SOMMAIRE:
1. LE RAPPORT DE ENOUGH PROJECT SUR LE COMMERCE ILLÉGAL DE L’OR AU KIVU
2. ROMPRE LE LIEN ENTRE RESSOURCES NATURELLES ET CONFLIT: LES ARGUMENTS EN FAVEUR D’UN RÈGLEMENT EUROPÉEN
1. LE RAPPORT DE ENOUGH PROJECT SUR LE COMMERCE ILLÉGAL DE L’OR AU KIVU
Le 10 octobre, dans un rapport publié sur l’exploitation des minerais par les groupes armés dans l’Est de la RDC, Enough Project, une organisation de défense des droits de l’homme basée à Goma, indique que l’exploitation de l’or rapporte aux milices 500 millions de dollars américains chaque année, avec une contrebande annuelle d’au moins 12 tonnes.
Dans son rapport, Enough Project note que les groupes armés ont presque abandonné l’exploitation de certains minerais comme la cassitérite qui exige des gros moyens pour son transport. Ils auraient également fait l’impasse sur le coltan depuis l’adoption de la loi Dodd Franck sur les minerais de sang qui oblige les entreprises américaines à rendre publique l’origine des minerais pour lutter contre le commerce des minerais extraits dans les zones en conflit. Fidel Bafilemba, chercheur d’Enough Project, explique que l’or est plus facile à transporter, ce qui faciliterait son commerce illégal à travers les frontières d’une région en proie à des multiples conflits armés. «Vous pouvez mettre l’équivalent de 20.000 dollars dans votre poche et traverser la frontière», fait savoir le chercheur d’Enough Project. C’est ainsi que l’or est devenu le minéral de conflit le plus important dans l’est de la RDCongo.
L’ONG accuse notamment la rébellion du M23 de financer ses activités militaires grâce au commerce de l’or illégalement exploité et d’utiliser les revenus de ce commerce illicite au profit de ses dirigeants et de ses alliés rwandais et ougandais, ce qui vient démontrer que la guerre que mène actuellement le M23 ne lui sert que de couverture pour faciliter le pillage des énormes richesses de la RDCongo.
Selon Enough Project, le M23 a construit des alliances militaires avec d’autres groupes armés qui contrôlent le territoire autour des mines d’or et a tissu des réseaux de liaison avec des commerçants étrangers, ce qui lui permet d’exporter l’or de contrebande à travers l’Ouganda et le Burundi, où il est vendu sur le marché international. Une grande partie de cet or de conflit atteint ensuite les marchés des Emirats Arabes Unis, pour être vendu aux raffineries avant de passer aux industries de la bijouterie.
Selon le rapport, l’actuel commandant du M23, Sultani Makenga, a pris le relais d’un réseau de contrebande d’or que l’ancien commandant Bosco Ntaganda avait construit sur plusieurs années. En tant que chef militaire du Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP), précurseur du M23, Ntaganda aurait négocié en 2011, plusieurs contrats d’or pour une valeur de plusieurs millions de dollars à Goma (RDCongo), à Kampala (Ouganda) et à Nairobi (Kenya), avec des acheteurs d’outre-mer entre et par l’entremise de commerçants congolais. En 2012, quand Ntaganda commandait, de facto, le nouvellement créé M23, il a facilité le transfert de quelque 325 kilos d’or, pour une valeur de 15 millions de dollars, à Kampala, pour y être vendu.
En Mars 2013, Ntaganda s’est rendu à l’ambassade américaine au Rwanda, où il a été transféré à la Cour pénale internationale (CPI), pour des accusations de crimes de guerre. Depuis lors, Makenga a pris la relève de Ntaganda dans les relations avec les contrebandiers de l’or en Ouganda.
