SOMMAIRE
ÉDITORIAL: Tous ensemble pour une solution urgente de la crise
1. LA SCISSION DU M23 EN DEUX FACTIONS
2. LES RETOMBÉES SUR LE DIALOGUE ENTRE LE M23 ET LE GOUVERNEMENT À KAMPALA
3. LES DESSOUS D’UNE SCISSION
4. À PROPOS DE LA BRIGADE INTERNATIONALE D’INTERVENTION
ÉDITORIAL: Tous ensemble pour une solution urgente de la crise
1. LA SCISSION DU M23 EN DEUX FACTIONS
Le 24 février, des affrontements armés ont opposé, dans la soirée, des factions rivales du mouvement M23 à Rutshuru, dans le nord-est de la RDCongo. Selon un communiqué de la Société civile du Nord-Kivu, ces affrontements ont fait 17 morts, 11 dans les deux camps du mouvement rebelle et 6 parmi les civils. Ces affrontements ont opposé des partisans du général Sultani Makenga, chef militaire du M23, à ceux de Jean-Marie Runiga, son chef politique, allié à Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI). Selon une source militaire occidentale, les heurts sont liés à des divergences au sein du mouvement rebelle, notamment à propos de l’accord-cadre signé à Addis Abeba. Avant même la signature de l’accord, Runiga avait annoncé son intention de reprendre la lutte armée, alors que les discussions de Kampala entre Kinshasa et le M23 piétinent.
Makenga se serait opposé à toute action militaire. Selon une source occidentale à Goma, les deux hauts responsables du M23 étaient allés s’en expliquer à Kigali en milieu de semaine. A leur retour, Runiga a été d’abord privé de son véhicule et de sa garde de corps puis placé en résidence surveillée à Bunagana, ville frontière entre la RDC et l’Ouganda. Ensuite, un petit groupe des soldats proches du colonel Baudouin Ngaruye, fidèle à Jean Marie Runiga, a rejoint Rutshuru, distante de 30 kilomètres, où s’est affronté avec ceux de Makenga.[3]
Le 26 février, la majorité des hommes répondant aux ordres de Sultani Makenga se seraient retirés de Rubare, Rutshuru-centre, Ntamugenga, Nyongera et Mabenga, pour se positionner sur des collines stratégiques de Mbuzi, Runyonyi et Nyabitona, dans le groupement Bweza, chefferie de Bwisha. La prise de ces collines devrait étouffer toute action militaire de Bosco Ntaganda. D’autres combattants de Sultani Makenga sont allés vers Bunagana, cité frontalière de l’Ouganda, à environ 20 km à l’est de Rutshuru. En revanche, Baudouin Ngaruye, un autre chef militaire du M23, qui fait allégeance à Jean Marie Runiga et à Bosco Ntaganda est resté maitre de Rutshuru-centre, Nyongera, Kiwanja et Rubare. Jean-Marie Runiga a, quant à lui, décidé de quitter sa résidence de Bunagana à la frontière ougandaise, parce qu’elle est dans la ligne de mire d’une pièce d’artillerie du clan Makenga sur une colline juste au-dessus de la ville et il est allé se réfugier d’abord à Rutshuru sous la protection du général Baudouin Ngaruye, puis à Kibumba, à une vingtaine de kilomètres de la ville de Goma, en raison de sa position stratégique par rapport au Rwanda.[4]
Le 27 février, le chef militaire du M23, Sultani Makenga, a destitué Jean-Marie Runiga de ses fonctions de coordonnateur politique de ce mouvement. Sultani Makenga reproche à Jean-Marie Runiga son «incapacité à conduire la vision du mouvement et à mettre en œuvre son programme politique». Il accuse notamment Jean-Marie Runiga de se rallier à Bosco Ntaganda qui, «influence négativement les décisions du M23, au plus haut niveau». Jean-Marie Runiga est également accusé de “malversations financières, divisions, haine-ethnique, escroquerie et manque de professionnalisme et d’éthique politique”. L’intérim de la présidence politique est assuré par le général Sultani Makenga, jusqu’à présent responsable militaire du M23. Des hommes fidèles à Bosco Ntaganda ont abandonné les localités de Rubare, Kiwanja, et Rutshuru-Centre et ils se sont établis à Kibumba, à 20 km au Nord de la ville de Goma. Plusieurs localités de Rutshuru abandonnées par le M23 font actuellement l’objet de la convoitise des rebelles rwandais des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) et des milices Maï Maï.[5]
