable, mais la disparition de la menace constante qui pesait sur leur vie constitue une incontestable amélioration de leur existence collective, tandis que, dans les campagnes, l’on observe une forte dynamique d’intégration des deux communautés.
– L’exigence de démocratisation du système politique
Dès le mois de juillet 1990, le président Habyarimana engage de fait un processus d’ouverture démocratique au terme duquel, deux ans plus tard, le Premier ministre de son gouvernement appartiendra à l’un des partis d’opposition.
– La question des réfugiés tutsis
Elle même – plusieurs centaines de milliers de personnes pour la plupart réparties dans des pays de la région et qui revendiquent un droit au retour – commence à faire l’objet de tractations officielles.
Au regard de ces développements, la thèse intentionnaliste d’un projet génocidaire qui ne pouvait
que s’accomplir et dont la planification aurait été progressivement entreprise à partir du mois d’octobre 1990 n’est pas soutenable. De fait, le génocide des Rwandais tutsis ne fut pas le résultat
d’une planification arrivée à maturation, mais la conséquence du conflit qui opposa, entre 1990 et 1994, le FPR et le régime rwandais de l’époque.
La décision prise par un groupe extrémiste hutu, après l’assassinat de Juvénal Habyarimana, d’entreprendre l’extermination de la communauté tutsie fut l’aboutissement d’un processus cumulatif qui se déroula tout au long du conflit, d’un enchaînement de décisions de part et d’autre et d’une spirale d’événements qui, à tout moment, auraient pu ne pas être prises ou ne pas se produire. Leur occurrence dépendit en effet non pas de la concrétisation inéluctable d’une idéologie, mais de la stratégie d’acteurs politico-militaires déterminés à se maintenir au pouvoir pour les uns et à le conquérir pour les autres, et cela, dans les deux cas, quel qu’en fût le coût pour leurs compatriotes civils tutsis et hutus.
En octobre 1990, lorsqu’ils lancent leur première offensive sur le Rwanda, les responsables politico-militaires du FPR ne le font pas avec à l’esprit l’intérêt supérieur des Tutsis de l’intérieur, de la même manière qu’ils ne conduiront pas ensuite la guerre dans le but de les sauver d’un génocide planifié. Ils nourrissent depuis plusieurs années le projet de revenir au Rwanda par la force des armes et leur objectif est d’y exercer le pouvoir. Si leur décision de passer à l’action intervient à ce moment précis, c’est que deux arguments essentiels de leur effort de propagande à destination de la diaspora, de l’opposition intérieure rwandaise et de la communauté internationale sont sur le point de s’effondrer: on l’a vu, la dictature d’Habyarimana s’engage alors dans un processus de démocratisation et s’est enfin ouverte à la question d’un possible retour des réfugiés. Le FPR comprend que sa base de recrutement risque de se réduire considérablement et, surtout, il est tout à fait conscient qu’en raison du poids démographique respectif des populations tutsie et hutue, une intégration pacifique au sein d’un système politique multipartite ne lui assurerait qu’une représentation quasi marginale. Or, il n’entend exercer qu’un pouvoir sans partage.
Cette décision d’envahir le Rwanda et la stratégie de conquête du pouvoir qui sera ensuite celle du FPR furent adoptées en toute connaissance de cause.
L’histoire récente du Rwanda depuis 1959 enseignait à tout observateur que, par le passé, le régime pro-hutu avait invariablement répondu aux menaces pesant sur la pérennité de son pouvoir d’une seule et unique manière: en désignant les Tutsis comme boucs émissaires auprès de la population et en organisant à leur encontre exactions et tueries. Le FPR ne pouvait ignorer que ses actions militaires créeraient de manière croissante, au fur et à mesure de la progression de ses troupes tout au long du conflit, en particulier chez les extrémistes du régime en place, le sentiment d’une menace de plus en plus précise à l’encontre du monopole que celui-ci exerçait sur le pouvoir politique et économique. La rébellion ne pouvait pas ne pas tenir compte du fait que ces extrémistes n’hésiteraient pas, dans ces conditions, à réveiller une idéologie potentiellement criminelle et des antagonismes ethniques assoupis. Il n’est pas non plus possible de soutenir que les responsables du FPR n’avaient pas imaginé que les Tutsis de l’intérieur, pris en otages, en feraient les frais, comme ne tardèrent pas à le montrer, dès octobre1990, les premiers massacres de Tutsis, et comme en témoignèrent ceux qui suivirent. Force est de constater que ces considérations, puis la confirmation de leur pertinence, ne furent d’aucun poids dans la détermination et l’évolution de la stratégie politico-militaire de la rébellion.