Pour prendre le contrôle sur une plus grande partie du commerce de l’or, le M23 a noué des alliances avec des individus et des groupes armés qui contrôlent de vastes mines dans l’est de la RDCongo. Il s’agit notamment de:
• Sheka Ntabo Ntaberi, de la Nduma Défense du Congo (NDC), groupe armé actif dans le territoire de Walikale,
• Justin Banaloki, dont le pseudonyme est « Cobra Matata », un chef armé basé en Ituri,
• Hilaire Kombi, transfuge de l’armée congolaise et chef d’une milice active dans les territoires de Beni et Lubero.
Dépassant les divisions ethniques et politiques, ces alliances sont basées sur le gain économique.
Trois principaux exportateurs d’or permettent au M23 et aux groupes armés associés de tirer profit du commerce d’or:
• Rajendra » Raju » Kumar, qui actuellement opère à travers Mineral Impex Ouganda et autrefois à travers Machanga Ltd
• Mutoka Ruganyira, qui opère actuellement à travers Ntahangwa Mines au Burundi et dans le passé à travers Berkenrode
• Madadali Sultanali Pirani, qui dirige actuellement Minerals Argent en Ouganda.
En outre, un important exportateur congolais aurait exporté de l’or, pendant plusieurs années, à partir des mines contrôlées par les Forces Démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) et d’autres groupes armés. Il s’agit de: Evariste Shamamba, qui dirige actuellement Etablissement Namukaya et New Congocom Airlines.
Quelques exemples:
Walikale.
Selon le groupe d’experts de l’ONU, une partie de l’or que Ntaganda a tenté de vendre en Ouganda en 2012, provenait de gisements de Walikale contrôlés par Sheka, son allié. Sheka a contrôlé la mine d’or d’Omate, dans le territoire de Walikale, depuis mai 2011 jusqu’à janvier 2012. L’or aurait été acheté par une compagnie basée à Goma, appelée AR – OR, avec une succursale à Dubaï, les deux gérées par Sibtein Alibhai. La dernière exportation de AR – OR, 10 kg d’or pour une valeur de 525,371 $, remonte au 2 novembre 2011. Cette expédition a été très controversée, car le ministre provincial des mines du Nord-Kivu avait refusé de signer l’autorisation d’exportation, soupçonnant une fraude. Toutefois, AR – OR a réussi à envoyer l’or, sans les signatures des autorités locales et via le Rwanda, à un certain Karim Somji, de Bujumbura, au Burundi. Somji gère une société d’exportation appelé « Gold and Golden » qui exporte de l’or à Dubaï.
Ituri.
Selon les experts de l’ONU, une autre partie de l’or que Ntaganda a tenté de vendre à Kampala, en 2012, provenait des alliés du M23 en Ituri. En 2012, en effet, le M23 a négocié une alliance avec Justin Banaloki, alias « Cobra Matata », le chef des Forces Résistantes Patriotiques de l’Ituri (FRPI ). Cobra Matata a sa résidence à Bavi [une mine d’or] et est un important commerçant d’or à Bunia. Cobra Matata vend son or à des officiers de l’armée ougandaise et à des commerçants congolais qui fournissent « Mineral Argent » et Rajendra « Raju » Kumar, deux exportateurs basés à Kampala. Selon le groupe d’experts de l’ONU, la première société de Kumar, Machanga Ltd, avait été sanctionnée par les Nations Unies en 2007, en raison de ses achats d’or auprès d’une milice de l’Ituri. Depuis lors, Kumar a continué à exporter de l’or à Dubaï a travers une nouvelle société, la Mineral Impex Ouganda. D’autre part, toujours selon les experts de l’ONU, Mineral Argent déclare exporter de l’or provenant du Sud Soudan.
Beni – Lubero.
