Parma, 31 juillet 2012
– Mr. PIETRO MARCENARO
Président de la Commission extraordinaire
pour les droits de l’homme auprès du Senat
– MM. les Sénateurs
– MM. les Députés
– MM. les Eurodéputés
Objet:: La situation à l’Est de la République Démocratique du Congo: faits et propositions
MM. les Parlementaires,
Depuis quelques mois, surtout depuis le début de mai dernier, la guerre a repris dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDCongo): encore une fois, le Nord-Kivu est devenu le théâtre de violents affrontements entre l’armée nationale et un nouveau groupe armé, le Mouvement du 23 Mars (M23). Avec cette lettre, le Réseau Paix pour le Congo voudrait attirer votre aimable attention sur la gravité de cette situation et solliciter votre contribution, y compris dans le cadre de la communauté internationale, pour éradiquer définitivement les causes profondes de cette guerre sans cesse ravivée.
Le mouvement du 23 mars.
Présenté d’abord comme un phénomène interne de désertion de quelques militaires indisciplinés, puis comme un mouvement de mutinerie au sein de l’armée nationale en vue de certaines revendications (le payement régulier des salaires des militaires et la reconnaissance des grades militaires, …) et plus tard comme une vraie rébellion, le M23 s’est révélé, enfin, comme un groupe terroriste et un mouvement d’occupation militaire des deux provinces du Kivu. (Voir Annexe n. 1). Le M23 bénéficie d’un soutien militaire de grande envergure, de l’appui logistique et financier par le régime rwandais, tel que documenté d’une manière détaillée, par le dernier rapport du Groupe des experts des Nations Unies pour la RDCongo. Le rapport a également révélé l’objectif précis du M23, clairement exprimé par le capitaine Célestin Senkoko, assistant personnel de James Kabarebe, ministre rwandais de la Défense, au cours d’une rencontre, le 23 mai, à Gisenyi (Rwanda): provoquer «une nouvelle guerre pour la sécession des deux Kivus». (Voir Annexe n. 2).
Ayant l’armée congolaise concentré ses forces dans la lutte contre le M23, les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), constituées principalement de Hutus rwandais de l’opposition armée opérant à l’Est de la RDCongo depuis l’exode de l’après-guerre de 1994 et d’autres groupes armés congolais Maï-Maï, ont récupéré des positions antérieurement perdues et ont intensifié leur agression contre la population civile. En outre, plusieurs ex-FDLR, auparavant désarmés et rapatriés par la MONUSCO (Mission des Nations Unies en RDCongo), ont été renvoyés en RDCongo et se sont infiltrés parmi les militaires envoyés par le Rwanda en appui du M23. Suite à cette constatation, de nombreux observateurs doutent de la véritable nature du phénomène FDLR et de la validité des moyens mis en place pour l’éradiquer.
Les enjeux et les conséquences.
La souveraineté nationale et l’intégrité territoriale de la RDCongo sont en danger. Comme lors des précédentes rebellions, les causes de cette nouvelle vague de violence sont principalement d’ordre économique, relatives à la volonté d’un vaste réseau mafieux opérant au niveau international, bien identifié dans les différents rapports du groupe des experts de l’ONU, pour contrôler le commerce illégal et la contrebande de ressources minières du Kivu.
La population locale en paye un prix très élevé de souffrance et de mort. Le Comité de coordination de l’Organisation des Nations Unies pour les affaires humanitaires (OCHA) a indiqué qu’entre le1er avril et le 31 mai 2012, environ 220.000 nouveaux déplacés ont été enregistrés, à cause de la détérioration de la situation au Nord-Kivu. Ils s’ajoutent à ce 1,1 million de personnes déplacées enregistrées auparavant. En RDCongo, les personnes déplacées sont maintenant plus de deux millions.
Plusieurs déclarations.