Bien au contraire, entièrement tourné vers son objectif de conquête d’un pouvoir sans partage, le FPR fit le choix de mener une politique de la tension. La guerre fut conduite en alternant les phases d’offensive et les phases de négociation destinées à engranger les acquis conquis sur le terrain, elles-mêmes suivies de ruptures de cessez-le-feu dès que s’en présentait le prétexte. Une stratégie de la violence et du chaos présida aux actions accomplies hors affrontement militaire: des attentats terroristes indiscriminés, en particulier dans des lieux publics, et des assassinats de personnalités politiques et civiles furent perpétrés, avec pour fonction de déstabiliser le régime, de le pousser à la faute contre les civils tutsis ou de fomenter des troubles interethniques, dans l’un et l’autre cas afin de légitimer l’intervention de la rébellion. La progression des troupes du FPR elle-même s’accompagna d’exactions et de massacres systématiques de populations civiles hutues visant en premier lieu à généraliser, dans les zones conquises et au-delà, terreur et désordre.
Les accords d’Arusha, enfin, qui, au mois d’août 1993, mirent fin au conflit durant quelques mois en prévoyant une transition placée sous le signe du partage du pouvoir, au terme de laquelle devaient être organisées des élections démocratiques, ne furent jamais véritablement acceptés.
Les responsables du FPR étaient bien convaincus que tout processus démocratique serait fatal à leur projet. En l’occurrence, il ne faisait guère de doute dans leur esprit que les élections prévues leur retireraient une bonne partie de ce que les accords d’Arusha leur avaient concédé. C’est ainsi que, après le 6 avril et la reprise des combats, alors que le génocide faisait rage, ils refusèrent toute solution politique négociée.
Le déploiement de la stratégie choisie par le FPR durant le conflit eut pour corrélation la radicalisation du camp pro-hutu. Les responsables politiques et militaires extrémistes du régime Habyarimana, qui voyaient par ailleurs le processus de démocratisation en cours affaiblir leurs positions, se trouvaient confrontés à la perspective de se voir définitivement privés de leur hégémonie politique, ainsi que de leurs prébendes. Plus se précisait la menace de la rébellion sur leur pouvoir, plus la guerre radicalisait les pires tendances du régime en une escalade mortifère, intensifiant la violence politique. Ce fut de fait une politique de la tension qui fut également choisie dans ce camp, politique à laquelle la montée en puissance militaire du FPR apporta, par ailleurs, le soutien décisif d’une partie de l’opposition politique hutue.
La progression inexorable de l’armée du FPR et le cortège d’exactions et de tueries qui l’accompagnait finirent par susciter chez de nombreux Hutus de vifs sentiments d’incertitude et de peur, auxquels l’attentat contre Habyarimana ajouta la colère.
Ces sentiments, exacerbés en outre par les manipulations de la propagande extrémiste et de ses relais politiques locaux, furent un déterminant essentiel de la participation d’une large part des paysans hutus à l’entreprise d’extermination des Tutsis.
Lorsque, après l’attentat, le FPR reprit les armes en invoquant la sécurité des Tutsis, si ces hommes et ces femmes hutu obéirent, certes souvent sous la contrainte, à l’ordre de tuer les civils tutsis, ce ne fut pas parce que leur participation avait été planifiée, mais parce que les victoires de la rébellion leur faisaient craindre pour leur vie, leur famille et leurs biens et qu’ils voulurent les protéger.
