DE LA JUNGLE MINIÈRE À LA
CERTIFICATION D’ORIGINE DES MINERAIS
SOMMAIRE
1. L’EX REBELLION DU M23 A FINANCÉ SES ACTIVITÉS MILITAIRES GRÂCE AU
COMMERCE ILLÉGAL DE L’OR
2. LA « JUNGLE MINIÈRE » DE WALIKALE
3. DE LA CASSITÉRITE CERTIFIÉE INDEMNE DE SANG
1. L’EX REBELLION DU M23 A FINANCÉ SES ACTIVITÉS MILITAIRES GRÂCE AU COMMERCE ILLÉGAL DE L’OR
Le 10 octobre 2013, dans un rapport publié sur l’exploitation des minerais par les groupes armés dans l’Est de la RDC, Enough Project, une organisation de défense des droits de l’homme basée à Goma, indique que l’exploitation de l’or rapporte aux milices 500 millions de dollars américains chaque année, avec une contrebande annuelle d’au moins 12 tonnes.
Dans son rapport, Enough Project note que les groupes armés ont presque abandonné l’exploitation de certains minerais comme la cassitérite, qui exige des gros moyens pour son transport. Ils auraient également fait l’impasse sur le coltan depuis l’adoption de la loi Dodd Franck sur les minerais de sang qui oblige les entreprises américaines à rendre publique l’origine des minerais pour lutter contre le commerce des minerais extraits dans les zones en conflit. Fidel Bafilemba, chercheur d’Enough Project, explique que l’or est plus facile à transporter, ce qui faciliterait son commerce illégal à travers les frontières. «Vous pouvez mettre l’équivalent de 20.000 dollars dans votre poche et traverser la frontière», fait savoir le chercheur d’Enough Project. C’est ainsi que l’or est devenu le minéral de conflit le plus important dans l’est de la RDCongo.
L’ONG accuse notamment la rébellion du Mouvement du 23 Mars (M23) de financer ses activités militaires grâce au commerce de l’or illégalement exploité et d’utiliser les revenus de ce commerce illicite au profit de ses dirigeants et de ses alliés rwandais et ougandais, ce qui revient à démontrer que la guerre que mène actuellement le M23 ne lui sert que de couverture pour faciliter le pillage des énormes richesses de la RDCongo.
Selon Enough Project, le M23 a construit des alliances militaires avec d’autres groupes armés qui contrôlent le territoire autour des mines d’or et a tissu des réseaux de liaison avec des commerçants étrangers, ce qui lui permet d’exporter l’or de contrebande à travers l’Ouganda et le Burundi, où il est vendu sur le marché international. Une grande partie de cet or de conflit atteint ensuite les marchés des Emirats Arabes Unis, pour être vendu aux raffineries avant de passer aux industries de la bijouterie.
Selon le rapport, l’actuel commandant du M23, Sultani Makenga, a pris le relais d’un réseau de contrebande d’or que l’ancien commandant Bosco Ntaganda avait construit sur plusieurs années. En tant que chef militaire du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP), précurseur du M23, Ntaganda aurait négocié, en 2011, plusieurs contrats d’or pour une valeur de plusieurs millions de dollars, à Goma (RDCongo), à Kampala (Ouganda) et à Nairobi (Kenya), avec des acheteurs d’outre-mer et par l’entremise de commerçants congolais. En 2012, quand Ntaganda commandait, de facto, le nouvellement créé M23, il a facilité le transfert de quelque 325 kilos d’or, pour une valeur de 15 millions de dollars, à Kampala, pour y être vendu.
En Mars 2013, Ntaganda s’est rendu à l’ambassade américaine au Rwanda, où il a été transféré à la Cour pénale internationale (CPI), pour des accusations de crimes de guerre. Depuis lors, Makenga a pris la relève de Ntaganda dans les relations avec les contrebandiers de l’or en Ouganda.