La gravité de la situation et l’urgence d’y remédier sont bien exprimées dans le message des évêques du Kivu du 2 Juin 2012 (Voir annexe n. 3), le dernier communiqué de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) du 6 Juillet 2012 (Voir annexe n. 4.), le communiqué de presse du Réseau Européen pour l’Afrique Centrale (EURAC) du 10 Juillet 2012 (Voir annexe n. 5), la lettre de la Société Civile du Nord et Sud -Kivu au Représentant du Secrétaire Général des Nations Unies en République Démocratique du Congo du 9 Juillet 2012 (Voir Annexe n. 6), la pétition des confessions religieuses du 12 Juillet 2012 adressée au Conseil de Sécurité des Nations Unies (Voir Annexe n. 7) et les requêtes des Députés du Nord-Kivu publiées le 13 Juillet 2012 (Voir annexe n. 8).
Nombreuses ont été les réactions de condamnation de l’ONU, de la Communauté Internationale et de la Société Civile et des organisations pour la défense des droits de l’homme. Cependant, l’on devrait prendre aussi des mesures concrètes et immédiates.
Propositions pour la paix dans la justice.
Dans ce contexte, la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL) a proposé la création d’une « force internationale neutre » acceptée et approuvée par le sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba le 15 Juillet, pour régler la question des groupes armés actifs dans l’est de la RDCongo. C’est un projet encore initial et de nombreuses questions, y compris celles relatives à la composition, le fonctionnement, la logistique, la durée et le financement ne sont pas du tout encore claires (voir annexe n. 9).
Il ya aussi de nombreuses propositions avancées par les politiciens congolais, la société civile et les confessions religieuses, afin de résoudre la crise avant qu’il ne soit trop tard.
Le Réseau Paix pour le Congo apprécie et soutient les propositions suivantes:
1. Prendre une position forte, dénonçant et condamnant le soutien du régime rwandais aux rebelles du M23 et sa protection vis-à-vis de l’ex-général Bosco Ntaganda, exigeant que le gouvernement rwandais cesse immédiatement et sans conditions son soutien au M23 et à d’autres groupes armés en RDCongo et retire immédiatement et sans conditions ses troupes du Kivu.
2. Adopter des sanctions contre les officiers rwandais cités dans le rapport de l’ONU, y compris: le ministre de la Défense, le Général James Kabarebe, le chef d’état-major, le général Charles Kayonga, et les généraux Jack Nziza, Emmanuel Ruvusha et Alexis Kagame;
3. Revoir la stratégie relative à la sécurité à l’Est de la RDCongo. Dans cette stratégie, le Rwanda ne devrait plus être considéré comme un agent pacificateur qui veut promouvoir la paix dans l’est de la RDCongo. L’on devrait, plutôt, recourir à toutes sortes de pressions et de sanctions pour le forcer à respecter le droit international;
4. S’assurer que l’aide financière et militaire accordée au gouvernement rwandais ne soit utilisée pour soutenir des groupes armés, en vue de la déstabilisation de la RDCongo. Si nécessaire, il serait souhaitable, même une suspension temporaire. Les États-Unis, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont déjà annoncé certaines décisions à cet effet.
5. Prendre d’autres mesures complémentaires contre l’actuel régime rwandais, y compris l’embargo sur les armes, le gel des comptes bancaires, l’interdiction de voyager à l’étranger, l’émission de mandats d’arrêt internationaux contre les personnes impliquées dans des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, le rappel pour des consultations des ambassadeurs accrédités à Kigali et la suspension temporaire des investissements étrangers au pays.
6. S’opposer à la candidature du Rwanda à un siège non-permanent auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU, un siège qui pourrait accroître son influence, jusqu’à présent certainement pas positive pour les efforts de paix en RDCongo.
7. Exiger un dialogue inter-rwandais avec la participation du gouvernement et de l’opposition, interne et externe, en vue d’accords qui pourraient permettre le rapatriement non seulement des réfugiés rwandais encore résidents au Kivu, mais aussi des membres des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), utilisées jusqu’à présent comme un prétexte pour envahir à maintes reprises les provinces du Kivu.
8. Soutenir efficacement la RDCongo dans la restauration de l’autorité de l’Etat dans tout le pays, en particulier à l’est du territoire, surtout dans le contexte de la réforme du secteur de la sécurité (armée, police, justice);
9. Demander au Conseil de sécurité de revoir le mandat de la MONUSCO, confiant à certaines de ses unités militaires un mandat plus fort, conformément à l’art. VII de la Charte des Nations Unies, qui amplifie la possibilité de recourir à la force, afin de soutenir plus efficacement les FARDC dans leur tâche de mettre un terme, une fois pour toutes, à l’invasion de la RDCongo, le pillage de ses ressources naturelles, l’insécurité des civils et le viol des femmes congolaises.
