Congo Actualitè n.179

SOMMAIRE

EDITORIAL: C’est par la justice que l’on construit la paix

1. LES AFFRONTEMENTS ENTRE LES DEUX FACTIONS DU M23

2. LA REDDITION DE BOSCO NTAGANDA

a. Le déroulement des événements

b. Les réactions et les interrogatifs

3. LES POURPARLERS ENTRE LE M23 ET LE GOUVERNEMENT À KAMPALA

a. Un projet d’accord entre le gouvernement et le M23

b. Après la scission du M23

c. Après la reddition de Bosco Ntaganda

4. APRÈS L’ACCORD DE ADDIS ABEBA

 

EDITORIAL: C’est par la justice que l’on construit la paix

1. LES AFFRONTEMENTS ENTRE LES DEUX FACTIONS DU M23

 

Le 9 mars, des affrontements ont été signalés depuis le matin entre les deux factions du Mouvement du 23 mars (M23) sur les collines surplombant Rugari, une localité située à plus de 30 kilomètres au nord de Goma. Le bilan provisoire, selon plusieurs témoins, fait état des cinq morts et plusieurs blessés civils. Les deux ailes du M23 s’entraccusent d’avoir ouvert les hostilités. Selon le colonel Vianney Kazarama, porte-parole militaire du M23/ aile Makenga, à 5H00, heures locales, les hommes de Bosco Nanganda se sont attaqués à leurs positions de Rumangabo. D’où la contre attaque. Pour le colonel Vianney Kazarama, si possible, ses hommes vont mettre la main sur Bosco Ntaganda pour le remettre à la justice international. Selon le porte-parole militaire du M23/aile Bosco Ntaganda, le colonel Séraphin Mirindi, les hommes de Makenga se sont attaqués à leurs positions de Rugari et Ngungu vers 4 heures, heure locale. Les habitants de Rugari sont actuellement en fuite vers Rumangabo, Kibumba et dans les collines avoisinantes. D’autres, qui n’ont pas eu le temps de sortir, restent terrés dans leurs habitations sous des multiples bombardements de deux camps.[3]

 

Le 10 mars, la société civile du Nord-Kivu a appelé les deux factions du M23 à mettre fin aux affrontements et aux violences contre les civils. Le porte-parole, Omar Kavota, a demandé au M23 de «arrêter cette mascarade, en simulant des affrontements inutiles qui font des victimes dans la population». Il a également appelé le Conseil de Sécurité des Nations Unies «à envoyer d’urgence cette brigade d’intervention devant traquer les forces négatives au Nord-Kivu pour qu’elle trouve le M23 dans cette flagrance». Selon Omar Kavota, les derniers affrontements entre les deux factions du M23 ont fait au moins une quinzaine de morts et neuf blessés côté civil.[4]

 

Le 15 mars, la situation est redevenue calme à Rugari, à 40 km de Goma (Nord-Kivu), après d’intenses combats entre le deux factions rivales du M23. Des sources locales affirment que la contrée est sous l’occupation des hommes fidèles à Sultani Makenga, chef militaire de la rébellion du M23. Ce que rejette la faction pro Ntaganda qui affirme conserver une partie de Rugari.[5]

 

Le 16 mars, après d’intenses combats, les hommes fidèles au chef militaire du M23, Sultani Makenga, ont délogé Bosco Ntaganda et sa troupe de la localité de Kibumba, à 30 km au Nord de Goma (Nord-Kivu). Selon plusieurs sources, ce dernier, accompagné d’une centaine d’hommes, a pris la direction de Masisi en passant par le parc national des Virunga. Les mêmes sources affirment que, dans la soirée du jour précédent, Jean Marie-Runiga et son bureau politique ont pu traverser la frontière rwandaise à partir de Gasizi, à l’Est de Kibumba. Au moins vingt officiers aussi, dont le chef militaire, colonel Baudouin Ngaruye, et le lieutenant-colonel, Séraphin Mirindi, ainsi que près de 600 hommes de troupes ont rejoint Runiga au Rwanda, dans la journée du 16 mars. Cette information est confirmée par le ministère des Affaires étrangères du Rwanda qui a déclaré que

Jean-Marie Runiga et ses hommes, aussitôt arrivés au Rwanda, ont été désarmés et conduits vers un lieu sûr.[6]

 

2. LA REDDITION DE BOSCO NTAGANDA

 

a. Le déroulement des événements

 

Le 17 mars, le porte parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, a affirmé que Bosco Ntaganda aussi, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité, a traversé la frontière et il est passé au Rwanda. Évoquant l’accord de paix signé le 24 février à Addis-Abeba, Lambert Mende a appelé le Rwanda à ne pas l’accueillir et à ne pas le protéger.