Tandis que Ntaganda avait, en grande partie, des alliés à Walikale et dans l’Ituri, Makenga semble avoir élargi les alliance du M23 aux groupes armés et aux commerçants des territoires de Beni et de Lubero, dans le nord du Nord Kivu. Parmi ces nouveaux alliés, il y a Hilaire Kombi, qui a déserté l’armée congolaise en juin 2012, avec le soutien de Mbusa Nyamwisi, un influent parlementaire congolais. En octobre 2012, le groupe de Kombi, l’Union pour la Réhabilitation de la Démocratie au Congo (URDC), a reconnu publiquement, dans un communiqué, son lien avec le M23. Kombi travaille également avec Paul Sadala, plus connu sous le nom de Morgan, de l’Ituri.
Selon une source militaire congolaise, à la fin de décembre 2012, Kombi et Morgan ont envoyé, par le compte du M23, 60 kg d’or (pour une valeur de plus de 300.000 dollars) et 1,5 tonnes d’ivoire à Kasese, en Ouganda, destinés à un général rwandais. Une source proche de Kombi a révélé qu’une partie de l’or est restée à Kasese, gardée par un membre de la famille d’un ancien officier du CNDP, l’ex général Bwambale Kakolele, objet de sanctions par l’ONU. Selon le groupe d’experts de l’ONU, l’or et l’ivoire auraient pu servir pour le paiement de la fourniture d’armes au groupe de Kombi par le M23.
Une autre partie de l’or procuré par Nkombi est vendue sur le marché de Bujumbura, au Burundi, par l’intermédiaire d’un agent de liaison entre le M23 et Nyamwisi, Andy Patandjila, résident à Gisenyi, au Rwanda. Selon des hommes d’affaires congolais à Bujumbura, dans ce trafic serait également impliqué le personnel de l’ambassade congolaise à Bujumbura. Selon ces sources, on soupçonne le personnel de l’ambassade d’obtenir certaines quantités d’or de Patandjila et d’autres commerçants de Goma, Bukavu et Uvira et de l’introduire au Burundi par des véhicules diplomatiques. Selon des sources proches de Kombi, en 2012 on aurait effectué quatre expéditions, pour un total d’au moins 150 kg d’or appartenant vraisemblablement à Makenga, pour une valeur d’environ 7 millions de dollars. L’ambassadeur congolais au Burundi a nié toute implication personnelle et de son équipe dans le commerce de l’or entre la RDCongo et le Burundi et a offert sa collaboration pour enquêter si quelqu’un de son équipe pourrait y être impliqué.
Toujours selon ces hommes d’affaires congolais à Bujumbura, une fois que l’or provenant de Beni et de Lubero arrive à Bujumbura, au Burundi, il est acheté par un homme d’affaires burundais, Mutoka Ruganyira, et par un autre acheteu,r non identifié, d’origine arabe. Selon les experts de l’ONU et les autorités burundaises, Ruganyira est le titulaire de la plus importante société exportatrice de Bujumbura, la Ntahangwa Mining qui, au cours des huit premiers mois de 2012, a exporté environ une tonne d’or aux Émirats Arabes Unis. Selon les experts de l’Onu, au cours des premiers mois de 2012, Ruganyira a vendu son or, par des intermédiaires indiens interposés, au bijoutier Al Fath, à Sharjah. De sa part, Ruganyira affirme avoir vendu Ntahangwa Mining en 2011 et nie, par conséquent, avoir acheté de l’or de la RD Congo au cours des dernières années.
Comme l’on peut constater, en utilisant ses liens avec des personnes telles Kombi à Lubero, un parent de Kakole en Ouganda, Patandjila au Rwanda et le personnel de l’ambassade congolaise au Burundi, le M23 a élargi son contrôle sur les sources d’or ainsi que sur les routes de transit.
Quelques solutions.
– Sanctions.
