Le séjour africain du président de la République française s’est basé surl’équilibrisme, atout maître d’un certain François Mitterrand, contrebalançant les acquis démocratiques et les abus aristocratiques, bonne et mauvaise gouvernances, poignées de main chaleureuse à Dakar et froide à Kinshasa. François Hollande a-t-il su négocier la rupture avec ses prédécesseurs, s’agissant de laFrançafrique, d’autant plus qu’il a déjà été critiqué pour avoir reçu à l’Élysée les partisans du statu quo[1] et prévu d’être reçu par un Joseph Kabila dont la réélection est en proie à l’illégitimité ?
L’autre discours de Dakar
« Je vais en Afrique pour porter un message, celui de la France, aux Africains. Un message de confiance en leur avenir, de solidarité en faveur de leur développement, un message de d’amitié car nous avons besoin d’une Afrique dynamique », a déclaréFrançois Hollande lors d’une conférence avec Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, au palais de l’Élysée. Le président français a précisé sa vision de futures relations entre la France et l’Afrique : « Je ne viens pas faire un discours pour effacer un précédent, je viens […] pour écrire avec l’Afrique une nouvelle page »[2]. Ainsi, le ton était-il donné. Contrairement au discours de Dakar ayant été prononcé cinq années plutôt à l’université Cheikh Anta Diop par son prédécesseur Nicolas Sarkozy, François Hollande a orienté le débat sur le plan politique. La nouvelle page des relations franco-africaines serait axée sur la transparence, le respect mutuel et les valeurs humanistes.
La solidarité française tiendra compte de la bonne gouvernance. Dans cette optique, la France consacrera 10 % des taxes financières perçues en Europe au développement de l’environnement et à la lutte contre les pandémies qui sévissent en Afrique. Les futures relations se feront dans l’égalité et la franchise, les relations économiques deviendront davantage équitables et les clauses secrètes dans les accords militaires seront supprimées. Enfin, dans le cadre de la Francophonie, l’octroi des visas sera simplifié pour les étudiants et les artistes. Le temps de la Françafrique est donc révolu, d’autant plus qu’« aucun enjeu planétaire ne pourra se faire sans l’Afrique ». Fini donc « le temps des émissaires, des intermédiaires [emmenés dans les] bagages ou des passe-droits », a rappelé le président français au Parlement sénégalais. Mais l’avenir commun nécessite que l’on puisse « tout [se] dire sans ingérence, mais avec exigence ». À cet effet, Kinshasa servirait de plate-forme idéale.
Le sommet de la Francophonie
Pays francophone le plus important au monde après la France, laRépublique Démocratique du Congo a été, du 13 au 14 octobre 2012, le quatorzième hôte du Sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
« Je dirai à Kinshasa ce que je dis partout et ici, en France. Je n’ai pas plusieurs langages. Je n’ai pas plusieurs manières de parler, selon mes interlocuteurs. »[3] Ainsi François Hollande a-t-il non seulement prévenu les autorités congolaises, mais surtout assumé ses déclarations faites à Paris en présence de Ban Ki-moon, selon lesquelles « la situation est tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie, et de la reconnaissance de l’opposition en République Démocratique du Congo ». Et, comme par hasard, un député de l’opposition ayant soi-disant disparu, Eugène Diomi Ndongala, a réapparu en piteux état vingt-quatre heures avant l’arrivée du président français à Kinshasa.
« J’aurais l’occasion de m’en entretenir avec le président Kabila. Les temps ont changé, la France est maintenant désireuse à la fois de respecter tous ses interlocuteurs, mais aussi de leur dire la vérité […]. J’ai souhaité aussi avoir un entretien avec l’opposition, le principal parti, j’allais dire le principal opposant historique [Étienne Tshisekedi, ndlr]. Je le verrai, j’en verrai d’autres, lesorganisations non gouvernementales, non pas pour m’ingérer, je ne suis pas là pour être l’arbitre, le juge, ce n’est pas ce que l’on demande à la France et ce n’est pas ce que la France veut faire. »[4]
Au-delà du fait de dire sa reconnaissance « aux Africains qui parlent le français », François Hollande a vivement dénoncé l’agression de la République Démocratique du Congo par quelques-uns de ses voisins, notamment ceux de l’Est. Il a affirmé, de facto,l’intangibilité des frontières héritées de la décolonisation. L’opposition congolaise – qui pourtant était réticente, dans sa grande majorité, à la participation du président de la République française au Sommet de Kinshasa – a apprécié la préoccupation de la France à propos des questions liées aux droits de l’Homme, à la démocratie et à la situation sécuritaire dans la partie orientale.