10. Veiller à ce que la « force internationale » proposée au sommet de Addis-Abeba, soit vraiment «neutre», c’est à dire sans la participation des pays impliqués dans la déstabilisation du Congo. La participation du Rwanda et de l’Ouganda dans une telle mission pourrait, en effet, entériner leur occupation de l’Est de la RDCongo déjà en cours.
11. Créer un Tribunal international spécial pour la RDCongo ou des « tribunaux spécialisés mixtes » (avec la participation temporaire de personnel international) inclus dans le système judiciaire congolais, pour juger tous ces crimes dont la RDCongo a été victime au cours des dernières vingt années, qui ont été documentés par le rapport Mapping des Nations Unies du 1er Octobre 2010 (Voir Annexe n. 10) et qui continuent d’être commis jusqu’à nos jours.
12. Promouvoir, au niveau européen, l’application par les États membres, des directrices émises par l’Organisation des Nations Unies (ONU) et l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) sur la «diligence raisonnable» (le processus par lequel les sociétés minières elles-mêmes s’assurent de ne pas importer de minerais provenant des zones de conflit) et la « traçabilité et certification d’origine » des minerais importés.
En particulier, le Réseau Paix pour le Congo estime très important:
– Un véritable changement d’attitude vis-à-vis du régime rwandais, un régime autoritaire qui, depuis plus de quinze ans, déstabilise la RDCongo en général, et le Kivu, en particulier. Puisque plus de la moitié de son budget national dépend de l’extérieur, une intervention dans ce domaine, combinée à d’autres sanctions visées ci-dessus, pourrait constituer une pression efficace, pour que le régime rwandais renonce à ses ambitions hégémoniques sur la RDCongo et s’ouvre à un véritable dialogue avec son opposition, interne et externe.
– Une vérification, au niveau de l’UE et de l’Italie, sur:
a. les investissements en RDCongo et les importations provenant de ce Pays, afin que, dans la logique d’une relation entre pairs, la population congolaise puisse en profiter et l’intégrité territoriale de la RDCongo soit respectée;
b. le commerce international des armes, afin qu’elles ne tombent pas dans les mains de groupes et de régimes qui déstabilisent le pays.
– Une utilisation de la solidarité internationale attentive aux comportements des pays bénéficiaires. Dans l’octroi d’une aide, il est essentiel d’appliquer le principe de la «responsabilité partagée» entre pays donateurs et pays d’accueil, pour que les objectifs convenus soient respectés.
Par conséquent, le Réseau Paix pour le Congo, propose:
– Aux honorables Sénateurs membres de la Commission extraordinaire pour la protection et la promotion des droits de l’homme auprès du Sénat, de donner une continuité à l’audition des représentants de la Communauté congolaise en Italie, qui s’est tenue le 16 mai 2012, en tenant compte notamment de la situation actuelle du Kivu.
– Aux honorables Députés, de continuer à travailler pour la paix en RDCongo, en collaboration avec la Commission des droits de l’homme auprès du Sénat et en continuité avec le travail déjà abattu lors de la présentation des motions parlementaires Leoluca Orlando. n 1-00327, Casini. n. 1-00056, Fava. n. 1-00059 et Touadi n. 1-00328, du 16 Février 2010, des initiatives visant à promouvoir le processus de paix en RDCongo et à faire face à l’urgence humanitaire en cours.
– Aux honorable Députés Européens, d’inscrire l’actuelle problématique de la RDCongo et du Kivu, en particulier, à l’ordre du jour des prochaines sessions de la Délégation à l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE et du Conseil de l’Union Européenne pour les Affaires Étrangères et la politique de sécurité.
Le Réseau Paix pour le Congo remercie pour votre attention et reste à votre disposition:
P. Silvio Turazzi
Teresina Caffi
Loris Cattani
Pierre Kabeza
Jean Bosco Kalisa