La communauté internationale a fait très peu pour lutter, de manière efficace, contre la vente de l’or provenant des zones de conflits. Aucune des personnes mentionnées ci-dessus, aucune des sociétés qu’ils dirigent actuellement, ont été sanctionnées par l’ONU, les Etats-Unis, ou l’UE. Les seules sanctions internationales prises contre les sociétés aurifères de conflit ont été adoptées en 2007, mais les propriétaires des entreprises sanctionnées ont immédiatement mis en place de nouvelles entreprises exportatrices d’or sous des noms différents. En effet, lorsque l’on sanctionne les sociétés, les propriétaires changent le nom de leurs entreprises et ils échappent ainsi aux sanctions et il peuvent continuer à commercialiser l’or provenant de zones de conflit. L’application de sanctions aux personnes qui gèrent et / ou sont les véritables titulaires de ces entreprises constitue un moyen essentiel pour éviter l’évasion des sanctions. L’imposition de sanctions sur les véritables propriétaires des sociétés exportatrices d’or citées dans le rapport (AR Gold, Silver Minerals, Mineral Impex Uganda, Ntahangwa Mining, Etablissement Namukaya, …) seait une première étape fondamentale pour arrêter le commerce de l’or provenant des zones de conflits. La mise en œuvre des sanctions exigerait également que les gouvernements de la région des Grands Lacs puissent prendre des mesures judiciaires contre ces exportateurs. Ce ne sera pas facile, compte tenu de la complicité de ces gouvernements avec ces exportateurs.
– Devoir de diligence raisonnable.
Il ya deux défis majeurs pour assurer la traçabilité de l’or.
Tout d’abord, l’or est facile à cacher. D’autre part, les exportateurs déclarent acheter l’or à l’intérieur de leur pays ou dans des pays qui ne sont pas soumis à l’embargo sur les armes par les Nations Unies et nient simplement acheter de l’or congolais provenant de zones de conflit.
Deuxièmement, la traçabilité de l’or congolais provenant des zones de conflit est souvent impossible, dès qu’il est porté à la main sur des vols commerciaux vers les pays consommateurs, notamment vers les Émirats Arabes Unis. Il est difficile d’identifier les partenaires commerciaux des exportateurs d’or au Moyen-Orient et d’exiger qu’ils exercent une diligence raisonnable. L’or artisanal arrive aux Émirats Arabes Unis à la main, en forme de poussière d’or ou de pépites, dans des volumes de moins de 50 kilos. Selon les procédures douanières des UAE, le transporteur doit déclarer un acheteur autorisé en tant que destinataire, mais il n’y a aucune vérification. Donc, le destinataire déclaré peut être ou ne pas être le véritable acheteur.
Les raffineurs des EAU affirment qu’aucune quantité d’or congolais provenant des zones de conflit pénètre dans leurs installations et ils disent qu’ils n’ont pas de contrats avec des fournisseurs artisanaux, qu’ils affinent de l’or recyclé et qu’ils refusent l’or qui pourrait être d’origine congolaise. Dans les Émirats Arabes Unis, le manque de transparence et d’exactitude, des données concernant les importations d’or porté à la main et l’identité des importateurs constitue un vrai problème.
Pour résoudre ces problèmes, la première étape serait la collecte d’informations précises par l’Independent Mineral Chain Auditor (IMCA, un mécanisme indépendant pour le contrôle sur la chaîne de production et d’exportation des minerais) au niveau de la Conférence Internationale pour la Région des Grands Lacs (CIRGL).
Deuxièmement, les données détaillées des opérations de douane (provenance, quantité et valeur estimée de la marchandise, noms des exportateurs, des importateurs et des destinataires, …) doivent être mis à la disposition des raffineurs, des producteurs de bijoux, des organismes étatiques de supervision, tels que Dubai Multi Commodity Center (DMCC) et d’éventuels observateurs extérieurs, pour qu’il soit possible, après des opérations de contrôles et de vérification, s’assurer que l’or importé ne provient pas de zones de conflit et qu’il n’ait pas contribué à financer des groupes armés. Cette démarche est dénommée «devoir de diligence raisonnable» et son application est requise par l’ONU et l’OCSE.