De son côté, Jean-Marie Runiga, s’est retiré lui aussi, vers Kibumba, à une vingtaine de kilomètres de Goma, avec une partie des troupes et des cadres civils attachés à sa personne. Il ne reconnaît plus le colonel Makenga comme membre du M23. Il l’accuse de haute trahison, d’être de connivence avec le pouvoir en place à Kinshasa et de s’interférer dans la gestion politique du mouvement. Parmi les premières mesures annoncées par Jean-Marie Runiga, il y a la nomination du colonel Séraphin Mirindi comme porte-parole militaire du M23. Runiga a aussi désigné Baudouin Ngaruye en qualité de chef militaire par intérim du M23, en remplacement Sultani Makenga, suspendu.[6]
Le 28 février, vers minuit, la faction du M23 dirigée par Baudouin Ngaruye, fidèle à Jean-Marie Runiga et à Bosco Ntaganda, a attaqué la faction adverse dirigée par le général Sultani Makenga, à Chanzu, près de la frontière avec l’Ouganda. Les combats ont duré jusqu’à 5 h du matin environ. Au moins 23 personnes ont été tuées dans l’affrontement. Quelque 4000 civils ont trouvé refuge en Ouganda.[7]
Le 28 février, la cité de Rutshuru centre est tombée, dans la soirée, entre les mains des rebelles des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR). Des combattants rwandais ont cassé la porte de la prison centrale de Rutshuru centre et libéré vingt des leurs. D’autres détenus, une quarantaine environ, se sont volatilisés dans la forêt. Au cours de cette même journée, les Maï-Maï Nyatura et les Maï-Maï Shetani ont été signalés aux alentours de la cité de Kiwanja. Selon des habitants de Rutshuru, il s’agirait pour la plupart des jeunes autochtones ayant fui la cité pour se réorganiser en une force d’autodéfense dans la brousse dans l’objectif de «chasser les Rwandais».[8]
Le 1er mars, dans la soirée, les militaires congolais ont pris le contrôle de plusieurs localités du territoire de Rutshuru abandonnées par les rebelles du M23. Il s’agit de Kalengera, Rubare, Kako, Rutshuru-centre, Kiwanja et Nyongera. Depuis le départ du M23, trois jours auparavant, suite à des dissensions au sein du mouvement rebelle, ces localités ont été en proie à des attaques des milices locales. Pour le gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, le déploiement des FARDC est motivé «par le souci de sécuriser les habitants de ces localités». Des témoins à Kiwanja indiquent que les militaires des FARDC ont été accueillis par de nombreux habitants en liesse. Ces militaires qui sont du 805e régiment proviendraient notamment de Mabenga, leur dernière ligne de front. Ceux qui sont arrivés à Rubare et à Kalengera provenaient de Tongo. Un officier des FARDC a déclaré que ce déploiement visait à empêcher certains groupes armés d’occuper les localités abandonnées par le M23.
De sa part, le M23 a vite réagi à cette opération des FARDC. Dans un communiqué, le M23 affirme que les localités de Mabenga, Kitagoma, Kiwanja, Rutshuru-centre et Rugari sont assiégées par une coalition armée, composée de militaires congolais, de rebelles rwandais des FDLR, et de miliciens Maï-Maï, qu’il accuse de commettre des exactions à l’encontre des populations civiles.
