Congo Actualité n. 177 – Editorial par la Reseau Paix pour le Congo
Une révolution de palais planifiée à partir de Kigali.
Ce qui se passe dans les zones occupées par le M23 fait penser à un nouveau scénario planifié à partir de Kigali. Compte tenu des pressions de la communauté internationale foncièrement opposées aux ingérences du Rwanda dans les affaires intérieures congolaises, le régime de Kigali vient d’entériner une révolution de Palais qui place d’un côté de prétendus «bons» rebelles, ceux de l’aile M23 de Makenga, et les «mauvais», ceux de l’aile M23 de Runiga. Les premiers sont présentés comme favorables à la main tendue de Kinshasa, tandis que les seconds passent pour des traîtres à la solde du Rwanda. L’objectif inavoué de la bande à Makenga est d’infiltrer de nouveau le système de défense congolais et les institutions politiques, à travers un nouveau deal politique à conclure à Kampala, Oyo, Addis-Abeba ou ailleurs. Si les Congolais n’ouvrent pas l’oeil et le bon, ils risquent de se retrouver de nouveau, comme en 1996 et en 2003, avec de nombreux militaires et agents de sécurité du Rwanda non seulement au niveau du haut commandement de l’armée nationale mais aussi des services spéciaux. Bref, le Rwanda joue une nouvelle partition visant une nouvelle alliance entre Kinshasa et de «bons» rebelles qui donneraient l’impression de s’être affranchis de sa tutelle alors que, dans le fond, ils constitueraient le socle d’un nouveau cheval de Troie.[1]
Une stratégie à court terme qui dure depuis trop longtemps.
Sultani Makenga pense en effet qu’il est possible de renégocier les accords du 23 mars avec le gouvernement congolais au profit du M23. Il le pense et il le souhaite. Makenga estime que la stratégie du M23 pour «déstabiliser» le régime de Joseph Kabila ne peut s’opérer d’un seul coup. Il faut progresser «par étapes», accords après accords, batailles après batailles. Pour le courant Makenga, il faut signer un accord «à minima» avec Kabila, tout de suite, quitte à revenir à la charge dans quelques mois sur le terrain militaire.
Selon l’analyste Kris Berwouts, Sultani Makenga semble vouloir jouer la carte de Kinshasa et de la communauté internationale. Makenga serait prêt à signer un accord avec le gouvernement congolais. Les rumeurs vont également bon train autour de la volonté supposée du camp Makenga d’arrêter lui-même Bosco Ntaganda. Makenga pourrait ainsi s’attirer les bonnes grâces de Joseph Kabila, qui avait promis à la communauté internationale de l’arrêter. L’arrestation de Ntaganda par Makenga constituerait un deal «gagnant-gagnant» pour le leader rebelle, mais aussi pour le chef de l’Etat congolais en mal de reconnaissance internationale après sa réélection contestée de 2011.
C’est le jeu de poker menteur qui se trame depuis plus de 15 ans dans les Kivus avec une même tactique: diviser les rébellions, signer la paix, intégrer un des groupes rivaux dans l’armée régulière… jusqu’à la prochaine guerre. Une visée à court terme qui dure depuis trop longtemps.[2]
Deux opportunités à ne pas rater pour neutraliser la rébellion.
Si Kinshasa acceptait de se plier à cette «nouvelle» situation ferait montre, une fois de plus, de sa faiblesse, si ce n’est pas de sa complicité.
Malgré la complexité de la situation et l’incertitude du moment, le Président Kabila a une occasion unique pour neutraliser le M23: la cohésion du peuple congolais tout entier. Dans son discours du 15 Décembre 2012, il avait annoncé une initiative visant à recréer la cohésion nationale, en vue de résoudre la crise dans l’Est. Il est désormais évident que l’unique voie pour recréer la cohésion nationale est la convocation urgente d’un «dialogue national» avec la participation de toutes les forces de la Nation: Gouvernement, Parlement (Majorité et opposition), opposition extraparlementaire et Société Civile. La crise de l’insécurité dans l’est du Pays (une guerre de basse intensité avec des étapes répétitives) fait partie d’une crise générale de toute la nation et l’aggrave.
C’est dans le cadre d’un dialogue national que le peuple congolais peut rechercher et proposer des orientations et des initiatives appropriées pour résoudre les crises répétitives de l’est du Pays, en assurant le strict respect de la Constitution, en réalisant les réformes nécessaires des services de sécurité (l’armée, la police et les services des renseignements), de la justice (création de la Cour Constitutionnelle, de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat), du système électoral (une commission électorale plus transparente et plus indépendante des partis politiques) et en assurant une bonne gestion des ressources naturelles (mines, pétrole, forêts et agriculture), en vue d’améliorer les conditions sociales de la population (droits de l’homme, infrastructures, éducation et santé). La discussion de ces questions appartient au peuple congolais dans son ensemble et ne peut pas être l’objet de négociations entre le gouvernement et un groupe armé. C’est ce débat national qui pourra recréer cette cohésion nationale nécessaire pour résoudre le problème des groupes armés.
En outre, Kinshasa devrait compter aussi sur l’intervention de la communauté internationale, de l’ONU en particulier, qui a promis d’envoyer une force spéciale avec un mandat de «imposition de la paix», pour combattre et désarmer tous les groupes armés actifs dans l’est du Pays, y compris le M23. Au cas où ce groupe armé voulait réoccuper la ville de Goma, ce fait obligerait le Conseil de Sécurité à accélérer le déploiement de la force envisagé.
Le Président Kabila et le gouvernement ont encore très peu de jours pour prendre une décision, mais il est encore possible: résister au chantage du régime rwandais et du M23, en s’appuyant sur l’envoi d’une force internationale et, surtout, sur la cohésion du peuple congolais qui, depuis longtemps, clame une paix définitive.