Congo Actualité n. 176

SOMMAIRE

ÉDITORIAL: Un nouveau point de départ?

1. LA SIGNATURE D’UN ACCORD DE PAIX POUR LA RDCONGO

a. Avant la signature

b. Les principes de l’accord

c. Les réactions

2. LE DIALOGUE ENTRE LE GOUVERNEMENT ET LE M23 À KAMPALA

 

ÉDITORIAL : Un nouveau point de départ?

1. LA SIGNATURE DE L’ACCORD DE PAIX POUR LA RDCONGO

a. Avant la signature

Le 11 février, les Etats-Unis ont assuré qu’ils appuieraient un processus de paix international pour la RDCongo sous l’égide de l’ONU. «Une solution élaborée et soutenue par la communauté internationale est le seul moyen d’aller de l’avant. Les Etats-Unis sont disposés à travailler avec les autres membres du Conseil de Sécurité de l’ONU et les partenaires africains», a assuré le secrétaire d’Etat adjoint pour l’Afrique, Johnnie Carson, lors d’une conférence au centre de réflexion Brookings Institution de Washington. Il a exhorté «la RDCongo, le Rwanda, l’Ouganda et d’autres pays de la région à signer et appliquer le plus tôt possible l’accord-cadre des Nations Unies». Cet accord prévoit que les pays de la région respectent chacun la souveraineté des leurs voisins et renforcent la coopération régionale, en vue de résoudre les questions sécuritaires. Il interdit aussi à ces pays de soutenir des groupes armés et les encourage à mettre fin à l’impunité des criminels de guerre. Ce plan régional de paix avait été présenté fin janvier au sommet de l’Union Africaine à Addis Abeba, mais huit dirigeants africains, dont ceux des pays des Grands Lacs, ne l’avaient pas signé. M. Carson a plaidé pour que ce plan onusien s’accompagne d’un «processus de paix complet» pour l’est de la RDCongo, piloté par un «envoyé spécial de l’ONU». D’après M. Carson, «Washington soutient avec force l’intégration d’une brigade régionale d’intervention au sein de la Monusco», la Mission de l’ONU pour la stabilisation du Congo, critiquée pour n’avoir pas pu mettre fin aux violences dans l’est de la RDCongo. Les Nations unies souhaitent donc créer une «brigade d’intervention rapide» plus robuste, avec 2.500 militaires, avait indiqué la semaine dernière le patron des opérations de maintien de la paix de l’ONU, Hervé Ladsous. Cette brigade spéciale au sein de la Monusco serait chargée de lutter spécifiquement contre les groupes armés dans l’est du Congo. Selon certains diplomates, ce genre de mission offensive autorise l’utilisation de la force dans les situations graves, tandis que les forces de maintien de la paix ont plutôt vocation à surveiller un cessez-le-feu déjà en vigueur.[1]

La position de l’Onu semble être rejetée par la SADC. Le premier accroc était apparu à Addis-Abeba où l’Afrique du Sud et la Tanzanie avaient réservé une fin de non recevoir à l’accord de paix proposé par les Nations Unies. Ces deux pays de la SADC avaient trouvé inopportun que la Force internationale neutre, dont le déploiement avait été décidé à Addis-Abeba dans le cadre de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), opère sous mandat de l’Onu dans le format d’une brigade spéciale d’intervention. Pour marquer d’un sceau leur opposition, les pays de la SADC ont vite adopté, en marge de leur dernière réunion de Maputo, une résolution qui autorise le déploiement dans la partie Est de la RDC d’une force sous-régionale de près de 4.000 hommes. Cette force sous-régionale est conçue, dans la forme comme dans le fond, comme une force essentiellement africaine. Ainsi, les 4.000 hommes devraient relever directement de la SADC, avec leur propre structure de commandement et leurs propres règles d’engagement même si, sur le terrain, ils devront collaborer avec les troupes de la Monusco. Qu’est-ce qui pourrait bien opposer au fond les Nations unies à la SADC? Selon les Nations Unies, le plan de la SADC ne prend pas suffisamment en compte le respect de la souveraineté de la RDCongo et de l’intangibilité de ses frontières.[2]

Le 16 février, les Nations Unies ont annoncé la signature d’un accord de paix sur le conflit en RDCongo pour le samedi 24 février à Addis Abeba. Le Secrétaire général de l’Onu, Ban K-moon, a exprimé son intention de se rendre lui-même dans la capitale éthiopienne pour l’occasion.

L’accord devrait être signé par les Nations unies, les pays de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et certains de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Les pays potentiellement signataires de ce deal politique régional sont la République Démocratique du Congo, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, l’Angola, le Congo/Brazzaville, la République Centrafricaine, le Sud-Soudan et le Mozambique.