Le porte-parole du M23, le colonel Vianney Kazarama, reproche aux FARDC d’avoir violé le cessez-le-feu qui avait été unilatéralement décrété par le M23 avant les pourparlers de Kampala. Par conséquent, le M23 met en garde le gouvernement de Kinshasa sur les conséquences de l’occupation de ces localités par l’armée gouvernementale et demande ainsi au gouvernement de retirer ses troupes et de les ramener sur leurs anciennes positions.[9]
Le 2 mars, pendant la nuit, l’armée congolaise s’est retirée du territoire de Rutchuru. Les Forces armées de la RDC (FARDC) affirment avoir obéi à un ordre hiérarchique. Des témoins rapportent que les rebelles du M23 ont commencé à revenir dans ce territoire. Selon plusieurs témoins, l’armée a commencé à se retirer vers minuit, heure locale, à partir de Rubare, à 4 Km de Rutshuru centre, sur la route allant vers Bunagana. Les FARDC se sont ensuite retirées de Kalengera, Kako, Rutshuru-centre, Kiwanja et Nyongera. Deux heures plus tard, vers 3 heures du matin, à la surprise de la population, le M23 a commencé à redéployer ses troupes à partir de Rubare, puis sur l’axe Mabenga- Rwindi. Ceci intervient après une longue réunion organisée à Bunagana par la CIRGL avec le leadership de Sultani Makenga afin de clarifier sa position par rapport aux pourparlers en cours à Kampala. Suite justement à cette discussion, l’aile Makenga a souscrit au dialogue insistant, toutefois, sur la nécessité pour les deux parties de respecter les positions militaires initialement conquises. L’autre contribution enregistrée aurait été celle de la Monusco qui, par des actions diplomatiques, aurait appelé les deux parties à l’apaisement, les exhortant à privilégier la préservation de la quiétude des habitants de Rutshuru longtemps martyrisés par la guerre.[10]
Le 4 mars, Sultani Makenga a nommé une nouvelle délégation aux pourparlers de Kampala en remplacement de l’ancienne équipe. D’après Bertrand Bisimwa, porte-parole du M23, René Abandi devient le nouveau chef de la délégation du M23 et remplace François Rucogoza, resté fidèle à Bosco Ntaganda.
D’autre part, au cours d’un entretien avec la presse à Kibumba, à 18 kilomètres de Goma, le président déchu du M23, Jean-Marie Runiga, a déclaré que «le M23 reste un et indivisible», en ajoutant qu’il ne s’agit pas de dissidence au sein du M23, mais plutôt d’un acte de trahison de la part d’un officier. Il a donc conclu que «le M23 réitère son engagement et sa volonté manifeste de poursuivre le dialogue avec sa délégation conduite par le Secrétaire exécutif François Rucogoza».[11]
Le 7 mars, Bertrand Bisimwa a été désigné président du M23 à l’issue d’un congrès de cette rébellion organisé dans la localité de Bunagana, à 60 km au Nord-Est de Goma (Nord-Kivu). Bertrand Bisimwa remplace, ainsi, Jean-Marie Runiga destitué il y a deux semaines. Avant sa désignation comme président du M23, Bertrand Bisimwa exerçait les fonctions de porte-parole de ce mouvement rebelle. Jean-Marie Runiga a rejeté la nomination de Bertrand Bisimwa comme nouveau président du mouvement. Runiga l’avait déjà relevé de ses fonctions, l’accusant de rallier l’aile Makenga. A la place, il avait nommé Séraphin Mirindi au poste de porte-parole du M23 à Kampala. Bertrand Bisimwa, 40 ans, natif de la ville de Bukavu (Sud-Kivu), est une figure bien connue dans les groupes armés qui se sont succédés dans la partie est de la RDC depuis près de deux décennies. En 1996, il rejoint l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). Deux ans plus tard, il participe à l’insurrection du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) contre le pouvoir de Kabila (père et fils), avant de se retrouver, en 2009, avec le CNDP du général déchu Laurent Nkunda, dont il était porte parole.[12]