Pour prendre le contrôle sur une plus grande partie du commerce de l’or, le M23 a noué des alliances avec des individus et des groupes armés qui contrôlent de vastes mines dans l’est de la RDCongo. Il s’agit notamment de:
- Sheka Ntabo Ntaberi, de la Nduma Défense du Congo (NDC), groupe armé actif dans le territoire de Walikale,
- Justin Banaloki, dont le pseudonyme est « Cobra Matata », un chef armé basé en Ituri,
- Hilaire Kombi, transfuge de l’armée congolaise et chef d’une milice active dans les territoires de Beni et Lubero.
Dépassant les divisions ethniques et politiques, ces alliances sont basées sur le gain économique.
Trois principaux exportateurs d’or permettent au M23 et aux groupes armés associés de tirer profit du commerce d’or:
• Rajendra » Raju » Kumar, qui actuellement opère à travers Mineral Impex Ouganda et autrefois à travers Machanga Ltd
• Mutoka Ruganyira, qui opère actuellement à travers Ntahangwa Mines au Burundi et dans le passé à travers Berkenrode
• Madadali Sultanali Pirani, qui dirige actuellement Minerals Argent en Ouganda.
En outre, un important exportateur congolais aurait exporté de l’or, pendant plusieurs années, à partir des mines contrôlées par les Forces Démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) et d’autres groupes armés. Il s’agit de: Evariste Shamamba, qui dirige actuellement Etablissement Namukaya et New Congocom Airlines.
Quelques exemples:
Walikale.
Selon le groupe d’experts de l’ONU, une partie de l’or que Ntaganda a tenté de vendre en Ouganda en 2012, provenait de gisements de Walikale contrôlés par Sheka, son allié. Sheka a contrôlé la mine d’or d’Omate, dans le territoire de Walikale, depuis mai 2011 jusqu’à janvier 2012. L’or aurait été acheté par une compagnie basée à Goma, appelée AR – OR, avec une succursale à Dubaï, les deux gérées par Sibtein Alibhai. La dernière exportation de AR – OR, 10 kg d’or pour une valeur de 525,371 $, remonte au 2 novembre 2011. Cette expédition a été très controversée, car le ministre provincial des mines du Nord-Kivu avait refusé de signer l’autorisation d’exportation, soupçonnant une fraude. Toutefois, AR – OR a réussi à envoyer l’or, sans les signatures des autorités locales et via le Rwanda, à un certain Karim Somji, de Bujumbura, au Burundi. Somji gère une société d’exportation appelé « Gold and Golden » qui exporte de l’or à Dubaï.
Ituri.
Selon les experts de l’ONU, une autre partie de l’or que Ntaganda a tenté de vendre à Kampala, en 2012, provenait des alliés du M23 en Ituri. En 2012, en effet, le M23 a négocié une alliance avec Justin Banaloki, alias « Cobra Matata », le chef des Forces Résistantes Patriotiques de l’Ituri (FRPI ). Cobra Matata a sa résidence à Bavi [une mine d’or] et est un important commerçant d’or à Bunia. Cobra Matata vend son or à des officiers de l’armée ougandaise et à des commerçants congolais qui fournissent « Mineral Argent » et Rajendra « Raju » Kumar, deux exportateurs basés à Kampala. Selon le groupe d’experts de l’ONU, la première société de Kumar, Machanga Ltd, avait été sanctionnée par les Nations Unies en 2007, en raison de ses achats d’or auprès d’une milice de l’Ituri. Depuis lors, Kumar a continué à exporter de l’or à Dubaï a travers une nouvelle société, la Mineral Impex Ouganda. D’autre part, toujours selon les experts de l’ONU, Mineral Argent déclare exporter de l’or provenant du Sud Soudan.
Beni – Lubero.