L’accord de paix prévoit une clause qui recommande aux pays de la région de respecter chacun la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale des ses voisins, de s’abstenir de s’ingérer dans les affaires internes des Pays limitrophes et de renforcer la coopération régionale en vue de résoudre les questions sécuritaires. Il interdit aussi à ces pays de soutenir des groupes armés et les appelle à mettre fin à l’impunité des criminels de guerre. L’accord prévoit également le renforcement des capacités régionales, dans la droite ligne de l’intégration économique régionale. L’exploitation commune des ressources naturelles est vivement recommandée, dans le strict respect des intérêts légitimes du Pays producteur. En ce qui concerne, la RDCongo, le Gouvernement est appelé à poursuivre la réforme du secteur de la sécurité, en accordant une attention particulière pour l’armée et la police. Il est aussi appelé à accélérer la politique de la décentralisation, de développer l’économie, les infrastructures et les services sociaux de base. A cela s’ajoute, la reforme des institutions et l’élaboration d’un agenda de réconciliation et de démocratisation. Ban Ki-Moon envisage également une revue stratégique de la Monusco et la nomination d’un envoyé spécial «qui serait chargé d’accompagner les pays de la région et de les aider à suivre les progrès accomplis au regard des objectifs fixés». Ce texte devait être signé, fin janvier à Addis Abeba, en marge du sommet de l’Union africaine (UA), mais sa signature avait été renvoyée à une date ultérieure.[3]

Selon le député Martin Fayulu, coordinateur des Forces acquises au changement (FAC),  plusieurs engagements réservés à la RDCongo, notamment la poursuite des réformes profondes dans le secteur de la sécurité, la consolidation de l’autorité de l’Etat, la décentralisation, le développement économique, les réformes structurelles des institutions gouvernementales et les réformes financières, sont réglés par la Constitution de la République et relèvent de la souveraineté de l’Etat congolais. Par ailleurs, regrettant que l’avenir du pays se joue en dehors de nos frontières nationales, le député Fayulu a fait observer que les questions de la réconciliation, de la démocratie et du respect des droits de l’Homme intéressent aussi bien la RDC que certains de ses voisins. D’où la proposition de retenir ces facteurs parmi les engagements de tous les pays respectifs de la région.

«Le Rwanda n’est pas un pays démocratique et l’on sait bien tout ce qui se passe en Ouganda», a déclaré Martin Fayulu, en ajoutant: «l’on connaît les problèmes que nous pose la LRA et les FDLR. Et pourquoi on ne demande pas au Rwanda et à l’Ouganda de se réconcilier? Pourquoi on ne leur demande pas, à eux, de se démocratiser? Ce que l’on impose aux congolais, on n’arrive pas à l’imposer aux autres!».[4]

Les observateurs continuent de se demander si cet Accord-cadre parrainé par les Nations Unies et l’Union Africaine pourrait effectivement marquer un tournant décisif pour la RDCongo aux plans sécuritaire, militaire, politique, diplomatique, économique et social. En effet, son objectif majeur est la pacification du Congo démocratique, à travers le déploiement d’une Brigade spéciale chargée de traquer les forces négatives, nationales et étrangères, avec le concours des drones, dans sa partie Est, sous l’égide de la Monusco (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation au Congo).
Mais, compte tenu du haut degré d’infiltration du M23 et des FDLR (Forces Démocratique pour la Libération du Rwanda) par des éléments des armées régulières du Rwanda et de l’Ouganda d’une part et, d’autre part, du fourmillement des groupes armés congolais dans le corridor du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, il est permis de douter sérieusement de l’efficacité d’une quelconque force internationale neutre. La RDC peut-elle vraiment compter sur des voisins aussi belliqueux que l’Ouganda et le Rwanda, pour le respect de sa souveraineté et de son intégrité territoriale? Ces deux voisins habitués à créer et à instrumentaliser des rébellions pour piller ses ressources naturelles vont-ils renoncer à leur «mangeoire» naturelle? Que dire des puissances étrangères et multinationales engagées dans des entreprises maffieuses dans les sites miniers, pétroliers et forestiers congolais? Sont-elles prêtes à accepter que la RDC redevienne un «Etat normal», où gouvernants et citoyens ont la même vision pour la défense des intérêts vitaux de la Nation?

La signature de l’Accord-cadre est chose acquise. Quant à son application, rien n’est moins sûr.

