Kitchanga, ville martyre
Une semaine après que onze pays africains aient, sous l’égide de l’ONU, signé un accord-cadre censé ramener la paix dans l’Est du Congo, les cris de détresse des habitants de Kitchanga et les témoignages des humanitaires démentent cruellement l’optimisme des diplomates. A Kitchanga, localité du Nord Kivu, située dans le territoire du Masisi à 80km de Goma, les cadavres jonchent les rues, des dizaines de maisons ont été brûlées, le siège de Médecins sans Frontières-Hollande a été attaqué, l’hôpital Saint Benoît a été pris sous le feu de salves d’obus. Selon des témoignages recueillis par téléphone, des blessés ont été arrachés de leur lit d’hôpital et achevés, des civils ont été massacrés du seul fait de leur appartenance ethnique. Le Comité international de la Croix Rouge, peu prolixe d’ordinaire, assure que parmi les nombreux morts et blessés, militaires et civils, il y a de très jeunes enfants. Il juge la situation « dramatique », car « Kitshanga offre une véritable scène de désolation et notre équipe sur place est sous le choc ». Le chef de la délégation du CICR au Congo a ajouté que la présence en ville de combattants incontrôlés rendait la situation plus préoccupante encore. Plus de 100.000 personnes auraient fui la zone et de nombreux blessés ont été acheminés sur Goma.
Quelle sont les séquences de cette explosion de violence ? Pour les comprendre, il faut savoir que Kitchanga est une localité assez étendue, jouxtant à la fois le territoire du Masisi et celui de Rutshuru, ce dernier ayant été le bastion des rebelles tutsis du M23. La population de Kitchanga est mélangée : y vivent côte à côte des Hutus congolais (régulièrement soupçonnés de sympathiser avec leurs « cousins » hutus rwandais) des Hunde (Congolais autochtones) et aussi des Tutsis congolais ainsi que des réfugiés originaires du Rwanda. Plusieurs groupes armés sont issus de ces groupes ethniques : les « Mai Mai Nyatura »recrutent parmi les Hutus, l’ACPLS (Alliance pour un Congo libre et souverain) assure représenter les Hunde, l’ethnie majoritaire dans la région. Quant au M23, un mouvement politico-militaire tutsi soutenu par Kigali qui contrôlait la zone depuis le printemps 2012 et combattait les Hutus rwandais des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) il vient de se diviser en deux ailes qui se sont affrontées militairement : l’une est dirigée par le général Bosco Ntaganda (recherché par la justice internationale) et l’autre par le colonel Sultani Makenga. Ce dernier, qui a destitué le chef politique du mouvement, jean-Marie Runiga, serait entré en pourparlers directs (et secrets) avec le président Kabila afin de négocier d’ici le 15 mars sa réintégration au sein de l’armée gouvernementale.
Dans un premier temps, les forces gouvernementales, après avoir permis le déploiement dans la ville de combattants hutus FDLR, avaient repris le contrôle de Kitchanga. Elles y avaient trouvé des groupes de miliciens Nyatura et ACPLS qui attendaient d’être intégrés au sein de l’armée régulière. Des observateurs décrivaient alors la situation comme un baril de poudre, car face aux miliciens hutus et hunde, les officiers gouvernementaux étaient des Tutsis, appartenant au 812e régiment., des hommes issus de l’ex CNDP, fidèles à Laurent Nkunda. A la tête des troupes se trouvait un officier tutsi lui aussi, le colonel Mudahunga, ancien rebelle réintégré en 2009 et qui était demeuré dans l’armée gouvernementale. La baril de poudre ne tarda pas à exploser, les combattants (Hunde) de l’ACPLS, dirigés par le colonel Janvier Buingo Karairi, entamant des combats avec un régiment considéré comme « pro rwandais ».
Dans un premier temps, s’étant trouvée à court de munitions, l’armée régulière dut reculer et laisser Kitchanga aux mains de l’ACPLS, ce qui entraîna la fuite de nombreux civils rwandophones. Lorsque la contre-offensive reprit, lundi dernier, elle fut sans merci : hôpitaux bombardés, maisons détruites. A l’issue de combats extrêmements violents, l’ACPLS finit par être repoussée à 6 km de la localité tandis que les civils tentaient de s’abriter dans les églises, les écoles, les familles d’accueil.
Depuis lors, le régiment qui pourrait être accusé de crimes de guerre à l’encontre des civils a été remplacé par d’autres unités, la Monusco assure qu’elle a prêté son concours à l’armée congolaise pour empêcher la progression des miliciens, qu’elle a fait usage d’hélicoptères de combat et que des civils en fuite ou grièvement blessés ont été accueillis dans les bases des Casques bleus. MSF-Hollande déclare cependant avoir de « gros soucis » par rapport à la santé des civils regroupés à la paroisse Saint Benoît et dans la base de la Monusco.