Tandis que Ntaganda avait, en grande partie, des alliés à Walikale et dans l’Ituri, Makenga semble avoir élargi les alliance du M23 aux groupes armés et aux commerçants des territoires de Beni et de Lubero, dans le nord du Nord Kivu. Parmi ces nouveaux alliés, il y a Hilaire Kombi, qui a déserté l’armée congolaise en juin 2012, avec le soutien de Mbusa Nyamwisi, un influent parlementaire congolais. En octobre 2012, le groupe de Kombi, l’Union pour la Réhabilitation de la Démocratie au Congo (URDC), a reconnu publiquement, dans un communiqué, son lien avec le M23. Kombi travaille également avec Paul Sadala, plus connu sous le nom de Morgan, de l’Ituri.
Selon une source militaire congolaise, à la fin de décembre 2012, Kombi et Morgan ont envoyé, par le compte du M23, 60 kg d’or (pour une valeur de plus de 300.000 dollars) et 1,5 tonnes d’ivoire à Kasese, en Ouganda, destinés à un général rwandais. Une source proche de Kombi a révélé qu’une partie de l’or est restée à Kasese, gardée par un membre de la famille d’un ancien officier du CNDP, l’ex général Bwambale Kakolele, objet de sanctions par l’ONU. Selon le groupe d’experts de l’ONU, l’or et l’ivoire auraient pu servir pour le paiement de la fourniture d’armes au groupe de Kombi par le M23.
Une autre partie de l’or procuré par Nkombi est vendue sur le marché de Bujumbura, au Burundi, par l’intermédiaire d’un agent de liaison entre le M23 et Nyamwisi, Andy Patandjila, résident à Gisenyi, au Rwanda. Selon des hommes d’affaires congolais à Bujumbura, dans ce trafic serait également impliqué le personnel de l’ambassade congolaise à Bujumbura. Selon ces sources, on soupçonne le personnel de l’ambassade d’obtenir certaines quantités d’or de Patandjila et d’autres commerçants de Goma, Bukavu et Uvira et de l’introduire au Burundi par des véhicules diplomatiques. Selon des sources proches de Kombi, en 2012 on aurait effectué quatre expéditions, pour un total d’au moins 150 kg d’or appartenant vraisemblablement à Makenga, pour une valeur d’environ 7 millions de dollars. L’ambassadeur congolais au Burundi a nié toute implication personnelle et de son équipe dans le commerce de l’or entre la RDCongo et le Burundi et a offert sa collaboration pour enquêter si quelqu’un de son équipe pourrait y être impliqué.
Toujours selon ces hommes d’affaires congolais à Bujumbura, une fois que l’or provenant de Beni et de Lubero arrive à Bujumbura, au Burundi, il est acheté par un homme d’affaires burundais, Mutoka Ruganyira, et par un autre acheteur non identifié, d’origine arabe. Selon les experts de l’ONU et les autorités burundaises, Ruganyira est le titulaire de la plus importante société exportatrice de Bujumbura, la Ntahangwa Mining qui, au cours des huit premiers mois de 2012, a exporté environ une tonne d’or aux Émirats Arabes Unis. Selon les experts de l’Onu, au cours des premiers mois de 2012, Ruganyira a vendu son or, par des intermédiaires indiens interposés, au bijoutier Al Fath, à Sharjah. De sa part, Ruganyira affirme avoir vendu Ntahangwa Mining en 2011 et nie, par conséquent, avoir acheté de l’or de la RD Congo au cours des dernières années.
Comme l’on peut constater, en utilisant ses liens avec des personnes telles Kombi à Lubero, un parent de Kakole en Ouganda, Patandjila au Rwanda et le personnel de l’ambassade congolaise au Burundi, le M23 a élargi son contrôle sur les sources d’or ainsi que sur les routes de transit.
Quelques solutions.
– Sanctions.