L’Accord-cadre pourrait connaître le même sort que des initiatives antérieures de paix: un cuisant échec.[5]

b. Les principes de l’accord

Le 24 février, l’accord de paix sur la RDCongo a été signé au siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba, en Ethiopie, par onze pays africains, en présence du secrétaire général des Nations Unies et du président de l’Union Africaine. Le document interdit aux pays extérieurs de soutenir des mouvements rebelles ou groups armés en RDCongo et encourage une série de réformes en vue de l’instauration d’un Etat de droit dans l’Est de la RDC, où les institutions gouvernementales sont particulièrement faibles. Cet accord appelle notamment à «une révision de la mission de l’ONU en RDC», qui pourrait permettre la création d’une brigade d’intervention spécifiquement chargée de neutraliser les mouvements rebelles. Si l’accord ne le mentionne pas explicitement, une telle révision pourrait permettre d’adjoindre à l’actuelle Monusco, sous une forme qui reste à préciser, une «brigade d’intervention» dotée d’un mandat beaucoup plus robuste pour en découdre avec les groups armés sévissant dans l’Est de la RDC.[6]

Voici des extraits:

1. D’importants progrès ont été enregistrés en République démocratique du Congo pendant la décennie écoulée.

2. Cependant, l’est de la République démocratique du Congo continue de subir des cycles de conflit récurrents et des violences persistantes de la part de groupes armés tant nationaux qu’étrangers.

3. Les conséquences de cette violence ont été plus que dévastatrices. Des actes de violence sexuelle et de graves violations des droits de l’homme sont utilisés régulièrement et quasi-quotidiennement comme des armes de guerre. Le nombre de personnes déplacées figure parmi les plus élevés au monde et tourne de façon persistante autour de deux millions de personnes. La mise en œuvre du programme national de reconstruction, de réforme du secteur de la sécurité et d’éradication de la pauvreté est constamment interrompue.

4. Malgré ces défis, la crise récente offre la possibilité de s’atteler aux causes profondes du conflit et de mettre un terme aux cycles de violence récurrents. Il est de plus en plus reconnu que la voie actuelle n’est pas viable. Des actions concrètes sont requises de la part du gouvernement de la RDCongo, des Etats de la région et de la communauté internationale.

5. Les principes énoncés à chacun de ces niveaux constitueront des engagements précis.

Au gouvernement de la RDCongo: on demande un engagement renouvelé pour:
* Continuer et approfondir la réforme du secteur de la sécurité, en particulier en ce qui concerne l’armée et la police;

* Consolider l’autorité de l’Etat, en particulier à l’est de la République démocratique du Congo, y compris en empêchant les groupes armés de déstabiliser les pays voisins;

* Effectuer des progrès en ce qui concerne la décentralisation;

* Promouvoir le développement économique, y compris au sujet de l’expansion des infrastructures et de la fourniture de services sociaux de base;

* Promouvoir la réforme structurelle des institutions de l’Etat, y compris la réforme des finances; et
* Promouvoir les objectifs de réconciliation nationale, de tolérance, et de démocratisation.
Aux Pays de la région (signataires de cet accord), l’on demande un engagement renouvelé pour:
* Ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures des Etats voisins;

* Ne pas tolérer, ni fournir une assistance ou un soutien quelconque à des groupes armés;

* Respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale des Etats voisins;

* Renforcer la coopération régionale, y compris à travers l’approfondissement de l’intégration économique avec une attention particulière accordée à la question de l’exploitation des ressources naturelles;
* Respecter les préoccupations et intérêts légitimes des Etats voisins, en particulier au sujet des questions de sécurité;

* Ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, d’actes de génocide ou de crimes d’agression, ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations Unies;

* Faciliter l’administration de la justice, grâce à la coopération judiciaire dans la région.
Pour la communauté internationale:

* Le Conseil de sécurité resterait saisi de l’importance d’un soutien à la stabilité à long terme de la RDCongo et de la région des Grands Lacs;

* Un engagement renouvelé des partenaires bilatéraux à demeurer mobilisés dans leur soutien à la RDCongo et à la région, y compris avec les moyens appropriés pour assurer la durabilité de ces actions sur le long terme; et d’appuyer la mise en œuvre des protocoles et des projets prioritaires du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement dans la région des Grands Lacs;

* Un engagement renouvelé à travailler à la revitalisation de la CEPGL et à soutenir la mise en œuvre de son objectif de développement économique et d’intégration régionale;

* Une revue stratégique de la Mission de stabilisation de l’Organisation des Nations Unies en RDCongo (Monusco) afin de renforcer son appui au gouvernement pour faire face aux enjeux d’ordre sécuritaire et favoriser l’expansion de l’autorité de l’Etat;

* La nomination d’un Envoyé spécial des Nations Unies pour soutenir les efforts pour trouver des solutions durables.

6. La RDCongo, les pays limitrophes, les partenaires régionaux et la communauté internationale travailleront de façon synchronisée afin de promouvoir ces principes.