Le 9 mars, des affrontements ont été signalés depuis le matin entre les deux factions du Mouvement du 23 mars (M23) sur les collines surplombant Rugari, une localité située à plus de 30 kilomètres au nord de Goma (Nord-Kivu). Le bilan provisoire, selon plusieurs témoins, fait état des cinq morts et plusieurs blessés civils. Les deux ailes du M23 s’entraccusent d’avoir ouvert les hostilités. Selon le colonel Vianney Kazarama, porte-parole militaire du M23/ aile Makenga, à 5H00, heures locales, les hommes de Bosco Nanganda se sont attaqués à leurs positions de Rumangabo. D’où la contre attaque. Pour le colonel Vianney Kazarama, si possible, ses hommes vont mettre la main sur Bosco Ntaganda pour le remettre à la justice international. Selon le porte-parole militaire du M23/aile Bosco Ntaganda, le colonel Séraphin Mirindi, les hommes de Makenga se sont attaqués à leurs positions de Rugari et Ngungu vers 4 heures, heure locale.[13]
2. LES RETOMBÉES SUR LE DIALOGUE ENTRE LE M23 ET LE GOUVERNEMENT À KAMPALA
La scission enregistrée à la tête de la rébellion du M23 risque de créer une confusion au sein de sa délégation aux pourparlers avec le gouvernement congolais à Kampala.
Le gouvernement congolais avait indiqué se retrouver devant «un problème d’identification d’interlocuteurs» pour poursuivre les négociations.
«Cette question est déjà levée: Kinshasa nous a informé de son intention de continuer les pourparlers avec notre groupe», assure le nouveau chef politique du M23, aile Sultani Makenga. Bertrand Bisimwa souhaite que son mouvement parvienne à un accord avec Kinshasa avant le 15 mars, date programmée de l’issue des pourparlers de Kampala. Mais il affirme que «à ce jour, contrairement à ce que certains médias ont annoncé, nous n’avons reçu aucun projet d’accord du gouvernement congolais, en dehors du compromis sur l’évaluation de l’Accord du 23 mars 2009».
A propos du déploiement d’une brigade d’intervention internationale chargée de neutraliser tous les groupes armés actifs dans le Kivu, Bertrand Bisimwa affirme que son mouvement «n’est pas concerné: le M23 n’est pas une force négative. Nous sommes plutôt des partenaires de la paix. C’est pourquoi à Kampala, nos délégués sont pris en charge par le gouvernement congolais: or on ne loge pas, on ne nourrit pas, on ne donne pas l’argent de poche aux membres d’une « force négative »».
François Rucogoza, jusque là chef de la délégation du M23 à Kampala, est réputé être du côté de Runiga et du général Bosco Ntaganda, il est donc déchu par le nouveau M23. Mais il est resté à Kampala et n’aurait pas du tout l’intention de laisser la place. Il estime que la facilitation ne tiendra pas compte des querelles internes au sein de leur mouvement pour signer un accord avec le gouvernement. Il affirme avoir le quitus de la facilitation pour poursuivre les négociations avec le gouvernement congolais.
D’autres sources impliquées dans ces pourparlers ayant requis l’anonymat sont d’avis que les deux camps du M23 pourraient être les bienvenus à la table de négociation.[14]
Selon d’autres informations, Kinshasa serait prêt à signer un accord avec le M23 de Sultani Makenga. Cela pourrait se passer le 15 mars à Kampala, mettant ainsi fin aux pourparlers qui ont commencé début décembre dans la capitale ougandaise. La principale mesure de cet accord a un air de déjà vu : ce sera une intégration des rebelles dans l’armée nationale, comme cela avait été le cas en 2009 avec la rébellion du CNDP. Le texte va être proposé très bientôt au facilitateur ougandais.