La communauté internationale a fait très peu pour lutter, de manière efficace, contre la vente de l’or provenant des zones de conflits. Aucune des personnes mentionnées ci-dessus, aucune des sociétés qu’ils dirigent actuellement, ont été sanctionnées par l’ONU, les Etats-Unis, ou l’UE. Les seules sanctions internationales prises contre les sociétés aurifères de conflit ont été adoptées en 2007, mais les propriétaires des entreprises sanctionnées ont immédiatement mis en place de nouvelles entreprises exportatrices d’or sous des noms différents. En effet, lorsque l’on sanctionne les sociétés, les propriétaires changent le nom de leurs entreprises et ils échappent ainsi aux sanctions et il peuvent continuer à commercialiser l’or provenant de zones de conflit. L’application de sanctions aux personnes qui sont les véritables titulaires de ces entreprises constitue un moyen essentiel pour éviter l’évasion des sanctions. L’imposition de sanctions sur les véritables propriétaires des sociétés exportatrices d’or citées dans le rapport (AR Gold, Silver Minerals, Mineral Impex Uganda, Ntahangwa Mining, Etablissement Namukaya, …) serait une première étape fondamentale pour arrêter le commerce de l’or provenant des zones de conflits. La mise en œuvre des sanctions exigerait également que les gouvernements de la région des Grands Lacs puissent prendre des mesures judiciaires contre ces exportateurs. Ce ne sera pas facile, compte tenu de la complicité de ces gouvernements avec ces exportateurs.
– Devoir de diligence raisonnable.
Il y a deux défis majeurs pour assurer la traçabilité de l’or.
Tout d’abord, l’or est facile à cacher. D’autre part, les exportateurs déclarent acheter l’or dans des pays qui ne sont pas soumis à l’embargo sur les armes par les Nations Unies et nient simplement acheter de l’or congolais provenant de zones de conflit.
Deuxièmement, la traçabilité de l’or congolais provenant des zones de conflit est souvent impossible, dès qu’il est porté à la main sur des vols commerciaux vers les pays consommateurs, notamment vers les Émirats Arabes Unis. Il est difficile d’identifier les partenaires commerciaux des exportateurs d’or au Moyen-Orient et d’exiger qu’ils exercent une diligence raisonnable. L’or artisanal arrive aux Émirats Arabes Unis à la main, en forme de poussière d’or ou de pépites, dans des volumes de moins de 50 kilos. Selon les procédures douanières des UAE, le transporteur doit déclarer un acheteur autorisé en tant que destinataire, mais il n’y a aucune vérification. Donc, le destinataire déclaré peut être ou ne pas être le véritable acheteur.
Les raffineurs des EAU affirment qu’aucune quantité d’or congolais provenant des zones de conflit pénètre dans leurs installations et ils disent qu’ils n’ont pas de contrats avec des fournisseurs artisanaux, qu’ils affinent de l’or recyclé et qu’ils refusent l’or qui pourrait être d’origine congolaise. Dans les Émirats Arabes Unis, le manque de transparence et d’exactitude, des données concernant les importations d’or porté à la main et l’identité des importateurs constitue un vrai problème.
Pour résoudre ces problèmes, la première étape serait la collecte d’informations précises par l’Independent Mineral Chain Auditor (IMCA, un mécanisme indépendant pour le contrôle sur la chaîne de production et d’exportation des minerais) au niveau de la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs (CIRGL).
Deuxièmement, les données détaillées des opérations de douane (provenance, quantité et valeur estimée de la marchandise, noms des exportateurs, des importateurs et des destinataires, …) doivent être mis à la disposition des raffineurs, des producteurs de bijoux, des organismes étatiques de supervision, tels que Dubai Multi Commodity Center (DMCC) et d’éventuels observateurs extérieurs, pour qu’il soit possible, après des opérations de contrôles et de vérification, s’assurer que l’or importé ne provient pas de zones de conflit et qu’il n’ait pas contribué à financer des groupes armés. Cette démarche est dénommée «devoir de diligence raisonnable» et son application est requise par l’ONU et l’OCSE.
Recommandations:
1. Le Comité des sanctions du Conseil de Sécurité de l’ONU devrait ajouter les noms des quatre personnes mentionnées ci-dessus à la liste des individus et des groupes qui font déjà face à des sanctions de l’ONU. Imposer des sanctions sur les individus, plutôt que sur les entreprises, aiderait à éviter que les propriétaires sanctionnés recourent à un nouveau nom de l’entreprise, afin de poursuivre leurs activités.