Recommandations:
1. Le Comité des sanctions du Conseil de Sécurité de l’ONU devrait ajouter les noms des quatre personnes mentionnées ci-dessus à la liste des individus et des groupes qui font déjà face à des sanctions de l’ONU. Imposer des sanctions sur les individus, plutôt que sur les entreprises, aiderait à éviter que les propriétaires sanctionnés recourent à un nouveau nom de l’entreprise, afin de poursuivre leurs activités.
2. L’envoyée spéciale du Secrétaire Général de l’Onu pour les Grands Lacs, Mary Robinson et l’envoyé spécial américain pour les Grands Lacs, Russ Feingold, devraient exhorter l’Ouganda, le Burundi et la RDCongo à prendre des mesures contre ces exportateurs, en vertu de leurs législations nationales respectives.
3. Le gouvernement américain devrait exhorter les Emirats Arabes Unis à renforcer les contrôles réglementaires sur les importations d’or par la vérification de l’authenticité des documents d’exportation, ainsi que des importateurs de l’or.
4. L’Envoyée de l’ONU Mary Robinson et l’émissaire américain Russ Feingold devraient travailler avec les gouvernements de la RDCongo, du Rwanda et de l’Ouganda, pour que la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs finalise le processus de certification et de vérification indépendante de la chaîne des minerais, conçu pour enquêter sur la fraude et sanctionner les exportateurs des minerais du conflit.[1]
2. ROMPRE LE LIEN ENTRE RESSOURCES NATURELLES ET CONFLIT: LES ARGUMENTS EN FAVEUR D’UN RÈGLEMENT EUROPÉEN
Un groupe de 58 organisations non gouvernementales européennes et mondiales exhorte la Commission européenne d’adopter une législation qui impose aux acteurs économiques d’exercer un devoir de diligence sur leurs chaînes d’approvisionnement afin qu’ils ne participent pas au financement des conflits ou des violations des droits humains dans la production et le commerce des ressources naturelles. Le caractère mondial des chaînes d’approvisionnement modernes implique que les ressources naturelles ayant alimenté certains des conflits les plus brutaux de la planète sont achetées et commercialisées à l’échelle internationale, y compris par des entreprises opérant dans l’Union européenne (UE).
L’UE est aussi le plus grand bloc commercial mondial et le siège de plusieurs des principales sociétés mondiales qui commercialisent les ressources naturelles ou transforment les matières premières. La taille du marché européen donne à l’UE la capacité d’influencer les chaînes d’approvisionnement mondiales pour promouvoir un approvisionnement transparent et responsable dans d’autres juridictions. D’après le droit international et européen relatifs aux droits humains, les Etats membres de l’UE ont la responsabilité de s’assurer que les sociétés qui opèrent dans leurs juridictions ne contribuent pas directement ou indirectement à travers leurs activités aux violations des droits humains.
Récemment, la Commission Européenne a lancé une consultation publique sur une « éventuelle
initiative de l’UE en faveur de l’approvisionnement responsable en minerais provenant de zones de
conflit ou à haut risque». L’engagement de la Commission européenne à soutenir et utiliser davantage le Guide OCDE sur le devoir de diligence dans les zones en conflit ou à haut risque est déjà un pas important.
Les Ong exhortent la Commission Européenne à préparer une législation qui:
• Crée une obligation légale contraignante pour les acteurs économiques afin qu’ils exercent
un devoir de diligence sur leurs chaînes d’approvisionnement pour identifier et prévenir les risques de financement des conflits et des violations des droits humains;
• Reconnaît l’obligation des Etats et des entreprises de protéger et de respecter les droits humains telle que définie dans la Charte internationale sur les droits de l’homme et la nécessité de faciliter aux victimes l’accès à la justice;
• S’applique à tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement;
• A une portée géographique mondiale. Ce qui signifie que le devoir de diligence doit s’exercer sur toutes les chaînes d’approvisionnement en ressources qui viennent de n’importe quelle zone en conflit ou à haut risque;
• A un champ d’application qui couvre l’ensemble des ressources naturelles;
• S’appuie sur une approche basée sur les risques et prend en compte les conséquences sur les individus et les communautés.