Cet accord de paix sur la RDC interdit à tout Etat de la région des Grands Lacs d’héberger des criminels de guerre poursuivis par des juridictions internationales et nationales. C’est en vertu de cette disposition de l’accord-cadre d’Addis-Abeba que le Congo attend voir le Rwanda rapatrier ces cadres du M23. La ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, s’est refusée à confirmer la présence de Bosco Ntaganda sur le territoire rwandais.[7]

 

Le 18 mars, Bosco Ntaganda s’est réfugié à l’ambassade des Etats-Unis à Kigali au Rwanda. L’information est confirmée par la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo. «Nous avons appris aujourd’hui que Bosco Ntaganda est entré au Rwanda est s’est rendu à l’ambassade des États-Unis à Kigali», a-t-elle affirmé. Le département d’État américain a confirmé, en début de soirée, la présence de Bosco Ntaganda dans son ambassade au Rwanda.

Selon certains observateurs, il s’agit probablement d’un asile négocié avec l’implication de Paul Kagame, d’autant plus que Bosco Ntaganda ne pouvait pas traverser tout le territoire rwandais, jusqu’à la chancellerie américaine, sans la bénédiction des autorités rwandaises.[8]

 

Le 18 mars, le porte-parole du gouvernement de RDC, Lambert Mende, a révélé que Bosco Ntaganda avait même été conduit jusqu’au portail de l’ambassade américaine par l’armée rwandaise.[9]

 

Le 18 mars, Bosco Ntaganda a demandé depuis l’ambassade des Etats-Unis son transfert à la Cour pénale internationale (CPI). Selon la porte-parole du département d’Etat américain, Victoria Nuland, Washington a pris contact avec la Cour et le gouvernement rwandais pour faciliter cette demande. «Je peux confirmer que Bosco Ntaganda s’est présenté à l’ambassade des Etats-Unis à Kigali ce matin [lundi]. Il a demandé expressément à être transféré devant la CPI à La Haye», a déclaré Victoria Nuland. L’opinion internationale attend de voir quelle sera l’attitude des Etats-Unis et du Rwanda, tous les deux non signataires du Statut de Rome, traité fondateur de la CPI. En conséquence, aucun de ces deux pays n’ont obligation de transférer Bosco Ntaganda à la CPI, basée à La Haye (Pays-Bas).

Le porte-parole de la CPI, Fadi El-Abdallah, a déclaré que, «si cette information est confirmée, la Cour prendra les dispositions nécessaires en vue du transfert de Ntaganda à La Haye. Rien n’empêche un Etat qui n’est pas partie au Statut de Rome de coopérer avec la Cour sur une base volontaire». Victoria Nuland a indiqué que les Etats-Unis soutiennent la CPI et son enquête sur les atrocités commises en RDC par Bosco Ntaganda.[10]

 

Le 19 mars, le Rwanda a indiqué ne pas avoir à se mêler d’un éventuel transfert de Bosco Ntaganda devant la CPI. «Cette affaire est entre les Etats-Unis qui détiennent le suspect, la RDCongo, pays de nationalité du suspect, et la CPI qui recherche le suspect. Le Rwanda n’a donc aucune décision à prendre ici», a déclaré la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo.[11]

Le 19 mars, lors d’un point de presse, la porte-parole du département d’Etat américain, Victoria Nuland, a souligné que «Washington attend que le gouvernement rwandais coopère et facilite le transfert de Bosco Ntaganda vers la CPI, conformément à ses engagements. Je voudrais rappeler que le ministre de la Justice (rwandais) a tweeté, il n’y a pas si longtemps, qu’il assurerait le passage en toute sécurité» du rebelle congolais. Ces déclarations interviennent alors que la ministre rwandaise des Affaires Etrangères a indiqué que le Rwanda n’a pas à se mêler d’un éventuel transfert devant la CPI de Bosco Ntaganda.[12]

 

Le 20 mars, le sous-secrétaire d’Etat américain pour les affaires africaines, Johnnie Carson, a affirmé que «Il est important de répondre à la requête de Bosco Ntaganda. Pour cela, nous demandons la coopération totale du gouvernement rwandais, des autorités de la CPI et du gouvernement néerlandais pour que (ce transfert) soit effectué dès que possible». Il a assuré aussi que le gouvernement rwandais avait donné l’assurance qu’il n’entraverait pas le transfert de l’ancien chef de guerre.[13]