2. L’envoyée spéciale du Secrétaire Général de l’Onu pour les Grands Lacs, Mary Robinson et l’envoyé spécial américain pour les Grands Lacs, Russ Feingold, devraient exhorter l’Ouganda, le Burundi et la RDCongo à prendre des mesures contre ces exportateurs, en vertu de leurs législations nationales respectives.
3. Le gouvernement américain devrait exhorter les Emirats Arabes Unis à renforcer les contrôles réglementaires sur les importations d’or par la vérification de l’authenticité des documents d’exportation, ainsi que des importateurs de l’or.
4. L’Envoyée de l’ONU Mary Robinson et l’émissaire américain Russ Feingold devraient travailler avec les gouvernements de la RDCongo, du Rwanda et de l’Ouganda, pour que la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs finalise le processus de certification et de vérification indépendante de la chaîne des minerais, conçu pour enquêter sur la fraude et sanctionner les exportateurs des minerais du conflit.[1]
2. LA « JUNGLE MINIÈRE » DE WALIKALE
« Le pillage des ressources minières bat son plein » dans le territoire de Walikale, dénonce le Bureau d’Etudes, d’observation et de coordination pour le Développement du territoire de Walikale (BEDEWA). Selon cette ONG congolaise, les trafics de minerais alimentent non seulement la guerre à l’Est du Congo, mais « pourrissent » également l’Etat central. La « malédiction des matières premières » continue de frapper à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Riche en minerais divers (or, coltan, cassitérite, lithium), le territoire de Walikale est en train de devenir une véritable « jungle minière » selon l’ONG congolaise. Le BEDEWA tire la sonnette d’alarme sur l’exploitation illicite et sans limite des ressources minières de la région. D’après Prince Kihangi Kyamwami, secrétaire général de l’ONG, « les corrupteurs, les corrompus et les fraudeurs tirent d’énormes bénéfices, sans aucune contrepartie pour les communautés locales affectées« . Il dénonce également « des taxes légales et illégales perçues » dont la destination des recettes « reste inconnue« .
Corruption
Au rang des accusés, BEDEWA place les autorités de Kinshasa qui attribuent « abusivement les titres miniers« . L’ONG explique qu’aujourd’hui, « les trois quarts du territoire sont actuellement couverts de titres miniers« . Conséquence : la possible « délocalisation des populations pour le besoin de l’exploitation« . Les recettes de ces trafics alimentent surtout les nombreux groupes armés qui pullulent dans la région : FDLR, Maï-Maï, mais aussi officiers de l ‘armée régulière (FARDC). En 2011, un député britannique avait estimé le manque à gagner du commerce illégal de minerais pour l’Etat congolais à… 4,2 milliards d’euros ! C’est donc un vaste système de corruption qui s’est mis en place progressivement dans les zones minières… au profit des militaires, groupes armés, mais aussi des multinationales, des hommes politiques et des pays frontaliers comme le Rwanda ou l’Ouganda.
Certification
BEDEWA dénonce également le « trafic de certification » entre les différents sites d’exploitation en RDC. Prince Kihangi Kyamwami explique que « les minerais sont extraits dans les sites non encore validés du territoire de Walikale pour être présentés sur le marché comme ayant l’origine des sites validés des territoires voisins« .
Frustrations
Dans le territoire de Walikale, les frustrations s’accumulent. Prince Kihangi Kyamwami note « qu’il pourrait arriver un temps où, si les choses ne changent pas, les communautés locales de Walikale exigeront la fin de l’exploitation minière et empêcheront à tout détenteur d’un quelconque titre minier d’entreprendre des activités quelles qu’elles soient« . En d’autres termes: le BEDEWA prévient que des conflits pourraient éclater entre les populations locales, « spoliées » par l’exploitation illicite des minerais, et les différents acteurs du trafic.