Kinshasa serait d’accord pour intégrer la troupe M23 dans l’armée nationale, jusqu’au niveau lieutenant. Pour les officiers au dessus ce serait du cas par cas, certains mutins se verraient plutôt proposer des reconversions dans le civil. Enfin, troisième catégorie, les grands chefs notamment ceux touchés par des sanctions onusiennes. Là encore ce serait du cas par cas. L’éventualité d’une amnistie, avec l’accord du Parlement, ne serait pas exclue. Avec l’autre camp, celui du général Bosco Ntaganda, aucun compromis n’est en vue, et là il s’agira de le combattre comme une force négative. Pour la branche la plus radicale de l’opposition congolaise, la Majorité Présidentielle Populaire (MPP), l’éventualité d’un accord entre le gouvernement et le M23 serait révélatrice d’un véritable complot contre la RDC.[15]
Le 8 mars, la Société Civile du Nord-Kivu a appelé le gouvernement congolais à mettre fin aux pourparlers qu’il mène à Kampala avec la rébellion du M23. Elle a également mis en garde contre toute initiative d’intégration de ces rebelles au sein de l’armée nationale (FARDC), a déclaré le vice-président et porte-parole de la société civile, Omar Kavota. «Dès qu’on a fini l’évaluation de l’accord du 23 mars, tout été clôturé», a-t-il estimé. Selon lui, «ce qui se poursuit maintenant à Kampala n’engage plus la population», même si l’ordre du jour des pourparlers adopté par le gouvernement congolais et le M23, le 16 janvier, prévoyait trois autres points à débattre: les questions sécuritaires, les questions sociales, politiques et économiques et le plan de mise en œuvre. Omar Kavota a invité les autorités de Kinshasa à mettre formellement fin à ces pourparlers, entamés depuis le 9 décembre 2012. Il a plutôt appelé à l’ouverture urgente des concertations nationales préconisées par le Chef de l’Etat Joseph Kabila depuis fin 2012. D’après la même source, ce «dialogue» demeure le seul cadre propice pour renforcer la cohésion nationale. Omar Kavota a, par ailleurs, appelé la population à ouvrir l’œil «sur ce piège dans lequel risque de tomber le Gouvernement, en reconnaissant à Sultani Makenga (le chef militaire du M23), le grade de général et en intégrant son germe du M23 dans l’armée et dans la police».[16]
3. LES DESSOUS D’UNE SCISSION
La crise a mis à nu les clivages entre pro-Nkunda et pro-Ntaganda au sein du groupe rebelle, jusqu’au sommet de la hiérarchie. Sultani Makenga, le chef militaire de la rébellion, et l’un de ses adjoints, Beaudouin Ngaruye, ne parlent plus le même langage. Le premier, réputé proche du général déchu Laurent Nkunda, suspecte le second de continuer à entretenir des rapports avec le général Bosco Ntaganda, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les mêmes suspicions pèsent également sur Jean-Marie Runiga, le coordonnateur politique de la rébellion, à qui l’on reproche une accointance avec Bosco Ntaganda. Dans le camp Runiga, on accuse le général Makenga d’être vendu à Kinshasa et de n’avoir pas d’autre ambition que d’obtenir des postes dans l’armée.