7. Un mécanisme de suivi régional impliquant les dirigeants des pays de la région[7], jouissant des bons offices du Secrétaire général des Nations Unies (ONU), de la Présidente de la Commission de l’Union Africaine (UA), du Président de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) et du Président de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC), en qualité de garants du présent accord, sera établi et se réunira régulièrement pour passer en revue les progrès dans la mise en œuvre des engagements régionaux ci-dessus, dans le respect de la souveraineté des Etats concernés.

9. Le Président de la RDCongo mettra en place, au sein du gouvernement, un mécanisme de suivi national en vue d’accompagner et de superviser la mise en œuvre des engagements pris au niveau national pour les réformes susmentionnées. Les Nations Unies, l’Union africaine, la Banque mondiale, la Banque Africaine de Développement et d’autres partenaires bilatéraux ou multilatéraux qui seront convenus apporteront leur soutien à ce mécanisme.

11. En RDCongo, la MONUSCO fera partie de la solution, et continuera à travailler en étroite collaboration avec le gouvernement de la République démocratique du Congo.[8]

c. Les réactions

Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a salué cet accord tout en soulignant qu’il ne s’agit que du début d’une approche globale qui nécessitera un engagement soutenu de la part des pays de la région, pour apaiser l’est de la RDCongo, une zone riche en ressources minières et mise à mal par de nombreuses rébellions. Ban Ki-moon, a affirmé que l’accord d’Addis Abeba, dont il est garant de la bonne application, «va faciliter le processus de déploiement d’une force d’intervention dotée d’un mandat d’imposition de la paix » et il a ajouté que «Le Conseil de sécurité de l’Onu a déjà discuté de l’idée de déployer une brigade d’intervention, cela sera encore discuté et décidé rapidement ».

Le président de la RDC Joseph Kabila a émis l’espoir que l’accord contribue à mettre fin à «la situation déplorable» dans l’Est de son pays. Il a appelé dans son discours à «écrire une page plus glorieuse que celle des deux dernières décennies, marquées par une guerre récurrente, des violations massives des droits de l’homme et le mépris de la vie humaine». «Il est temps, plus que temps, que nous tournions définitivement le dos à cette logique d’un autre âge fondé sur la loi de la force plutôt que sur la force de la loi, qui confond vengeance et justice, et qui autorise le plaignant à rendre des sentences dans sa propre cause et à les exécuter lui-même», a déclaré Joseph Kabila.

Le président rwandais Paul Kagame a pour sa part assuré «approuver sans réserve» l’accord d’Addis Abeba, car «rien ne peut davantage bénéficier au Rwanda qu’une avancée réelle vers la paix régionale et la stabilité». Il a en même temps appelé «à s’attaquer avec sincérité aux réels problèmes de droit, de justice et de développement et à trouver de vraies solutions pour les gens qui attendent de nous un rôle dirigeant», dans une allusion apparente à l’absence d’Etat de droit dans l’Est de la RDC et au traitement réservé dans cette région à la minorité tutsi, qui nourrit des liens étroits avec le Rwanda voisin.[9]

Suite à la signature de l’accord, les Etats-Unis ont appelé les pays voisins de la RDCongo à cesser de soutenir les groupes rebelles dans l’est de la RDCongo. L’ambassadrice américaine à l’ONU, Susan Rice, s’est tout d’abord félicitée de l’accord signé à Addis Abeba. Elle a souligné que «les autorités de la RDC devaient profiter de l’accord pour tenir leur engagement d’accroître leur autorité dans l’est du pays» et pour «améliorer leur manière de gouverner». Elle a aussi appelé la RDC et les pays voisins à agir pour que cessent les tueries, les viols et les violences qui ont touché la région durant les deux dernières décennies. «Il est impératif que les voisins de la RDC respectent sa souveraineté et son intégrité territoriale, en empêchant les soutiens étrangers aux groupes armés, qui constituent une violation des lois internationales», a indiqué Mme Rice dans un communiqué. La diplomate américaine a ajouté que les pays de la région devaient agir collectivement pour supprimer «le recours monstrueux aux violences sexuelles comme tactique de guerre», pour punir ceux qui ont violé les droits de l’homme et pour empêcher l’exploitation illégale des ressources naturelles.[10]

Le Haut représentant de l’Union Européenne pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton, et le Commissaire au Développement, Andris Piebalgs, «se félicitent de l’adoption de l’accord de Addis Abeba, ainsi que de la nomination prochaine d’un émissaire de l’Onu. Ils soutiennent aussi le renforcement de la MONUSCO. Selon les deux personnalités, ce sont des mesures importantes en vue de trouver des solutions politiques durables pour les problèmes structurels qui subsistent aujourd’hui tant à l’est de la RDC que dans la région. Ils croient que cet accord représente une opportunité pour un nouveau départ dans la région et pour les populations qui ont trop souffert. Ils appellent tous les dirigeants à un engagement fort et sincère dans sa mise en oeuvre. L’UE est prête à apporter sa contribution»[11].