Assainissement
L’ONG préconise plusieurs recommandations aux autorités congolaises pour « assainir » le commerce des minerais à Walikale. BEDEWA demande de « cesser de distribuer les concessions minières avec complaisance« , « de suspendre les activités irrégulières d’exploitation du diamant et de l’or sur la rivière Osso« , « d’interdire la présence de militaires sur les sites miniers » et de « soutenir les instruments de traçabilité et de transparence des minerais« . BEDEWA estime qu’en assainissant l’exploitation minière à Walikale, cela permettrait aux différents sites de la région d’être « qualifiés et validés« . Une certification qui autoriserait enfin les populations locales à profiter des richesses de leur sous-sol.[2]
3. DE LA CASSITÉRITE CERTIFIÉE INDEMNE DE SANG
Depuis octobre 2012, à Nyabibwe (Sud-Kivu), un premier centre de certification y est opérationnel et assure la traçabilité des minerais depuis la mine. Un processus rigoureux, indispensable pour les vendre sur le marché international.
En effet, certaines entreprises américaines ou européennes, comme Microsoft, Apple, Nokia, HP… qui utilisent de la cassitérite ou du tantale pour fabriquer computers et téléphones ont mis au point un système d’audit assez draconien, via leurs associations Electronic Industry Citizenship Coalition (EICC), basées à Washington, et la Global eSustainability Initiative (GeSI), à Bruxelles, pour éviter d’acheter des minerais dits «minerais de guerre» ou «minerais de sang» qui alimentent les conflits dans les Grands Lacs.
Savoir d’où proviennent ces métaux n’est pas facile d’autant qu’une grande partie des minerais de RD Congo transite illégalement par les pays voisins (Burundi, Rwanda, Tanzanie…) et est ensuite fondue en Asie. Suivre à la trace ces produits demande donc des procédures très précises.
À Nyabibwe, fonctionne depuis octobre 2012 le premier site pilote du Sud Kivu. Tout commence à la mine. Assis dans leur petit bureau, des agents du Saescam (Service d’assistance et d’encadrement des exploitants artisanaux) reçoivent les sacs de minerais extraits des nombreux puits de cette carrière de cassitérite. Ces colis vont être pesés, enregistrés et étiquetés.
″Pas un seul kilo de cassitérite ne sort de ce site sans être étiqueté″, affirme, à l’entrée du site minier de Kalimbi, Justin Wema, ingénieur du BGR (Bureau fédéral allemand de géosciences et des ressources naturelles). Il intervient avec l’Ong ITRI (International Tin Research Institute) dans le processus de traçabilité et d’étiquetage des minerais de ce site pilote.
Traçabilité du puits jusqu’au consommateur final
″Le processus d’étiquetage débute dans la carrière même et va du puits jusqu’au consommateur final″, précise, le chef de bureau du Saescam de Nyabibwe. Ses services notent toutes les données relatives aux minerais extraits : nom du creuseur, poids du colis, nom du site… Un numéro de série est attribué au colis (Tag mine). Puis les mineurs apportent les colis, sur la tête, aux négociants et coopératives dans la cité, à une bonne dizaine de kilomètres de la carrière.
Là, d’autres agents de Saescam et de la division des Mines les ouvrent. ″A ce niveau, nous devons nous rassurer que les données reprises sur la fiche et étiquette accompagnant le colis sont conformes, notamment au contenu″, explique Bene Mugisho du Saescam. Une nouvelle fiche est alors donnée au négociant et une étiquette correspondante (Tag négociant) scelle les colis de 50 kg chacun.
Le processus ne s’arrête pas là. Du négociant local, la cargaison est acheminée aux comptoirs d’achats agréés à Bukavu. ″Lorsque nous les recevons, nous sommes appelés à vérifier la conformité de la cargaison par rapport aux indications de la fiche et de l’étiquette », explique cet agent de CEEC (Centre d’évaluation d’expertise et de certification), qui doit aussi s’assurer de l’origine du négociant. Selon Justin Uwema du BGR, ″toute cette chaine est bien suivie dans une banque de données en ligne. Une traçabilité qui permet aux acheteurs finaux, partout où ils se trouvent, notamment en Angleterre, de suivre le parcours des minerais qui leur sont soumis de la mine jusqu’au marché final».