 

Le 21 mars, le président rwandais, Paul Kagame, a affirmé que son pays apporterait tout le soutien nécessaire au transfert du rebelle congolais Bosco Ntaganda vers la CPI. «Nous allons travailler pour faire en sorte que tout ce dont l’ambassade américaine a besoin en lien avec l’affaire Bosco Ntaganda soit mis en œuvre aussi rapidement que possible», a déclaré le président Kagame dans un communiqué.[14]

 

Le 22 mars, le gouvernement rwandais a annoncé que Bosco Ntaganda a quitté le Rwanda pour La Haye, siège de la CPI. Visé par deux mandats d’arrêt internationaux, émis en 2006 et 2012, il est accusé par la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. «Bosco Ntaganda a décollé de Kigali vers 14h00 locales et se trouve entre les mains de responsables de la CPI», a annoncé, en début d’après-midi sur Twitter, la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo. L’ambassade américaine à Kigali et la CPI, depuis La Haye, ont confirmé l’information. Toutefois, certains analystes estiment que la mise à l’écart de Ntaganda sera loin de suffire pour ramener la paix, car les problèmes de fond, en particulier le jeu souterrain des pays voisins, demeurent.[15]

 

b. Les réactions et les interrogatifs

 

Selon Séverine Autesserre, de l’Université de Columbia à New York, spécialiste de la RDC et des processus de paix, la reddition de Bosco Ntaganda est un grand pas pour le processus de justice en RDC. Par contre, c’est un petit, très petit pas pour le processus de paix. À chaque fois qu’on a géré le problème des grands chefs de guerre comme Bosco Ntaganda et Laurent Nkunda, cela n’a rien résolu en fait. Les problèmes ont continué avec un nouveau chef de guerre qui a juste remplacé l’ancien. Ces grands chefs de guerre sont juste un épiphénomène, alors qu’il y a des problèmes beaucoup plus complexes. Les vrais enjeux ne tournent pas autour d’une personne ou d’un petit groupe d’élites, mais sur les thèmes que l’accord-cadre a essayé de régler – c’est-à-dire l’ingérence étrangère et la gouvernance à la tête de l’Etat congolais – mais aussi beaucoup de conflits locaux. Des conflits autour de la terre, du statut de certaines communautés, autour des ressources économiques locales. Et tous ces conflits locaux ne sont absolument pas pris en compte dans le processus de paix actuel. Donc, ce n’est pas avec la reddition de Bosco Ntaganda et ce n’est pas en continuant les négociations entre le M23 et le gouvernement congolais à Kampala qu’on va vraiment avoir une chance de ramener une paix durable à l’est du Congo.[16]

 

Pour Aloys Tegera, directeur de la section recherche de Pole Institut, l’Institut interculturel dans la région des Grands Lacs, le départ de Bosco Ntaganda ouvre la voie à plusieurs possibilités pour la rébellion du M23 en RDCongo: «Tout ce qui pesait sur le mouvement du 23 mars à cause du passé de Ntaganda ne sera plus quelque chose qui jouera contre eux. Maintenant, ils ont la latitude soit de discuter avec Kinshasa, soit de trouver un compromis avec lui».

Pour Fernandez Murhola, secrétaire national du réseau national des ONG de défense des droits de l’Homme de la RDC, la détention de Bosco Ntaganda ne change pour le moment rien à la situation dans l’est du pays: «Bosco Ntaganda n’était qu’un pion. Les causes du conflit dans l’est du pays, c’est le Rwanda et l’Ouganda. Ce sont ces deux pays qui doivent respecter les clauses du pacte sur la paix et la sécurité et le développement dans la région des Grands Lacs. Ils doivent être aussi en mesure de respecter aussi le dernier accord d’Addis Abeba». En effet, selon des experts de l’ONU, le Rwanda et l’Ouganda soutiennent des mouvements de rébellion dans l’est de la RDC, dont le M23. Un soutien que les deux pays ont toujours nié.[17]

 