S’adressant à la presse à Kinshasa, le 27 février, les ministres congolais des Affaires étrangères et des médias ont déclaré que l’actuel accord est différent des documents similaires qui l’ont précédé. Le gouvernement congolais estime que l’accord-cadre signé le 24 février à Addis-Abeba pour le rétablissement de la paix en RDC est avantageux pour le pays, parce qu’il prend en compte les volets interne et externe de la crise dans l’est. «La requête d’une réforme des institutions de l’Etat ne signifie pas qu’il y a une illégitimité du pouvoir», a déclaré Raymond Tshibanda, ministre des Affaires étrangères, ajoutant que «la RDC est un pays qui est encore en reconstruction, donc la réforme n’est pas encore terminée». Pour le chef de la diplomatie congolaise, la réforme doit continuer dans les secteurs de la décentralisation, de l’armée et du service de sécurité de l’Etat.[12]

Au cours d’une conférence de presse tenue à Kinshasa le 26 février, le président national de l’Union pour la Nation congolaise (UNC), Vital Kamerhe, a affirmé que, pour garantir la paix, la RDCongo doit s’approprier de l’accord signé le 24 février à Addis-Abeba, en respectant les engagements souscrits. «Le président Joseph Kabila doit respecter l’accord en procédant à la restructuration des institutions de l’Etat, telle que prévue par ledit accord», a déclaré Vital Kamerhe. Selon lui, cet accord-cadre, qui demande au gouvernement congolais de promouvoir les objectifs de la réconciliation, de la cohésion nationale et de la démocratisation, ouvre implicitement la voie à un dialogue national qui doit être inclusif et piloté par un médiateur neutre encadré par des co- méditeurs nationaux qui maitrisent mieux les problèmes du Congo ( RD Congo). Kamerhe a aussi souligné que cet accord ainsi signé ne reflète nullement l’idée de la balkanisation du pays, mais permet aux congolais, à travers les principes, notamment ceux du respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du pays, d’élaborer des stratégies et des mécanismes pour barrer la route à la balkanisation.[13]

Le secrétaire national chargé du Plan de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Corneille Mulumba, a déclaré que l’accord-cadre sur la paix en RDC expose l’intégrité territoriale du pays en accroissant sur son territoire le nombre des militaires étrangers ne relevant pas de l’armée congolaise. «Nous perdons un contrôle sur le territoire national», a-t-il dit. Il a estimé qu’en signant cet accord, le président Kabila reconnaît l’incapacité de son pouvoir à répondre aux obligations élémentaires de l’État. Ceci démontre également, a-t-il dit, que sans cohésion nationale rien ne peut se faire. «C’est le leadership du Congo qui est remis en cause», a-t-il ajouté. Corneille Mulumba a également indiqué que l’accord d’Addis-Abeba accorde une part belle au Rwanda et à l’Ouganda en ne leur imposant aucun dialogue interne sachant que la crise dans l’est de la RDC est une conséquence de l’absence de dialogue dans ces deux pays voisins. Cet accord, a-t-il conclu, ne garantit pas la paix à la RDC parce que ne s’attaquant pas aux causes réelles de l’insécurité dans le corridor est du pays.[14]

Au cours d’un point de presse tenu à Kinshasa le 27 février, les «Forces Acquises au Changement» (Fac), une plate-forme de l’opposition, ont émis des critiques à l’endroit de ce de ce texte. «L’accord-cadre se penche principalement sur les conséquences de la crise, au lieu de s’appesantir sur les causes de celle-ci, que sont notamment la faiblesse ou l’absence de leadership au sein de l’Etat, la crise de légitimité des institutions consécutive à l’organisation chaotique des élections de novembre 2011», a déclaré le modérateur des Fac, Lisanga Bonganga. Pour lui, l’accord d’Addis-Abeba n’a nullement fait allusion à la nécessité de la préparation et de l’organisation des cycles électoraux crédibles, en vue de consolider la démocratie et créer des conditions de réconciliation nationale, pas seulement en RDCongo, mais aussi dans certains pays de la région, notamment au Rwanda et en Ouganda. Les Fac qualifient enfin cet accord-cadre de «sans objet». A la place, elles auraient souhaité voir une intervention militaire directe en RDC, comme au Mali, pour arrêter les violences et les tueries dans les zones meurtries de l’Est. À Kinshasa, les opposants ne cessent pas de clamer haut et fort pour l’organisation d’un dialogue national, dont les sujets doivent porter sur tous les problèmes politiques et sociaux, surtout la crise de légitimité des institutions depuis les élections de novembre 2011.[15]