Car ce fut lorsque le FPR relança la guerre avec une forte perspective de victoire, immédiatement après l’assassinat d’Habyarimana, que les extrémistes hutus prirent la décision de jouer leur va-tout. Un noyau de responsables politiques et militaires du régime Habyarimana, originaires du nord-ouest du pays, se lança alors dans un coup d’État de la dernière chance, assassinant dans un premier temps les personnalités politiques qui constituaient la relève institutionnelle légale après l’assassinat du président, suscitant les premiers assassinats systématiques de Tutsis dans la capitale, formant un gouvernement intérimaire rwandais (GIR) qu’ils contrôlaient, puis entreprenant, au bout de quelques jours, le génocide des Tutsis. C’est à ce moment-là et à ce moment-là seulement que le génocide fut organisé comme projet politique. Certes, depuis 1990, les actes et déclarations meurtriers à caractère génocidaire – relevant souvent d’une double tactique de dissuasion et de déstabilisation du gouvernement – n’avaient pas manqué, et il existait assurément des groupes, acteurs et médias qui envisageaient la liquidation des Tutsis de l’intérieur. L’extermination des Tutsis, à n’en pas douter, faisait partie du champ des possibles et, dans l’esprit de certains, de celui des souhaitables. Mais rien, en revanche, ne permet d’affirmer qu’existait, depuis des mois ou des années, un plan d’extermination méticuleusement conçu dans chacune de ses composantes et qui n’attendait qu’un signal, pour que soit enclenchée sa mécanique fatale. Le génocide fut planifié sous la pression des événements et son déploiement ne se fit pas d’un seul élan.
En vingt ans, au cours de très longs procès qui virent le procureur faire de la planification son cheval de bataille, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), chargé de juger les «grands» génocidaires rwandais, ne parvint jamais à prouver, «au-delà de tout doute raisonnable», qu’il y aurait eu entente préalable des différents inculpés, avant le 6 avril 1994, «en vue de commettre le génocide».
Et, de fait, à partir du 6 avril, loin d’assister à la mise en action des rouages d’une mécanique soigneusement préparée, on observe que, dans le camp des extrémistes hutus, politiques ou militaires, dont on dit qu’ils ont conçu l’assassinat d’Habyarimana comme le premier acte de la mise en œuvre de leur projet criminel, ce qui prévaut c’est l’impréparation et le recours à des «stratégies de sauve-qui-peut». L’on pense par exemple à l’évacuation en catastrophe par la Garde présidentielle de dignitaires pro-hutus, d’abord vers un camp militaire puis vers l’ambassade de France. L’épouse du président, Agathe Kanziga, qui aurait commandité l’assassinat de celui-ci, n’a de cesse d’être évacuée vers la France avec une partie de sa famille. Le colonel Théoneste Bagosora, qualifié de «cerveau» du génocide, essaie bien de s’emparer du pouvoir, mais il va d’échec en échec et devra se résoudre à la mise en place d’un gouvernement civil, le GIR, sur lequel il exercera, il est vrai, des pressions efficaces pour que soit engagée et maintenue la politique du pire. Le point mérite qu’on s’y arrête. Si en effet Bagosora échoue alors dans ses tentatives, c’est qu’il se heurte à l’opposition de la majorité du Haut-commandement de l’armée rwandaise, qui souhaite voir la continuité constitutionnelle assurée par le gouvernement pluripartite en place.
Cependant, l’affirmation de l’absence de préméditation et de planification préalable au 6 avril ne saurait être interprétée comme impliquant que le crime de génocide ne fut pas commis. La convention de 1948 qui définit celui-ci n’évoque l’idée de planification à aucun moment. En revanche, elle met l’accent sur l’«intention».
c. La «planification»
Au 6 avril 1994, ni le génocide ni sa présumée planification centrale préalable ne vont donc de soi. Toutefois, les extrémistes hutus ont, en quelques jours, dans l’urgence et l’improvisation au tout début, décidé, orienté, organisé et imposé, dans la violence et par la violence, une politique dont le dispositif n’a été, en fait, totalement formalisé qu’à la fin du mois de mai, même si le plus grand nombre des Tutsis massacrés le furent avant cette date.
Ils entreprennent, dans un premier temps et en s’appuyant sur certaines unités de l’armée, la liquidation physique de personnalités de l’opposition et du gouvernement pluripartite, dont le chef du gouvernement et certains ministres.
S’étant ainsi rendus maîtres des leviers du pouvoir politique, ils procèdent ensuite à la formation d’un appareil politique à leur convenance, le gouvernement intérimaire, qu’ils s’attachent à impliquer dans leur démarche jusqu’au-boutiste, en ordonnant les premiers massacres de Tutsis.
Très rapidement, ils sautent le pas et décident d’assurer leur survie politique en déclenchant une guerre totale contre l’ennemi tutsi, de l’extérieur comme de l’intérieur.