Selon plusieurs observateurs, la façon dont Bosco Ntaganda a rejoint l’ambassade américaine à Kigali, quelque 150 km plus loin, reste inconnue. «Il n’aurait pas pu arriver à Kigali sans que personne ne le sache, d’autant plus que le Rwanda est un petit pays très contrôlé par les autorités», commente Carina Tertsakian, de Human Rights Watch, sans toutefois en conclure que “les autorités l’ont livré à l’ambassade américaine”. Pour Thierry Vircoulon, de l’International Crisis Group, Ntaganda a bien été pris en charge par l’armée rwandaise à son arrivée à la frontière. Après, les choses sont moins claires: l’a-t-elle escorté jusqu’à l’ambassade ou s’est-il échappé pour la rejoindre par ses propres moyens? Gérard Prunier, spécialiste des Grands Lacs, s’interroge: «A-t-il été menacé? Y a-t-il eu un deal? Je ne sais pas. Mais il a été livré sous pression ou incitation du gouvernement rwandais qui l’avait récupéré après sa défaite».[18]

 

Après s’être rendus à la Monusco, le major Kiroko et le capitaine Sadiki de l’aile ntagandiste du M23, séjournent déjà à Kinshasa. Ils rapportent que c’est tard que Bosco Ntaganda a compris que le Rwanda était en train de monter les officiers du M-23 les uns contre les autres. Quand il l’apprend, il commet l’erreur d’appeler James Kaberebe, ministre de la Défense du Rwanda, à qui il a dit qu’il rendra ce qu’ils sont en train de lui faire. C’était le mot de trop. Une menace pas assez voilée pour amener James Kaberebe à se convaincre que le protégé est devenu incontrôlable, donc dangereux. Déjà, selon les mêmes sources, Ntaganda envisageait au pire des cas de passer une alliance avec le Général Cheka, à la tête d’un groupe armé mêlé des FDLR et des Maï Maï. Une sérieuse menace face à laquelle les makenguistes n’ont pas trouvé d’autre parade qu’anéantir un homme devenu encombrant avec un mandat de la CPI sur le dos. D’où la décision de l’aile de Makenga de poursuivre Bosco Ntaganda avec des renforts venus de l’autre côté de la frontière.

Les hommes de Ntaganda se sont retrouvés encerclés avec seule issue de battre en retraite au Rwanda. Lui-même s’est échappé juste en compagnie de quelques proches, notamment Nzimurinda et Kagabo, pour se cacher dans la forêt. C’est alors que Muhire de la Sécurité extérieure du Rwanda a pris contact avec lui. C’est le même Muhire qui est venu le chercher avec ses compagnons pour les convoyer jusqu’au Kanombe à Kigali.

Là, un autre officier rwandais, le Général Charles Kayonga, embarque Bosco Ntaganda à bord de sa Jeep Lexus type Land-Cruiser. Pour un tête à tête avec James Kaberebe, qui se met à expliquer à Ntaganda qu’avec tout ce qu’il a fait, il ne mérite de se réduire à une vie d’ermite dans la forêt où il risque de connaître une mort sans gloire. Puis il lui donne des assurances. Le gouvernement rwandais a examiné, avec le concours des Américains, son dossier CPI sous toutes les coutures et il n’y a pas trouvé de quoi l’inculper. Lui Bosco n’était que la troisième personnalité de l’UPC, donc un simple exécutant aux ordres des politiques. Si son chef Thomas Lubanga s’en est tiré avec quelques 14 ans d’emprisonnement, dont plus de la moitié déjà purgé en détention et que Matthieu Ngodjulu a été simplement et purement acquitté, il y a donc lieu d’envisager un non-lieu pour lui. Au passage, d’autres garanties ont consisté à le rassurer que sa femme et ses enfants ne seront pas délaissés dans l’entre-temps. Aussi qu’il allait être mis à disposition les meilleurs avocats et que le Rwanda mettra tout en œuvre pour qu’il ne se fasse pas condamner. En tout cas pas lourdement.

Sur ces entrefaites, un appel a été donné au conseiller militaire de l’ambassade des Etats-Unis à Kigali pour concrétiser la démarche. A bord du même 4×4 du Général Kayonga, Bosco Ntaganda a effectué le parcours vers l’ambassade américaine. Baudouin Birinda, ex-second de Makenga, Nzimurinda et les autres cantonnés au Camp Kanombe ont été acheminés dans le Sud du Rwanda, à Gikongoro.[19]

 

Bosco Ntaganda est né en 1973 à Kiningi (Ruhengeri) au Rwanda, de parents rwandais.

Encore adolescent, il fuit les violences contre les Tutsi et s’installe à Ngungu dans le Masisi, au Nord-Kivu, où il fait ses études secondaires mais n’obtient pas un diplôme d’Etat.