Pour sa part, Lumeya Dou Malegi, député du groupe des Libéraux démocrates chrétiens dirigé par l’opposant Mbusa Nyamwisi, a apprécié le fait que le texte ait été paraphé par onze chefs d’Etat africains, espérant «qu’ils vont respecter leurs signatures». Il a par ailleurs appelé à la mobilisation de toute la population congolaise pour que la paix dans l’Est du pays soit effective. Lumeya Dou Malegi regrette cependant que le texte ne soit pas plus injonctif à l’égard des rebelles du M23 ou du Rwanda. «Aucune sanction n’a été prise à l’endroit du M23 et du Rwanda (…) Les onze chefs d’Etat ne condamne pas la Rwanda, qui n’est pas cité dans l’accord», affirme-t-il.[16]

Les délégués du M23 au dialogue de Kampala disent ne pas être concernés par cet accord. Pour le M23, une solution politique négociée dans la crise dans l’Est de la RDC serait la bienvenue en lieu et place du déploiement d’une brigade d’intervention sur laquelle se base l’Onu pour neutraliser les groupes armés. Les représentants du M23 à Kampala ont indiqué qu’ils restaient sur leurs gardes et se tenaient prêts à parer à toute éventualité après la signature de cet accord.[17]

Un collectif de 46 Ong congolaises et internationales salue ce document d’orientation, mais il suggère également que «l’accord sera vain sans des mesures spécifiques supplémentaires». Il considère que l’accord n’est pas suffisant et proposent des mesures concrètes à prendre.

Les Ong exigent la création d’un fonds par la communauté internationale pour soutenir des projets visant le renforcement de la stabilité régionale et de l’intégration économique régionale, l’introduction de mesures positives que les Pays voisins doivent adopter pour démontrer leur engagement en faveur de la fin du conflit, la démarche de négociations réalistes avec les groups armés pour éviter l’impunité judiciaire qui a caractérisé les accords passés et pour favoriser la démobilisation des soldat rebelles.

Le collectif met l’accent sur les besoins de justice en RDC. «Nous avons besoin d’une approche nouvelle, d’un processus de paix basé sur les principes de la justice. Les accords de paix précédents ont souvent fermé les yeux sur l’impunité, permettant aux criminels de guerre d’être intégrés dans les services de l’armée, la police et la sécurité. Cela a compromis la légitimité du processus de paix et la réputation des services de sécurité, y compris du système judiciaire», souligne le texte.

L’accord est basé sur deux points principaux: mettre fin au soutien étranger aux mouvements de rébellion congolaise et favoriser la reforme globale des institutions étatiques telles que les secteurs de l’armé nationale, la police et la justice. Les Ong ont appelé à s’assurer de l’existence de critères clairs, afin d’atteindre ces objectifs. Ils suggèrent donc aux donateurs de subordonner leur aide à la progression dans le processus de paix.

«L’accord est une promesse forte au peuple congolais, mais les processus de paix antérieurs ont échoué en raison du manque de transparence, du faible engagement international et de l’absence de processus global», explique Federico Borello, directeur pour la région des Grands Lacs chez Humanity United, en ajoutant que «il est impératif de s’attaquer une bonne fois pour toutes aux problèmes profonds du Congo que sont l’impunité, l’interférence régionale et la faiblesse de l’État. Sans cela, nous passerons à côté de notre meilleure chance de paix».

Les Ong ont exhorté la communauté internationale à faire preuve d’un soutien constant allant au delà de l’approche technocratique des dernières années. Outre la demande d’un envoyé spécial des Nation Unies, elles ont appelé Les Etats-Unis et l’Union Européenne à nommer des envoyés spéciaux pour soutenir le processus de paix. L’accord apporte de l’espoir, mais il exige un capital politique et financier considérable pour surmonter les intérêts bien enracinés.[18]

La société civile du Nord-Kivu invite les pays signataires de l’accord-cadre sur la paix en RDC à appliquer «sans hypocrisie» cet accord pour assurer un retour effectif de la paix dans l’Est. «Nous estimons qu’il est plus qu’urgent éradiquer le M23, les FDLR, les ADF-Nalu, les FNL et toutes les milices locales qui continuent à déstabiliser la paix», a déclaré Omar Kavota, vice-président de la société civile du Nord-Kivu, demandant aux Nations unies d’accélérer l’application de cet accord «pour limiter les souffrances des populations du Nord-Kivu». La société civile du Nord-Kivu réclame également l’envoi d’une force internationale neutre pour éradiquer les groupes armés actifs dans l’Est de la RDC. «Si on n’envisage pas l’envoi de cette force internationale neutre, on va assister au chaos. Les groupes armés vont poursuivre leur activisme et la population va continuer à souffrir», a soutenu Omar Kavota.[19]