Ils prirent la décision d’instrumentaliser les peurs de la population hutue et de l’appeler au meurtre de centaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards tutsis. Ils n’hésitèrent alors pas à identifier collectivement les Tutsis de l’intérieur à la menace FPR et à désigner chacun d’entre eux, enfants compris, comme autant de complices de la rébellion et donc d’ennemis.
Ils se prévalurent de l’autorité de l’État pour donner l’autorisation de tuer et placèrent son efficacité organisationnelle au service de leur projet. Ils mirent à profit l’étroit maillage administratif et la tradition de mobilisation populaire propres au Rwanda pour transformer, au nom de «l’alliance de tous les Hutus», autant de leurs concitoyens qu’ils le purent en armes de guerre dans ce qu’ils leur présentaient comme un combat légitime pour leur survie, pour leur terre et pour la patrie.
Après le 6 avril, les deux camps en conflit prirent la décision d’aller jusqu’au bout de leur logique. Une logique de guerre et de conquête du pouvoir quel qu’en fût le prix d’un côté, une logique de préservation de ce pouvoir quoi qu’il en coutât de l’autre.
Mais tandis que la rébellion se livra à des massacres de masse tactiques ou d’opportunité, sans viser à l’éradication des Hutus, les extrémistes hutus choisirent pour leur part de s’appuyer sur un génocide comme stratégie ultime de guerre. L’on rejoindra sur ce point la sociologue Claudine Vidal pour considérer que l’on est en présence de «faits comparables mais non semblables». À l’intégration cynique du coût humain d’une entreprise militaire dans la stratégie décidée, s’oppose l’intention de mettre en œuvre un génocide au moyen de l’appareil d’un État en faisant de ce projet la politique officielle de celui-ci.
Il convient à ce stade de s’interroger sur la vigueur avec laquelle l’actuel gouvernement rwandais et ses partisans s’en prennent de manière systématique à tous ceux qui, chercheurs ou observateurs, réfutent la thèse d’une planification antérieure au 6 avril 1994. Et cela quand bien même ceux-ci expliquent qu’il y eut bien au Rwanda à cette époque, non pas des massacres spontanés accomplis, dans un contexte d’effondrement de l’État, par une population terrorisée par la guerre et rendue furieuse par l’assassinat de son président, mais intention et politique d’État génocidaires.
La reconnaissance ou non de la planification «ancienne» du génocide, a-t-on de fait pu écrire, semble constituer une véritable «ligne de démarcation» au-delà de laquelle commence l’accusation de négationnisme. Il s’agit, en effet, d’un enjeu stratégique capital pour le régime du président Paul Kagame.
Ce régime doit, en effet, sa légitimité internationale à la version officielle et manipulée de l’histoire rwandaise récente, qui fait du FPR le «libérateur» du peuple rwandais et le valeureux et victorieux combattant d’un génocide planifié. Une légitimité qui couvre, donc, sa marche militaire vers le pouvoir dans la violence, mais qui couvre également les politiques autoritaires et répressives qu’il mène aujourd’hui. Il bénéficie de fait depuis 1994 auprès de la communauté internationale du statut – autodécerné – de sauveur des Rwandais tutsis et de représentant officiel des victimes du génocide. Or, ce statut lui garantit non seulement un flux financier ininterrompu de la part des donateurs bilatéraux et multilatéraux – à hauteur de 40 % du budget national –, mais également une absolution et une impunité totales, au TPIR et ailleurs, à l’égard de l’ensemble des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par les troupes du FPR durant et après le conflit rwandais, puis ensuite au Congo. Absolution et impunité qui englobent en outre la politique d’agression et de spoliation qu’il mène à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) depuis maintenant dix-huit ans.