En 1990, âgé de 17 ans, Bosco Ntaganda rejoint le Front patriotique rwandais (FPR), rébellion dirigée à l’époque par l’actuel chef de l’Etat du Rwanda Paul Kagame.

En 1996, il rejoint les rangs de l’AFDL.

En 2002, il rejoint l’Union des patriotes congolais (UPC) de Thomas Lubanga en Ituri.

En août 2006, la CPI a émis son premier mandat d’arrêt international contre Ntaganda.

En 2007, il rejoint le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), une rébellion dirigée par Laurent Nkunda.

En mars 2009, il est promu général de l’armée congolaise à la faveur d’un accord avec le gouvernement congolais.

En juillet 2012, la CPI a émis un deuxième mandat d’arrêt international contre lui.[20]

 

3. LES POURPARLERS ENTRE LE M23 ET LE GOUVERNEMENT À KAMPALA

 

a. Un projet d’accord entre le gouvernement et le M23

 

Début mars, un projet d’accord entre le gouvernement et les rebelles du M23 a circulé dans les milieux politiques à Kinshasa. Ce document de 12 articles rédigé par les délégués du gouvernement aux pourparlers de Kampala doit être approuvé par Kinshasa avant d’être soumis à la médiation. Le document contient douze dispositions qui concernent plusieurs domaines comme la politique, la justice, la sécurité et la territoriale. Il prévoit dans ses articles 3, 7, 9 et 10 par exemple que le gouvernement s’engage à amnistier les membres du M23 qui ne font pas l’objet des poursuites judiciaires nationales et internationales.

Le document propose aussi que le gouvernement congolais puisse contribuer à l’accélération de la mise en œuvre des accords précédents relatifs au retour des réfugiés vivant dans les pays voisins. De plus, les délégués de Kinshasa proposent que le gouvernement crée un secrétariat général chargé de la réconciliation au sein du ministère de l’Intérieur.

Côté M23, l’article 4 du projet d’accord stipule que les rebelles devront déposer les armes avant le déploiement de la brigade d’intervention de la Monusco. Le deuxième article prévoit que les deux parties libèrent tous les prisonniers de guerre.

Des sources de la délégation du gouvernement à Kampala reconnaissent l’authenticité de ce projet qu’elles disent avoir rédigé pour soumettre à la médiation après approbation de Kinshasa.

Le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, a confirmé la date du 15 mars comme échéance des discussions en cours avec le M23 et a affirmé que le document était bel et bien un «document de travail».

Mais Bertrand Bisimwa, président du M23 aile Makenga, se dit surpris de l’existence de ce document qu’il découvre dans les médias, parce que les deux parties ne sont pas retrouvées autour de la table des discussions depuis plus d’un mois, précise-t-il. « Si ce document existe, il devrait faire l’objet d’une négociation entre notre mouvement et le gouvernement de la RDC en présence de la facilitation assurée par l’Ouganda », poursuit-il. Pour lui, ce projet d’accord n’engage pas son mouvement. Les délégués de deux factions rivales du M23 continuent de séjourner à Kampala.[21]

 

Le «projet d’accord» prévoit notamment la réintégration des éléments du M23 au sein de l’armée congolaise, en échange de la dissolution du mouvement rebelle. Problème: le M23 est désormais divisé en deux branches. Quelle est celle qui est légitime pour conclure les négociations avec le gouvernement congolais?

C’est au nom de cet accord en gestation que les deux factions rivales du M23 s’affrontent dans plusieurs localités du Nord-Kivu. Chacune d’elles ne cesse de revendiquer la victoire en confirmant avoir mis en déroute l’ennemi, comme pour se présenter comme l’interlocutrice valable du gouvernement et pouvoir contresigner l’accord.

Pour l’aile du M23 pro-Makenga, toute signature doit être précédée de l’adoption de certains amendements au « draft » soumis par le gouvernement congolais. « Nous devons d’abord définir ce qui signifie « intégration » : qui va intégrer l’autre », explique Vianney Kazarama, le porte-parole de la branche armée.

