Le Tribunal international chargé de juger les présumés responsables du génocide de 1994 au Rwanda a rendu jeudi, 18 ans après sa création, son dernier jugement en première instance, condamnant à 35 ans de prison un ex-ministre, Augustin Ngirabatware. Le dernier condamné du Tribunal pénal internationalpour le Rwanda (TPIR), instauré par une résolution de l’ONU du 8 novembre 1994, était ministre du Plan dans le régime intérimaire en place pendant le génocide. Il est le gendre de Félicien Kabuga, le plus célèbre des neuf accusés du TPIR encore en fuite et présenté comme l’argentier du génocide.
En 1994, le génocide avait été déclenché après l’assassinat du président rwandais hutu de l’époque, Juvénal Habyarimana, dont l’avion avait été abattu au-dessus de Kigali. Selon l’ONU, d’avril à juillet, 800 000 personnes, essentiellement tutsi, avaient été tuées par des extrémistes hutu. Le TPIR, qui doit encore juger une quinzaine de dossiers en appel avant de fermer fin 2014, a déclaré jeudi Augustin Ngirabatware « coupable de génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide et le viol ». Augustin Ngirabatware a été reconnu coupable d’avoir incité et aidé les miliciens de sa commune natale de Nyamyumba, dans la préfecture de Gisenyi (nord), à tuer leurs voisins tutsi en avril 1994.
Distribution d’armes
Selon le jugement, il a distribué des armes aux miliciens, en clamant qu’il ne voulait plus voir de Tutsi vivant dans sa commune. Toujours selon les juges, des miliciens ont aussi violé des femmes tutsi, dans le cadre d’une entreprise criminelle commune à laquelle l’ex-dirigeant était lié. Jeudi, le tribunal a balayé l’essentiel de la défense de l’ancien ministre, qui niait avoir mis les pieds à Nyamyumba pendant le génocide. L’avocate d’Augustin Ngirabatware n’a fait aucun commentaire. Docteur en économie formé en Suisse, Augustin Ngirabatware avait fui le Rwanda en juillet 1994. Il avait alors travaillé dans des instituts de recherche au Gabon et en France avant d’être arrêté en Allemagne en 2007 puis transféré au TPIR un an plus tard. Son procès s’était ouvert sur le fond en septembre 2009.
Basé à Arusha, dans le nord de la Tanzanie, le TPIR aura au total rendu 55 jugements en première instance, concernant 75 accusés. Dix personnes ont été acquittées. Le tribunal avait été créé pour juger les actes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis sur une période plus large que le génocide lui-même – toute l’année 1994. Jeudi, le procureur du Tribunal, Hassan Bubacar Jallow, a précisé que le TPIR n’était pas compétent pour se prononcer sur l’assassinat même du président Habyarimana, puisqu’il n’entrait « dans aucun » des crimes prévus dans les statuts.
Justice rwandaise
Dans sa stratégie de fin de mandat, et après avoir longtemps refusé de le faire, le TPIR a commencé à renvoyer des dossiers devant la justice rwandaise en 2011. Il avait alors estimé que Kigali, après des réformes judiciaires, remplissait désormais les conditions pour des procès équitables. À ce jour, le tribunal n’a cependant renvoyé qu’une personne à Kigali, le pasteur pentecôtiste Jean Uwinkindi. Une autre décision de renvoi vers le Rwanda fait l’objet d’un appel. Six des neuf fugitifs seront aussi jugés au Rwanda s’ils sont arrêtés.
Les trois autres, les plus en vue, comparaîtront devant la branche d’Arusha du Mécanisme pour les tribunaux pénaux internationaux (MTPI), structure héritière du TPIR : Félicien Kabuga, l’ex-ministre de la Défense Augustin Bizimana et l’ex-commandant de la garde du président Habyarimana Protais Mpiranya. Le MTPI aura auparavant mission de traquer les fugitifs, mais aussi de superviser l’exécution des peines prononcées. Le TPIR ayant pour vocation à juger seulement les principaux responsables du génocide, l’immense majorité des personnes suspectées d’y avoir pris part ont comparu devant la justice rwandaise ou devant des juridictions populaires dites « gacaca », elles-mêmes fermées par Kigali en 2012. Quelques cas ont aussi été traités par la justice de pays tiers, en Belgique et en France notamment.