Accéder au marché international
Ce centre permet aux exploitants du secteur minier d’accéder plus facilement au marché international. ″Tous les minerais ne sont pas de sang ou ne proviennent des groupes armés″, tient à préciser Olive Mudekereza, président provincial de la Fédération des entreprises du Congo (FEC).
Pour Éric Kajemba, coordonnateur de l’Observatoire gouvernance et paix (OGP), une Ong intervenant dans ce secteur, c’est pénaliser des millions de citoyens qui vivent directement ou indirectement de l’exploitation des minerais de le penser. Selon le président de la FEC, ce processus devrait s’étendre à toutes les zones minières de l’Est afin de permettre aux commerçants et autres dépendants de mines de tirer profit de leurs activités. Toutefois, Toshiro King, négociant à Nyabibwe, déplore les tracasseries dont sont victimes les creuseurs et les négociants à Kalimbi. Selon lui, certains agents de mines, peu qualifiés, exigent de l’argent pour enregistrer leurs colis. Et pourtant, le processus doit être gratuit du début à la fin, rappelle Léonce Lunvi de l’OGP.
Certification régionale
Les chefs d’Etat de la Conférence internationale sur la région des grands lacs (CIRGL) se sont engagés en 2010 à mettre au point et faire respecter un mécanisme régional de suivi et de certification des minerais extraits dans les pays membres (Angola, Burundi, République centrafricaine, la République du Congo, RD Congo, Kenya, Ouganda, Rwanda, Soudan, Tanzanie, Zambie). Ils devraient suivre en cela les recommandations de l’Initiative pour la transparence des industries extractives, une initiative internationale pour assurer la traçabilité des minerais.
Chaque pays devrait ainsi avoir une législation conforme au manuel de certification de la CIRGL, former le personnel pour assurer cette certification, et aussi organiser les creuseurs artisanaux en coopératives, les encadrer, les aider à plus et mieux produire… Mais la date butoir de fin 2012 fixée pour la mise en œuvre de ces différents points n’a pas été respectée. Malgré quelques avancées, il y a encore beaucoup de chemin à faire.[3]
Le 1er mars 2014, à Goma, on a lancé un système de traçabilité des minerais dans le cadre de l’Initiative pour la Transparence de la chaine d’approvisionnement de l’étain (ITSCI). Dès le 3 mars, la cassitérite et le coltan provenant du secteur de Rubaya dans le territoire de Masisi seront étiquetés depuis le site d’extraction, avant leur exportation. Le ministre provincial en charge des mines, Jean Ruyange a déclaré que, à ce jour, seulement 17 sites miniers du secteur de Rubaya ont été validés par arrêté ministériel. Onze sites miniers dans le territoire de Masisi et des dizaines d’autres sites en territoire de Walikale, dont le site de Bisié, doivent encore être validés. Le ministre provincial des mines a indiqué que ces sites sont encore classés jaunes pour les uns et rouges (interdits d’exploitation) pour d’autres, parce qu’ils sont situés dans des zones occupées par des hommes armés. Ils ne sont donc pas encore éligibles au système de traçabilité.[4]
[1] Cf texte integral: http://www.enoughproject.org/files/StrikingGold-M23-and-Allies-Infiltrating-Congo-Gold-Trade.pdf
[2] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 26.04.’13 http://afrikarabia2.blogs.courrierinternational.com/archive/2013/04/26/rdc-la-jungle-miniere-de-walikale.html
[3] Cf Marie-Agnès Leplaideur, Jean Chrysostome Kijana – Syfia RD Congo, 15.03.’13
http://bukavuonline.com/2013/03/de-la-cassiterite-certifiee-indemne-de-sang-au-sud-kivu/
[4] Cf Radio Okapi, 02.03.’14