Du côté de l’autre aile du M23, conduite par Jean-Marie Runiga, les rebelles estiment que la situation sur le terrain, avec ses luttes intestines, doit obliger le gouvernement congolais à revoir ses plans de sortie de crise qui « misent plus sur Sultani Makenga ». Dans le cas contraire, selon le porte-parole du M23 pro-Runiga, Séraphin Mirindi, il n’y aura pas de signature d’accord de paix à la date prévue. «Le 15 mars sera une journée avortée», prédit-il.[22]

 

Selon plusieurs observateurs, le nouvel Accord que le Gouvernement congolais pourrait signer avec les rebelles pro-rwandais du M23, en les intégrant de nouveau dans l’armée nationale, contient des éléments susceptibles de ramener la Rdc à la case départ par rapport à la paix à l’Est du pays. Tout observateur lucide de la situation sécuritaire de l’Est de la Rdc sait que c’est bel et bien l’intégration des différentes générations des rebelles au sein de l’armée nationale qui est la raison fondamentale des faiblesses et des dysfonctionnements de l’armée congolaise. L’une des causes principales de la désorganisation de l’armée congolaise est le fait qu’elle est constituée de différents miliciens.

Il est indiscutable qu’aucune armée au monde ne peut se construire sur la matrice des mutins, des rebelles ou de toute personne ayant pris les armes contre le pouvoir constitué. A la faveur des différents accords politiques, les Fardc ont vu l’intrusion en leur sein des délinquants et des tueurs incapables de se soumettre à la discipline tout comme au règlement militaire. Par ce subterfuge, l’armée nationale devient un corps des pillards et des soudards, le contraire de sa mission de préserver l’intégrité territoriale, ainsi que de protéger la population et ses biens.

L’intégration des rebelles du M23 dans les Fardc est aussi en contradiction avec l’Accord-cadre d’Addis-Abeba sur la pacification de l’est de la Rdc. Cet accord ne parle même pas du M23 qui fait partie des forces négatives à éradiquer pour pacifier le Kivu. Sur cette base, la négociation avec une telle force viole l’esprit de l’Accord qui prône l’usage de la force.

Il ne faudra pas perdre de vue la réalité qui veut qu’à ce jour, il y a bel et bien deux M23, celui de Makenga et celui du Pasteur Runiga et Ntaganda. Avec qui, donc, le Gouvernement signerait-il cet Accord ? S’il le fait avec Makenga, le camp Runiga continuera la guerre et vice-versa.[23]

 

b. Après la scission du M23

 

Pendant que les deux factions du M23 s’affrontent dans le Nord-Kivu, à Kampala, deux délégations affirment chacune représenter le M23. Qui représente le M23 à Kampala? «C’est toujours moi», affirme François Rucogoza, le chef de délégation qui est là depuis le début. Le problème est que Rucogoza est resté fidèle au pasteur Jean-Marie Runiga, qui a été chassé de son poste de président le mois dernier par le chef militaire Sultani Makenga. Son successeur, Bertrand Bissimwa, a nommé un nouveau chef de délégation: René Abandi qui, par conséquent, affirme représenter «la vraie délégation». Les deux tendances se querellent à Kampala et s’entretuent dans le Nord-Kivu.[24]

 

Le 17 mars, les délégués du gouvernement sont rentrés à Kinshasa sur demande du chef de l’Etat, pour une consultation afin de déterminer une nouvelle feuille de route des négociations.[25]

 

Le 18 mars, le médiateur ougandais, Crispus Kiyonga, a annoncé que les pourparlers entre les rebelles du M23 et les autorités de Kinshasa reprendront dans environ une semaine. Selon lui, les discussions se tiendront entre la faction du chef militaire du M23 Sultani Makenga et le gouvernement de la RDCongo, en dépit des développements au sein du M23.[26]

 

c. Après la reddition de Bosco Ntaganda

 

Après la reddition de Bosco Ntaganda, le nouvel allié du gouvernement congolais s’appelle Sultani Makenga, lui aussi ressortissant du Rwanda, révoqué des FARDC en juillet 2012 par une décision du Conseil Supérieur de la Défense sous l’identité de colonel Ruzandiza. Aujourd’hui, on négocie avec Makenga, tout en sachant qu’on a affaire à un officier rwandais.

Ce que les Congolais doivent à tout prix éviter c’est le blanchiment de l’aile Sultani Makenga du M23 par rapport à celle de Bosco Ntaganda.

Il serait malsain de croire qu’il y a de bons et de mauvais rebelles. Tous sont les mêmes. Tous sont pareils. Tous sont au service des mêmes parrains, des mêmes puissances étrangères pour la même cause. Celle-ci est connue de manière indiscutable: maintenir l’ingouvernabilité rampante de l’est de la Rdc par une insécurité galopante. Ce qui permettrait aux opérateurs clandestins de tout poil d’agir en exploitant illégalement les richesses minières de l’eldorado qu’est le Kivu.