Toute atteinte à l’histoire officielle du génocide, singulièrement toute tentative de démontrer qu’il n’y eut pas planification de celui-ci avant le 6 avril 1994, représente ainsi un danger vital pour Kigali, parce qu’elle remet en cause la légitimité internationale du régime. Car le roi apparaît alors nu: son seul et unique objectif en 1994 fut la prise du pouvoir par les armes à Kigali, ses troupes commirent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, il porte une part de responsabilité dans la tragédie rwandaise, le régime hutu contre lequel il entra en guerre en 1990 n’était pas un régime collectivement génocidaire, la France ne fut pas complice de la préparation d’un génocide qui n’était pas en préparation. C’est l’exploitation du génocide soigneusement entretenue par le FPR qui risque alors de perdre son efficacité.[1]
2. L’ATTENTAT DU 6 AVRIL 1994
Par Charles Onana, journaliste et investigateur franco-camerounais
L’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel à Kigali est considéré par les Nations Unies comme l’évènement déclencheur du génocide. Le président en exercice du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira, étaient dans le même avion, le soir du 6 avril, avec leurs collaborateurs, dont des ministres et le chef d’état major de l’armée rwandaise. Tous ont été tués avec les membres de l’équipage, qui étaient des Français.
Dans son nouveau livre, «La France dans la terreur rwandaise», Charles Onana, journaliste d’investigation franco-camerounais, revient sur l’attentat du 06 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana. «Pourquoi les auteurs de l’attentat du 06 avril ne sont pas encore arrêtés 20 ans après, alors que les Nations Unies ont reconnu que cet attentat est l’évènement déclencheur du génocide? Avec quelle logique peut-on pourchasser, poursuivre les génocidaires, et oublier les auteurs de l’attentat qui a déclenché le génocide?», s’interroge le journaliste d’investigation.
a. Le rapport Hourigan étouffé
Charles Onana livre les conclusions de son enquête sur les réticences du Tribunal Pénal International sur le Rwanda (TPIR) à s’intéresser sur l’attentat. En effet, on a généralement argué que ce crime n’entre pas dans les compétences de ce tribunal. Argument tout à fait faux, selon Onana, car le procureur du TPIR a reçu la mission d’enquêter sur toutes les violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda du 1er janvier au 31 décembre 1994 conformément à la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’auteur explique comment une enquête du TPIR diligentée par le procureur Louise Arbour sur l’attentat, et menée par Michaël Hourigan, un avocat australien, Amadou Démé, un africain sénégalais qui travaillait pour les services de renseignement de la Minuar et Jim Linz, un ancien policier du FBI, avait identifié trois sources au sein du FPR prêtes à témoigner, pour expliquer que l’attentat était l’œuvre des membres du FPR, sous la coordination de Paul Kagame. Cette enquête a été sabotée et les sources qui étaient à Kigali, prêtes à collaborer avec le tribunal, ont été privées de protection. Le dossier a été ainsi clôturé. Il a été étouffé.
b. «L’histoire secrète de la boîte noire»
Sur l’attentat contre l’avion de Habyarimana, Onana révèle aussi ce qu’il appelle dans son livre «l’histoire secrète de la boîte noire» du Falcon 50 du président Habyarimana abattu le 06 avril 1994. Il décrit comment, après avoir sans succès expliqué que l’avion n’avait pas de boîte noire, ceux qui cherchent à couvrir les coupables, ont réussi à faire croire que la boîte noire qui se trouve dans les placards de l’ONU à New York, n’est pas celle du Falcon de Habyarimana, sans toutefois dire à quel avion appartient cette pièce arrivée pourtant de Kigali dans les valises diplomatiques de l’ONU en 1994.
Selon Charles Onana, dans son enquête débutée suite à la plainte déposée per les veuves françaises en France en 1997, «l’équipe du juge Bruguière a identifié très clairement les personnes qui ont récupéré la boite noire de Kigali jusqu’à New York. Lorsque le juge Bruguière a écrit à New York pour demander la boîte noire, pour pouvoir poursuivre l’enquête, l’Onu lui a dit qu’il n’y avait pas de boite noire. Il y a eu une série d’arguments pour dire que le Falcon 50 du président Habyarimana n’avait pas de boite noire. C’est faux. J’ai les preuves que le Falcon 50 du président Habyarimana a été plusieurs fois contrôlé par Dassault, la société qui était chargée de réviser régulièrement cet avion et qui est aussi le principal fabriquant de cet avion. J’ai la preuve que les service d’entretient de Dassault affirment qu’il y a une boite noire du Falcon 50. Donc, toutes les spéculations sur le fait que le Falcon 50 n’avait pas de boite noire sont terminées. Le Falcon 50 du président Habyarimana avait une boite noire qui a été identifiée par la société Dassault, dont le document est entre mes mains.