Rompre les liens entre ressources naturelles et conflits.
Depuis des décennies, le négoce des minerais, des pierres précieuses et autres matières premières a joué un rôle central dans le financement et l’entretien de certains des conflits les plus brutaux de la
planète, affaiblissant davantage encore, des Etats déjà fragiles. Les revenus issus du commerce des
ressources naturelles peuvent donner aux groupes rebelles armés les moyens de poursuivre leur activité. Dans de nombreux cas, ces groupes sont responsables de graves violations des droits humains. Ces soixante dernières années, au moins 40 % de l’ensemble des conflits étaient liés aux
ressources naturelles. La présence de ces dernières multiplie par deux le risque qu’un conflit se
reproduise. De plus, la concurrence mondiale croissante pour l’accès aux ressources naturelles des pays en développement, est de nature à augmenter les risques de conflits. Les recherches menées par les ONG, les Nations Unies et d’autres acteurs montrent que les ressources naturelles sont extraites dans des régions où les activités présentent le risque réel de financement des conflits, de l’instabilité ou des violations des droits humains. Ces ressources entrent ensuite dans les chaînes d’approvisionnement mondiales d’où elles sont commercialisées et transformées pour la fabrication d’une variété de produits de consommation et industriels. Une solide règlementation européenne, basée sur le cadre développé par l’OCDE et les Nations Unies sur le devoir de diligence, permettrait de garantir que les minerais commercialisés dans l’UE sont exempts de lien avec des conflits ou des violations des droits humains. Si elle est correctement mise en œuvre, cette règlementation permettrait également de contribuer à des économies plus stables dans les pays exposés à des risques de conflit, en promouvant une gestion transparente et responsable des ressources naturelles.
Prendre comme point de départ les normes internationales existantes.
L’obligation des Etats de protéger les droits humains est bien développée dans le droit international.
En vertu de cette obligation, les Etats doivent principalement veiller à ce que les entreprises qui opèrent dans les zones en conflit, et où il y a un risque élevé de violation des droits humains, ne soient pas impliquées dans de tels abus. Ceci exige de veiller à ce que les entreprises identifient, préviennent et atténuent les risques liés à leurs activités dans le domaine des droits humains.
Les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme définissent la responsabilité pour les entreprises de respecter les droits de l’homme, y compris la responsabilité de développer un devoir de diligence sur les droits de l’homme. Ils font spécifiquement référence à la responsabilité des Etats de garantir que les entreprises opérant dans les contextes de conflit ne prennent pas part aux violations des droits humains.
Les arguments en faveur d’une législation.
15 ans de rapports détaillant les liens entre les minerais et le conflit ravageant l’Est de la RDC, de plaintes présentées aux Points de contacts nationaux de l’OCDE et de sanctions imposées par les Nations Unies n’ont pas suffi à contraindre les entreprises à examiner plus attentivement leurs chaînes d’approvisionnement dans la région. La pression générée par la législation, comme le montre l’adoption de la Section 1502 de la Loi américaine Dodd-Frank de 2010, constitue le moyen le plus efficace pour obliger les entreprises à prendre des mesures en faveur de chaînes d’approvisionnement plus responsables. À moins qu’elles n’y soient contraintes par la loi, la plupart des entreprises ne feront aucun effort suffisant pour veiller à ce que leurs achats n’aient pas servi à financer un conflit, en dépit des obligations internationales existantes. Aujourd’hui, plus de 80% des entreprises européennes qui utilisent les quatre minerais couverts par la loi américaine n’ont pas rendu publiques leurs politiques de contrôle de leurs chaînes d’approvisionnement. Il semble même qu’elles n’ont rien fait pour éviter que les minerais qu’elles utilisent ne financent les conflits. Une règlementation de l’UE sur le devoir de diligence appliqué à la chaîne d’approvisionnement, pourrait engendrer une importante évolution du marché mondial vers un approvisionnement plus responsable en ressources naturelles.