Le 26 février, le Réseau national des ONG des droits de l’homme en RDC (Renadhoc) a indiqué, à Kinshasa, que l’accord-cadre signé le 24 février à Addis-Abeba ne constitue pas une panacée pour la stabilisation de la RDC et la région des Grands lacs. Le Renadhoc recommande de mettre en œuvre et de respecter tous les accords de paix signés pour la RDC, avant d’en ajouter d’autres. «Nous avons remarqué que c’est un accord qui n’avait pas de valeur ajoutée comparativement au pacte sur la sécurité, la stabilité et lé développement sur la région des Grands lacs que les chefs d’Etat avaient signé le 15 décembre 2006 à Nairobi», a déclaré le secrétaire exécutif du Renadhoc, Fernandez Murhola. Pour lui, les Etats des Grands Lacs devraient plutôt consolider le pacte de Nairobi (Kenya) et faire en sorte que tous les protocoles de ce document soient mis en œuvre au profit des populations de la région. Le pacte de Nairobi recommandait aux Etats de la région, la non-agression, la défense mutuelle, la démocratie et la bonne gouvernance, la coopération judiciaire, la prévention et répression des crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité ainsi que sur la lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles. Il visait à transformer la région des Grands Lacs en un espace vital de stabilité, de sécurité et de développement économique.[20]

2. LE DIALOGUE ENTRE LE GOUVERNEMENT ET LE M23 À KAMPALA

Le 11 février, la Société civile du Nord-Kivu a demandé au gouvernement congolais et à la Conférence Internationale pour la Région de Grands Lacs (CIRGL) de mettre un terme aux négociations qui se tiennent à Kampala (Ouganda) entre les représentants du gouvernement congolais et ceux des rebelles du M23. En estimant que le point le plus important inscrit dans l’agenda des pourparlers et concernant l’évaluation de l’application de l’accord du 23 mars 2009 signé entre le gouvernement et le CNDP a déjà été suffisamment traité et qu’il est inopportun poursuivre les pourparlers de Kampala sur les autres questions politiques, sécuritaires, économiques et sociales soulevées par les rebelles, elle appelle à l’arrêt des discussions. D’après elle, mettre un terme aux discussions doit permettre «d’éviter toute manœuvre d’intégration des éléments du M23 dans les institutions politiques ainsi que dans les forces et services de sécurité congolais». Pour Omar Kavota, vice-président et porte-parole de la société civile, «les travaux ne devraient que s’arrêter à l’évaluation de l’accord du 23 mars 2009 et non de négocier avec le M23. Nous pensons que le gouvernement devrait s’abstenir de partager le pouvoir avec le M23 ou d’intégrer ses éléments dans la police et dans l’armée, parce que ce serait encourager les autres groupes armés à considérer que la prise des armes est un mode de revendication pour accéder au pouvoir».[21]

Le 13 février, dans un document de quatorze pages remis au facilitateur ougandais, Crispus Kayonga, la délégation gouvernementale aux pourparlers de Kampala a qualifié plusieurs demandes des rebelles du M23 «d’illégales, d’illégitimes et d’être sans objet». Au nombre de ces revendications figurent un demande d’annulation des élections de novembre 2011, l’amnistie générale des rebelles et la planification d’opérations militaires mixtes avec les FARDC contre les groupes armés au Nord-Kivu. D’après les délégués du gouvernement, certaines revendications du M23 sont soit à reconsidérer, soit relevant des prérogatives de l’Assemblée nationale.

La délégation gouvernementale considère néanmoins comme légitime la demande du M23 sur la libre circulation des personnes et la lutte contre la discrimination. Kinshasa laisse par ailleurs une brèche aux rebelles. Dans le domaine militaire par exemple, seuls les soldats du M23 qui ont la nationalité congolaise et dont le grade est égal ou inférieur à celui du lieutenant, seront intégrés, s’ils sont aptes et candidats à cette intégration. Ils devront être prêts à servir sous le drapeau, partout en Rdc. Pour les officiers du M23 qui ne sont pas récidivistes, qui n’ont pas trempé dans le recrutement d’enfants et qui ne sont pas poursuivis par la justice nationale et/ou internationale, leur sort sera délibéré au cas par cas. En outre, les miliciens recrutés par le M23 doivent être d’abord démobilisés et signer un acte d’engagement individuel à ne plus reprendre les armes, sous aucun prétexte. En ce qui concerne la question d’amnistie, celle-ci ne concernera que ceux des acteurs du M23 qui ne sont pas récidivistes. Les délégués du M23 ont à leur tour remis, le 14 février, au facilitateur, un document de réplique. Pour l’heure, le facilitateur examine les nouveaux documents soumis par le gouvernement et les rebelles.[22]