Quand le juge Bruguière écrit à l’Onu pour demander la boite noire du Falcon 50, il y a une panique générale au sein du bureau des Nations Unies. J’ai découvert des échanges et des e-mail entre les différents membres du bureau qui cherchent la meilleure solution à trouver, pour répondre au juge Bruguière.
Examinant ces documents, j’ai trouvé que, non seulement la boite noire du Falcon 50 a été ouverte, à la demande des Nations Unies, puisqu’on a demandé à une société américaine d’en vérifier le contenu, mais aussi que les éléments d’enregistrement de cette boite noire ont été falsifiés, dénaturés. Dans les échanges entre les membres du bureau de l’Onu, on entend que, dans cette boite noire qui, selon l’Onu, n’est pas la boite noire du Falcon 50 du président Habyarimana, il y a deux pilotes qui parlent en français et que, parmi les deux pilotes qui parlent en français, il y en a un qui parle de Jean Pierre. Mais, si ce n’est pas la boite noire du Falcon 50 de Habyarimana, il y a toutefois deux étranges coïncidences: les pilotes du Falcon 50 de Habyarimana parlaient français, car ils étaient des Français, et l’un d’eux s’appelait exactement Jean Pierre Minaberry. En outre, on ne nous explique pas de quel avion cette boite noire est venue, si ce n’est pas la boite noire du Falcon 50.
A mon avis, ce qui s’est passé c’est que tout le monde a peur que cette boite noire communique des informations précises sur la façon dans laquelle les choses se sont réellement passées au Rwanda en 1994. Ces informations pourraient mettre en cause Paul Kagame et les rebelles tutsi du FPR qui ont abattu l’avion et, en même temps, les Américains, les Britanniques et les Israéliens qui les ont soutenus. C’est pour cela qu’il faut absolument que l’on fasse taire tout ce qui est susceptible de faire la lumière sur cette affaire. Si la boite noire, qui est entre les mains de l’Onu, n’était pas la boite noire du Falcon 50 du président Habyarimana, il n’y aurait pas eu une semaine de panique à l’Onu, quand la justice française l’avait demandée. On aurait pris la boite noire et on l’aurait remise au juge Bruguière, en lui disant de vérifier si cette boite noire correspondait ou pas à la boite noire du Falcon 50, mais on ne l’aurait pas gardée en disant qu’elle n’est pas la boite noire du Falcon 50.
c. Le scandale
L’ancien procureur du TPIR, Carla Del Ponte, avait déjà dit que si c’est Kagame et ses hommes qui ont abattu l’avion le 6 avril 1994, il faudrait réécrire toute l’histoire de la tragédie rwandaise. Si ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir sont à la fois ceux qui ont été exterminés, ceux qui ont pris le pouvoir par les armes, ceux qui ont été soutenus par les Américains et les Britanniques, ceux qui n’ont aucun accusé, aucun suspect dans les prisons du TPIR et que, par-dessus tout, sont ceux qui ont abattu l’avion, alors le scandale est terrible. L’ensemble de la communauté internationale ne pourra pas regarder dans les yeux les victimes, toutes les victimes, de cette tragédie, en leur disant: oui, on vous a menti. Puisque c’est ça la question. On a fait des procès, on a accusé des gens à Arusha d’être responsables du génocide, sans avoir désigné les auteurs de l’attentat qui a déclenché le génocide. Et le scandale du TPIR est là, l’échec du TPIR est là. Et la difficulté pour la crédibilité même des procès du tribunal repose sur ce dossier non résolu du 6 avril 1994.[2]
3. «J’AI ASSISTÉ À LA PRÉPARATION DE L’ATTENTAT QUI A DÉCLENCHÉ LE GÉNOCIDE»
Par Jean-Marie Micombero, ancien officier tutsi du Front patriotique rwandais (FPR)
C’est le témoignage de Jean-Marie Micombero, ancien officier tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), actuellement en exil car entré en dissidence avec ses anciens camarades de combat.
C’est un témoignage accablant pour Paul Kagamé, le chef du FPR et actuel président de la République, puisqu’il accuse ce dernier d’avoir commandité l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, événement prétexte ou déclencheur, selon les points de vue, des massacres qui ensanglantèrent le pays pendant près de trois mois.