Alors qu’on se rapproche de plus en plus du déploiement d’une brigade d’intervention destinée à combattre les différents groupes armés dans l’est de la RDC, y compris l’M23, les principales figures de ce mouvement n’ont toujours pas adopté de position commune face à la nouvelle donne régionale. Faut-il donc reprendre la guerre avant l’arrivé de la brigade d’intervention ou essayer de parvenir à un compromis avec Kinshasa aux pourparlers de Kampala? Les points de vue divergent.[17]
Le général Sultani Makenga estime que les revendications du M23 à Kampala devraient se limiter à la mise en œuvre des clauses de l’Accord de paix du 23 mars 2009, seule raison de la création du M23. Jean-Marie Runiga voudrait, au contraire, élargir les revendications du groupe à des objectifs nationaux et est favorable à un nouveau partage du pouvoir à Kinshasa.[18]
Les deux clans qui s’affrontent au sein du M23 ne font pas oublier aux Congolais la stratégie utilisée par Paul Kagame en cas d’échec du groupe qu’il a instrumentalisé sur l’échiquier. Le modus opérandi adopté par le président rwandais consiste à faire oublier le M23, qui n’a plus bonne presse tant en RDC qu’au plan international. D’où, la scission actuelle. Le régime de Kigali se prépare (peut-être l’a-t-il déjà fait) à susciter de nouvelles têtes à coloration congolaise et qui s’afficheraient sous un nouveau label. Le M24, peut-être ?… Débarrassé du logo répertorié sur la liste des forces négatives, le nouveau leadership ferait peau neuve et se présenterait comme nouvel interlocuteur attitré de Kinshasa, avec le même cahier des charges actualisé. De son maître inspirateur Kagame, l’ex-colonel Sultani Makenga exécute une stratégie qui vise à faire de Bosco Ntaganda un objet d’échanges. La traque pour « prendre Bosco Ntaganda et le livrer à la CPI » serait déjà enclenchée.
Une fois Bosco Ntaganda maîtrisé, la communauté internationale prendrait Sultani Makenga au sérieux. La survivance du M23 dépendra du remplacement de l’aile de Bosco Ntaganda – Jean Marie Runiga par l’aile de Sultani Makenga. Le nouveau M23 (M24?) pourra ainsi être intégré dans l’armée nationale et dans les institutions du Pays. C’est le même scénario de début 2009, le remplacement de Laurent Nkunda par Bosco Ntaganda, qui se répète aujourd’hui avec le remplacement de Bosco Ntaganda par Sultani Makenga. Le président rwandais, Paul Kagame, resté égal à lui-même, réédite ainsi ses exploits de 2009.[19]
Selon Eugène Diomi Ndongala, président de la Majorité Presidentielle Populaire (MPP), une plateforme de l’opposition radicale, les étapes du processus de déstabilisation de l’est de la RDCongo sont les suivantes:
1. La création d’une rébellion à prédominance mono-ethnique tutsi (cela a été le cas pour l’AFDL, le RCD, le RCD/GOMA, le CNDP et le M23);
2. Le déclanchement des hostilités et l’occupation du territoire congolais à la suite de massacres et déplacement massif de la population. L’armée, infiltrée jusqu’au commandement à la suite des précédents brassages avec des rébellions, est incapable de faire face à l’agression/insurrection ;
3. Des Mai Mai et autres groupes sont initialement créés et armés en tant que groupes alliés des troupes régulières contre les rebelles tutsi, malheureusement selon une logique d’affrontement ethnique.
4. Suite aux successives défaites militaires et pour mettre fin au conflit, le gouvernement accepte, en position de faiblesse, d’entamer un processus de négociations avec la rébellion. Une fois l’accord «politique» signé entre gouvernement et les rebelles pro-tutsi, ceux-ci sont réintégrés dans les troupes régulières, tout en demeurant une armée dans l’armée, avec privilège de grade, sans contrôle d’identité et nationalité et surtout avec le privilège de demeurer au Kivu, d’où il déclencheront, le moment opportun, une nouvelle mutinerie qui constituera le noyau de la prochaine rébellion de proxy filo rwandaise (Afdl-Rcd-Rcd/ Goma-Cndp-M23). Il sied de souligner que l’infiltration ne se limite pas aux rangs de l’armée mais touche largement la sphère politique du pays, comme conséquence d’un accord politique.
5. Les rebelles tutsis réintégrés dans l’armée régulière lancent une nouvelle campagne militaire pour traquer et neutraliser les groupes armés (FDLR et Mai Mai) antérieurement alliés des troupes régulières contre les rebelles tutsis.