Le 14 février, l’un des six experts de la délégation du gouvernement congolais aux pourparlers de Kampala, François Mwamba, a estimé que la délégation gouvernementale a accompli sa mission. L’évaluation de l’accord du 23 mars 2009 et l’écoute des propositions des rebelles sur les questions sécuritaires et politico-sociales étant finies, selon lui, le gouvernement n’attend plus qu’une seule chose des rebelles: la cessation des activités militaires. «Nous avons terminé l’examen des trois points à l’ordre du jour. Le premier, celui de l’évaluation de l’accord du 23 mars 2009 a même fait l’objet d’une conclusion définitive. S’agissant des points n°2 et n°3, nous avons là aussi remis à la médiation nos conclusions après avoir reçu de la même médiation deux documents portant l’un sur les questions sécuritaires et l’autre sur les questions politiques élaborés par le M23. En ce qui concerne la délégation de la République démocratique du Congo, la mission est accomplie. Il reste au facilitateur de se prononcer sur les points 2 et 3 ayant trait aux questions sécuritaires et politiques et à la médiation de proposer une conclusion finale», a affirmé François Mwamba.[23]

Le 18 février, la délégation du M23 a réaffirmé que ses revendications sont légitimes et demande de véritables négociations face à face avec Kinshasa. «Ce n’est pas au gouvernement de décider ce qui est légitime ou pas, du fait que ce gouvernement est lui-même illégitime parce qu’issu d’élections truquées», c’est en ces termes peu diplomatiques que le M23 s’exprime dans un communiqué que les délégués de Kinshasa ont découvert à l’heure du petit déjeuner dans leur hôtel de Kampala. D’ailleurs, il ne s’y passe plus rien depuis une semaine, depuis que le gouvernement a renvoyé au médiateur ougandais la plupart des revendications du M23, barrées de la mention « illégitime » ou «sans objet». Depuis lors, Kinshasa estime avoir fait son devoir en répondant par écrit et refuse tout débat avec le M23 sur les questions sécuritaires, politiques, économiques et sociales, car celles-ci devraient être traitées au sein des Institutions de la République. Le M23, par contre, demande la poursuite des pourparlers et une véritable négociation. Le M23 fait remarquer qu’il n’a pas pris les armes pour «chercher des grades ou pour intégrer le gouvernement, mais plutôt pour que le pays soit gouverné autrement». Et d’ajouter qu’il est sans objet de discuter sur les conditions d’intégration du personnel militaire et politique du M23 dans le système de gouvernance actuel.[24]


[1] Cf AFP – Jeuneafrique.com, 12.02.’13

[2] Cf Le Potentiel – Kinshasa, 13.02.’13

[3] Cf Radio Okapi, 17.02.’13; La prospérité – Kinshasa, 22.02.’13

[4] Cf Pitshou Mulumba – Le Potentiel – Kinshasa, 21.02.’13; RFI, 21.02.’13

[5] Cf Kimp – Le Phare – Kinshasa, 22.02.’13

[6] Cf AFP – Addis Abeba, 24.02.’13

[7] La République démocratique du Congo, la République d’Afrique du Sud, la République d’Angola, la République du Burundi, la République centrafricaine, la République du Congo, la République de l’Ouganda, la République du Rwanda, la République du Soudan du Sud, la République Unie de Tanzanie et la République de Zambie.

[9] Cf AFP – Addis Abeba, 24.02.’13

[10] Cf Belga – 7sur7, 25.02.’13

[12] Cf Radio Okapi, 28.02.’13; Xinhuanet – Kinshasa – Africatime, 28.02.’13

[13] Cf Xinhuanet – Kinshasa, 27.02.’13

[14] Cf Jules Tambwe Itagali – Les Dépêches de Brazzaville – Kinshasa, 26.02.’13

[15] Cf Radio Okapi, 28.02.’13; Xinhuanet – Kinshasa – Africatime, 28.02.’13

[16] Cf Radio Okapi, 26.02.’13

[17] Cf Radio Okapi, 25.02.’13

[19] Cf Radio Okapi, 25.02.’13

[20] Cf Radio Okapi, 27.02.’13

[23] Cf Radio Okapi, 15.02,’13

[24] Cf RFI, 19.02.’13