Jean-Marie Micombero était un des officiers de renseignement du 3e bataillon de l’APR. Il a rencontré à Paris les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic, les 5 juillet 2013 et 30 janvier 2014. Ses témoignages n’ont pas «fuité». Et pour cause: il contredit les affirmations de Kigali, relayées par les avocats Lef Forster et Bernard Maingain et la quasi- totalité de la presse française.
Jean-Marie Micombero a raconté cette terrible journée:
«Le 6 avril 1994, j’étais à Kigali, dans le bâtiment du Parlement, appelé CND, où était installé, depuis les accords d’Arusha [actant le partage du pouvoir en août 1993 entre le président et les rebelles du Front Patriotique Rwandais (FPR) imposé par la France, l’Allemagne, la Belgique et les Etats-Unis], un bataillon de 600 militaires de l’Armée Patriotique Rwandaise [APR] dirigée par Paul Kagamé. C’est de là que sont partis les deux tireurs qui ont abattu l’avion de celui que nous appelions Ikinani, c’est-à-dire Habyarimana, le président du Rwanda. Les Rwandais l’ont appelé ainsi après qu’il eut dit un jour: « Je suis ikinani que les méchants et les traîtres n’ont pas réussi à faire plier». Ikinani veut dire «invincible ».
J’ai été témoin des préparatifs de l’attentat … et j’ai assisté à ce qui s’est passé dans les heures qui l’ont suivi. Ce matin-là, très tôt … j’ai vu la Toyota Stout 2200 qui quittait le CND. J’avais repéré le manège depuis quelques semaines. Officiellement, la camionnette allait déposer les déchets dans un endroit communément appelé Mulindi, sur la route de Masaka, mais, en réalité, ses occupants habituels allaient faire des repérages pour trouver un endroit tranquille d’où tirer les missiles contre l’avion de Habyarimana. Je n’ai pas distingué qui était ce jour-là dans la camionnette, mais je pense qu’il y avait le chauffeur, Didier Mazimpaka, les deux tireurs, Franck Nziza et Éric Nshimiyimana (qu’Aloys Ruyenzi et Abdul Ruzibiza appellent Éric Hakizimana), et les deux gardiens des missiles, Potien Ntambara et le patron de la mission, le lieutenant Karegeya, alias « Eveready », surnom qui lui revenait de sa ressemblance avec un chat dessiné sur les piles alimentant nos lampes torches. …
En voyant partir la Toyota 2200, ce 6 avril, très tôt dans la matinée, je savais donc qu’elle se dirigeait vers Masaka, sans connaître toutefois le lieu exact du tir. Ce n’est qu’après la chute de Kigali, début juillet, que Frank Nziza m’a montré l’endroit d’où il avait tiré son missile. C’était juste après le petit pont, à gauche sur la route qui monte vers Masaka. La camionnette roulait donc vers Masaka. Mais un brouillard épais est tombé sur Kigali. J’ai entendu le bruit du décollage d’un avion qui devrait être le Falcon 50 d’Ikinani. À peu près en même temps, sur ma radio, avec laquelle je captais le canal de la chaîne de commandement du troisième bataillon, … , la voix de Eveready qui parlait à Andrew Kagamé, ce jour-là officier de garde, précisa: « Il y a trop de brouillard, on ne voit rien ». « Opération stand down », a répondu Andrew. L’opération contre Ikinani avait donc été stoppée. Peu de temps après, j’ai vu la camionnette revenir au CND.
Eveready a fourni des détails sur les raisons de l’abandon de l’opération: « Il y avait trop de brouillard, la visibilité n’était pas suffisante, on a été obligés d’abandonner ».