6. Au delà de la déstabilisation générale du pays, un processus lent mais à croissance exponentielle depuis 16 ans de dépeuplement de l’Est de la Rdc s’accompagne d’un flux incontrôlé et anarchique de refugiés tutsi «congolais» qui viennent du Rwanda et occupent les terres des populations déplacées, tout en profitant de la protection des anciens-mutins intégrés pour veiller à la conservation des terres acquises par les nouveaux «immigrés».
7. Une diplomatie onusienne complaisante et une communauté internationale indifférente ne font que cautionner la poursuite de ce cycle infernal : mutinerie, rébellion de proxy, agression, soutien et armement des groupuscules mai-mai et Hutus, négociations, accords, réintégration de la rébellion, campagne contre les anciens alliés « taxés de forces négatives », déplacement massif des populations congolaises, immigration incontrôlée rwandaise, conflits fonciers et ethniques.
8. Quel est l’objectif final de la destabilisation du Kivu? Dans un bref délai, la création d’une «terra nullius» dans des provinces richissimes en matières premières, en hydrocarbures avec des grandes potentialités agricoles vise; à long terme, la constitution d’un Etat autonome dont la configuration ethnique aura été modifiée dans l’optique de permettre la tenue d’un referendum d’auto-détermination dans un Kivu démographiquement restructuré.[20]
Pour les observateurs qui ont suivi de près l’évolution de tous les mouvements rebelles de l’Est de la Rdc créés par le Rwanda, la scission du M23 c’est du vrai «copier-coller». C’est selon la circonstance que les Présidents de ces différents mouvements sont désignés, tout comme ils seront limogés sans pitié, dès que le rôle qui leur a été dévolu sera accompli.
Se sont ainsi succédé des Présidents de rébellion sans aucun pouvoir sur la structure, le véritable maître du jeu demeurant bel et bien Kigali. On l’a connu avec le Rcd-Goma qui à sa création le 02 août 98 a eu comme premier Président, le Prof Wamba dia Wamba, originaire du Bas-Congo. Le Prof Wamba dia Wamba s’époumonnait à tue-tête pour démontrer la «congolité» de cette rébellion qui n’était pourtant qu’une affaire des Rwandais commandés par le général James Kabarebe, le même qui était là avec l’AFDL en 1996, et actuel ministre rwandais de la Défense qui gère le dossier M23. C’est ensuite Emile Ilunga, ancien de la gendarmerie katangaise qui a été promu, suivi par un médecin Kasaïen, Adolphe Onusumba Djemba, qui enfin a été remplacé par Azarias Ruberwa Manywa, un Tutsi congolais du Sud-Kivu, membre du mouvement des Banyamulenge à la base de la révolte dite des Banyamulenge en 1996 qui a donné lieu à la rébellion de l’AFDL.
Preuve que tous ces mouvements rebelles ne sont dirigés que par des dirigeants postiches que Kigali change au gré de ses stratégies. Ce qui l’intéresse le plus, c’est l’aile militaire, un corps homogène qui n’est constitué que des Tutsi de la Rdc ou du Rwanda. C’est cette force armée qui permet au Rwanda d’accomplir le dessein qui sous-tend la création des différents mouvements rebelles: le contrôle militaire, politique et économique de l’est de la RDCongo.[21]
4. À PROPOS DE LA BRIGADE INTERNATIONALE D’INTERVENTION
Le 5 mars, le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, lors de la présentation de son rapport spécial sur la RDC et la région des Grands Lacs, a appelé le Conseil de sécurité à autoriser le déploiement d’une brigade internationale d’intervention en République démocratique du Congo (RDC). Cette brigade serait chargée de mener des «opérations offensives contre tous les groupes armés qui menacent la paix dans l’est» du pays. «La situation sécuritaire demeure fragile et exige des actions urgentes», a déclaré Ban Ki-Moon.
