Editorial Congo Actualité n. 185 – Par la Reseau Paix pour le Congo
Annoncées fin 2012 par le Président de la République Démocratique du Congo (RDCongo), les concertations nationales pourraient avoir lieu dans les prochaines semaines. Dernièrement, en effet, le Président Joseph Kabila a signé et publié une ordonnance présidentielle pour leur convocation.
Selon l’ordonnance t présidentielle, «ces concertations nationales ont pour objet la réunion de toutes les couches sociopolitique de la Nation, afin de réfléchir, d’échanger et de débattre, en toute liberté et sans contrainte, de tous les voies et moyens susceptibles de consolider la cohésion nationale, de renforcer et étendre l’autorité de l’Etat sur tout le territoire national, en vue de mettre fin aux cycles de violence à l’Est du pays, de conjurer toute tentative de déstabilisation des institutions et d’accélérer le développement du pays dans la paix et la concorde».
Toutefois, la lecture tes textes de l’ordonnance présidentielle et du projet de règlement intérieur donnent lieu à de nombreuses perplexités.
Des questions à résoudre.
Tout d’abord, à propos du nombre de participants: 469. Compte tenu de la durée limitée des concertations (un maximum de 15 jours, à raison de 05 jours de travaux en plénière et de 10 jours de travaux en Etats Généraux même si, en cas de nécessité, le Présidium peut fixer une durée supplémentaire qui ne peut excéder 05 jours), il est très probable que pas tous les participants puissent disposer du temps suffisant pour présenter leurs points de vue de façon complète et exhaustive. Le danger qui guette est celui de la superficialité, sans que l’on puisse arriver à la racine des problèmes qui seront traités.
En ce qui concerne la composition de l’Assemblée, on remarque une nette supériorité de la composante de la majorité présidentielle, au détriment de l’opposition politique minoritaire, car la participation des 30 délégués de l’Assemblée Nationale, des 15 délégués du Sénat et des 144 délégués des partis politiques représentés au Parlement sera proportionnelle à leur représentation dans les deux chambres du Parlement. Afin d’encourager le dialogue, la discussion et l’entente, il serait nécessaire de prendre en considération le critère de la parité entre les forces politiques en présence.
Un autre aspect de la composition de l’Assemblée est celui d’une multiplication excessive et inutile des entités participantes. Parmi un total de 469 participants, 119 (environ 25%) appartiennent à trois catégories un petit peu étranges. 44 participants sont des personnalités politiques qui ont joué des rôles importants dans la vie politique du passé: 3 anciens vice-présidents, 10 anciens présidents des Chambres du Parlement, 7 anciens premiers ministres, 6 anciens membres de la table ronde politique de Bruxelles en 1960, 6 anciens premiers présidents de la Cour Suprême de Justice, 7 anciens procureurs généraux de la République, 4 anciens gouverneurs de la banque centrale et 4 anciens chefs d’état-major des Forces armées. 60 autres délégués ont été choisis comme experts dans le milieu universitaire, on ne sait pas dans quel but. 15 autres délégués sont invités personnels du chef de l’Etat. Derrière une apparente pluralité, se cache le risque d’une fragmentation voulue, dans laquelle le rôle des forces de l’opposition politique est dilué dans un ensemble incohérent de nombreuses composantes artificielles scrupuleusement sélectionnées, pour sanctionner et avaliser passivement un projet politique conçu d’avance par la majorité au pouvoir.
En ce qui concerne les problématiques à traiter, l’ordonnance présidentielle cite les suivantes: 1. Gouvernance, démocratie et reforme institutionnelle; 2. Économie, secteur productif et finances publiques; 3. Désarmement, démobilisation, réintégration sociale ou rapatriement des groupes armés; 4. Conflit communautaire, paix et réconciliation nationale; 5. Décentralisation et renforcement de l’autorité de l’Etat. Selon l’opposition politique, cependant, les concertations devraient aborder plus explicitement les problèmes graves de la crise de légitimité des institutions issues des élections de 2011, les violations des droits de l’homme, la violence sexuelle contre les femmes, le recrutement de mineurs dans les groupes armés, le pillage des ressources naturelles, l’enrichissement illicite (corruption, malversation des biens de l’Etat) et devrait conduire à la relance d’un processus électoral transparent et responsable, à la réhabilitation et à la dépolitisation de l’appareil de sécurité, au rétablissement des institutions étatiques dans leurs fonctions républicaines, à la protection des libertés civiles et politiques et à l’assainissement du secteur des ressources naturelles.
Nombreuses sont encore les divergences entre l’opposition politique et la majorité présidentielle à propos de l’organisation des assises. Alors que la majorité présidentielle prétend avoir déjà tout prévu, l’opposition demande, à juste titre, d’être elle aussi impliquée dans la phase de préparation et propose, de ce fait, la mise en place d’un comité préparatoire comprenant toutes les parties prenantes, afin de définir, ensemble, le format et l’ordre du jour du dialogue, le projet de règlement intérieur et les mécanismes de suivi et d’exécution des résolutions finales.
À propos aussi de la présidence et de la coordination des assises, l’opposition estime excessif et inapproprié le rôle attribué à des individus appartenant aux institutions actuelles de l’Etat. Afin d’assurer la neutralité, l’impartialité et l’acceptation par toutes les parties, il serait peut-être nécessaire de confier ce rôle à des personnalités issues de la société civile et des milieux professionnels et culturels.
Enfin, le suivi de la mise en œuvre des conclusions, propositions et recommandations a été confié à ces mêmes Institutions (Président de la République, présidents du Sénat et de l’Assemblée Nationale et gouvernement) qui ont démontré, jusqu’ici, d’être incapables de trouver des réponses adéquates à l’actuelle situation d’insécurité et de violence et à la crise politique, sociale et économique du pays. Il serait plutôt souhaitable de créer un comité de suivi avec la participation de toutes les parties prenantes, à savoir la majorité, l’opposition et la société civile, de sorte que toutes les parties se sentent responsables du destin de leur pays.
La signification d’un mot.
Le Président Kabila a choisi le mot de «concertations nationales». Le dictionnaire Le Petit Robert définit la concertation comme «politique de consultation des intéressés avant toute décision», ce qui implique une dynamique de participation. Le même dictionnaire, explique le verbe «concerter», dans sa forme transitive, comme l’action de «projeter (quelque chose) de concert avec une ou plusieurs personnes» et dans sa forme pronominale (se consulter) comme l’action de «s’entendre pour agir de concert». À son tour, le mot «concert» implique «l’accord de personnes qui poursuivent un même but». Le président Joseph Kabila et sa majorité présidentielle devraient bien réfléchir sur ces définitions, pour se mettre en écoute de leur peuple, de la société civile et de l’opposition politique, dans le respect des leurs droits, des leurs attentes, des leurs espoirs, des leurs propositions et des leur requêtes. Ce sont des conditions inévitables pour parvenir à une cohésion nationale porteuse de justice, de démocratie et de liberté, capable d’assurer la souveraineté nationale,l’intégrité territoriale, la paix et le bien-être de la population.