En fin d’après midi, je n’ai pas vu la camionnette repartir alors que j’étais dans le bureau, à l’intérieur du bâtiment du CND, avec Jacob Tumwine, commandant des opérations du 3ème bataillon et quelques civils (avec lesquels on faisait des évaluations sur les informations de sécurité dans Kigali). Je n’avais pas de radio avec moi. À un moment, Tumwine, qui avait l’air tendu, est sorti. La nuit tombait. Quelque temps plus tard, j’ai entendu une très forte explosion. Je suis sorti pour chercher mon arme et ma radio. Les civils ont été priés de quitter le CND pour renter chez eux. La tension était palpable. Des véhicules filaient sur la route Remera – CND – Kimihura – centre ville. J’ai alors pensé que l’avion de Habyarimana avait explosé … Plus tard, alors qu’il faisait nuit, j’ai croisé Franck qui m’a dit: « L’opération a bien réussie, même si mon missile a raté la cible. Heureusement, celui d’Éric l’a touchée! ». Nous n’avons pas discuté longue-temps, car on s’attendait à une attaque. Ce soir-là, pour la première fois, Charles Kayonga a autorisé la bière. J’ai bu une Heineken. Vers le milieu de la nuit, je suis allé voir Andrew Kagame qui était avec Eveready et Kitoko. Eveready nous a raconté ce qui s’était passé à Masaka: « Nous sommes partis vers le bas de la colline de Masaka. Nous nous sommes mis en position défensive. Didier faisait des allés-retours sur la route avec la camionnette. Les deux tireurs se sont installés à l’endroit prévu. Nziza a tiré et a raté son coup. Et immédiatement Éric a tiré et a touché l’avion d’Ikinani. Après, nous avons vite rejoint, avec les deux tireurs, la Toyota qui nous attendait sur la route de Masaka et nous sommes revenus au CND. Cet attentat relève aujourd’hui du secret-défense, alors que pendant plusieurs années beaucoup de monde connaissait et parlait ouvertement de l’opération contre Ikinani. Elle n’est véritablement devenue secrète qu’après l’arrivée des mandats du juge Bruguière».
Le témoignage de Jean-Marie Micombero conforte l’enquête du juge Bruguière sur les missiles et leur traçabilité, de l’ex-URSS à Masaka, en passant par l’Ouganda et Mulindi, le QG de Paul Kagamé. Enquête qui situe, à partir d’éléments matériels, les auteurs de l’attentat dans le camp du FPR. C’est bien sur le lieu de tir désigné par Micombero que, le 25 avril 1994, des paysans rwandais des environs de Kigali découvriront deux tubes lance-missiles type SAM-16 fabriqués en URSS, en juillet 1987 et dont les références ont permis, grâce à Moscou, de reconstituer le trajet des missiles qui ont abattu l’avion. Les deux missiles et leurs tubes lanceurs faisaient partie d’une commande de 40 missiles SAM-16 livrés à l’Ouganda dans le cadre d’un marché interétatique.
Après le lancement de neuf mandats d’arrêt contre des collaborateurs de Paul Kagamé et la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France qui s’en est suivie, la justice, sous pression des autorités françaises, semble être entrée dans la logique de Kigali. Les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux ordonnent un rapport balistique et ils se rendent eux-mêmes au Rwanda. Les résultats balistiques n’étant pas probants, les juges font appel à des experts en acoustique qui, à partir de la mémoire auditive de témoins d’un événement survenu dix-sept ans plus tôt, sont censés déterminer le lieu de tir des missiles. Or ces «experts» en acoustique ne se sont pas rendus au Rwanda, mais ont mesuré, en France, à La Ferté-Saint-Aubin (Loiret) – pays plat n’ayant aucun rapport avec les collines de Masaka et Kanombé – et, «par similitude, par rapport à un propulseur de roquette suffisamment équivalent», le nombre de décibels d’un SAM-16. Résultat: ils concluent que les missiles n’ont pas été tirés de Masaka, mais de Kanombé, colline où il y a un camp militaire de l’armée gouvernementale. Il n’en a pas fallu davantage pour que les avocats Lef Forster et Bernard Maingain concluent que les missiles avaient été tirés par des extrémistes hutus. Lef Forster et Bernard Maingain ont réclamé un non-lieu, mais, en novembre 2013, ils ont reçu une réponse négative.[3]
[1] Cf http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/2/23/08/90/FRANCE-RWANDA/Dupuis_article-planification.pdf
[2] Cf https://www.youtube.com/watch?v=Gts_8F6w5Cg et Jean Mitari – Jambo News, 07.04.’14
[3] Cf Pierre Péan – Marianne, 31.03.’14 http://www.marianne.net/Rwanda-J-ai-assiste-a-la-preparation-de-l-attentat-qui-a-declenche-le-genocide_a237714.html – http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/2/23/08/90/0-TREVIDIC-POUX/Marianne-140328-Temoignage-JM-Micombero.pdf