Le Secrétaire général a affirmé que cette brigade d’intervention, relevant de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco), et dont l’établissement avait été demandé par les acteurs régionaux, devra «contenir la progression des groupes armés tant congolais qu’étrangers, les neutraliser, et les désarmer».
Il a précisé que des consultations avec les actuels pays contributeurs de contingents de la Monusco et avec des contributeurs potentiels de la brigade internationale avaient lieu afin de préparer, si le Conseil donne son feu vert, le «déploiement rapide» de celle-ci. Ban Ki-Moon a également annoncé qu’il nommerait un envoyé spécial pour la région des Grands Lacs. Ce dernier travaillera en étroite collaboration avec les gouvernements des États de la région pour accompagner la mise en œuvre des mesures prévues aux niveaux national et régional.
Mais, selon des diplomates, au cours des consultations qui ont suivi, plusieurs pays du Conseil ont questionné la faisabilité de cette brigade. Les membres du Conseil «considèrent l’approche (de M. Ban) comme audacieuse et innovante, mais il y a eu un certain nombre de questions» sur le renforcement de la Monusco, a déclaré à la presse l’ambassadeur russe Vitali Tchourkine, qui préside le conseil en mars. Selon un diplomate du Conseil, les pays qui fournissent des troupes aux opérations de maintien de la paix de l’ONU (Guatemala, Pakistan notamment) ont évoqué les risques de représailles contre les Casques bleus tandis que la Russie et la Chine soulevaient des objections «de principe». Les Etats-Unis de leur côté doutent des capacités militaires de la Monusco, a-t-il ajouté. Le même diplomate a fait remarquer que le prochain président du Conseil, à partir du 1er avril, sera le Rwanda. Or Kigali est accusé par l’ONU de soutenir le M23, un des groupes armes actifs en RDC que la brigade est censée précisément combattre. Pour cela, il faudrait arriver à une décision définitive avant la fin du mois de mars.[22]
Le 8 mars, le représentant spécial de la présidence de l’Union Africaine (UA) dans la région de Grands Lacs, Boubakar Sujari, s’est dit préoccupé par la situation humanitaire dans la province du Nord-Kivu, dans l’Est de la RDC et il a déclaré que pour mettre fin à cette «catastrophe humanitaire», il faut déployer «le plus rapidement possible» la brigade d’intervention rapide.[23]
[1] Cf Kimp – Le Phare – Kinshasa, 01.03.’13
[2] Cf Christophe Rigaud – Afrikarabia, 04.03.’13
[3] Cf AFP – Goma, 25.02.’13
[4] Cf Radio Okapi, 26.02.’13
[5] Cf Radio Okapi, 28.02.’13
[6] Cf Kimp – Le Phare – Kinshasa, 01.03.’13
[7] Cf Associated Press – Goma, 01.03.’13
[8] Cf Radio Okapi, 28.02.’13
[9] Cf Radio Okapi, 02.03.’13; RFI, 02.03.’13
[10] Cf Radio Okapi, 03.03.’13; Le Potentiel – Kinshasa, 04.03.’13
[11] Cf L’Avenir Quotidien – Kinshasa, 05.03.’13
[12] Cf Radio Okapi, 08.03.’13; Trésor Kibangula – Jeuneafrique.com, 08.03.’13
[13] Cf Radio Okapi, 09.03.’13
[14] Cf Radio Okapi, 08.03.’13; RFI, 07.03.’13 ; Trésor Kibangula – Jeuneafrique.com, 08.03.’13
[15] Cf RFI, 06.03.’13
[16] Cf Radio Okapi, 09.03.’13
[17] Cf Trésor Kibangula – Jeuneafrique.com, 26.02.’13
[18] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 28.02.’13
[19] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 28.02.’13
[20] Cf Le Phare – Kinshasa, 06.03.’13
[21] Cf Kandolo M.- Forum des As – Kinshasa, 01.03.’13
[22] Cf Radio Okapi, 06.03.’13
[23] Cf Radio Okapi, 09.03.’13