Ntaganda et Sultani Makenga ont un même combat. Officiellement, c’est la défense des intérêts des Tutsi dans les Kivu mais, en réalité c’est la désintégration du Kivu en vue de son occupation. Leur stratégie est bien connue: occupation territoriale, rapport des forces favorables, négociations politiques avec l’objectif principal d’obtenir une intégration d’office de leurs troupes dans les Fardc à maintenir, coûte que coûte, à l’est de la Rdc avec la mission d’y assurer l’hégémonie extérieure, notamment rwandaise.

Avec la déconfiture du groupe Ntaganda-Runiga, c’est l’aile triomphante de Sultani Makenga qui aura la charge de concrétiser ce plan. A Kinshasa, on doit être vigilant et éviter une campagne de blanchiment qui tend à présenter Sultani Makenga comme le bon rebelle prêt à signer l’Accord de paix de Kampala. L’actuel M23 qui est resté sur le terrain n’a d’autre charge que de sauvegarder les intérêts du Rwanda au Nord-Kivu. Le Patron des patrons c’est bien Paul Kagame. C’est lui qui fait et défait ces petits roitelets qu’il place à la tête de toutes ces rébellions pro-rwandaises de l’est de la RDC. À ce jour, l’erreur du gouvernement congolais serait de se complaire dans une spirale des mêmes causes produisant les mêmes effets en intégrant les hommes de Sultani Makenga dans les Fardc où ils avaient déjà été intégrés. Le gouvernement congolais doit à tout prix éviter le piège du schéma «intégration-désintégration-réintégration-désintégration». Car il y a un adage populaire qui dit que «qui a bu boira».[27]

 

4. APRÈS L’ACCORD DE ADDIS ABEBA

 

Le 12 mars, le président angolais, José Eduardo dos Santos, a reçu son homologue d’Afrique du Sud, Jacob Zuma, et le président congolais, Joseph Kabila. Ils ont discuté des moyens de mettre en œuvre l’accord d’Addis-Abeba pour le retour de la paix dans le Nord-Kivu. Les trois présidents ont bien affirmé leur volonté de coopérer mais cette unité n’est que de façade. En coulisses, les voix des trois présidents africains sont discordantes. Car en réalité, les trois pays peinent à s’entendre, notamment sur l’envoi de troupes dans le Nord-Kivu pour renforcer la mission de l’ONU. Le président sud-africain a déjà dit qu’il était prêt à contribuer à la future brigade, ce que refuse catégoriquement l’Angola, qui plaide pour une résolution pacifique du conflit, au grand dam de la RDC. A cela s’ajoute une défiance croissante entre Luanda et Kinshasa. La RDC critique le soutient mou de l’Angola, qui chercherait à préserver ses intérêts économiques dans la zone de conflit. Luanda condamne l’incapacité de l’Etat congolais à assurer l’intégrité de ses frontières, dénonçant un flot d’immigrés illégaux.[28]

 

Le 18 mars, le porte-parole adjoint de l’ONU, Eduardo del Buey, a annoncé que le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a nommé l’ancien présidente irlandaise Mary Robinson envoyée spéciale de l’ONU pour la région des Grands Lacs. Mme Robinson jouera un rôle essentiel pour soutenir l’application de l’accord-cadre sur le conflit en RDCongo, signé par onze pays à Addis Abeba le 24 février. Dans une déclaration diffusée à New York, Mme Robinson estime que les derniers développements dans l’est de la RDCongo, notamment les combats entre les deux factions du M23 et la fuite au Rwanda de certains rebelles, soulignent l’importance de l’accord-cadre pour traiter les causes profondes de l’instabilité dans la région des Grands Lacs. Elle a exprimé son intention de se rendre dans les semaines à venir dans la région, pour rencontrer les signataires de l’accord et travailler avec eux à appliquer leurs engagements. Elle a invité également les Etats de la région à coopérer avec la Cour pénale internationale (CPI).[29]

 

Le 22 mars, la France a présenté au Conseil de Sécurité une proposition pour le renforcement de la Mission de l’ONU en RDCongo, en créant une force d’intervention rapide chargée de « neutraliser » les groupes armés opérant dans l’est du pays, mais cette initiative a suscité interrogations et réticences. Le projet de résolution mis au point par Paris et soumis à ses partenaires du Conseil de sécurité s’inspire des recommandations du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon et des résultats de l’accord régional d’Addis Abeba du 24 février. Il doit encore être discuté par les experts des 15 pays avant un vote en avril. Mais plusieurs pays du Conseil se demandent s’il est faisable, et même s’il est encore nécessaire, de créer cette « brigade d’intervention » — qui compterait quelque 2.500 hommes — après la scission du mouvement M23 et la reddition de son chef Bosco Ntaganda. «Les pays contributeurs de troupes se demandent si, après la reddition de Bosco Ntaganda, tout cela est vraiment nécessaire désormais», note un diplomate.