La forme que devrait prendre une telle règlementation.
Pour que la règlementation européenne en question veille à garantir que toute ressource naturelle
introduite sur le marché interne européen ait été obtenue de manière responsable, elle doit:
• Être suffisamment large pour s’appliquer à l’ensemble des ressources naturelles, sans exemptions,
produites dans toute zone de conflit et à haut risque où les activités d’extraction ou de négoce risquent de contribuer ou d’être associées à d’importants impacts négatifs, y compris des violations des droits humains et des conflits;
• Protéger les entreprises responsables et éviter les embargos totaux. Cela exige des entreprises qu’elles évaluent les impacts négatifs actuels et potentiels de leurs activités.
• Exiger des entreprises qu’elles adoptent et mettent en œuvre une stratégie de gestion des risques permettant de prévenir ou d’atténuer les risques identifiés, tels que de graves violations des droits humains et des conflits;
• Exiger des audits indépendants réguliers. Les rapports de ces audits devraient être rendus publics en temps voulu et de manière continue;
• Envisager d’introduire un mécanisme de sanction en matière de diligence pour les cas où les entreprises ignorent délibérément les signaux d’alerte concernant la chaîne d’approvisionnement et s’approvisionnent sciemment en ressources naturelles ayant financé un conflit ou encouragé la violation des droits humains.
Mesures d’accompagnement.
Le fait d’exiger des entreprises européennes qu’elles procèdent à un approvisionnement responsable en ressources naturelles constitue une étape essentielle vers l’adoption de mesures contre les conflits autour des ressources naturelles et la prévention de ces derniers. Cependant, afin de contribuer à la stabilisation et au développement à long terme des pays dans lesquels les ressources naturelles alimentent les conflits et les violations des droits humains, la législation européenne doit s’inscrire dans le cadre d’une approche complémentaire plus large, traitant les causes profondes des conflits. Ceci pourrait inclure un soutien sur mesure à la réforme de la gouvernance, du secteur de la sécurité et de la gestion des ressources naturelles. La législation européenne relative au devoir de diligence devrait être complétée par des programmes d’aide au développement visant à renforcer la capacité des autorités locales et des communautés locales à gérer leurs ressources naturelles de manière durable.
Les conséquences de l’inaction.
Sans une législation obligeant les entreprises de l’UE à assainir leur chaîne d’approvisionnement, il sera impossible de vérifier quelles actions les entreprises mènent pour veiller à ce que leurs activités dans les zones en conflit ou à haut risque ne financent les conflits. Sans une législation, il est certain
que les ressources naturelles dont l’exploitation et le commerce profitent aux groupes armés, continueront à entrer sur le territoire de l’UE. La faiblesse dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement telle que pratiquée par les entreprises européennes contribue à la violence et aux violations des droits humains dans les régions riches en ressources naturelles, avec des conséquences catastrophiques pour les populations et les économies locales. Les conflits financés par des matières premières très recherchées engendrent souvent des déplacements massifs, une insécurité alimentaire pandémique et empêchent les efforts de reconstruction post-conflit de prendre forme.
La Commission européenne doit garantir que les acteurs de ses juridictions utilisant des ressources naturelles se les procurent d’une manière bénéficiant à la population locale des pays producteurs, autant qu’elles profitent aux entreprises et consommateurs européens. Le meilleur moyen, pour l’UE, de garantir que les entreprises européennes ne contribuent à aucun conflit et aucune violation, consiste à introduire une règlementation raisonnable et efficace, qui définisse des exigences claires pour obliger les entreprises à un devoir de diligence s’appliquant à la chaîne d’approvisionnement.[2]