1. Des faits
Le quartier Nguba (Est de la ville de Bukavu) en limite avec le Rwanda, s’est réveillé ce matin sous les signes réels d’une insécurité. Des jeunes « Banyamulenges » avaient décidé de barricader la route principale qui mène vers la frontière Ruzizi Ier depuis 4heures du matin. Cette barricade était située aux environs du Collège Alfajiri.
Les raisons de leurs actions sont diverses et divergent selon ce qui en est dit dans les différents camps. A premier vue, ces jeunes « banyamulenges » ont voulu manifeser leur mécontentement. Dans la soirée du jeudi 23 mai 2013, il y aurait eu des disputes violentes entre un groupe de jeunes congolais et de banyamulenges dans le quartier derrière le marché de Nguba. Pour la partie banyamulenge, tout serait parti des injures proférées gratuitement par les congolais les qualifiant de M23 alors qu’ils discutaient paisiblement de certaines questions privées. Pour l’autre partie (congolaise), tout aurait commencé dans un débit de boisson lorsque quelques jeunes banyamulenges sont entrés et ont pris la bouteille de quelqu’un qu’ils ont cru déjà ivre. Lorsque celui pose des questions, il reçoit des crachats sur la figure, ce qu’il n’a su supporter. La bagarre a commencé jusqu’au point de blesser 2 filles et 3 garçons banyamulenges qui ont été internés par la suite au Dispensaire BIOSADEC à Nguba.
Pour se venger, les jeunes banyamulenges vivant en groupe de plus de dix personnes ça et là dans toute la ville dans ce qu’ils appellent foyers des étudiants, n’ont pas trouvé mieux que d’aller faire de l’incivisme sur la route empêchant à toute la population, du reste pas concernée par ce conflit privé, de vaquer paisiblement à ses activités. Les enfants n’ont pas pu rejoindre leurs salles de classe. Tous les parents qui conduisaient à pieds, à moto ou à véhicule leurs enfants à l’école se sont vus refuser de dépasser le collège. Cela a paru injuste et inacceptable et certains motards ont voulu exiger d’ouvrir le passage. A ce moment là, certains motards amenant des écoliers ont essuyés des jets de pierres et en ont été blessés. Cela a alors ravivé la colère de tous les autres taxis motards, qui généralement sont solidaires dans toutes les circonstances. Une rapide et forte mobilisation s’en est suivie. La violence a pris de l’ampleur et la nouvelle amplifiée et déformée a circulé dans toute la ville. Les analyses sont allées dans tous les sens : les unes parlant de l’entrée du M23 et du Rwanda, les autres fustigeant les malheureux événements d’avril-mai 2004 avec Laurent Nkundabatware et jules Mutebusi, qui avait mis Bukavu à sac. Bref, il y avait de la vraie psychose dans la ville et tout était paralysé.
Les jets des pierres entre les deux parties avaient tellement pris d’ampleur que la situation de violence a dégénéré. Les dégâts ont été très importants : des casses, des blessés dans les deux camps, des destructions injustifiées, des pillages et des vols d’objets de valeur et d’argent,…. Dans la foulée, l’église méthodiste de Muhumba située sur avenue corniche à Muhumba non loin du rond point Ki Muti, à côté de l’hôtel PLAMEDI a été saccagée et brulée en partie (voir photo), tous les instruments qui y étaient ont été détruits sur la route. Il en est de même de l’église CEPAC/SHALOM de Nguba sur l’avenue du lac dont le mobilier et instrument musical ont été détruits sauf le synthétiseur sauvé de justesse par une brave femme. Sur la route principale du collège, l’enclos du complexe scolaire le Progrès à été détruit en partie, etc. les blessés se comptent en dizaines dans les deux camps, certains sont dans des formations médicales, d’autres blessés chez eux. Jusque là, il n’y a pas eu de mort ni de cas très graves contrairement à ce qu’on a entendu par-ci par-là dans la ville. Il faut rappeler que ces deux églises sont essentiellement banyamulenges.
2. Analyse à chaud
Depuis 20 ans, les situations d’insécurité perdurent et se ressemblent au Kivu. Tout est devenu du déjà vu, déjà entendu et du déjà vécu. Chaque fait est toujours une expression tacite d’un groupe, quel qu’il soit. On peut dire sans risque de se tromper que rien ne se fait sans cause ni sans arrière pensée « politique » dans ce genre de manifestation. Faut-il penser à une stratégie délibérée ? Comment expliquer qu’un conflit privé entre quelques jeunes du quartier peut conduire à de tels débordements sans qu’on ne puisse penser à manipulation et instrumentalisation orchestrée ?
En tout cas à voir le flou qui entoure (dans les deux camps) les faits déclencheurs de la situation depuis la veille jusqu’au lendemain encore, il y a lieu de croire à une sorte de guet-apens politique. Le ferment agitateur de ces échauffourées n’est ni convainquant ni explicite. D’ailleurs, l’on se rappellera qu’il y a quelques jours déjà, il y avait des indices d’insécurité à Muhumba. Pourtant ce quartier est le plus sécurisé de la ville de par la présence de la MONUSCO et de la plupart des expatriés.
Doit-on penser au cheval de Troie marque M23 ? Rien n’est moins sûr mais seule la suite pourra nous en convaincre ou nous détromper prochainement. Mais il est quasi certain que la xénophobie et la haine ethnique seront une fois de plus commercialisées par les leaders et extrémistes tutsis/banyamulenges pour justifier toute éventuelle réaction militaire et/ou politique.
Une situation comme celle-ci doit nécessairement profiter politiquement. Le gouvernement provincial de Marcellin CHISHAMBO doit être remanié après le départ de trois de ses ministres par des motions des députés provinciaux. Mais bien avant, un autre ministre SADOC BIGANZA, ministre provincial de l’agriculture (compte banyamulenges) parti à Kinshasa pour d’autres fonctions n’a jamais été remplacé. Des tendances s’élèvent entre les banyamulenges pour qu’ils soient représentés au sein du gouvernement provincial remanié prochainement. Les pros RCD/Goma, les pro-CNDP, les pros FRF ainsi que les pros Masunzu, commandant de la 10ème région militaire, etc.
A l’heure où au Nord-Kivu également la tension monte, et le M23 joue de nouveau la carte des actions armées, à l’approche de l’arrivée de la brigade d’intervention de la Monusco, il y a lieu de se poser toutes les questions et d’être vigilant.
On se souviendra qu’en novembre 2012, la prise de Goma devait se faire en même temps que l’attaque de Bukavu. Pour de nombreuses raisons, cette dernière n’a pu se réaliser. Cet échec aura pesé beaucoup dans la défaite du M23 et son retrait de Goma quelques semaines plus tard.