En marge du sommet de la Francophonie, répondant aux questions des journalistes en présence du président Joseph Kabila, François Hollande a souligné que « parler le français, c’est aussi parler les droits de l’Homme ». Au palais du Peuple[5], devant ses paires francophones, et après avoir témoigné du soutien de la France au peuple congolais, le président de la République française a mis l’accent sur ladémocratie, les droits de l’Homme, le pluralisme, le respect de la liberté d’expression et l’affirmation que tout être humain doit pouvoir choisir ses dirigeants. Ainsi la démocratie est-elle « un droit et, pour ceux qui sont à la tête des États, un devoir ». C’est parce que le peuple congolais aspire « à la paix, à la sécurité, à la démocratie », que François Hollande a de nouveau condamné « lesagressions extérieures » déstabilisant le Nord-Kivu et affirmé que les frontières de ce pays étaient « intangibles ». Il a aussi plaidé en faveur de l’élargissement du mandat de la Monusco[6] afin que la force onusienne puisse contribuer à la pacification de la région du Kivu, aux côtés des FARDC[7], écartant de factol’hypothèse de la mise en place d’une force neutre voulue par les pays des Grands Lacs. Ainsi la France socialiste s’est-elle démarquée des positions de Nicolas Sarkozy relatives au partage des richesses congolaises avec le Rwanda.
L’entretien du président français avec son homologue congolais a porté, entre autres, sur la situation des libertés et la précarité des défenseurs des droits de l’Homme, victimes de harcèlement policier, judiciaire. Quant aux cinq personnalités issues de quatre groupes parlementaires de l’opposition siégeant à l’Assemblée nationale congolaise, elles ont demandé à François Hollande « un renforcement de la démocratie et des libertés en République Démocratique du Congo ».
En tout cas, l’équilibrisme mitterrandien a été habilement mis à profit par le septième président de la Ve République française pour concilier à la fois la sauvegarde des intérêts français ainsi que la défense des droits fondamentaux, des libertés essentielles et de la démocratie. Il a également été le porte-parole des Congolais de l’étranger, dont les préoccupations ont été judicieusement relayées par les Congolais de France.
L’innovation au profit de l’immobilisme[8]
« Néanmoins, chaque fois que je reçois un chef d’État africain, d’une autre origine, ou d’un autre continent, chaque fois je leur parle de la situation dans leurs pays, non pas pour m’immiscer, non pas pour m’ingérer, mais parce que je leur dois cette franchise. »[9] Les différentes prestations montrent, par le biais de son président, la détermination[10] de la France à envisager autrement les futurs rapports avec ses partenaires d’Afrique. De plus, le souhait des peuples africains, c’est que l’innovation supplante l’immobilisme dans les rapports entre la France et l’Afrique.
Mais les temps changeront-ils réellement ? La France sera-t-elle désormais « désireuse à la fois de respecter tous ses interlocuteurs, mais aussi de leur dire la vérité des droits fondamentaux, des libertés essentielles et de la démocratie » ? Les relations franco-africaines prendront-elles véritablement un autre tournant ? Décomposera-t-on le vocableFrançafrique en France et Afrique ? Les différents protagonistes respecteront-ils les nouvelles règles ? Laissons le temps au temps, aurait cyniquement répondu à juste titre François Mitterrand. Mais pour l’instant, s’agissant du voyage officiel de François Hollande en Afrique subsaharienne, on ne pourra pas s’empêcher de dire « chapeau, l’équilibriste » !
Notes
[1] Pour plus d’informations, lire également Françafrique : François Hollande et les partisans du statu quo.
[2] Propos tenus lors d’une interview accordée le 11 octobre 2012, depuis l’Élysée, à RFI, TV5 Monde et France 24.
[6] Mission des Nations Unies pour la République Démocratique du Congo.
[7] Force armées de la République Démocratique du Congo.
[8] À lire aussi Sommet de la Francophonie : qu’attendre de François Hollande ?
[9] Cf. interview accordée à RFI, TV5 Monde et France 24.
[10] Aussi bien à Dakar qu’à Kinshasa, au-delà de la sempiternelle bataille inavouée, à fleuret moucheté, entre Molière et Shakespeare à travers la Francophonie et le Commonwealth, indépendamment de la défense de sa position et de ses intérêts – menacée par la présence économique et parfois culturelle de la Chine, du Brésil ou de l’Inde.