Le projet de résolution « condamne fermement la présence du M23 dans les environs immédiats de Goma » et réclame que tous les groupes armés « déposent les armes ». Renforcée par une « Brigade d’intervention », indique le texte, la Monusco aura désormais aussi pour tâche de « mener des opérations offensives et ciblées », seule ou aux côtés des forces gouvernementales congolaises, pour « stopper le développement de tous les groupes armés, (les) neutraliser et les désarmer ». Elle devra cependant « tenir pleinement compte de la nécessité de protéger les civils et de limiter les risques ».

La Brigade est créée « pour une période initiale d’un an » et reste sous l’autorité du commandant en chef de la Monusco. Basée à Goma, ses effectifs seront inclus dans l’effectif maximal autorisé de la Mission, soit 19.815 soldats. L’Afrique du sud, la Tanzanie et le Mozambique sont prêts à lui fournir des troupes. La Monusco se voit aussi dotée de drones pour surveiller les frontières de la RDC avec le Rwanda et l’Ouganda.

Jusqu’à présent, la principale mission de la Monusco était la protection des civils mais elle avait été critiquée pour n’avoir pas réussi à stopper la progression du M23 vers Goma et les exactions qui avaient suivi. Kinshasa demande depuis plusieurs mois le renforcement de la Monusco.

Mais selon des diplomates, les pays du Conseil qui ont des troupes dans la Mission (Guatemala, Pakistan) redoutent des représailles contre leurs Casques bleus, tandis que Russie et Chine soulèvent des objections de principe sur le thème de la non-ingérence. Les Etats-Unis de leur côté doutent que la Monusco même renforcée soit capable de chasser les groupes rebelles du Kivu. Kigali, signataire des accords d’Addis Abeba, a des relations privilégiées avec Washington.

En prévision de l’examen de la résolution, le président rwandais Paul Kagame a effectué une visite à New York mercredi où il a rencontré notamment Ban Ki-moon. Le Rwanda doit prendre la présidence tournante du Conseil de sécurité le 1er avril.[30]



[1] Cf Kandolo M. – Forum des As – Kinshasa, 11.03.’13

[2] Cf Kimp – Le Phare – Kinshasa, 21.03.’13 et Kandolo M. – Forum des As – Kinshasa, 21.03.’13

[3] Cf Radio Okapi, 09.03.’13

[4] Cf Radio Okapi, 11.03.’13

[5] Cf Radio Okapi, 15.03.’13

[6] Cf Radio Okapi, 16.03.’13

[7] Cf AFP – Kinshasa, 17.03.’13

[8] Cf France 24, 18.03.’13; 7 sur 7.cd, 18.03.’13

[9] Cf AFP – Kigali, 19.03.’13

[10] Cf Radio Okapi, 18.03.’13; 7 sur 7.cd, 18.03.’13

[11] Cf AFP – Kigali, 19.03.’13

[12] Cf Belga – Washington, 20.03.’13 (via mediacongo.net)

[13] Cf Reuters – Kigali, 20.03.’13

[14] Cf Radio Okapi, 21.03.’13

[15] Cf Radio Okapi, 22.03.’13

[17] Cf Deutche Welle, 20.03.’13

[18] Cf Radio Okapi, 21.03.’13

[19] Cf Paul Muland – CongoNews – Kinshasa – Congoforum, 23.03.’13

[20] Cf Radio Okapi, 19.03.’13

[21] Cf Radio Okapi, 14.03.’13

[22] Cf Trésor KibangulaJeuneafrique.com, 12.03.’13

[23] Cf Kandolo M. – Forum des As – Kinshasa, 11.03.’13

[24] Cf RFI, 15.03.’13

[25] Cf Radio Okapi, 19.03.’12

[26] AFP – Kampala, 18.03.’13

[27] Cf Kimp – Le Phare – Kinshasa, 21.03.’13 et Kandolo M. – Forum des As – Kinshasa, 21.03.’13

[28] Cf RFI, 13.03.’13

[29] Cf AFP – New York (Nations unies), 18.03.’13

[30] Cf AFP – New York (Nations unies), 22.03.’13